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Full text of "L'homme formaté"

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HACKING SOCIAL BLOG 


L' HOMME 
FORMATE 



CE LIVRE N’A PAS ETE ELU 


MEILLEUR LIVRE 

DE L’ANNEE 

2015 


Ceci etait une fausse preuve sociale. Decouvrez cette notion fascinante dans cet ouvrage garanti sans OGM 




L’homme 

formate 

Anti-manuel de manipulation mentale 

* 

Hacking Social & Horizon Gull 


Cet ouvrage est sous licence creative commons : 





Pour ma fille, en esperant qu’elle ait le moins besoin possible de ce pave dans son avenir. 

Mais si necessaire, il sera la pour elle. 




Remerciements 


Merci a mes parents pour m’avoir donne conjointement l’amour des 
livres et celui des ordinateurs. Merci pour m’avoir donne ce qui fait au- 
jourd’hui mon flow quotidien, j’en serais eternellement reconnaissante. 
Desolee d’etre si pudique quant a mes activates ecrites, c’est une question 

de tic, ne vous en faites pas :) 

Merci a Gull. Les mots me manquent pour exprimer toute la gratitude 
que j’ai pour lui. Sans notre rencontre, cet ouvrage n’aurait pas existe, 
bien d’autres choses n’auraient pas vu le jour. Merci. 

Merci a mon ancienne ecole masquee. Ce fut dur, ce fut grandiose, 
ce fut parfois violent, ce fut une experience que je n’oublierai jamais, 
qui m’a profondement marquee. J’ai debute les recherches pour cet ou- 
vrage la-bas, je leur suis redevable - a notre ancien regroupement - pour tout 
ce qu’ils m’ont apporte directement et indirectement. Je suis desolee, je 
pense et j’espere que le temps a du apporter ses reponses aux personnes 

que j’appreciais sincerement. 

Merci aux incroyables correcteurs. Quand nous avons poste notre 
demande d’aide, jamais on n’aurait imagine que cela se passerait si mer- 
veilleusement bien, en toute simplicite, avec une efficacite incroyable. 
Merci done a la premiere vague : Supertraducteur, Grumeau, Big Broth- 
er, Caligula (il a applique un de nos principes - le chomage comme solu- 
tion a la crise - et tenait a ce qu’on le signale), Bobby, Brest Beat, Lioss, 
Carey, Taos, Leo, Olena, Sameclaire, Christelle, Marion, Mister Miaouh, 
Julien, Amon.. et la deuxieme vague : Helina, Cheutfleur, Vilerio62, 
The_Roschan, DrakeRoxas, Xubdy, Yann... Je crois que vous avez ete tel- 
lement epatants que je ne suis pas prete de quitter le mode « OMG » :D. 





SOMMAIRE 


Milgram la soumission a Pautorite 13 

Manipulations Commerciales 37 

@commercial/le magasin 
@commercial/le produit 
@commercial/le vendeur 
@commercial/Pengagement 


@commercial/le formatage du consommateur 

L' autorite des medias 133 

@medias/ publicites 
@medias/ actualites 
@medias/la politique 
@medias/ divertissement 

@Medias/conclusion/ pourquoi un tel pouvoir ? 

Formatage au travail 261 

@travail/ soumission 
@travail/ exploitation 

@travail/ engagez vous ! Le formatage des responsables 

@travail/harcelement 

@travail/le pouvoir 

Conclusion 489 
Bibliograpliie 493 




Introduction L'homme formate 


Introduction 


La litterature etiquetee « manipulation mentale » se trouve a foison dans les librairies. 
Si Ton ecarte les manuels de psychologie, cette litterature prend parfois l’aspect de coaching 
pour lutter contre les techniques des manipulateurs ou pour apprendre ces techniques, l’excuse 
ethique etant « manipuler pour ne plus etre manipule » ou « manipuler les manipulateurs ». 
Ces livres prennent en exemple des situations ponctuelles et individuelles, dans lesquelles 
il s’agit de renverser le pouvoir : soit arreter le manipulates et empecher son emprise ; soit 
prendre sa place dominante. 

Ce ne sera pas notre point de vue. 

Cet ouvrage n’est pas non plus un manuel, ni un essai. Le terme le plus vraisemblable pour 
le designer serait « Anti-manuel ». 

Nous parlerons de manipulation mentale via trois domaines fortement imbriques : le com- 
mercial, avec ses marques, ses produits, ses magasins et ses techniques de vente ; les medias, 
tout particulierement la television ; et le travail, a travers le prisme de 1’ experience de Milgram, 
dont l’experience essentielle introduira cet ouvrage. 

Nous sornmes tous consommateurs, spectateurs, et travailleurs. Meme les chomeurs et les 
etudiants ne sont consideres qu’en fonction du travail, l’un etant en recherche d’emploi, l’autre 
en preparation de son emploi. 

Ces trois domaines que nous aborderons, tentent de nous influencer, nous orienter, nous 
convaincre, nous persuader, nous seduire et enfin de nous manipuler afin de nous exploiter : 
il s’agit la de pomper nos ressources financieres (le commercial), nos ressources attention- 
nelles (les medias) et enfin nos ressources physiques et mentales (le travail). Ce n’est pas une 
manoeuvre qui se fait en un clin d’oeil, car nous zappons, nous changeons de marque de produit, 
nous n’acceptons plus le statut d’esclave. Alors les structures ont rivalise d’astuces, au fil du 
temps, pour nous faire depenser plus que ce dont nous avons besoin, pour nous scotcher devant 
l’ecran plus que de raison, pour nous faire travailler comine des esclaves mais sans qu’on le 
percoive ainsi. Notre comportement s’est modele, transforme a la faveur des structures exploi- 
tantes : nous voici formates. 

C’est ce fonnatage qui sera ici notre finalite d’ etude, car il impacte toute la societe, em- 
peche l’evolution, bride les comportements et les elans qui pourraient etre profitables a l’in- 
dividu, son entourage et toute la societe. Cependant, malgre l’obscurite des themes que nous 
aborderons, nous avons eu le plaisir de constater que le « non » au fonnatage a deja bien 
commence, que certains individus isoles ou en groupe se sont d’ores et deja liberes des laisses 
mentales des structures exploitantes, dans un domaine ou un autre. 

Mais pour comprendre le fonnatage, il faut d’abord comprendre comment on est influence 
puis manipule, a savoir comment les structures exploitantes se basent sur notre fonctionne- 


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L'homme formate Introduction 


ment, physique et mental, en percent les failles ou en detournent les objectifs, et s’y infiltrent 
pour nous guider sur la voie qui les arrange. Une grande partie de cet ouvrage decortiquera 
les techniques de persuasion, les processus sur lesquels elles se basent (les fameuses failles 
qui sont egalement des atouts dans d’autres contextes). A l’instar des tours de magie dont on 
connaitrait les « trues », la comprehension des situations de manipulations peut etre une bonne 
prevention contre certaines techniques. 

Bien que nous ayons redige ces plusieurs centaines de pages sur le sujet, nous ne nous 
considerons pas a 1’abri des influences, des manipulations ou du formatage : au contraire, c’est 
parce que nous savons pertinemment que nous courons sans cesse le risque d’etre explodes, 
manipules et transformes, que nous avons consacre tant de travail benevole a la question. Se 
croire au-dessus de ces techniques d’influence, se croire capable de resister a l’autorite serait 
le meilleur moyen d’etre manipule a souhait. II n’y a pas d’exception, l’etre humain est ainsi 
fait que ses plus beaux mecanismes de fonctionnement peuvent etre utilises a son encontre. 
Si intelligent, si cultive ou si raisonnable soit-il, l’humain peut etre pousse a tuer quelqu’un 
(l’experience de Milgram). Nul besoin d’etre un psychopathe, un sociopathe ou avoir une 
quelconque pathologie : notre normalite suffit a nous faire obeir a des ordres meurtriers. 

Cet ouvrage n’est pas rallie a un parti politique, ni a quelconque drapeau ou mouve- 
ment. Le seul ralliement est celui avec Hacking social, dont nous sommes egalement les au- 
teurs. Nous n’avons pas d’autre but que de partager nos recherches avec vous et nous esperons 
qu’elles puissent vous etre utiles. Nous esperons cet ouvrage accessible a tous, nous esperons 
qu’il puisse servir au quotidien. Nous ne pretendons pas faire avancer la reflexion ni apporter 
quelque chose de nouveau : nous avons simplement trie les informations, les recherches, nous 
avons tente de clarifier cet aspect mecanique de la societe pour aider a faction, aider a y voir 
plus clair. 

Cet ouvrage est gratuit et doit le rester. Son contenu est fibre d’utilisation, du moment 
que les sources sont citees et que le contenu n’est pas transforme sans demande. 

Dernier detail. Nous sommes pragmatiques : nous n’avons ici explore que les horizons les 
plus proches des individus, des horizons que chacun d’entre nous peut observer, decortiquer 
puis contrer s’il y a tentative d’ exploitation par manipulation mentale. L’ action, vous le verrez, 
peut etre extraordinairement simple pour demanteler de puissants formatages. La difficulte 
reside principalement dans la decision de se defaire de certains formatages, ceux-ci etant aussi 
moelleux qu’une couette lorsque l’on est epuise et qu’il fait froid. Mais ce ne sera pas notre 
propos, car personne ne peut vous retirer la couette. Celui qui s’octroierait le droit de vous ar- 
racher la couette ne vaudrait pas mieux que ceux qui vous ont incites a vous y nicher. Nous ne 
fournissons avec cet ouvrage que quelques outils, quelques materiaux permettant d’ observer 
d’une maniere differente la couette. Vous etes fibre de les saisir ou non. 

Bonne lecture ! 


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Ml LG RAM 

LA SOUMISSION A L AUTO RITE 



L'homme formate Milgram, la soumission a I'autorite 


[vous pouvez decouvrir cette premiere partie sous forme d’ article : https.V/hackiiuzsocialblogAvordpress. 
com/201 4/1 0/07/de-lautorite-lexperience-la-plus-terrible-de-la-psvcholosie-restera-touiours-dactualite/] 

<®MlLGRAM/L’EXPERIENCE 

1960. 

Vous etes professeur, employe ou docteur, jeune ou age, qu’importe : vous avez repondu 
a une petite annonce de la studieuse universite de Yale parue dans la presse locale. Celle-ci 
appelait a participer a une recherche sur la memo ire contre une retribution de 4 dollars 50. 

Vous etes accueilli dans un elegant laboratoire, par un experimentateur de 3 1 ans, froid et 
impassible : nul doute, cet enseignant en biologie doit etre severe avec ses eleves tant il degage 
d’autorite. A cote de lui, Bob, homme de 47 ans au visage avenant, sympathique : il participera 
avec vous a l’experience et vous vous en voyez deja heureux. 

L’ experimentateur vous explique que vous allez tous deux participer a une experience sur 
l’effet de la punition sur l’apprentissage. L’un d’entre vous va jouer le professeur et l’autre 
prendre le role de l’eleve. Vous tirez au sort votre place, et vous voila devenu le professeur de 
cette experience. 

Bob est emmene dans une salle adjacente, il est attache sur une chaise (« pour eviter tout 
mouvement excessif durant un choc » dit 1’ experimentateur) il accroche des electrodes a ses 
poignets et il pose une creme pour eviter les brulures. Bob est souriant et semble confiant. Vous 
ne vous inquietez pas, vous savez pertinemment que dans ce genre d’ experience, tout est pris 
en compte, peut-etre meme excessivement. Les scientifiques sont tatillons, leurs instruments 
peuvent faire peur, mais tout est maitrise et securise. Non, il n’y a pas a s’en faire. 

Comme s’il saisissait ce vague questionnement, 1’ experimentateur precise que les chocs 
que vous enverrez a Bob peuvent etre extremement douloureux mais qu’ils ne peuvent pas 
causer de dommages irremediables. C’est bien ce que vous pensiez, il n’y a pas a s’en faire. 

Vous voila dans l’autre piece, a l’ecart de Bob. Devant vous, un interphone qui permettra 
la communication avec votre « eleve » et un generateur de chocs, gradue de 15 a 450 volts. On 
y lit « choc leger, choc moyen, choc tres intense » et la fin de la graduation n’indique qu’un 
« XXX ». L’ experimentateur vous explique votre role : une tache de memo ire ou vous aurez 
pour l’essentiel a lire des listes de mots (et a Bob de deviner les mots manquants) et punir Bob 
s’il venait a se tromper dans le rappel de ces mots. On vous fait tester l’appareil sur vous a 45 
volts : une bonne piqure, c’est certain, mais ce n’est rien d’insurmontable. L’appareil clignote, 
emet des bruits mecaniques, vous commencez a bien saisir votre role. 

Quelques piqures pour faire avancer la science, ce n’est pas grand-chose. Bob, si sym- 
pathique, doit aussi le penser. Ensemble, vous formerez de bons sujets, l’experience sera un 
succes et il n’y aura pas d’autres dommages que cette piqure. 

Premiere serie. 


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Milgram, la soumission a I'autorite L'homme formate 


Pour debuter et pour que tout le monde comprenne bien sa tache, tout le monde y va 
en douceur. Bob fait sept erreurs, le curseur sur le generateur de chocs est sur la position 
moyenne. Tout a Pair de bien se passer, car Texperimentateur annonce que vous pouvez passer 
a la deuxieme liste. 

Deuxieme serie. 

Les choses serieuses commencent : Bob doit cette fois-ci connaitre par coeur toute la liste 
de mots que vous lui presentez, sans quoi vous devriez recommencer et continuer a delivrer 
des chocs. On recommence a partir de 15 volts. Bob fait des erreurs, ca commence a devenir 
serieusement genant. Est-ce qu’il a un probleme de memoire ? Nous avons depasse les 150 
volts, nous ne sommes plus a un choc moyen et vous devez encore elever le niveau de choc. 
Vous essayez de Tencourager, vous insistez sur certains mots pour le mener sur une piste, mais 
rien n’y fait, il continue d’echouer. 

Et vous devez encore monter le niveau de choc. 

300 volts. 

Vous annoncez 300 volts, comine le protocole le requiert. Pour toute reponse de Bob, vous 
Tentendez remuer sur chaise et marteler au sol. Ce n’est plus la piqure du debut. II soufifre. 

Je dois encore augmenter le niveau des chocs ? demandez-vous. 

— Oui, repond froidement Texperimentateur. 

Vous avez soupire, marmonne dans votre barbe. Vos doigts ont hesite a approcher de la 
machine, vous aviez les pieds qui tapaient au sol de nervosite. Votre mecontentement et votre 
stress etaient visibles. 

315 volts. 

Bob ne repond plus. II n’emet aucun son malgre vos demandes repetees. II s’ est passe 
quelque chose a 300 volts, vous en etes certain. II a 47 ans quand meme, c’est peut-etre pas 
bon pour le coeur a cet age-la. . . Mais nous sommes dans une universite, il y a des docteurs et 
des scientifiques dans tous les coins, pourquoi remettre en doute cette experience ? Vous tentez 
neanmoins, afin de vous calmer : 

— Peut-etre qu’il ne veut plus continuer T experience ? 

— Meme si ca ne lui plait pas, il faut continuer jusqu’a ce qu’il ait appris sa liste de 
mots correctement. 

Peut-etre que vous etes trop sensible, peut-etre que vous imaginez des choses qui n’ont pas 
lieu. Vous continuez et cette fois ce sont vos mains qui tremblent. 

330 volts. 

Toujours pas de reponse. 

— Mais on n’entend plus rien ! 

— L’ experience exige que vous continuiez. 

L’indicateur du generateur de choc precise « choc violent » et vous n’etes pas loin des 
« XXX ». L’experimentateur ne bouge pas, ne cille pas. Une statue. Le luxueux labo que vous 


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L'homme formate Milgram, la soumission a I'autorite 


admiriez au debut vous est des plus inconfortables. Vous n’arrivez pas a tenir en place sur votre 
chaise, et vos mains dans vos cheveux sont tendues, suantes, tremblantes. 

Mais qu’est-ce que vous faites la ? Vous revoyez Bob, si sympathique. Vous ne savez pas 
s’il va bien et il revolt des chocs violents sans reagir. II est probable qu’il ne repondra plus. 
Cette situation est intenable. 

— C’est quand meme bizarre qu’il ne dise plus rien a ce niveau ! On ne peut pas ar- 
reter ? 

— II est indispensable que vous continuiez. 

Alors vous continuez. Pas sans craintes, pas sans stress ni angoisse. Vous appelez Bob, 
l’encouragez a repondre, ne serait-ce que pour lui signifier qu’il va bien. Vous egrenez les listes 
de mots, esperant que sa voix traverse l’interphone. Mais il n’en est rien. Bob ne repond plus et 
l’experimentateur, a chacune de vos questions, vous ordonne de continuer. Il est scientifique, il 
est sur de lui. Apres tout, c’est lui qui a monte l’experience dans cette prestigieuse universite, 
il doit savoir ce qu’il fait. Vous vous en remettez a ses instructions, vous suivez le protocole 
la gorge nouee. Vous vous promettez de ne plus jamais repondre a ce genre d’annonce. Meme 
pour plus de dollars. Vous esperez qu’au moins, l’experience sera un succes, qu’elle pennettra 
vraiment de faire avancer la connaissance. Apres tout, il faut savoir faire des sacrifices pour la 
science... 

XXX. 

On est au-dela du choc intense. On est hors limite. On est a la mort supposee de Bob. 

Vous l’avez fait, le choc ultime. 

Fin d’experience. 

Peut-etre que vous ne pleureriez pas et vous vous contenteriez de rester fige dans l’horreur 
de vos actes. Peut-etre que vous feindriez de ne pas avoir subi de traumatismes. Toutes les 
reactions sont possibles. 

L’equipe vous accueille, l’experimentateur change d’attitude, Bob revient. Il n’a jamais 
subi le moindre choc, il n’etait meme pas un sujet. Cette experience ne visait qu’a tester la 
soumission a i’autorite. Soumission qui amene n’importe qui a tuer sous de simples ordres. 
Soumission qui explique comment des gens normaux, durant le nazisme, ont pu etre amenes a 
faire des horreurs. 


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Milgram, la soumission a I'autorite L'homme formate 


@Milgram/Les resultats de l’experience 


« J’observai un homme d’affaires equilibre et sur de lui entrer dans le la- 
boratoire, souriant et confiant. En mo ins de vingt minutes, il fut reduit a l’etat 
de loque parcourue de tics, au bord de la crise de nerfs. II tirait sans arret sur le 
lobe de ses oreilles et se tordait les mains. A un moment il posa sa tete sur son 
poing et murmura : “Oh mon Dieu,faites qu ’on arrete !” Et pourtant il continua 
a executer toutes les instructions de l’experimentateur et obeit jusqu’a la fin. » 

Soumission a I ’autorite, Stanley Milgram 

La premiere version de cette experience (en 1963) donna des resultats terrifiants. Alors 
que l’echantillon (toutes les personnes qui ont participe a l’experience telle que decrite prece- 
demment) de 40 personnes etait varie en terme d’age (20 % de 20-29 ans ; 40 % de 30-39 ans ; 
40 % de 40-50 ans) et en termes de professions (vendeurs, enseignants, employes de poste, 
ingenieurs, ouvriers. . .) on aurait pu imaginer que les resultats varient egalement en fonction de 
ces differentes personnalites. On aurait pu imaginer que beaucoup s’arreteraient meme des la 
vision de la chaise et du dispositif electrique. 

Cela n’a pas ete le cas. Tous les sujets, quels que soient leurs professions ou ages ont ete 
jusqu’a 285 volts, le dernier curseur avant la categorie « choc intense » : 

12,5 % s’arretent a 300 volts (quand on entend l’eleve Bob remuer) 

20 % arretent entre 375 et 420 volts (mention danger : choc violent) 

62 % vont jusqu'au dernier curseur supposant la mort de « Bob ». 

Ces resultats sont traumatisants. Ils montrent qu’un etre humain nonnal est capable du pire, 
qu’il se soumet aux pires injonctions, meme si tout indique chez lui que le protocole lui est mo- 
ralement insupportable. Il se soumet sans etre menace, sans etre intimide, sans qu’il ait quelque 
chose a perdre du refus de la situation. Cet individu pourrait etre nous, vous, votre conjoint(e), 
votre enfant, votre parent, votre voisine, votre chef, votre prof, votre boulanger. 

Il est tres difficile de croire a l’experience de Milgram, car c’est avouer une faille epouvant- 
able en chacun de nous, a savoir notre obeissance inconditionnelle aux symboles de I’autorite. 
Une obeissance prouvee par les actes, denotant une soumission inconditionnelle au cadre de 
l’experience (et cela quelle que soit la disapprobation du protocole), qui nous conduit a infliger 
des tortures, puis a tuer Bob. 

Evidemment, de nombreux chercheurs ont tente de refuter les resultats de cette experience 
en reprenant le protocole de Milgram et en le testant dans d’autres situations. C’est ce que nous 
allons explorer dans les pages suivantes, via des arguments souvent utilises pour refuter la va- 
lidite des resultats de Milgram. 


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L'homme formate Milgram, la soumission a I'autorite 


@MlLGRAM/LASOUMISSION A-T-ELLE DES CAUSES 
CULTURELLES ? 

« C’est une experience americaine avec des sujets americains, dans 
d’autres pays ga n ’arrive ra it jamais » 

Beaucoup de chercheurs pensaient qu’en fonction des nations, de leur « style », mais aussi 
de leur contexte politique, les resultats de l’experience seraient differents. Ils esperaient sans 
doute que le taux de soumission serait moms important. . . 

L’experience a done ete reprise traits pour traits dans differents pays (Espagne, Australie, 
Jordanie, Italie, Autriche, Afrique du Sud) et a dififerentes dates (entre 1968 et 1980) 1 

Le taux minimal de soumission est de 50 % 

Le taux maximal de soumission est de 87,5 % 

La moyenne du taux de soumission est de 7 1 % 

Quelle que soit l’epoque, le taux de soumission reste haut, done la soumission n’est pas un 
resultat lie au style d’une epoque, a son contexte d’apres-guerre ou non. Qu’on soit en 1960 
ou 1985 et quel que soit le continent, la soumission est toujours autant prononcee, avec les 
consequences que cela engendre. 

@Milgram/La soumission depend-elle des 

INDIVIDUS ? 

« les sujets devaient etre idiots/trop jeunes/naifs » 

Qui se soumet ainsi a I’autorite ? Quel type de personne, quelle profession, religion amene 
a se soumettre ? Est-ce que les homines sont plus soumis que les femmes ? Est-ce que la per- 
sonnalite joue un role dans le fait d’accepter d’envoyer des decharges a autrui ? Est-ce que 
le niveau d’etude joue un role ? Un haut niveau d’education premunit-il de cette soumission 
devastatrice ? Est-ce qu’ avoir soi-meme un statut d’ autorite empeche de se soumettre ? 

Les chercheurs se sont atteles a enqueter sur ces « soumis », cherchant une eventuelle 
explication individuelle a cette soumission. Tout de meme, les gens sont differents, ils vivent 
des experiences tres dififerentes les uns des autres, certains doivent avoir quelque chose en plus 
pour pouvoir dire non a cette experience ! Et inversement, ceux acceptant d’un bout a l’autre 
T experience devraient avoir des caracteristiques communes. 

1 Miranda, Caballeor, Gomez et Zamorano (1980), Espagne, taux de soumission 50% ; Kilham etMann (1974), Aus- 
tralie, 54% ; Shanab et Yahya, (1978), Jordanie, 62.5% ; Shanab et Yahya (1977), Jordanie, 73%> ; Schurz (1985), Autriche, 
80% ; Mantell (1971), Allemagne de VOuest, 85% ; Ancona et Pareyson (1968) Italie 85% ; Edwards, Franks, Friedgood, 
Lobban et Mackay (1969) Afrique du Sud 87.5%. 


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Milgram, la soumission a I'autorite L'homme formate 


Les sujets homines ou femmes reagissent d’une facon strictement identique. Pas 
de sexe fort ou faible, face a la soumission les femmes et les homines sont egaux. 2 

Peu d’ experiences ont ete realisees en prenant en compte la foi des sujets. Une 
seule l’a ete (Bock et Warren 1972) avec pour resultat un taux superieur de soumis- 
sion chez les religieux. Mais etant donne le peu de comparatif et les differences de 
l’experience avec celle de Milgram, il serait risque de generaliser ce resultat. 

Le niveau d’education et le metier n’ont aucun lien avec le fait d’etre soumis ou 
non. Cadre, ouvrier, professeur, ingenieur, vendeur. . . tous se soumettent (toutes les 
experiences de Milgram et ses repliques ont des echantillons aux statuts socio-pro- 
fessionnels tres varies). Ainsi, le fait d’etre soi-meme une autorite ne protege pas 
d’etre, dans d’autres circonstances, soumis a volonte. Avoir ou non des diplomes 
ne protege en rien de la soumission et de ses consequences. 

II faut croire que la soumission n’est pas favorisee par des facteurs inherents a la personne. 
N’importe qui pourrait etre amene a envoyer le choc final a Bob, quels que soient sa vie, ses 
connaissances, ses experiences, ses croyances, ses valeurs, tout le monde pourrait etre ce sujet 
malleable qui tue autrui. Y compris vous, y compris nous. 

Est-ce que connaitre l’experience de Milgram permet d’eviter d’etre soumis a I’autorite ? 
Aucune experience ne s’est attelee a le verifier, mais on peut penser que si vous veniez a vous 
retrouver dans un laboratoire et qu’on vous y demandait d’envoyer des chocs, vous refuseriez, 
connaissant l’experience. Mais les situations d’obeissance malsaines sont legion, bien diffe- 
rentes dans la vie reelle. Le vaccin Milgram n’est pas un vaccin passif : il faut constamment le 
mettre a jour selon les situations et ne jamais se croire premuni de tous risques. 

<®Milgram/L’experimentateur, une terreur? 

« L’experimentateur devait etre terrifiant » 

L’experience a ete repliquee en changeant d’experimentateur, afin de voir si son genre ou 
sa couleur de peau avait des consequences sur le comportement du sujet. Les chercheurs n’ont 
note aucune difference significative. Cependant, ils ne se sont pas arretes la et ont change 1’ at- 
titude de l’experimentateur : 


2 Costanzo(1976); Shancib et Yahya (1978) ; Schurz, (1985) 


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L'homme formate Milgram, la soumission a I'autorite 


Plus l’experimentateur est proche du sujet, plus le sujet est docile et obeissant. 3 

- A contrario, plus l’experimentateur s’eloigne, plus le sujet se rebelle. Si l’experi- 
mentateur est absent et donne ses ordres par telephone, le sujet ne respecte pas le 
protocole et lui ment (il n’inflige pas des decharges a la hauteur de ce qu’il devrait 
faire). 3 

Si Ton a un duo d’experimentateurs, que ceux-ci se disputent sur le protocole, le 
taux d’obeissance chute de fa?on drastique, et atteint les 0 %. Tous les sujets s’ar- 
retent a 150 volts. Victoire ! 4 

En condition controle 5 de 1’ experience de Milgram, I’autorite (done l’experimenta- 
teur) est enlevee. Le sujet est libre de faire coinme il l’entend : 80 % des sujets ne 
vont pas au-dela de 120 volts. La soumission au protocole de l’experience est done 
quasi nulle. 

Rappelons que l’experimentateur dans toutes les experiences est fro id, impassible, mais 
nullement terrifiant. Ses seules interactions avec le sujet se limitent a des phrases codifiees, 
variant tres peu « vous devez continuer », « l’experience exige que vous continuiez », etc. Ce 
n’est pas la personne en elle-meme qui est terrifiante, mais ce que lui suppose le sujet, a savoir 
I’autorite. Pour parler autrement, e’est la fiction « scientifique », avec son lot de symboles 
(chemise blanche, l’a accueilli dans un labo, s’est decrit coinme prof. . .) qui fait obeir le sujet. 
L’experimentateur n’a qu’a etre present, l’imagination et les conditionnements du sujet font 
le reste. Pas besoin d’etre mena^ant, pas besoin de hurler ni de faire peur. . . la blouse blanche 
suffit a imposer au sujet sa place docile, meme si e’est absolument contraire a ses valeurs. Ces 
experiences prouvent la force des symboles de I’autorite : des que les representants de 1’ auto- 
rite montrent un signe de faiblesse (quand par exemple deux experimentateurs se disputent), la 
fiction s’effondre et l’individu trouve le courage de faire corps avec ses vrais souhaits, e’est-a- 
dire de ne pas torturer Bob. On a ici un premier element de reponse quant au desastreux taux 
de soumission de l’experience de Milgram : la fiction autorite, a peine amorcee (par le lieu, et 
l’apparence de l’experimentateur), suffit a creer un etat de docilite absolu chez l’individu. Mais 
nous reviendrons sur ce point plus tard. 


3 Milgram, (1965a) taux d’obeissance si l’experimentateur est present 90% ; s’il donne ses ordres par telephone : 22,5% ; 
si les ordres sont donnes par une bande enregistree : 12,5% 

4 Milgram (1974) 

5 les conditions controle sont des variantes de l’experience principale afin de verifier si les variables testees sont correctes 
(ici, I’autorite, done le controle est d’enlever I’autorite afin de verifier si l’effet n’est pas le meme). 


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Milgram, la soumission a I'autorite L'homme formate 


@MlLGRAM/EST~CE QUE CETTE SOUMISSION TE- 
MOIGNE DU SADISME HUMAIN ? 

« Les sujets devaient etre tous sadiques » 

Comme nous l’avons vu precedemment la condition controle de 1’ experience princeps 6 de 
Milgram prouve que les sujets ne sont pas des sadiques : 80 % des sujets ne vont pas au-dela 
de 120 volts quand il n’y a pas d’injonctions, d’ordres. 

Pour etre sadique, il faut avoir du plaisir a faire mal a autrui. Une experience quelque peu 
differente de celle de Milgram nous prouve que la soumission a i’autorite fonctionne egale- 
ment sans Bob, avec de la violence sur le sujet lui-meme, done en cvincant toute propension 
au sadisme. 

■ ^EXPERIENCE DE MARTIN, LOBB, CHAPMAN ET SPIL- 
LANE ( 1976 ) 

Le sujet est invite a participer a une experience sur les sons a haute frequence. L’expe- 
rimentateur explique au sujet qu’il cherche a deceler certaines habilites a ecouter des sons 
a haute frequence. Seule une personne sur vingt peut les ecouter sans dommage. Ici, pas de 
generateur de chocs, mais un choix d’ecoute de sons, gradue ainsi : 

0 : pas de danger ; 

3 : risque de perte d’ audition de 5 % ; 

8 : danger extreme risque de perte d’audition de 50 % ; 

et cela jusqu’a 10 (qui presuppose une perte totale d’audition). 

L’experimentateur disait au sujet qu’il etait libre de choisir la frequence qu’il souhaitait, 
mais qu’evidemment ce qui l’interessait, e’etait les hautes frequences. 

On peut supposer qu’evidemment le sujet va choisir une frequence sans risque : non seu- 
lement e’est lui et lui seul qui s’administre le potentiel danger, mais en plus l’experimentateur 
le laisse libre de choisir. Mais la soumission a I’autorite fonctionne egalement dans ce cas de 
figure : 


92 % choisissent des niveaux 6 (presque 50 % de perte d’audition) ou plus eleves. 
54 % choisissent le niveau le plus eleve, e’est-a-dire avec le risque de perte totale 
d’audition. 


6 originelle. 


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L'homme formate Milgram, la soumission a I'autorite 


Si le sujet n’est pas un sadique, serait-il alors masochiste ? Non, il faut croire que la encore 
c’est juste un effet de I’autorite, certes quelque peu different de l’experience de Milgram, mais 
bien reel : 43 % des sujets disent avoir choisi un niveau tres eleve, car ils avaient confiance en 
l’experimentateur... Une autre interpretation est que I’autorite a laisse le choix, ce qui est une 
strategic de manipulation via l’engagement, « vous etes libre de... » qu’on explicitera au pro- 
chain chapitre. Cependant cette strategic peut-etre employee sans volonte de manipuler, mais 
elle a un effet sur notre obeissance. 

Seul 1 % des sujets des experiences de Milgram semblent avoir une propension au sadisme 
ou du moins a des comportements deviants, ils sont de ceux qui administrent spontanement, 
sans ordre, des chocs de 450 volts. D’autres etudes, notamment sur les tortionnaires grecs ayant 
pratique la torture sur des civils entre 1 967-1 974, montrent que les vrais sadiques sont peu nom- 
breux : a l’instar du pourcentage de Milgram, seul 1,5 % des recrues etaient estimees « aptes » 
a devenir tortionnaires. 

Le resultat rassure et inquiete a la fois : non, nous ne sornmes pas entoures de monstres 
psychopathes attendant la moindre occasion, pennission, pour faire le plus de mal a leurs pro- 
chains ; mais oui, les homines normaux peuvent repondre a des ordres qui les meneront a reali- 
ser n’importe quel acte violent. Meme sur eux-memes, par crainte du symbole de I’autorite ou 
par confiance en celui-ci. 

@Milgram/La soumission depend-elle du 

LIEU OU L ON SE TROUVE ? 

« C’est parce que ga s’est passe dans un laboratoire prestigieux, ail- 
leurs ga ne serait pas le cas. » 

L’universite de Yale est en effet respectee par tous, c’est un lieu prestigieux, repute et qui 
doit certainement impressionner. La scientificite de l’endroit doit faire se sentir tout petit et, 
meme pour ceux qui sont bardes de diplomes, il y a une profonde confiance en des lieux tels 
que celui-ci. 

Milgram a teste son experience dans un autre lieu en 1965. Le protocole est le meme, ex- 
cepte que 1’ experimentation se dit d’une organisation privee appartenant a un groupe industriel. 
L’experience se deroule dans un immeuble de la banlieue industrielle. Comine on peut le voir, 
le prestige a ete evince de l’experience. 

Le taux d’obeissance, avec ces conditions, sera de 47,5 %. 

Une tres nette baisse, done. Alors oui, en effet, le lieu et le statut de l’experimentateur ont 
un effet sur la justification de I’autorite. Le sujet est moins pris au piege de I’autorite, la fiction 
« autorite » a perdu en envergure, elle fonctionne moins. 

Mais elle fonctionne toujours. 


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@Milgram/La soumission dans la vie reelle 

EST-ELLE SIMILAIRE ? 

« La situation de I ’experience est artificielle, dans la vie reelle ga n’ar- 

riverait jamais » 

C’est le plus gros reproche ayant ete adresse a Milgram, et non sans raison : en effet, le fait 
de se retrouver dans un laboratoire n’a rien de cornmun, encore moins de quotidien. La situa- 
tion est artificielle et ne correspond a aucune situation que l’individu lambda puisse connaitre 
dans sa vie. Comment generaliser alors les resultats ? Comment peut-on dire oificiellement que 
l’humain est soumis a i’autorite au point de contredire ses valeurs si l’on ne teste cette faille que 
dans une situation exceptionnelle, qu’il ne vivra sans doute jamais ? Les chercheurs ont done 
suppose (et fortement espere, on l’imagine) que l’individu ne soit pas soumis a i’autorite dans 
des situations qu’il vit au jour le jour. Pour cela, ils ont monte des experiences, notamment dans 
le milieu professionnel. 

■ I/EXPERIENCE D'HOFLING, DALZYMPHE, GRAVE ET 
PIERCE EN 1966 

Nous sommes dans un hopital bien reel, avec des infirmieres en fonction, des patients reels. 
Rien n’est artificiel si ce n’est ce coup de telephone : un medecin (inconnu a l’infirmiere) 
prescrit par telephone une ordonnance a appliquer a un patient (patient qui existe bien dans le 
service de l’infirmiere). Ce traitement doit se faire immediatement, car il va bientot lui rendre 
visite et il faut que les medicaments fassent effet quand il arrive. 

Mais la prescription pose probleme : le medicament n’est pas autorise dans le service et 
de plus, la dose prescrite est extremement excessive (done dangereuse). Les infirmieres ne 
peuvent pas ignorer le fait que cette prescription soit non seulement malvenue, mais gravement 
dangereuse pour leur patient. Est-ce que les infirmieres vont tout de meme obeir au medecin ? 

L’ experience de Milgram, en situation artificielle nous montrait un taux epouvantable de 
62 %"d’obeissance envoyant Bob a la mort. En milieu professionnel, tres reel cette fois, c’est 
pas moins de 95 % d’obeissance aux ordres mortellement dangereux d’un medecin inconnu, 
par telephone. 

Dans la vie reelle, la soumission a i’autorite est done bien pire. Le representant de i’autorite 
n’a meme pas besoin de faire acte de presence, seul son titre « docteur » par telephone suffira a 
amorcer l’obeissance inconditionnelle. Alors que dans les experiences de Milgram (princeps et 
en 1965), moins i’autorite etait presente, plus il y avait desobeissance. 

Pourquoi ? Les infirmieres ont par la suite evoque des situations similaires - d’ ordres de 
medecins avec lesquels elles n’etaient pas d’ accord - dont la desobeissance avait contrarie for- 
tement les medecins. L’ experience de leur vie professionnelle les avait soumises totalement, 
a force de reprimande de i’autorite, elles avaient cesse de penser pour se contenter d’obeir 
aveuglement. 

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■ l'experience de Meevs et raaijmakers en 1986 

Nous sommes a l’universite. Dans le cadre de recrutement pour des emplois dans la fonc- 
tion publique, des candidats passent un test. Notre nouveau Bob-compere devait remplir un 
questionnaire, mais le sujet avait pour ordre de lui faire des remarques pendant cette passation. 
Les remarques que devait faire le sujet a Bob etaient de plus en plus desobligeantes et faisait 
immanquablement echouer Bob qui etait de plus en plus stresse, done forcement mis en echec 
par ces remarques. 

On est dans une situation plus reelle que 1’ experience de Milgram, plus connue, plus vecue 
(qui n’a pas ete deja stresse lors d’un entretien par des questions ou remarques genantes, alors 
qu’il se devait de paraitre sous son meilleur jour) done on peut imaginer que le sujet se refuse 
a mettre dans le piege Bob, voyant qu’il lui capote son test, quelque que soit ses competences. 
Mais non. 

Le pourcentage d’obeissance totale est de 91 %, 

si l’experimentateur est absent, le pourcentage d’obeissance total est de 36,4 %, 
s’il y a des sujets rebelles (des comperes) influen^ant le sujet en s’opposant a la si- 
tuation, le pourcentage tombe a 15,8 %. 

Encore une fois, la soumission a I’autorite fonctionne et depasse les taux de Milgram. . . 

<®Milgram/Y-a-t-il d’autres contextes dans 

LESQUELS ON SE SOUMET AUSSI DANGEREUSE- 
MENT ? 


Oui. Et un contexte bien particulier, dans lequel on n’aurait pas suspecte une telle obeis- 
sance aveugle : la television. C’est ce que nous prouve Le jeu de la mort ( documentaire 2009, 
France televisions) : Nous vous conseillons de regarder cet excellent documentaire, mais nous 
prevenons les personnes sensibles : c’est bien 1’ experience de Milgram que vous y trouverez, 
avec toute la violence mentale qu’elle comporte. C’est extremement difficile a regarder sans en 
etre profondement atteint. Si vous etes depressifs, evitez absolument. 

http://www.voutube.com/watch?v=6w nlgeldzw 

Avec « le jeu de la mort », nous quittons a present les lieux « serieux ». Finis les universites, 
les laboratoires, le milieu professionnel et les bureaux. Nous voici sur un plateau de television, 
plus precisement un jeu, « zone Xtreme ». Le contexte peut preter a sourire, pour une expe- 
rience aussi grave que peut l’etre - dans son protocole comme dans ses conclusions - l’expe- 
rience de Milgram. 

Et pourtant, durant une annee, une equipe de recherche dirigee par Jean-Leon Beauvois 
s’ est attelee a transposer le protocole de Milgram sur plateau TV, pour une passation qui dura 
dix jours. 


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Une societe de marketing contacte 13 000 personnes correspondant aux profils des sujets 
de Milgram, 2500 accepteront. Apres avoir rempli un questionnaire, 80 sujets sont selectionnes 
pour ce jeu TV bien particular. Ils n’ont jamais participe a aucun jeu TV de leur vie. 

■ PREMIERE ETAPE : BUREAU DU PRODUCTEURDE ^EMIS- 
SION. 

Les sujets, a cette etape, ne savent que deux choses : ils vont participer a la mise au point 
d’un jeu TV, mais ils ne gagneront aucune somine d’argent. C’est une emission test dont le pro- 
ducteur explique les tenants et les aboutissants. Detendu, sympathique, avec Tassurance qu’on 
imagine a tout producteur d’emissions, il expose les regies de ce jeu, notamment le fameux 
chatiment, la decharge electrique. 

La grande majorite des futurs candidats rit a cette « petite » precision. 

Le tirage au sort des deux roles est, comine pour l’experience de Milgram, truque. Notre 
« Bob » a ici pour vrai prenom Jean-Paul et il sera le vrai candidat (celui qui gagnerait la plus 
grosse somme si remission n’etait pas en test) ; le sujet aura un role d’assistant de Tanimatrice, 
il est nomine dans le jeu le « questionneur » etant donne que c’est lui qui pose les questions. Il 
aurait gagne une part de Targent en jeu si remission n’avait pas ete en test. 

Done ce jeu-test n’a aucun enjeu reel pour les candidats : ils ne recevront que 40 euros de 
dedommagement pour la participation. Le seul attrait est la participation a la mise au point 
d’une future emission, a l’experience televisuelle. 

Les 80 selectionnes signent tous leurs contrats. 

■ INTRODUCTION : SUR LE PLATEAU 

A noter que le public est egalement sujet, done pense tout comine les candidats que les 
decharges sont reelles. C’est un public recrute par une agence specialisee, comine n’importe 
quel autre public de plateau TV. Il y aura 20 groupes de 100 personnes. Done 2000 personnes 
assisteront au « spectacle » (de facon naive et infonnee). 

Jean-Paul est cache dans une espece de sphere. Il est cadenasse a son fauteuil electrique, il 
ne pourra pas quitter sa place durant toute remission. Personne ne le verra (pour eviter toute 
tricherie). 

Le generateur de choc comporte le meme voltage que dans 1’ experience de Milgram, les 
indications sont les memes, elles sont meme encore plus eloquentes etant donne la stylisation 
« jeu » du plateau. 

L’animatrice est, comine toute animatrice de jeu TV, enjouee, dynamique, surtout dans l’in- 
troduction, avant que le jeu ne se mette en route. 

« Il n’y a pas de choc irreversible, de toute facon c’est un jeu nous jouons pour un 
million d’ euros ! [Applaudissements et cris d’enthousiasme du public] » Le jeu de la 
mort, France Televisions (2009) 


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Jean-Paul est alors enfenne, le candidat-sujet installe devant son gigantesque generateur de 
chocs, renomme pour l’occasion « generateur a chatiments ». Plus personne ne le verra, on ne 
l’entendra qu’en de rares occasions. 

■ LE JEU DE LA MORT 

Le jeu est lance, la premiere question est bonne. Pour simple reponse, un bip et le signal 
visuel (comine dans 1’ experience de Milgram, avec plus de mise en scene) suivi des applaudis- 
sements du public. 

Des la question 2, Jean-Paul se trompe. L’animatrice, postee dans un coin, ressemble a l’ex- 
perimentateur de l’experience de Milgram : impassible, froide, sans sourire, presque robotique. 
Elle represente I’autorite, et deja, elle fait ses premieres injunctions a ceux qui hesitent a pous- 
ser la manette de « chatiment » : « c’est a vous » une injonction tres faible, mais deja efficace. 

Le vrai « jeu » de l’experience se situe ici. Si le candidat persiste dans son desir d’arreter 
malgre les cinq injonctions de l’animatrice, il a gagne, il s’est soustrait a I’autorite, il a resiste 
avant de commettre un meurtre sur ordre. Les quatre autres injonctions sont : « vous devez 
continuer c’est la regie » ; « la, c’est sur il veut arreter, mais si vous continuez il vous remerciera 
apres » ; « nous assumons toutes les responsabilites » ; et la derniere, la plus difficile a resister 
« Vous ne pouvez pas empecher le candidat de gagner ! Qu’en pense le public ? ». L’appel au 
public appuie l’animatrice par des applaudissements et encouragements au sujet a rester. 

Les questions s’egrenent, les fautes aussi, les volts augmentent. Jean-Paul pousse son pre- 
mier petit cri a 80 volts. Les cris vont a present devenir recurrents et devenir de plus en plus 
douloureux. C’est insupportable : meme en visionnant le documentaire, en sachant que c’est 
faux, la mise en scene, le contexte rend le tout epouvantable. 

Puis Jean-Paul, a 180 volts, commence a exprimer son envie d’arreter, avec toute la souf- 
france possible dans la voix. Cette volonte d’arret sera exponentielle et violente « LAISSEZ-MOI 
PARTIR ! LAISSEZ-MOI PARTIR ! LAISSEZ-MOI PARTIR ! », hurle-t-il desesperement. 

A 320 volts, il refuse de repondre aux questions. Il n’y a plus de reponse jusqu’a la fin, lais- 
sant supposer que le pire s’est produit. 

■ LES REACTIONS DES SUJETS/QUESTIONNEURS 

A 80 volts, au premier cri, tous les sujets rient. Certains auront meme un fou rire qu’il leur 
sera difficile de calmer. Les rires disparaissent a mesure que les cris de Jean-Paul deviennent 
insoutenables. 

Les reactions des sujets seront les memes que dans les experiences de Milgram : 

1. Ils font remarquer a l’animatrice la situation, on parle de notification :“je crois qu’il 
a envie d’arreter le monsieur” ; “j’ai entendu que ca faisait mal quand meme”. Et ils 
continuent d’obeir aux regies du jeu ou questionnent (2). 


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2. Ils questionnent “est ce que je peux arreter ou heu...” . L’animatrice repond par les in- 
junctions vues precedemment. Soit ils continuent ou ils commencent a negocier (3). 

3. Ils negocient “non, moi j’arrete ?a sert a rien » et les injonctions s’egrenent alors. 
Soit ils s’y soumettent et le jeu continue, soit ils resistent et persistent dans leur vo- 
lonte d’ arreter. A la cinquieme injonction, 1’ experience s’arrete et ils sont conduits 
en coulisse. 

Tous feront preuve d’ inquietude et les rires et sourires sont tendus, nerveux. Certains 
poussent la manette sans la regarder ou se retournent coniine pour eviter de faire face au resul- 
tat. L’animatrice est regardee avec defiance, les sujets la questionnent du regard. 

Certains trichent (17 % des candidats) en appuyant tres clairement les bonnes reponses et 
previennent Jean-Paul de la durete de ce qu’il va recevoir. Ils s’excusent aupres de lui, l’encou- 
ragent a bien repondre, lui repete la question ou encore 1’ invite a prendre son temps. 

Beaucoup parlent par-dessus les cris de Jean-Paul, niant totalement la situation et s’accor- 
dant ainsi a Tobeissance suggeree. 

■ LE FINAL 

Question 23, l’avant-demiere. Si le candidat va jusqu’au bout ( XXX ) done plus de 380 
volts, le jeu se termine avec les applaudissements et tout le spectacle victorieux que n’importe 
quel jeu tele peut procurer. Mais immediatement, dans les coulisses les candidats-sujets sont 
pris en main par Tequipe qui revele le subterfuge. « Est-ce que j’ai ete bon ? » demande imme- 
diatement un candidat en coulisse avant que tout lui soit explique. 

■ LES RESULTATS 

Rappelons encore une fois : nous sornmes sur un plateau TV. L’ autorite est une animatrice. 
Le contexte est un jeu TV en test, il n’y a pas d’argent reel a la clef. 

81 % des sujets vont jusqu’a la phase XXX. 

Le resultat est bien pire que celui de Milgram (62 %). Sur 80 personnes, seules 16 per- 
sonnes abandonnent le plateau. Le public, bien que manifestant de la nervosite, de la gene, ou 
s’interrogeant, n’intervint pas et suivit les consignes du chauffeur de salle. 

Autre fait gravissime : 15 % des sujets obeissants (etant alle jusqu’au bout de Texperience) 
disent ne pas avoir era a la situation. Ce qui est faux (ils avaient triche et leur stress etait mani- 
feste) et temoigne d’un deni tres inquietant pour eux : ils n’auront rien appris sur eux-memes, 
Texperience n’aura meme pas pu les aider a se mefier de leur propre soumission a I’autorite. 
On peut malheureusement imaginer que dans d’autres situations, ils se soumettront a nouveau, 
quelles qu’en soient les consequences, contrairement a ceux qui auront pris conscience de leurs 
actes. 


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@Milgram/Pourquoi tant de soumission, 

POURQUOI AVONS-NOUS TANT DE DIFFICULTE A 
DIRE NON A L IN SUPPORTABLE ? 


Pourquoi ? Mais pourquoi sont-ils autant a obeir, a rire par-dessus les cris, ignorer la souf- 
france de Bob ou Jean-Paul ? Pourquoi ceux qui trichent ne vont pas au bout de leur desobeis- 
sance saine et quittent le plateau ou le labo ? Pourquoi ces gens agreables, normaux, intelligents 
acceptent de devenir bourreaux ? 

Le sujet dans le jeu de la mort se presente seul dans le bureau du producteur, embarquant 
avec lui ses valeurs. Le contrat qu’il signera sera en partie en accord avec ses valeurs (participer 
a une emission tele), mais aussi incompatible (administrer des chocs electriques). Mais tout 9 a 
n’est pas encore tangible : il faudra attendre qu’il soit place devant le fait accompli pour qu’il 
y ait vraiment un lourd conflit en lui, c’est-a-dire au premier cri de Jean-Paul par exemple (80 
volts pour le jeu de la mort). Les valeurs incompatibles vont se reveiller et commencer a cha- 
touiller les consciences. Ce n ’est pas bien ce que tu fais en poussant ces manettes... Cependant, 
la situation ne va pas les accueillir a bras ouverts mais plutot les ecraser, a cause des symboles 
et notre comportement conditionne a ces symboles. Chez Milgram, il y a le fait d’etre dans un 
laboratoire universitaire de grand prestige, il serait « malvenu » de s’opposer aux regies de ce- 
lui-ci, c’est-a-dire ne pas executer ce qu’on vous demande. Pour le jeu de la mort, c’est encore 
pire : il y a les cameras, le public, la situation de jeu qui vous demande d’etre un bon candidat 
et de sourire... Il faut rajouter a cela l’engagement pris par le sujet : il a signe, il a accepte de 
participer. On le verra dans les futurs articles, l’engagement est tres difficile a abandonner, aussi 
malveillante soit la situation a laquelle il mene. On a ce qu’on appelle une dissonance cognitive, 
le sujet est tiraille par les valeurs qu’il portait avant d’etre dans cette situation (ne pas faire du 
mal a autrui, par exemple) et la situation, ou justement il fait du mal a autrui. Cette dissonance 
cognitive se doit d’etre resolue, le cerveau fonctionne ainsi, il ne peut rester dans cet entre-deux 
et le plus economique, en termes de ressources mentales, est de se plier a la situation, d’ obeir, de 
rester en coherence avec le choix initial (c’est-a-dire d’avoir choisi de participer a l’experience/ 
au jeu tele). Il est plus economique, pour le cerveau, de faire en sorte que les valeurs anciennes 
s’adaptent et cessent leur remue-menage dans la conscience (car la conscience est energivore), 
par des compromis, d’autres interpretations de la situation ou encore un changement de com- 
portement. L’ autre solution, pour regler ce conflit, est de briser la situation en cours, de la quit- 
ter. Mais c’est ce qu’il y a de plus difficile a realiser, nous l’expliquerons davantage plus tard. 

La premiere solution a ce conflit interne est le rire, qui est majoritaire chez les candidats du 
jeu de la mort, a 80volts, au premier cri de Jean-Paul. Vu de l’exterieur, c’est epouvantable, on 
les imagine tous sadiques et prenants un malin plaisir a la douleur d’autrui. Ce n’est clairement 
pas le cas quand on observe les suites de l’experience. Ce rire est une reponse physiologique a 
un stress, au conflit qui commence a prendre place plus ou moins intensement chez l’individu. 


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Immediatement apres le rire, on constate que les candidats sont plus detendus, mais egalement 
qu’ils poussent la manette a chatiments plus facilement. Ce calme revenu en eux facilite Tac- 
ceptation de la situation, il ecarte le conflit interne, il laisse place a une obeissance plus sereine. 
Le rire est done la premiere solution trouvee par le cerveau pour faire face au conflit, et dans 
d’autres situations il est absolument approprie. Par exemple, quand on rencontre une nouvelle 
personne, qu’on est nerveux, on a tendance a faire des plaisanteries pour se pennettre de rire 
ensemble et done d’etre plus a son aise pour communiquer. 

Une autre solution adoptee par 17 % des candidats est la triche : tenter d’ aider Jean-Paul 
est une petite desobeissance, elle aide a deculpabiliser, elle rassure les valeurs anciennes. Mais 
cette joyeuse digression a egalement un effet nefaste. Diminuant le conflit interne, le candidat 
se sent mieux et renforce son obeissance par la meme. 

Le conflit interne commence a etre resolu quand le sujet commence a poser ses questions 
pendant que Bob ou Jean-Paul hurle, crie, ou demande a ce qu’on le sorte de la. Scene 6 com- 
bien cruelle a observer, l’individu est alors dans ce que nomine Milgram l’etat agentique : le 
sujet est 1’ agent de la situation, il s’ est entierement mis au service de la situation, a mis au ren- 
cart les valeurs qui agitaient sa conscience. Il est agent de I’autorite et se deresponsabilise tota- 
lement. Get acte de torture, il considere que ce n’est plus vraiment lui qui le fait, mais I’autorite 
a travers lui. Du moins, e’est ce qu’il pense, consciemment ou inconsciemment. Sans meme 
parler par-dessus les cris de Jean-Paul, l’etat agentique se retrouve dans des comportements qui 
paraissent rebelles. On se souvient dans le jeu de la mort de cette femme provocatrice qui sans 
cesse soutenait le regard de l’animatrice en faisant systematiquement des remarques sur l’etat 
de Jean-Paul, sur l’inhumanite de la situation, etc. Pourtant, malgre une evidente disapproba- 
tion de la situation et une volonte claire de montrer qu’elle ne cautionnait pas ce jeu, elle s’est 
tout de meme mis en etat agentique et a fait ce qu’on lui demandait de faire jusqu’au « XXX » 
. On peut avoir Pair d’un rebelle, avoir les idees et les valeurs d’un resistant, mais dans les 
actes, e’est toute autre chose... Elle s’en est beaucoup voulu apres avoir pris conscience de 
l’experience. 

Evidemment, chaque injonction de I’autorite pousse l’individu a s’enfoncer un peu plus 
profondement dans cet etat agentique. La situation et I’autorite l’incitent a fenner la vanne 
de ses valeurs anciennes et se soumettre a ce qu’elle demande. La situation n’est pourtant pas 
mcnacantc, il n’y a pas d’epee au-dessus de sa tete et aucune perte si le jeu ou l’experience est 
abandonne. Mais l’individu a l’habitude de se soumettre a des regies, a des nonnes implicites, 
une sorte de guide de vie jamais redige et pourtant dans toutes les tetes : sur un plateau TV, on 
sourit, on est a l’aise dans sa peau, on trouve tout fun. Dans un labo, on suit les regies, on ne 
perturbe pas le protocole, si bizarre soit-il. Et on ne part pas au milieu de tout. On ne se desen- 
gage pas de quelque chose pour lequel on a signe. 

Et Tindividu est seul. Seul dans ce conflit interne. Il ne peut le partager avec personne et 
tous autour de lui semblent se normer sans difficulty au fait qu’il punisse Jean-Paul. On le 
voit dans les experiences de Milgram, des que le sujet a une possibility de partager ses desac- 


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cords ou d’y trouver un echo, il part et le taux de soumission a I’autorite chute drastiquement. 
L’humain est sociable par nature, il a besoin de l’autre, alors si tous les individus autour de lui 
semblent en disaccord avec ce qu’il pense au fond de lui (que le jeu est completement fou), il se 
pliera a ce que la situation requiert de lui. Apres tout, il a peut-etre tort, si tout le monde joue le 
jeu et que personne d’autre que lui ne s’alanne. . . C’est ce qu’on appelle la tendance au confor- 
misme. Le public du jeu de la mort fait en plus office de preuve sociale que tout va bien et qu’il 
faut continuer, par son comportement passif. 

A la revelation du protocole de 1’ experience, beaucoup de sujets s’en voudront, seront cho- 
ques de leur propre attitude : « j’ai mauvaise conscience (...) je me suis pas levee juste parce 
que j e ne savais pas si ?a se faisait » ; « j ’ etais un pantin, j ’ ai pas reflechi, j ’y suis alle » ; une 
phrase revient souvent egalement « je suis bete et discipline ». Beaucoup, notamment dans T ex- 
perience de Milgram, remercieront Milgram de leur avoir permis de vivre cela « pour de faux », 
beaucoup disent que T experience leur a appris quelque chose sur eux-memes et l’humanite. A 
ceux-ci, meme s’ils sont alles jusqu’au « XXX » on peut penser qu’ils sont vaccines contre l’etat 
agentique : ils l’ont vecu, ont compris a quoi cela pouvait les conduire et les consequences dra- 
matiques de cette delegation totale a autrui. Quand la situation se representera a eux, le conflit 
interne ne sera plus le meme, peut-etre auront-ils le courage de dire non et claquer la porte, quel 
que soit le vernis flatteur de la porte en question. 

Mais 15 % (6 % pour Milgram) de candidats nieront en bloc l’experience, arguant le fait 
qu’ils n’y ont pas cru un seul instant « la TV ne peut pas oser $a ». Certes, mais ils ont ete stres- 
ses, ils ont tente de tricher : leurs actes prouvent qu’ils y croyaient tout de meme un peu. Les 
jeux de torture sont deja presents a la tele, dans les jeux japonais celebres pour les humiliations 
de candidats ; la violence au programme, avec des emissions specialises dans des chutes de 
sports, blessures detaillees en gros plan. On joue egalement avec la mort, avec la roulette russe 
en live en Angleterre. . . Done, oui la TV pourrait avoir sa zone Xtreme. Pour de vrai. Si elle ne 
l’a pas deja un peu... 

@MI LG RAM/COMMENT CERTAINS SUJETS AR- 
RIVENT A RESISTER PUIS DESOBEIR ? 

Ils sont 16 a avoir quitte le plateau de la zone Xtreme, 16 a avoir tenu tete aux injonctions, 
16 a avoir regie leur conflit interne de facon la plus difficile et s’etre oppose a Tanimatrice, 16 
a avoir reussi a mettre leurs valeurs en avant, 16 a avoir vraiment gagne. 16 resistants qui n’ont 
absolument rien en commun si ce n’est ce merveilleux refus de la situation. 

Dans les coulisses, ils arrivent en pleurant, en tremblant et accueillent Jean-Paul avec une tres 
grande emotion, rassures de le voir sur pied. Heureusement, e’etait faux. Le soulagement percu 
est grandiose, on veut les prendre dans nos bras a notre tour et les remercier. Toute Tequipe, des 
chercheurs a Tanimatrice, semble enfin respirer : chaque resistant apporte un espoir, un soulage- 
ment. Certains individus peuvent encore resister. Certains individus peuvent reussir a s’opposer 


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Milgram, la soumission a I'autorite L'homme formate 


a I’autorite pour sauver leur prochain. C’est encore un peu possible. 

Une des candidates raconte brievement ses impressions : elle a immediatement pense aux 
camps de concentration, aux nazis. Elle provient d’un pays qui a connu le communisme. C’est 
les seules pistes qui nous indiquent comment elle put avoir le courage de mettre ses valeurs 
en avant et de s’extraire de la situation. Une autre, encore bouleversee, nous dit : « j’essaye de 
respecter 1’ autre en tant que personne et la je faisais toute autre chose ; c’est un vrai combat 
interieur ». 

Pour ces 16, les valeurs ont gagnes. C’est un tres grand acte de courage, tres difficile dans 
ce combat interieur, face a cette situation epouvantable qui vous pousse sans cesse a vous sou- 
mettre. 

Ce que nous apprennent ces resistants a l’experience de Milgram, c’est qu’avoir le courage 
de ses valeurs, les traduire en actes signfficateurs est extremement couteux et difficile. Le conffit 
interne n’est pas eteint (des candidats pleurent encore dans les coulisses, meme apres avoir vu 
Jean-Paul), c’est done un magma d’ emotions tres difficiles a supporter. C’est couteux parce que 
tout cerveau qui se respecte cherche absolument a avoir la paix et ne pas subir de contradictions 
deplaisantes. C’est presque contre nature que de dire non a la confortable soumission et son 
etat agentique : resister c’est accepter de ne pas se plier a des valeurs qui sont contraires aux 
notres ; c’est accepter de s’opposer aux regies et done d’entrer en conffit contre tout un contexte 
qui pousse a ce que le sujet reste a sa place ; c’est remettre en cause I’autorite meme si tous 
la suivent (100 personnes dans le public quand meme a chaque session de jeu) ; c’est se lever 
malgre les cameras, malgre un environnement grandiloquent qui veut que vous restiez assis ; 
c’est dechirer le contrat malgre 1’ avoir accepte auparavant ; c’est annuler 1’ engagement ; c’est 
dire non et refuser. 

Et c’est quelque chose d’ extremement difficile a faire. L’ attitude, les idees rebelles, le fait de 
montrer son disaccord, tricher n’est pas suffisant. II faut agir. L’imagerie populaire nous montre 
les « resistants » (au sens large du tenne), les rebelles bien intentionnes, les « sauveurs » comine 
des personnes excessivement confiantes, fortes, dures : la realite est tout autre. Nos resistants a 
Milgram sont a fleur de peau, ils sont sensibles, ils ressentent de vives emotions, ils sont parfois 
timides et on sent toute la difficulte qu’ils ont a exprimer leur « non ». Mais ils le font, le non. 
Qu’importe l’apparence, les pleurs, leur image sociale, ils sont justement alles au-dela de ces 
considerations pour quitter la situation. Done, contrairement a ce que nous verrons de long en 
large dans cet ouvrage, l’apparence, le role qu’on se donne en se parant de symboles est totale- 
ment inefficace dans une situation ou la resistance est le comportement qui sauvera autrui. Pire 
encore, il se pourrait que le role, l’apparence soit justement un facteur de soumission, le « j’ai 
ete bon ? » concluant la fin de la partie d’un candidat soumis en dit long : l’important pour lui 
aura ete de tenir son role, or, en se focalisant la-dessus, il en a oublie le fait le plus important, a 
savoir les chocs et l’etat de Jean-Paul. 

Dans les etudes menees a la suite de Milgram, un autre indice nous montre comment ces 
resistants arrivent a partir : plus ils reagissent tot, plus les sujets ont de chances de dire stop au 


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L'homme formate Milgram, la soumission a I'autorite 


processus de torture de Bob. Plus ils commencent a faire des remarques tot (ces fameuses noti- 
fications telles que « mais il souffre la ! »), plus 1’ interaction devient vive et plus ils ont la force 
de resister, car ils ont commence tot le disengagement. En clair, plus vous exposez verbalement 
votre disaccord, que vous cherchez aupris de l’autoriti des riponses, que vous lui parlez, plus 
vous vous donnez aussi le courage et la conviction qu’il faut pour quitter cette situation. Plus 
cette interaction est tardive, plus c’est difficile de partir, car vous vous ites dija fortement enga- 
gi dans la voie de la soumission. On le voit d’ailleurs dans le jeu de la mort, ceux qui quittent a 
320 volts sont complitement ireintis, bouleversis contrairement a ceux qui se sont opposis tot. 

La situation mise en place par Milgram et, pire encore, celle mise en seine par le jeu de 
la mort est extreme. II est fort probable (enfin on l’espire vivement) que nous ne connaissions 
jamais cette situation. Cependant, vous vous retrouverez, au cours de votre vie, sans doute 
en itat agentique. Au travail, sous les ordres d’un chef, c’est presque certain. Ce chef ne sera 
pas forciment malveillant, et pourtant, il ne faudra pas itre « bite et disciplini ». Car qui sait 
a quoi cela pourrait vous mener, ce que cette soumission pourrait vous faire faire... Gardez 
votre conscience ouverte et acceptez le conflit en vous, il pourrait vous empecher de faire des 
horreurs. 


@MlLGRAM/RESUMONS... 

■ Ce qije les experiences NOUS APPRENNENT : 

Les symboles de l’autoriti sufifisent a nous pousser a torturer et tuer. 

Les symboles de l’autoriti sufifisent pour nous convaincre de nous faire du mal. 

On reste soumis a l’autoriti mime quand on n’est pas d’accord avec elle et que la 
situation nous est insupportable. 

La tilivision est devenue une autoriti a laquelle on se soumet. 

On peut avoir l’attitude d’un rebelle et itre totalement conforme et soumis. 

On peut avoir l’attitude d’un itre introverti, sensible, « bisounours », ou « faible » et 
faire nianmoins des actes de resistance tris courageux comine n’en feraient pas des 
itres paraissant confiants, durs et forts. 

Les tortionnaires peuvent itre des gens comine vous et moi, ils peuvent juste obiir 
aux ordres. 

Les vrais sadiques, psychopathes, ou sociopathes sont rares : le « mal » est commis 
sous ordre ou apris avoir subi des manipulations/influences par des gens normaux. 
Qu’importe notre culture, notre pays, nos diplomes, notre statut social, nous sommes 
tous potentiellement soumis a l’autoriti pouvant conduire a la torture et au meurtre. 


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POURQUOI NOUS SOMMES SOUMIS A CE POINT : 

Parce que nous avons tendance a tenir nos engagements, a vouloir maintenir une co- 
herence avec nos choix (on en parlera au chapitre commercial). Une pression sociale 
nous pousse a maintenir des choix engages « il faut tenir ses promesses », or la vraie 
force est de pouvoir se desengager, revenir sur ses choix plutot que de persister. 
Parce que nous avons une tendance au confonnisme, done si les autres autour se 
soumettent (ou ne disent rien), on se soumet. Mais ce meme confonnisme peut ega- 
lement nous premunir, si l’entourage se rebelle a juste titre. 

Parce que nous avons peur : les experiences passees peuvent nous avoir appris que 
l’insoumission se paye cher, par des punitions, par des reprimandes, par finalement 
une souffrance. Meme si on sait qu’il n’y a pas de punitions, le souvenir d’une 
souffrance est un fort conditionnement : on fera tout pour eviter de se mettre dans le 
risque d’etre « puni ». 

Parce que nous avons le desir de faire plaisir a autrui (done, tenir le role qu’il nous 
a attribue), d’autant plus si autrui est considere coinme « superieur ». C’est ce que 
l’on nomine le biais de desirabilite. 

Parce qu’il est plus economique et plus paisible pour le cerveau de se mettre en etat 
agentique : cela arrete les programmes couteux en energie que sont la reflexion, la 
recherche de solutions, le conflit entre les valeurs... 

Parce que nous soinmes conditionnes depuis la tendre enfance a obeir. Aux parents, 
aux professeurs, aux specialistes... Le probleme n’est pas l’obeissance en soi, mais 
de ne pas questionner I’autorite, l’ordre, de ne pas mettre en oeuvre et en action son 
esprit critique quand on sent qu’il y a un probleme avec ce que I’autorite nous de- 
mande ou dit. 

Notre cerveau, pour etre efificace, met en place des programmes automatiques. Ainsi 
on peut faire ses courses tout en telephonant et en surveillant un enfant. On a done 
des programmes automatiques face aux symboles de I’autorite qui nous font pro- 
duire des comportements stereotypes (on en parlera au chapitre commercial). 

SE premunir ET RESISTER : 

Dans la mesure du possible, s’eloigner physiquement de I’autorite si on sent qu’il y 
a un probleme avec ses ordres ou ses demandes : cela pennet de reflechir correcte- 
ment, de pouvoir prendre une decision plus reflechie. Dans les experiences de Mil- 
gram, plus I’autorite est distante, plus le sujet arrive a desobeir rapidement, parce 
que la presence de I’autorite ne fait plus « poids » sur son mental. 

S’opposer rapidement quand une situation nous pose un probleme moral : il faut 
questionner, interagir avec l’interlocuteur. Cela eclaire la situation, donne d’autres 


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L'homme formate Milgram, la soumission a I'autorite 


informations permettant un meilleur jugement, cela donne de la force a nos convic- 
tions, cela nous donne du temps de reflexion, c’est deja un pied dans faction. Plus 
on exprime son « non » rapidement, plus le conflit se resoudra aussi rapidement et 
moins on souffrira. 

Au sens strictement litteral, il faut se regarder dans le miroir ou que I’autorite puisse 
se regarder dans un miroir. Voir son reflet pennet une prise de conscience, dans 
certaines experiences, la presence d’un miroir fait drastiquement chuter les compor- 
tements degression envers autrui. 

Connaitre et reconnaitre que nous sornmes automatiquement soumis aux symboles 
de I’autorite, parfois de facon totalement absurde (comine obeir a quelqu’un en cos- 
tume, on en parlera au chapitre commercial). 

Accepter le conflit interne genere, ne pas le nier, le passer en revue (qu’est-ce qui me 
gene, pourquoi qa me gene, etc.) et ne pas choisir la voie de facilite si le probleme est 
important (done, choisir une reflexion soutenue, fatiguante et parfois tres penible). 
Se rappeler qu’on peut toujours fuir (ou dire non), que c’est une solution preferable 
dans bon nombre de cas. Qu’importe les engagements, les promesses, les signatures, 
les liens d’amitie, il est parfois plus sain et plus noble de tout envoyer balader. 

Se rappeler que la passivite des individus autour de soi n’est pas systematiquement 
une preuve que tout va bien ou que la situation leur est acceptable ; c’est parfois 
meme le contraire. La passivite d’une foule peut etre signe de confusion, c’est un 
mode comportemental adopte automatiquement faute de savoir quoi faire de mieux. 
Se rappeler que I’autorite, si exhaustifs soient ses symboles, si vrais soient ses sta- 
tuts, n’a pas forcement raison. L’ autorite n’est pas un argument de validite. 

Se rappeler que I’autorite sait qu’elle a un pouvoir sur vous et qu’elle peut en profi- 
ter pour faire de vous un pion, un « agent » charge de taches immorales. Cependant, 
les actes que l’on realise, meme sous ordre, sont toujours de notre responsabilite, car 
c’est nous qui les executons. 

Accepter parfois de deplaire a autrui, meme a des personnes considerees comine 
superieures. Cela consiste a ne pas entrer dans le role que la situation requiert et 
d’avoir un comportement et une apparence non conforme a la situation, mais adapte 
a sa propre deontologie, sa morale, ses valeurs. 

Se rappeler que si une autorite a recours a des punitions, des menaces, des humilia- 
tions et de la souffrancc sur autrui, c’est qu’elle a justement un probleme de gestion 
de son autorite, qu’elle a besoin de prouver par de la violence son pouvoir. Done 
qu’elle n’est pas certaine de son pouvoir ou qu’elle sent son pouvoir menace... Une 
autorite legitime, intelligente et sans probleme de gestion de son pouvoir, trouve 
toujours d’autres solutions, done n’a nullement besoin d’etre violente. Se rappeler 
de ce fait pennet d’avoir des indices sur la nature de I’autorite. 

Se rappeler que notre subordination et notre soumission sont un bien precieux, car 


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ils renferment en puissance notre action dans le monde, done qu’il ne faut pas l’ac- 
corder a n’importe qui pour n’importe quoi. 

Certains manuels conseillent de verifier la validite de I’autorite (diplomes, carte 
professionnelle...) cependant, si evidemment cela permet d’ecarter les amaqueurs/ 
imposteurs, cela n’empeche pas que de vraies autorites, legitimes, abusent de leur 
autorite egalement. 

Developper son esprit critique : par des lectures, par l’etude, par la recherche, en 
s’exposant a des points de vue de toutes sortes, en s’interessant a des sujets, etc. 

Attention : la resistance systematique a I’autorite n’est pas profitable, car I’autorite legitime 
et competente peut avoir un savoir que nous n’avons pas, avoir un meilleur visuel de la situa- 
tion, ou des pouvoirs qui nous seraient utiles. On peut prendre en exemple les medecins, les 
professeurs, les scientifiques, etc. Mais gardons l’esprit critique. 


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L'homme formate Manipulations commerciales 


La vente est le domaine par excellence en matiere de seduction, d’influence et de manipu- 
lation : nul n’ignore le fait que dans un magasin, face a un vendeur ou une situation d’achat, 
tout est concu pour que vous achetiez ce produit et pas celui du concurrent. Tout est pense, 
calcule, pour vous influencer a acheter, meme des choses dont vous n’avez pas le besoin objec- 
tif. On ne vous apprend rien, mais il est important de decrypter, deconstruire tous les elements 
qui influenceront votre decision, pour comprendre les mecanismes a 1’ oeuvre, car ces memes 
mecanismes sont explodes dans d’autres domaines. En effet, ces details qui vous decident a 
acquerir un canape laid alors que vous en aviez repere un moins cher et plus job, sont les bases 
de la manipulation et se retrouvent dans bien d’autres secteurs, ou Texploitation n’est pas que 
financiere, mais mentale et physique, au point de « pomper » tout ce qui constitue votre identite 
et votre vie. Ce n’est pas bien grave d’avoir ete la cible d’un vendeur et de se retrouver avec un 
objet qu’on ne voulait pas ; c’est plus grave de se retrouver a harceler des collegues de travail 
que vous respectiez et de les envoyer chez le psy ; c’est plus grave de se retrouver fidele d’une 
secte. Et pourtant, ce sont souvent les memes mecanismes a Toeuvre. 

Le marketing ne conceme pas que le domaine commercial : il peut etre politique, media- 
tique, utilise par et pour toutes sortes de causes. On peut essayer de vous vendre des homines, 
des idees, on peut s’arracher votre accord ou votre disaccord, on peut tout faire pour capter 
votre attention, Torienter, ou Tempecher de s’accrocher a certains faits. Ce chapitre commercial 
peut etre utilise cornme une grille de lecture qui peut s’exporter a bien d’autres domaines, plus 
impactant sur la societe et sur nos vies. 

L’influence commerciale va egalement au-dela de la simple manipulation vous attachant a 
un abonnement inutile : les marques sont devenues des empires avec leur propre code de vie, 
offrant a ces consommateurs des modeles, des styles qui suscitent des phenomenes religieux. La 
manipulation est alors formatage, metamorphosant Tindividu, le captant corps et ame au point 
de le faire pleurer devant la sortie d’un nouveau produit a peine different de son precedent. On 
verra que T empire des marques n’est pas le seul responsable du formatage du consommateur, 
que ces formatages sont tres largement permis et facilites par les fondements de notre societe. 
Certains de ces formatages sont moins visibles, moins spectaculaires, mais on les a tous subis 
au moins une fois dans nos vies, car ils sont les guides de conduite invisibles de nos societes. 

Crescendo, de la seduction en passant par Tinfluence puis par les techniques de manipu- 
lation, nous exposerons la base de ce qui finit, dans d’autres situations, a nous soumettre tota- 
lement aux desirs des autres ou a des systemes que nous aurions refuses autrement. Toutes les 
techniques qui seront exposees ici seront reprises par la suite. 


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<®COMMERCIAL/LE MAGASIN 

Qu’on le veuille ou non, notre corps a ses limites : on fait une certaine faille ; on est plus a 
l’aise debout qu’accroupi ; on a des reflexes automatiques de deplacement (par exemple, si on 
est droitier, on va vers la droite) ; on se fatigue, s’agace apres un long moment a pietiner dans 
un meme lieu ; on a souvent soif ; etc. 

Ce ne sont pas a proprement parler des faiblesses, ce sont des caracteristiques normales 
de l’etre humain qui, bien qu’on puisse depasser ses limites, restent generalement constantes, 
coniine notre faille par exemple. 

Ces limites sont d’abord prises en compte pour organiser de fa$on logique le magasin : 
on ne met pas des produits a sept metres de haut sans acces dans un supermarche. La prise en 
compte des limites est alors une question de bon sens, mais ces limites sont egalement exploi- 
tees pour influencer le consommateur, le forcer a certains comportements d’ achat et empecher 
la raison de guider ses decisions. 

Nous soinmes tous parfaitement conscients d’etre pousse a acheter des produits dont nous 
n’avons pas le besoin. Nous creons alors des contre-automatismes, des strategies qui contrent 
1’ influence et deviennent automatiques, qui nous permettent d’aller plus vite, d’etre plus effi- 
caces et de nous abstraire des influences. Les magasins en prennent conscience et repliquent par 
de nouvelles strategies d’influence. 

On a la une guerre perpetuelle entre le consommateur et le magasin, l’un cherchant a faire 
ses courses au plus vite, au plus efficace et sans superflu ; et de l’autre cote, un magasin qui 
cherche a le faire flaner, le tenter, l’empecher d’aller a l’essentiel, lui faire acheter le plus cher 
en plus grande quantite, lui faire croire a des mensonges (la rarete des produits, l’exceptionnel 
des o fifes), jouer avec ses emotions... 

Nos deplacements et nos mouvements dans l’espace, a moins d’etre dans un environnement 
tres inhabituel, sont automatiques, ils ne sont pas reflechis par la conscience, on n’y porte pas 
attention. Et c’est une grande chance, car sinon on perdrait un temps considerable et on se fati- 
guerait demesurement a chaque pas. Le supermarche use de ces automatismes pour manipuler 
nos comportements de differentes facons que nous exposerons ci-dessous. Nous exposerons 
egalement quelques idees pour repenser nos automatismes et essayer de se deplacer en terre 
commerciale de facon plus efficace pour nous-memes et non pour les benefices du supermar- 
che. 


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L'homme formate Manipulations commerciales 


@COMMERCIAL/LE MAGASIN/LINFLUENCE PAR 
L’ORGANISATION DE L ESPACE 


— Les produits les plus chers sont toujours a portee de main, tres visibles ; a contrario, il 
faut se baisser ou se mettre sur la pointe des pieds pour les prix les moins chers. Cette strategic 
exploite nos automatismes de mouvement et nos economies d’energie. 

Contre technique : prendre le reflexe de regarder tout en bas ou tout en haut avant de 
s’attarder au milieu. Meme si on n’envisage pas de prendre une sous-marque, cela permet de 
prendre la mesure du contraste entre les prix et voir immediatement s’il y a abus. Pour une per- 
ception correcte, il faut toujours commencer par regarder le plus bas prix et non celui moyen 
ou haut, car la perception s’inspire du premier stimulus (c’est-a-dire le premier prix vu), pour 
etablir une reference qui jugera les autres. (c’est une utilisation de la technique du contraste, 
dont on reparlera). 

— Les rayons comportant les produits les plus chers sont a droite de 1’ entree (elec- 
tromenager, informatique. . .), car les individus etant majoritairement droitiers, il ont tendance a 
aller a droite directement et suivre cette ligne ; de plus il y a un reflexe de defense a partir d’un 
certain remplissage du caddie : l’attention se reveille, et on est plus rigoureux sur ses depenses. 
Les produits les moins chers sont done en fin de parcours (l’eau, la farine. . .) pour permettre de 
continuer la course a 1 ’ achat jusqu’au bout. 

Contre technique : faire le parcours a l’envers ou le commencer par l’alimentaire. 

— Les produits essentiels (et souvent les moins chers) sont en fin de parcours, voire caches 
entre d’ autres produits. Ils sont difficilement accessibles directement, afin que le client soit 
oblige de traverser tout le supermarche et done d’etre tente par d’autres produits. On a ici une 
technique du contraste : apres avoir vu tous les produits les plus chers en debut de parcours, les 
moins chers paraitront encore moins chers. 

Contre technique : une idee serait de faire le parcours a l’envers pour voir les prix les plus 
bas en premier et inverser la technique du contraste. Apres avoir vu les prix les moins chers, les 
prix plus importants vous paraitront encore plus chers, done vous ferez nettement plus attention 
et serez moins tente de depenser. De plus, en commcncant par l’essentiel, cela permet de vrai- 
ment savoir si le plus « futile » a sa place legitime ou non dans le caddie. 

— Les fontaines a eau sont la pour vous ralentir a des points strategiques. Non seulement 
elles permettent au client de reprendre des forces, done de rester plus longtemps dans le maga- 
sin (contrairement a la situation ou, par soif, il se depecherait d’en finir), mais elles incitent a 
egalement s’arreter pour bien observer les produits autour de ce point. 


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Contre technique : plutot que d’ inspecter les environs, en profiter pour faire un bilan cad- 
die ou un point sur les courses a venir ; n’importe quelle activite est preferable a la flanerie 
visuelle qui active inevitablement les tentations voire des frustrations si Ton ne peut pas se 
pennettre de depenser. On peut egalement observer le plafond, souvent peu soigne, cela permet 
de couper l’appetit de consommation. 

— II y a des rayons antagonistes face a face : par exemple le rayon dietetique et tout son 
lot de produits de regime face a celui des bonbons ou biscuits. Ainsi, le consommateur au re- 
gime fait face a la tentation et y succombe forcement (« allez un petit extra, 9a peut pas faire 
de mal ») ; celui qui n’est pas au regime est culpabilise en voyant les produits de regime face 
aux biscuits et il sera tente de se reguler en achetant du non-calorique en plus du chocolat qu’il 
avait prevu. 

Contre technique : cette strategic mise en place par les supermarches est particulierement 
malsaine, car elle tente volontairement de nous mettre dans le malaise, remue nos frustrations, 
casse nos decisions (le regime ou se faire plaisir sans culpabilite). Face a un choix ambigu, 
qui nous met mal a l’aise, il est moins couteux en terme d’energie mentale de laisser tomber et 
de ne rien prendre. Mieux vaut abandonner une decision d’ achat plutot que de tenter un com- 
promis entre des produits qui en plus, ne sont pas vitaux. La frustration qui en decoulera sera 
« moins chere » que le remords. 

— Il y a des petites lignes de produits hors sujet : par exemple, des colonnes de bonbons 
dans les rayons des jouets, histoire que les enfants soient tentes. Ainsi, la strategic du consom- 
mateur consistant a ne pas aller dans le rayon bonbons est evincee (ou d’autres rayons). Avec 
ces produits hors sujet, on trouve aussi des produits dont on a toujours besoin, mais qu’on 
n’achete pas systematiquement (des piles par exemple, mais uniquement celles les plus cheres). 

Contre technique : faire abstraction de ces lignes de produits, les considerer au mieux 
coniine de la decoration. Si jamais il s’agit d’un produit manquant, mieux vaut aller voir dans le 
rayon correspondant. Pour les enfants, il vaut mieux definir une strategic prealable avant meme 
l’entree dans le supermarche « on n’achete pas de jouets/bonbons aujourd’hui » ou « on achete 
tel true et c’est tout ». 

— Les tetes de gondoles mettent en valeur des produits qui, bien que dits promotionnels, 
vous feront depenser plus que prevu, comine des lots de biscuits. Car si on a plus de produits a 
disposition chez soi, on sera tente d’en consommer plus, done au final, on aura une hausse des 
depenses. 

Contre technique : comine les lignes de produits, faire abstraction. Les seules vraies pro- 
motions sont generalement en rayon (produits pres de la date de peremption par exemple), en 
bac, ils ne sont pas mis en valeur, car le benefice est moindre sur eux. 


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— Les espaces fourre-tout : certains magasins amenagent un espace indetennine ou vous 
trouverez des tasses a cote des jouets, des ustensiles de bricolage a cote des vetements. Certains 
en promo, d’autres non, et tout cela sans grande distinction des offres. Ainsi, vous serez oblige 
de tout regarder pour trouver ce que vous cherchez (et done etre tente par des produits que vous 
n’auriez pas achetes sinon). 

Contre technique : si certains prennent un vrai plaisir a chiner, qu’ils ont le temps et la pa- 
tience pour cela, ce n’est pas le cas lorsqu’on fait des grandes courses alimentaires. Dans ce cas, 
autant ignorer ces espaces, car leur visite dans des moments inappropries ne va generer que la 
frustration de ne pas trouver l’objet voulu, et les situations de choix sont en plus extremement 
couteuses en energie mentale. 

— Les demenagements reguliers : beaucoup de magasins changent l’ordre de leurs rayons, 
reamenagent tous les espaces differemment, ainsi le client fidele ne peut plus utiliser son circuit 
optimal et est oblige de se perdre (et done d’etre tente par d’autres produits). 

Contre technique : reconstruire patiemment son circuit optimal sans pour autant changer 
ses habitudes d’achat (d’autant plus si elles sont bien reflechies). 

— Les bonbons a la caisse : coince a attendre, vous avez le temps d’etre tente par les frian- 
dises ; e’est une zone propice aux « achats d’impulsion », aux achats non reflechis. Voila pour- 
quoi on trouve toujours des babioles, des friandises ou toutes sortes de produits non necessaires 
pres des caisses de n’importe quel lieu. 

Contre technique : s’interdire d’acheter quoique ce soit arrive en caisse ou prevoir la ten- 
tation en allant dans le rayon des bonbons avant pour avoir un vrai choix et de meilleurs prix. 

— La strategic Ikea, ou le parcours est impose par le magasin. On peut toujours s’echapper 
par des portes derobees, mais celles-ci sont volontairement difficiles a percevoir. Le client est 
ici captif de ce que l’enseigne veut (e'est-a-dire le forcer a voir toute sa gamine de produits pour 
le tenter). 

Contre technique : Garder son objectif en tete et voir le magasin tel qu’il est : e’est un 
labyrinthe, 1’ objectif est done d’arriver a son but, pas d’y rester coincer et de choisir le chemin 
balise. L’ absence de fenetre renforce cette impression de captivite, done jouez le jeu et sortez 
au plus vite. 

— L’ impression de rarete. Un produit, un seul, mis en valeur de facon minimaliste ; ou 
encore des rayonnages epars. Telle Tassiette d’un restaurant gastronomique, le produit, par sa 
rarete en devient plus bon, plus luxueux. C’est un biais humain : la quantite rend le produit bas 
de gamine ; la rarete le rend plus desirable, plus precieux. On en reparlera tres largement dans 
ce chapitre. 


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<®COMMERCIAL/LE MAGASIN/L AMBIANCE SO 
NORE 

Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, qu’on la remarque ou non, la musique produit inde- 
niablement des effets sur nous. Generalement, on ne s’interrogera pas sur l’ambiance sonore 
des boutiques, notre attention est toute dediee a d’autres preoccupations comme le fait de trou- 
ver un cadeau pour le petit neveu, une poele qui resistera au temps ou le Smartphone le plus 
revolutionnaire possible. Mais, sans qu’on s’en rende compte, on s’harmonisera au son qu’on 
percoit malgre tout. Voyons quelques effets de cette « hannonisation » : 

— La musique forte induit un effet de suractivation (on est surexcite), elle pousse done a 
boire dans les bars, les boites. 7 

— La musique classique fait naturellement baisser le niveau sonore des conversations 8 , elle 
calme et rend plus polis les enfants 9 . Elle pousse egalement a choisir des vins plus prestigieux, 
car elle vehicule une image « haut de gamine », le client s ’harmonise done avec ce haut de 
gamine. 

— La musique stereotypique (par exemple de l’accordeon pour le stereotype francais, du 
flamenco pour les espagnols...) pousse a acheter des produits stereotypes 10 . Ecoutons de la 
musique asiatique en fond sonore du supermarche et voila que sans nous en rendre compte, 
on achete des nems ; faites ecouter de l’accordeon a un allemand et voila qu’il chargera son 
caddie de fromage. L’humain ayant tant d’ informations a traiter (surtout dans un supermarche), 
il utilisera ce genre de pret-a-porter mental pour aller plus vite dans ses decisions, et cela, sans 
en avoir conscience. 

— Plus le tempo d’une musique est lent, plus on est lent. 

Milliman (1982) En supermarche, un tempo lent augmente de 38 % le 
nombre de ventes, car cette flanerie induite par la musique laisse le temps au 
client d’etre tente par des produits qu’il n’aurait pas achetes autrement. 

En restauration, la strategic de la musique lente n’est pas systematiquement employee : si 
les clients depensent plus en restant plus longtemps (comme avec l’achat d’un dessert, d’une 
boisson supplementaire) c’est aussi une table d’occupee plus longtemps, done des clients en 

7 Gueguen, Le Guellec et Jacob (2004) 

8 Doss (1995) 

9 Chalmers, Olson, Zurkowski (1999) 

10 North, Hargreaves, Mckendrick (1997) 


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moins. A contrario, un tempo rapide vous fait mastiquer plus rapidement votre repas. Dans les 
fast-foods, vous ne trouverez pas de tempos lents, car le restaurant a tout interet a ce que vous 
liberiez la place le plus rapidement. 

Aujourd’hui, on fait appel a des DJ pour creer les playlists des magasins, selon l’heure, le 
jour, et les differentes collections. De T electro pop pour les magasins de vetements branches, 
de la musique classique pour le linge de maison et ambiance zen pour les accessoires de salle 
de bain. Meme les phannacies font appel a ces DJ ! 

Un tel soin porte a la musique n’est pas innocent, il s’agit d’induire une ambiance appro- 
priee a la marque, aux produits et a la facon dont on veut que les clients se comportent et se 
sentent. Meme si le consommateur ne fait nullement attention a la musique, celle-ci induit 
une attitude (relaxe, dynamique, etc.), une atmosphere d’un lieu qui n’est pas le magasin (la 
nature, le bord mer, les boites de nuit) et entraine une projection et une association avec des 
souvenirs et des envies de moments a vivre. Moments qui evidemment seraient encore mieux 
avec cette tenue, cet appareil, ce produit. . . 

Tout se passe inconsciemment : la musique manipule les instances de T emotion et du sou- 
venir, sans que cela soit porte a la conscience. Ce n’est pas parce que nous sornmes tous des 
idiots : le cerveau fait en sorte d’ avoir une gestion de ses ressources attentionnelles optimales 
et pour cela, il evince de la conscience bon nombre de faits, par exemple la musique. Mais ce 
n’est pas pour autant que la musique n’est pas percuc et qu’elle ne fait pas son effet. . . 

Contrer les effets de Vambiance sonore ? 

Contrairement aux automatismes lies aux deplacements pour lesquels on peut s’entrainer a 
d’autres routines plus profitables a notre portefeuille et estomac, on ne peut pas casser la com- 
munication de la musique a notre inconscient. Ce serait meme dommageable que de ne plus 
profiter de T effet de la musique, pire, de la voir en ennemie. La solution est done de prendre 
conscience, ne serait-ce qu’une demi-seconde, et prendre note de ce que nos oreilles captent 
et envoient a notre cerveau : que ce soit le chant des oiseaux envoye par les haut-parleurs d’un 
espace nature, les chants de victoire d’un espace high-tech en periode de championnat. Ins- 
pecter consciemment la theatralisation d’un rayon peut permettre de marquer une distinction 
entre la realite (un commerce cherchant a vous vendre des produits) et la fiction contee a votre 
inconscient (la joie de voir la victoire de son equipe associee aux seules televisions en vente) 
et ainsi profiter de la scenographie de Tinstant, tout en separant I’emotionnel de l’achat, la 
decision sera ainsi reservee a la raison. 


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@COMMERCIAL/LE MAGASIN/L’AMBIANCE OLFAC- 
TIVE 

Radicale, l’ambiance olfactive fait directement saliver : c’est l’odeur du pain au chocolat, 
du poulet grille... II est difficile de soi-meme de soustraire a de telles tentations, car quand 
l’estomac est vide, le moindre signal olfactif active l’appetit. 

L’odeur est presque indissociable du gout, cela fait partie de la palette des sensations gus- 
tatives. Alors cette odeur de pain au chocolat, c’est comine si vous l’aviez en bouche, sauf que 
votre estomac n’en retire aucun avantage : c’est done une enorme frustration et une tentation a 
laquelle votre estomac veut que vous succombiez. 

Mais l’odeur n’est pas forcement reelle. II existe des diffuseurs d’odeurs creant une am- 
biance olfactive totalement artificielle, et ajustee en fonction des rayons et de ce que le magasin 
souhaite vendre en priorite. 

Gueguen et Jacob T experience consistait a diffuser soit une odeur de cho- 
colat a T entree d’une superette, soit une odeur de poulet grille. Sans diffusion 
d’odeurs, les clients se dirigeaient sans grande distinction vers le rayon sale (a 
55 %) soit vers le sucre (45 %) ; avec 1’ odeur de poulet, ils sont 85 % a se diriger 
vers le rayon sale en priorite et avec l’odeur de chocolat 75 % a se diriger vers 
le sucre. L’odeur a done un effet tres important sur le comportement des clients. 

La diffusion d’odeur n’est pas utilisee que dans des contextes alimentaires. Boulanger dif- 
fuse des odeurs de cafe dans le rayon dedie aux cafetieres, d’herbes coupees au rayon TV (dans 
le cadre d’une coupe de monde de foot, associe a un decor de gazon), odeur de linge propre 
pour les machines a laver... 11 Cela pennet de mettre le client en condition d’achat, de Tattirer 
vers des rayons moins frequentes, de lui faire vivre des « sensations fortes » et l’aider a se 
projeter. 

Toutes les odeurs sont possiblement artificielles : fraise tagada, chocolat chaud, creme bru- 
lee, sapin de Noel, bord de mer, il existe des centaines de parfums differents sur le marche. 

L’odeur, bien qu’elle paraisse un detail dans l’eventail des manipulations, est une mani- 
pulation imparable. Meme en ayant conscience qu’il s’agit peut-etre de fausses odeurs, votre 
estomac ne vous laissera pas tranquille. Et, comine on a pu le voir, il ne s’agit plus seulement de 
susciter T appetence, mais de creer une atmosphere, une ambiance olfactive particuliere. C’est 
tout aussi redoutable que dans le cas des odeurs alimentaires, car les signaux olfactifs sont 
directement dans le cerveau limbique, siege de la memoire et des emotions. C’est Tefifet « ma- 
deleine de Proust », ou comment une odeur renvoie a un souvenir qui renvoie a des emotions. 

11 Emmanuelle Menage (real.), le doc du dimanche : consommateurs pris au piege, France Televisions et Magneto 
Presse, 2012. 


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C’est un levier redoutable pour jouer avec l’inconscient des clients. Les liens entre la cause 
(l’odeur) et l’effet (bon souvenir, impression de bien etre, bonne emotion...) et la consequence 
(l’achat du produit, car il renvoie une bonne emotion, mais indiscemable) ne sont pas etablis 
clairement a la conscience du client. Le cerveau doit trader des milliers d’ informations sensi- 
tives chaque seconde, il ne restitue que tres rarement une perception complete de la realite a la 
conscience (c'est-a-dire avec chaque detail visuel, la musique, l’odeur, les conversations alen- 
tours, les bruits, les ressentis physiques...) et encore moins dans un magasin ou l’on n’est pas 
aux aguets d’une situation sensitive extraordinaire qui necessiterait une attention demesuree. 

Done, le marketing olfactif est bien une manipulation et non une simple technique d’ in- 
fluence : sans se faire remarquer (ou au contraire en tounnentant votre appetence), il engendre 
un certain etat d’ esprit chez le client, un etat emotionnel qui ne sera pas re lie consciemment a la 
situation d’achat et qui engendrera des achats emotionnels, impulsifs, non reflechis. 

Contrer les effets de V ambiance olf active : 

Comine pour la contre-technique precedente, il s’agit de faire l’etat des lieux sensitifs, 
prendre quelques secondes pour saisir consciemment les odeurs en presence. Cela pennet de 
comprendre la scenarisation de l’endroit, de faire la difference entre la realite et la fiction. Par- 
fois, on peut apercevoir les diffuseurs (au plafond, cache dans les rayons), cela rajoute a la prise 
de conscience. 

Concemant les odeurs appetentes, il suffit de faire son shopping le ventre plein (meme pour 
des courses d’electromenager, par faim + odeur de nourriture, on peut etre tente d’acheter des 
machines a cafe, a pain, etc.). Ne pas avoir faim pennet egalement de faire des courses plus 
rationnelles, car l’estomac vide pousse toujours vers de la nourriture trop riche et rapide d’ab- 
sorption, comme le sucre, le sale et toutes sortes de plats gras. 

<®COMMERCIAL/LE MAGASIN/LA LUMINOSITE 


Si une bonne luminosite pennet d’ observer les produits sous toutes les coutures, une basse 
luminosite quant a elle cree une ambiance feutree, luxueuse et elegante. Comme pour 1’ ambiance 
olfactive ou musicale, la lumiere participe au mythe du produit, a sa fiction : un vin eclaire vive- 
ment avec des neons de hangars sera percu comme du vin bas de gamine peu cher alors que si 
on ajuste une petite lumiere doree en biais, creant des ombres autour de lui, il semblera etre de 
ces families de vins que l’on ne sert qu’en restaurant gastronomique. Qu’importe l’objectivite 
de la qualite de ce vin, c’est la presentation qui donnera en premier lieu un avis au client, meme 
si c’est clairement une manipulation de la representation du produit. 


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Contrer I’effet de la luminosite 

L’usage de lumieres, de spots est clairement cinematique. Comme au cinema, profitez du 
spectacle en bon spectateur, mais oubliez le role d’acteur : meme si le decor laisse presager 
votre grand role, votre importance, le seul role qui vous sera reellement assigne sera celui 
d’acheteur. Et etre acheteur n’est en rien un role heroique, ni celui d’un etre d’exception ou 
d’une star. Les marques qui veulent faire passer les clients pour des stars se fichent royalement 
de leur tete et exploitent avant toute chose leur narcissisme. Par contre, etre spectateur des dif- 
ferentes supercheries du magasin peut etre un role nettement plus interessant et plus amusant. 

Mefiez-vous egalement de la luminosite des ecrans : certains magasins reglent la luminosite 
et la saturation a des niveaux anormaux, rendant l’image plus seduisante. Cependant c’est une 
qualite pervertie, et pas franchement bonne pour la duree de vie de la television. 


@COMMERCIAL/LE MAGASIN/LE THEATRE DE LA 
MARQUE 


Jusqu’a present nous avons vu comment sont organises, scenarises les lieux commerciaux 
pour influencer, seduire et manipuler les consommateurs. Resumons : 

— La perception humaine a des limites, des mecanismes communs a tous qui sont parfaite- 
ment connus et explodes par le commerce. Par exemple, les produits chers sont places dans le 
champ de vision le plus direct. 

— La mobilite est restreinte, guidee et contrainte par le commerce ; les habitudes in- 
conscientes de deplacement sont exploitees pour pousser a 1’ achat. 

— Les commerces favorisent la discussion avec l’inconscient et l’emotionnel plutot 
qu’avec la raison, cette derniere n’etant pas favorable a leur profit. Ils utilisent done pour cela 
des odeurs, des musiques et scenarisent le magasin et les rayons. 

— Les commerces favorisent 1’ achat d’ impulsion par la fa?on de mettre en place les pro- 
duits (bonbons a la caisse, par exemple) toujours dans cette volonte de faire taire la raison et de 
favoriser 1’ expression peu reflechie de l’estomac. 

Mais cette mise a jour de ces petites techniques d’ influence formant conjointement une 
grande manipulation (voire un immense mensonge) n’explique par pour autant le fanatisme 
de certains consommateurs. On pense aux Fanboys Apple capables d’attendre des heures 12 , de 

12 http://www.dailymotion.com/video/xb2snn_ouverture-de-l-apple-store-par-club_tech 


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passer la nuit dehors pour entrer les premiers dans leur temple ; on pense aux emeutes a la 
sortie d’une paire de baskets Nike en offre limitee 13 . 

Concernant la mise en scene du lieu, l’objectif des marques est assez simple a comprendre : 
le consommateur ne doit pas se sentir simplement consommateur, il doit vivre une experience 
dans une scene ou il se sentira acteur de premier plan. La marque le fera se sentir important, 
implique, concerne et engage dans une demarche qui n’est pas que la sortie de sa carte ban- 
caire. 

Evidemment, tout ceci n’est que fiction. Un client reste un client et l’interet de l’entreprise 
pour lui est son argent. Si les gens etaient fideles et grands acheteurs sous les insultes, [’humi- 
liation et les coups, l’entreprise se ferait sadique sans nul doute. Mais ce n’est pas le cas, car 
nous avons d’autres besoins a combler, certains que l’entreprise remplit logiquement et legiti- 
mement contre retribution ; d’autres besoins inventes ou suscites par la publicite et la pression 
sociale (sous influence de la publicite) ; ou encore des besoins qu’elle dit pouvoir combler 
(explicitement ou implicitement), mais qu’aucune acquisition ne peut combler a elle seule. 

La pyramide de Maslow dont nous parlerons regulierement resume nos besoins : 



Les circonstances de nos vies, l’epoque, la fa?on dont la societe fonctionne, creent parfois 
des lacunes dans l’accomplissement de ces besoins, notamment pour les besoins « superieurs » 
que sont les besoins d’appartenance et d’amour, les besoins d’estime et d’accomplissement de 

13 http://www.leflgaro.fr/societes/2011/12/26/04015-2011 1226ARTFIG00196-etats-unis-de-nouvelles-nike-de- 
clenchent-des-emeutes.php 


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soi. Les marques exploitent ces vides de nos vies et les remplissent afin de gagner notre fide- 
lite et notre reconnaissance, s’exprimant parfois par de tres fortes depenses. Une marque qui 
reussit a coup de manipulations, d’ ideologies, a combler un besoin superieur obtient alors un 
adepte, un fidele (au sens religieux du terme) qui aura la foi. Et ce sont les « meilleurs » des 
clients, car la raison n’a alors plus aucun poids lors des decisions d’ achat. On ne compte pas, 
quand il s’agit d’exprimer son amour. 

L’ autre responsable de ces consommateurs mutes en fanatiques s’explique aussi dans la 
propension globale de la societe a valoriser les apparences, a faire oublier la realite au profit 
du simple symbole. Pour faire simple, alors qu’au lieu de « Rolex = montre » on a « Rolex = 
signe de reussite dans la vie » et done « pas de Rolex avant 50 ans = vie ratee ». L’objet en lui 
meme, done la realite, est totalement oublie dans l’histoire, le symbole est devenu plus impor- 
tant. On obtient done une tendance a la consommation ostentatoire basee sur des fictions, ou 
l’objet n’a au fond pas grande importance, seul son symbole compte {Rolex = reussite dans la 
vie) ; et inversement l’absence de l’objet provoque un jugement infonde (pas de marque sur 
les vetements = pauvre). Elle entraine une pensee magique « si j’ arrive a avoir une Rolex, c’est 
que j’aurais reussi ma vie » ; l’autre exemple plus courant, qu’on a tous plus ou moins connu, 
c’est 1’ achat de vetements ou accessoires de sport pour se mettre ou se remettre au sport. C’est 
typiquement l’expression d’une pensee magique, de croire que l’investissement dans l’objet 
changera notre comportement, notre mode de vie ou, dans les cas extremes, notre personna- 
lite. Or, pour faire du sport, on n’a besoin de rien, sinon d’un corps et de sa mise en mouve- 
ment... Ne demons pas la pensee magique pour autant, elle a son role dans la motivation, dans 
la prise de bonnes resolutions, elle aide egalement a se rassurer lors de situations stressantes. 
Par exemple, le fait d’acheter une nouvelle tenue pour aller a un entretien important offre un 
bonus de confiance en soi ou du moins rassure. Le probleme est la prise de conscience du 
processus : parfois nous achetons des produits pensant que la marque qui les distribue a les 
memes valeurs que nous ; or c’est parce qu’il nous manque des valeurs fortes, un guide de 
pensee et d’identite, que nous achetons une marque qui se vante d’etre la marque des artistes, 
des anticonfonnistes, de geeks et promet ainsi de gagner une identite balisee. 

Appliquons a present ces considerations a notre magasin de fanboys. 

Les Apple stores sont des temples : Steve Jobs les voulait ainsi, c’est le ressenti des clients 
les visitant. 

— Comine dans un temple, la religion Apple y est partagee avec ses membres et vendeurs : 
leur besoin d’appartenance et d’amour est comble par la communaute de fans. 

— Le besoin de reconnaissance, d’ appreciation par les autres est comble artificiellement 
par certaines pratiques ; comine le fait d’etre applaudi par l’equipe a l’ouverture (ce qui est 


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tres largement pratique par d’autres marques d’ailleurs) ou encore comble par l’attitude des 
vendeurs. II est comble artificiellement, car la reconnaissance est naturelle et profitable quand 
elle arrive apres une action qui merite reconnaissance. La reconnaissance est ici artificielle, car 
il n’y a aucun merite a sortir sa carte bleue, aucune gloire a etre consommateur. A moins que les 
vendeurs n’applaudissent la prouesse d’etre reste dormir dehors pour attendre l’ouverture d’un 
magasin, ce qui, pour le coup, est tout de meme un fait assez exceptionnel. 

— La pensee magique est sous-jacente ; c’est-a-dire que la representation vehiculee par 
la pub, la fiction artiste = Apple ou rebelle= Apple, bien qu’etant pure pensee magique non 
raisonnable, est vecue par les consommateurs comme une realite indeniable, a la maniere dont 
l’existence de Dieu est indeniable chez les croyants. Comme dans la religion, cette pensee ma- 
gique elaboree genere un sentiment d’amour tres fort, qui est confirme par l’examen des IRM 
des fans d’ Apple 14 . Ils sont veritablement amoureux de leur telephone ou ordinateur. Partant de 
ce constat, il semble done impossible qu’ils prennent des decisions d’achats raisonnables : par 
amour, on ne compte pas. Par amour on est pret a toutes les folies. 

Un autre exemple interessant, notamment en ce qui concerne le decor, le magasin lui-meme, 
est celui d "Abercrombie and Fitch 15 . 

Une file d’attente est creee a l’exterieur de ce qui parait etre un manoir, derriere de hautes 
grilles bourgeoises. Des ephebes torses nus posent avec les clients a l’entree. L’interieur du 
magasin ressemble a une boite de nuit : dans une quasi-obscurite, des vendeurs dansent (et vous 
parlent en anglais), sur des musiques a haut volume, le tout dans une atmosphere parfumee a 
son maximum. Les vetements qui s’y vendent sont vaguement eclaires et coutent, evidemment, 
tres chers et sont indisponibles au-dessus de la taille 38 (parce que le PDG ne veut que d’une 
clientele mince, une elite. Il prefere que les vetements soient brules plutot que portes par des 
personnes qui ne rentreraient pas dans ses criteres 16 ). 

Abercrombie exploite le besoin de reconnaissance du client en lui faisant croire qu’il entre 
dans un lieu select, reserve aux privilegies et qu’il accede a une soiree VIP ou chacun des em- 
ployes peut venir lui parler tant il est important (l’accolade des vendeurs, en anglais s’il vous 
plait). Cela fonctionne assez bien avec les ados qui ne sont pas en age d’aller en boite de nuit, 
et on peut comprendre ce desir d’acceder a des lieux d’adulte nocturnes. Cependant ce n’est pas 
une boite de nuit. C’est un magasin deguise dont le but est de vendre des vetements. De plus, 
c’est un magasin intolerant aux volontes eugenistes. 

Beaucoup de clients ne sont pas dupes et visitent le magasin par curiosite, pour tenter l’ex- 
perience de cette supercherie. Mais pourtant, bon nombre d’entre eux ressortiront les bras char- 
ges de vetements. Prendre conscience des duperies ne sufiht pas : les stimuli mis en place dans 

14 Apple, la tyrannie du cool, documentaire arte 

15 vous pouvez voir a quoi ressemble ce magasin dans « consommateurs pris au piege », le doc du dimanche (a 25 
minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=_aq5sPMUm-k 

16 httv://www. levoint.fr/societe/abercrombie-les-emsses-veuvent-vasser-leur-chemin-10-05-2013-1665400 2 3. vim 


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le cadre de cette scenarisation extreme agissent tout de meme sur les comportements d’ achat. 
Pourquoi ? C’est ce que Ton va expliquer a present. 

Contrer les effets de la scenarisation 

Ne pas profiter de ces magasins-theatres, qui plus est gratuits a la visite, sous pretexte de 
ne pas vouloir etre manipule, serait une perte. Ce serait egalement comme s’avouer vaincu 
d’avance, avouer qu’on ne peut pas faire face a la manipulation, or on est tous capables de pas- 
ser outre et ne pas etre exploite par ces techniques. On peut meme se laisser manipuler, mais 
sans etre exploite, c'est-a-dire sans acheter le moindre produit. 

Une fois sur place, il est inutile d’ essay er de resister aux stimuli qui nous plaisent, il faut 
profiter de la detente ou de la surexcitation comme il se doit. On ne lutte pas contre une odeur, 
une musique, une ambiance, une atmosphere qui nous anime. Ce serait masochiste et impro- 
ductif. Non, il faut juste casser provisoirement une petite regie qui est enfouie en nous et qui 
s’appelle la regie de reciprocite : 

Toute la societe est basee sur cette regie de reciprocite : je recois, je donne en retour. On y 
reviendra longuement dans ce chapitre commercial, mais deja cette regie de reciprocite nous 
piege par l’environnement offert par le magasin. On profite des senteurs, des musiques, de 
1’ atmosphere qui detend, on prend un petit the gratuit qui, meme s’il peut se reveler infame, 
fait plaisir ; on teste des objets en fibre acces, on rigole avec les enfants ou le conjoint, on flane 
devant des decors aussi agreables que beaux. On passe done un bon moment. La regie de reci- 
procite nous pousse inconsciemment a renvoyer la balle, e’est-a-dire a acheter un objet, meme si 
on n’a rien besoin de particulier. Voila comment, entre autres, on se retrouve les etageres pleines 
de bibelots-souvenirs ou de gadgets dont on ne trouvera finalement jamais l’utilite. 

Le premier point de cette contre-technique, c’est de prendre conscience qu’on ne doit rien 
a un magasin, quel que soit le temps qu’on y a passe, quel que soit le nombre d’objets essayes 
ou le nombre de cadeaux re9us. Dans les situations commerciales, la loi de reciprocite doit etre 
annulee, car il y a influence et manipulation. Des lors que la situation n’est pas honnete, emploie 
des precedes visant a parler a votre inconscient plutot qu’a votre raison, des lors qu’on vous 
persuade, vous influence de lacon soumoise (mais agreable egalement) la loi de reciprocite est 
caduque : elle ne devrait s’appliquer qu’a des situations honnetes. 

Done, profitez, sans jamais sortir le portefeuille ou achetez seulement des produits neces- 
saires dont la decision d’ achat a ete prise hors magasin. Si vous avez la carte bancaire tres insa- 
tiable, ne l’emportez jamais avec vous lors de vos balades. 


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(©COMMERCIAL /LE PRODUIT/SON PRIX 
■ LES CHIFFRES MAGIQUES 

La manipulation commence deja aux centimes : les produits a chiffre rond sont tres rares, 
pour la simple raison que leur prix exact serait alors trop facilement ancre (enregistre) correc- 
tement dans votre memoire. Et evidemment, les commerciaux ont tout interet a ce que vous 
vous trompiez quand vous tentez de vous rappeler le prix d’un paquet de pates jete dans votre 
caddie. II faut que le prix ne ressemble pas a ce qu’il represente, il faut qu’il paraisse moins 
cher que ce qu’il est vraiment. Mais comment faire passer un produit a 7 euros bien moins cher 
qu’il est, alors que le prix est sous vos yeux ? 

C’est simple, il suffit de le baisser a 6, 99 euros. 

Comme nous l’avons deja vu, nous sommes toujours tres occupes lors de ses courses ; on 
doit traiter quantite d’ informations issues de l’environnement, on doit mesurer le pour et le 
contre de l’achat d’un tel produit, on se demande si on sera vraiment satisfait, on doit imaginer 
si ce produit plaira au reste de la famille, on pense a l’impact sur l’eventuel regime, on imagine 
le produit en situation, etc. Rajoutez a cela la fatigue de la joumee de travail ou l’epuisement 
de la semaine entiere, les interruptions des enfants et du conjoint, les problemes ressasses ou 
toute autre nouvelle dont la reflexion ne s’arrete pas, sans compter le brouhaha ambiant, les 
autres clients qui bouchent le trajet, les coups de telephone. . . La situation « faire ses courses » 
est si banale, quotidienne qu’on se rend meme plus compte de toutes les ressources mentales 
qu’elle requiert. Et pourtant, n’importe quel cerveau, si intelligent soit-il, sature et doit faire le 
tri de ce qui arrivera ou non a la conscience, de ce qu’il se rappellera ou non, de ce qu’il gerera 
en priorite. L’encodage des donnees est done souvent approximatif, car il n’y a, a priori, pas 
d’importance vitale a se rappeler par coeur des prix de chaque produit du supermarche. Notre 
machin achete a 6,99 euros sera done encode dans la memoire a 6 euros, car les chiffres de 
droite recoivent moins d’ attention, ils sont moins repetes done moins transports en memoire 
a long terme. 

Les chiffres se terminant par .99 conduisent alors a acheter plus et sont egalement ceux qui 
sont le plus choisis 1 . 

Cependant le chiffre 9 n’est pas systematiquement aussi magique, mais les entreprises se 
debrouillent toujours pour raj outer des centimes afin de brouiller la perception objective du 
prix. 

Contrer les effets des « chiffres magiques » ? 

— Acheter via Internet : sans musiques imposees, sans bruit, sans enervement et en prin- 
cipe bien confortablement installe, vous eliminerez ainsi quantite de distractions stressantes, 
ce qui permettra de faire un meilleur choix et d’avoir un meilleur visuel des prix. Si vous pre- 
nez l’option Drive, on rappelle que les conditions de travail des salaries y sont generalement 


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catastrophiques, notamment chez Leclerc 17 . 

— Utiliser des scannettes : le prix s’y affiche, la aussi cela permet d’avoir un meilleur 
visuel des depenses. De plus, les caisses prioritaires attributes aux scannettes pennettent de 
se separer d’un stress supplementaire. Les caissiers y semblent moins stresses, ils ont moins 
de charges a porter. Cependant, gros bemol, la scannette (comme la carte du magasin) enre- 
gistre toutes les donnees, courses apres courses. Elies sont pires que ces journalistes people qui 
fouillent les poubelles des stars pour trouver des faits compromettants. 

— S’entrainer a arrondir vers le haut. Mieux vaut encore arrondir un produit de 6,10 euros 
a 7 euros, meme si on est dans l’erreur, que l’inverse. Mieux vaut une estimation elevee qui 
donnera une bonne surprise, que l’inverse. Cela permet assez facilement de faire des econo- 
mies et d’etre plus raisonnable. Mais cela demande un petit entrainement. 

■ LES PRIX HAUTS 

Ce qui est cher est bien et mieux que ce qui est moins cher. Jugement fausse s’il en est, 
pourtant ce jugement est utilise par defaut, surtout dans les situations nouvelles. 

Wooside (1974) prouve la force de ce jugement fausse par cette petite experience 
menee lors d’une pause dejeuner d’ouvriers : on leur presente un rechaud electrique et 
indique qu’il coute soit 4, 5, 6, 8, ou 10 dollars. Plus le prix annonce est eleve, plus les 
ouvriers emploieront des qualificatifs positifs concernant le rechaud, confirmant par la 
meme cet effet de « plus c’est cher plus c’est bien » et « moins c’est cher moins il doit 
y avoir de qualite ». 

Les entreprises ont bien evidemment pris en compte ce biais de jugement et en profitent 
tres largement en s’octroyant d’enormes marges sur des produits pas forcement de haute qua- 
lity. Et c’est ce qui donne l’hegemonie des marques. 60millions de consommateurs avaient par 
exemple fait un comparatif des lessives presentes sur le marche, prenant en compte 1’ impact 
sur l’environnement, le bon lessivage, etc. Le meilleur produit et le plus sain en la matiere 
s’est revele etre la lessive la moins chere, sans marque. De meme, pour les cremes anti-age les 
grandes marques les plus cheres (70Euros) se sont revelees moins efficaces que les marques 
d’hyper (environ lOeuros) 18 . Done, non, parfois ce qui est cher n’est pas bien et ce qui n’est 
pas cher peut etre bien. Mais dans le choix du prix se trouve egalement un biais social : acheter 
au bas prix, c’est la honte, ce n’est pas digne. . . Qui ose se balader volontairement avec un sac 
Lidl/leaderprice a bout de bras ? Personne, parce que les marques discount sont injustement 

17 http://rue89.nouv elobs.com/2013/02/25/drive-clients-avez-vous-conscience-de-ce-aui-se-Dasse-dans-le- 

hansar-240026 

18 http://www.60millions-7nas.cotn/kiosaue/mensuels/antirides les cremes qui marchent/cremes antirides la 

bonne surprise des petits prix 


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associees a des statuts sociaux consideres comme « inferieurs ». Or c’est la-bas qu’on peut 
trouver la lessive la plus saine, la plus efficace et la plus economique. . . . 

Robert Cialdini (chercheur en psychologie sociale) nous rapporte un exemple firap- 
pant de l’effet d’un haut prix dans son ouvrage « influence et manipulation » : une de 
ses amies le contacte apres avoir vecu un phenomene etrange auquel elle aimerait des 
explications. Elle est responsable d’un magasin de bijou et un de ses lots de bijoux de 
turquoise ne se vend pas. Apres avoir essay e quantite de techniques pour les vendre (les 
changer de place, les faire conseiller par les vendeuses...), elle decide de les vendre a 
demi-prix, quitte a vendre a perte. 

Mais elle doit s’absenter quelques jours, alors elle laisse l’instruction a une de ces 
vendeuses, sur un bout de papier. A son retour, tous les bijoux de turquoise ont ete ven- 
dus. Au prix double ! 

Le mot manuscrit avait ete mal compris par la vendeuse qui pensait qu’il fallait dou- 
bler leur prix. Robert Cialdini nous explique : « les clients, pour la plupart des vacan- 
cies aises n’y connaissant rien en matiere de turquoises, avaient recours a un principe 
reconnu pour guider leurs achats : “cher = bonne qualite” . C’est pourquoi, voulant de 
la bonne qualite, ils trouvaient les bijoux nettement plus precieux et desirables quand 
c’etait leur prix qui les mettait en valeur. Le prix en lui-meme etait la caracteristique 
cle de la qualite ; une forte augmentation du prix suffisait a pousser a 1’ achat des clients 
desireux avant tout de qualite ». 

Contrer notre biais « ce qui est cher est mieux » 

— Tester. Pour les produits courants, il est assez simple de tester les differentes marques 
sans se miner pour autant. On se rend assez vite compte que la marque et done son prix eleve 
ne sont pas justifies dans tous les cas (la lessive par exemple), et qu’une sous-marque remplit 
parfois aussi bien son role. Inversement, on se rend compte que certains produits sous-marque 
peuvent etre particulierement repoussants (le jambon par exemple). 

— S’infonner. Lors d’achats plus consequents, rien de plus simple que de s’informer sur le 
produit en question avant de Tacheter, grace a Internet. Cependant, il faut avoir l’habitude de 
trier les infos et voguer sur le Net : les faux avis sur les produits pullulent. 

— Apprendre a se debarrasser du conditionnement associatif : produits pas chers = per- 
sonne qui est fauchee et a un statut inferieur ; produits chers = personne au statut superieur qui 
a beaucoup d’ argent. Parce que celui qui achete au discount peut etre riche, mais assez malin 
pour comprendre qu’il s’y cache de bons produits ; comme celui qui achete une marque peut 


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etre fauche, mais, par experience, prefere sacrifier un peu plus d’ argent pour un produit qu’il 
preferera ou parce qu’il est plus sain (par exemple des poules elevees en plein air plutot qu’en 
batterie). Les marques ou sous-marques achetees ne represented pas ce que nous sornmes. 
Nous ne sornmes pas ce que nous achetons et nous ne devenons pas a l’image de ce que nous 
achetons uniquement parce qu’on l’a achete. 

<®commercial/Le produit/son appellation 


Nous ne parlerons pas du packaging, car vous vous doutez bien que chaque produit est 
concu et calcule dans ses moindres details pour etre desirable. A savoir tout de meme que les 
recherches marketing utilisent des outils destines en premier lieu a la recherche en psychologie 
(notamment) qui sont I ’eye tracking (l’enregistrement des mouvements oculaires) et egale- 
ment des IRM, dans le cadre du neuromarketing (ou comment fouiller dans votre cerveau pour 
extirper de force les codes de vos desirs concernant les objets). 

L’ appellation consiste simplement a donner un nom a un produit au-dela de ces proprietes 
objectives et l’enjoliver d’adjectifs ou de tennes stimulant l’imagination ou l’orientant vers 
quelque chose de plus positif ou plus dense en representations attirantes. 

Wansink, Painter et Van Ittersum (2001) pendant six semaines, ces cher- 
cheurs ont compare la vente des produits classiques dans une cafeteria et celle 
des produits enj olives : le « poulet pannesan » etait transforme en « poulet 
pannesan maison » ; les « cookies aux courgettes » en « cookies courgettes 
facon grand-mere », etc. ; sans pour autant qu’il y ait quelconque changement 
de recette. 

II y a eu plus de 37 % d’ augmentation des ventes pour les produits enjo- 
lives, les depenses etaient egalement superieures et les avis plus favorables. 

Pour de simples ajouts de mots aux appellations telles que « maison », « grand- 
mere », « doux ». 

Ces sublimations d’appellations de produits se retrouvent partout sans pour autant qu’il y 
ait une difference dans le produit nomine objectivement : par exemple le « jambon beurre » 
et son congenere enjolive, le « delicieux classique au jambon ». Le tout est de faire rever et 
faire imaginer au consommateur qu’il achete un produit « augmente » compare aux autres. La 
encore, il s’agit de faire passer des produits pour ce qu’ils ne sont pas et 9a ne tient parfois qu’a 
un mot. De plus des fausses appellations geographiques (tarte de Venise), affectives (biscuit du 
pere Albert) ou sensorielles (sorbet explosif) sont souvent accompagnees d’un prix bien plus 
haut qu’une appellation objective, dupant d’ autant plus le consommateur. 


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Contrer les effets des appellations trompeuses 

— Traduire en terme generique. 

— Occulter les adjectifs ou attributs. 

— Inventer d’autres appellations. 

— Se focaliser sur les ingredients/le visuel objectif plutot que le nom 

Notons que changer une appellation n’est pas si anodin que cela y parait et que cela a des 
consequences bien plus importantes quand c’est l’oeuvre d’un spin doctor, que se soit pour 
defendre une entreprise mise a mal par une affaire ou dans un but de marketing politique. 

L’ affaire Findus a ete transformee en « affaire de la viande de cheval », l’aflfaire de la Socie- 
ty Generate a ete transformee en « affaire Kernel », ce qui dedouane l’entreprise et change 
1’ opinion publique. Les medias orientent egalement 1’ opinion avec le choix de leur mot, en 
preferant tout le champ lexical lie a l’emotionnel : on a peu parle de l’encephalopathie spon- 
giforme, le terme vache folle est par contre dans tous les esprits, avec toute la crainte asso- 
ciee. 

On en a parle dans ces articles : 

— http://hacking-social.com/2014/09/29/devenez-plus-influent-avec-un-jeu-video/ 

— http://hacking-social.com/2014/09/22/lingredient-secret-dun-marketing-reussi-est/ 


@COMMERCIAL/LE produit/Sa fausse rarete 


Nous regroupons plusieurs types d’offres sous le terme de rarete : 

— Toutes cedes limitees dans le temps : les offres exceptionnelles minutees (sur le Net par 
exemple, avec les ventes privees ou flashs), les produits accessibles pour une duree donnee 
(certains hamburgers dans les fast-foods), les soldes, les offres saisonnieres (le linge de maison 
apres les fetes de fin d’annee), les ventes privees, les encheres, etc. 

Toutes ces ventes se basent sur la prochaine indisponibilite du produit ou Fexceptionnel de 
sa reduction. On met done en avant une rarete du produit/de l’offre qui prend parfois des allures 
de jeu de competition (les encheres par exemple). 


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Mais parfois la rarete est plus explicite : 

— Ce sont les plats des restaurants gastronomiques, dont les quantites sont minimes. 

— Ce sont les ruptures de stock : il n’y a plus qu’un seul produit de la gamine desiree ; le 
produit est en presentation, mais quand vous demandez des infonnations, le vendeur vous rap- 
porte qu’il vient de vendre le dernier exemplaire ; parfois le produit desire reste absent durant 
des semaines malgre une popularity evidente et un matraquage publicitaire. 

Toutes ces situations sont extremement efficaces sur notre comportement d’achat, au point 
qu’on en perd parfois toute raison. On pense aux soldes qui se transfonnent parfois en hysterie 
collective, aux sorties de nouvelles baskets qui provoquent des emeutes 7 . 

Sans aller jusqu’a cette furie, la rarete d’une offre/d’un produit genere une excitation et un 
fort desir de posseder l’objet (peu importe sa reelle utilite ou non), bien plus que s’il avait ete 
disponible tout le temps et en grande quantite. 

Prenons un exemple fictif : 

Imaginons que nous devons acheter une cafetiere. On souhaite une infonnation sur un 
modele, car, contrairement aux autres cafetieres, il n’y a pas l’indication que nous souhaite- 
rions connaitre pour faire notre choix (premier effet de rarete : le manque d’ infonnations). Le 
vendeur, tres sympathique, nous renseigne, precisant que nous faisons bien de demander, car 
ce produit est particulierement satisfaisant. Il vous donne d’ autres informations sur les fonc- 
tions du produit sur le ton de la confidence, ce qui vous fait vous sentir privilegie. Il justifie ces 
informations par le fait qu’il en possede lui-meme une (effet de preuve sociale, on expliquera 
plus tard dans ce chapitre). Puis soudain, il s’assombrit : « attendez, je crois que mon collegue 
a vendu la derniere » (deuxieme effet de rarete + encore une preuve sociale). Il part voir son 
collegue pour lui demander et pendant l’attente, notre desir pour cette cafetiere augmente et les 
autres paraissent ininteressantes a cote de celle-ci (effet de l’heuristique de disponibilite : on 
a plus d’infos positives sur cette cafetiere, done on en deduit qu’elle est meilleure). De plus, 
on a envie de boire un cafe maintenant (nous sommes plonges dans une atmosphere imbibee 
d’odeur de cafe). 

Le vendeur finit par revenir, la cafetiere dans les bras « Par chance, il nous en restait un 
modele en stock ! ». Et a ce moment-la, on est soulage, satisfait de l’issue de l’histoire. On 
part a la caisse, presse de tester la machine et de se delecter d’un bon expresso. L’ achat est une 
victoire, on est veritablement plus heureux de la situation que si on s’etait contente de mettre 
la cafetiere dans un caddie, sans interaction, sans crainte et sans suspens. 

Pourquoi ? 

Tout d’abord parce que notre cerveau adore les situations d’ incertitude, de celle ou il y a 
une chance, meme tres minime, d’obtenir satisfaction. Parce que lorsque Ton reussit a obtenir 
satisfaction alors que la situation ne semblait pas en notre faveur nous liberons une dose mas- 


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sive de dopamine, parfois sumommee la molecule du plaisir. On retrouve ce ressenti et cet effet 
lorsque, dans un film, le heros n’a aucune chance de reussite, que le sort s’acharne sur lui, mais 
qu’un heureux evenement ou un detail vient le sortir d’ affaire. 

Cela explique egalement notre attirance pour les jeux de hasard, d’ argent et le loto : nous 
savons que nos chances sont tres minces, qu’il est irrationnel de penser qu’on va gagner et c’est 
justement ces constatations qui nous poussent a acheter nos tickets. Car la situation d’incerti- 
tude nous excite et la dopamine montre le bout de son nez meme avant la victoire, pour nous 
pousser a chercher la satisfaction future. 

II y a done une excitation tres plaisante a etre plonge dans des situations ou rien n’est gagne 
d’avance, ou le hasard joue un grand role, mais que Ton a des chances d’obtenir satisfaction. 

Les vendeurs, les magasins, les marques se debrouillent done pour orchestrer cette rarete, 
qui est souvent artificielle et qui n’est mise en place que pour exciter notre desir au sujet d’un 
objet. Les soldes, les ventes aux encheres, les produits en offre limitee exploitent, manoeuvrent 
done notre dopamine afin de laisser au placard notre raison. Concemant le consommateur, au 
fond, l’objet a peu d’importance, ce qui fournit le plaisir et le desir, c’est la situation en elle- 
meme, son issue positive malgre les obstacles et la possession de l’objet soi-disant rare. 

L’exemple d’ABC presente par Robert Cialdini dans « influence et mani- 
pulation » nous prouve a quel point ce genre de situation peut faire abandonner 
toute raison : pour la premiere fois, les droits de diffusion d’un film « l’aventure 
du Poseidon » avaient ete mis en encheres. Les chaines americaines se sont 
done prises au jeu de l’enchere, mais rapidement la fievre de la situation a pris le 
dessus. L’ancien president de la chaine de CBS raconte « au debut, nous etions 
tres raisonnables. Nous avions evalue la valeur du film, en termes de rentabilite, 
et prevu une petite marge pour V exploitation. Mais alors, ily eut les encheres. 

ABC attaqua avec deux millions, je rencheris avec deux millions quatre. ABC 
alia jusqu a deux millions huit. Et la fievre nous saisit tous. Comme si j ’avais 
perdu l ’esprit, j ’ai continue a surencherir. A la finj ’ai offert trois millions deux ; 
et la, je me suis dit : « mon dieu, si je decroche le film, qu’est-ce que je vais 
pouvoir en faire ? » Quand ABC surencherit finalement, j ’ai surtout eprouve un 
grand soulagement. Tout cela a ete tres instructif. » Si CBS a reussi a retrouver 
la raison en cours de « jeu », ce n’est pas le cas de ABC qui acheta les droits de 
diffusion du film a trois millions trois. On estime qu’ ABC a du perdre un million 
a cause de cette fievre de l’enchere, et la chaine decida ensuite de ne plus jamais 
operer dans le cadre d’une vente aux encheres. Comme nous le disions en intro- 
duction, qu’importe qu’on soit intelligent, avise dans son domaine, nous som- 
mes potentiellement deraisonnables et manipulables par certaines conditions du 
contexte. 


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II y a done des situations de jeu, de competition pour obtenir un objet qui nous sortent de 
nos gonds, nous enfievrent et qui nous font avoir des comportements aberrants, tels que ceux 
des clients qu’on voit fous lors des soldes, se jetant sur les objets comme si leur vie en depen- 
dait. Outre la dopamine, on pourrait rapporter ce comportement a notre passe tribal, nos luttes 
pour la pitance, le territoire et les victoires-soulagement qui s’en suivait : ce sont des compor- 
tements ancres dans les instances les plus archa'iques de notre cerveau, il n’empeche qu’elles 
sont toujours actives et qu’elles servent raisonnablement bien dans certaines situations. 

Par exemple dans les etudes, lors des examens, la fievre peut prendre a la vue de questions 
extremement difficiles, mais a laquelle on comprend progressivement qu’on peut y repondre et 
reussir l’examen. Les situations a dopamine sont nombreuses et ne sont pas a eviter : pour bon 
nombre d’entre elles, la fievre qui arrive est une motivation qui nous apportera un reel gain, 
une reelle progression dans notre vie. 

Certains avanceront que les clients fous lors des soldes ou des produits delivres en edition 
limitee le sont parce que ce sont des revendeurs, qu’ils comptent sur cette possession pour leur 
futur benefice. Mais meme dans ce cas de figure, le processus est le meme. On pourrait meme 
postuler que le processus est accru en vue de la necessity de gagner de l’argent avec cette pos- 
session. L’ exemple de Virgin megastore 19 le prouve : les clients ont devalise le magasin en but 
de revendre, et toutes leurs saines inhibitions etaient levees : plus aucun respect de l’autre, du 
magasin. II s’agissait de leur futur gagne-pain, alors toute pensee raisonnable etait annihilee 
pour laisser place a la primitivite d’une chasse competitive. 

La rarete d’un produit le rend egalement plus precieux, on lui attribue plus de qualite que 
s’il etait present en grande quantity et on accepte, on trouve logique qu’il soit tres onereux. 
Les magasins l’ont bien compris, alors pour faire croire a des prix bas, il vont faire des tetes de 
gondole tres fournies d’un meme produit (ce qu’on nomine massification) ; ou, au contraire, le 
produit sera sur un seul presentoir luxueux, pour le rendre plus precieux ou pour s’harmoniser 
avec un prix demesure. 

Mais parfois aussi, le produit sera reellement absent, sans nulle possibility de l’acquerir. 
Ce n’est plus une situation d’ incertitude, done il n’y a aucune excitation a cette experience. La 
liberte d’acheter cet objet a ete retiree au client, on interdit par l’absence au client de posseder 
cet objet. On est alors enerve contre le magasin ou la firme fournissant le produit, mais cela 
accroit le desir de posseder 1’ objet. On a la un phenomene de reactance : plus on interdit, plus 
on empeche une personne de faire une telle action, plus la personne voudra faire cette action. 
Un exemple est celui des campagnes anti-tabac : loin d’arriver a leur resultat, les fumeurs rap- 
portent qu’elles leur donnent immediatement envie de fumer. 

Par la rupture de stock, le magasin ou les firmes exploitent ce phenomene de reactance, afin 

19 http: //rue89. nouvelobs.com/2013/05/16/soldes-a-virein-etes-comDortes-comme-DOWTitures-242 388 


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que le client s’attache a obtenir son objet comine s’il combattait un dictateur le privant de sa 
liberte. Par exemple, pour un produit special, edite de fag on aleatoire et courte dans le temps, 
le client s’attristera de sa disparition des rayons. Puis il restera attentif a son eventuel retour. II 
s’enervera avec le temps, ralant contre ces fournisseurs idiots de ne pas produire son produit 
prefere qui doit etre aime par d’autres que lui. Et quand le produit reviendra dans les rayons, il 
se jettera dessus, il est meme probable qu’il fasse un stock au vu de la frustration qu’il a subie 
pendant plusieurs mo is. Au final, si le produit etait reste en pennanence dans les rayons, le 
client n’en aurait pas achete autant. 

Robert Cialdini dans Influence et manipulation nous livre encore un exemple 
frappant de 1’ organisation de ces grandes ruptures de stock et de leurs resultats : 
un ami a lui ayant travaille dans le domaine du jouet, lui explique. Quelque 
temps avant Noel, les firmes de jouets font des campagnes de pubs soutenues 
pour quelques produits. L’effet est tres rapide, car les enfants sont extremement 
influcncables. Ils veulent les jouets des publicites et pas d’autres pour Noel, ils 
font done promettre a leurs parents d’ avoir ces jouets. Mais une fois que les 
parents veulent les acheter, plus moyen de les trouver nulle part : la firme a vo- 
lontairement reduit l’envoi de ces jouets stars pendant noel, au point de mettre 
tous les magasins confondus en rupture de stock. Les parents se rabattent sur 
d’autres jouets, l’enfant est degu, car le parent n’a pas tenu sa promesse. Mais 
des janvier, le jouet revient dans les magasins et dans les publicites : l’enfant le 
voit et le reclame, rappelant la promesse. Les parents, meme s’ ils avaient prevu 
d’arreter les depenses apres les fetes, achetent le jouet, car les promesses aux 
enfants, ca se tient faute de perdre toute confiance... 

La reactance est un biais psychologique qui entre dans les situations de rupture de stock, 
mais egalement dans notre attirance pour les promotions, reductions, et produits gratuits (l’es- 
prit radin, comine sur certains sites du web) : en effet, on est souvent attire par les produits au 
prix reduit par reactance, par cette sensation de contrevenir au cours normal des choses, de 
faire de bonnes affaires intelligentes (ce qui satisfait notre ego). Or souvent les promotions sont 
prevues en amont et e’est finalement un prix normal que l’on paye ; on pense par exemple a 
Orchestra qui propose une carte payante (50 euros) donnant une reduction de 50 % sur tout le 
magasin : le client a la sensation d’etre privilegie par cette carte, d’etre intelligent (car il pense 
avoir saisi une belle occasion) et d’etre superieur a ces gogos payant au prix fort. Or les prix ob- 
tenus avec cette carte transforment simplement le prix des vetements en prix nonnaux : done le 
magasin se fait une enorme marge sur ceux qui ne prennent pas la carte, gagnent beaucoup d’ ar- 
gent en rendant la carte payante et font un benefice normal sur ceux qui ont la carte. Au final, 
le client, quelle que soit sa strategic, est berne de tous les cotes. Obtenir la carte n’a done rien 


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d’un « non », d’une strategic de reactance efficace (bien que la sensation du « non » efficace soit 
la avec la baisse des prix), car de toute maniere il reste tres ponctionne de ses finances, et avoir 
une carte payante le pousse a la rentabiliser. Meme si le client n’est pas satisfait, il achetera un 
certain nombre de vetements, ce qu’il n’aurait pas fait sans cette carte. 

Mais le phenomene de reactance peut nous conduire a des comportements plus graves dans 
d’autres situations. Rappelez-vous, si nous prenons notre temps sur la manipulation commer- 
ciale et d’autres themes qui ne semblent a priori pas tres grave, c’est parce que les phenomenes 
en jeu, que ce soit nos inclinations comine la reactance et l’exploitation de celle-ci, menent 
dans d’autres domaines a des faits gravissimes. 

Robert Cialdini (toujours dans « influence et manipulation ») nous rapporte l’exemple d’un 
phenomene de reactance se deroulant dans une university en Californie. Un discours y est 
censure. Aussitot, on a une sorte d’cffct Streisand (l'augmentation considerable de la diffusion 
d' informations ou de documents par le simple fait d'avoir ete l'objet d’une atteinte a la liberte 
d’expression, c'est-a-dire d'une tentative de retrait ou de censure. 20 ) avant l’heure : le discours 
est connu de tous, et les etudiants reprouvent en masse la censure en question. Plus encore, la 
censure change petit a petit l’opinion des etudiants, ceux-ci se rangeant au contenu du discours. 
On en deduit done que la censure a eu l’effet contraire, non seulement les etudiants ont connu 
le discours, mais en plus ils ont ete convaincus de celui-ci parce qu’il avait ete censure. 

Or ce discours etait contre la mixite, c’est-a-dire contre le melange des origines des per- 
sonnes en milieu scolaire. A cause de la reactance et de la censure, les etudiants se sont ranges 
aux cotes d’un discours raciste. 

En France recemment, Dieudonne a ete censure ce qui lui a fait gagner considerablement 
en popularity, en visibility par la population. L’effet Streisand etant parfaitement connu des 
gouvemants, on peut supposer que mettre en avant Dieudonne par la censure est une strategic 
a long terme, pour Vails : tout politicien se doit d’avoir un ennemi a combattre, et s’il n’y en a 
pas, il suffit de le creer, d’une fag on ou d’une autre. 

Ce qu ’ on retient de I’effet de r arete et de la reactance : 

— On est excite par des situations ou un produit (ou une reduction de celui-ci) est difficile- 
ment accessible, ou seulement accessible pour une duree determinee ou encore lorsqu’il faut se 
« battre » contre d’autres acheteurs pour l’avoir. Cette excitation, sans doute due a la dopamine, 
nous fait perdre toute raison et nous pousse a 1’ acquisition de l’objet, parce que l’on est exci- 
te par le desir de le posseder, car il est rare. Qu’importe le besoin, la fonction ou l’utilisation 
future, ce qui nous anime, c’est la victoire de la possession malgre sa rarete, car cette victoire 

20 http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Streisand 


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nous inonde de dopamine, cette hormone du plaisir intervenant dans les victoires gagnees mal- 
gre un contexte qui ne s’y pretait pas. 

— On accepte de payer plus cher ce qui est rare : ainsi, les aliments et produits presentes 
en petite quantite nous paraissent plus precieux et done plus desirables (meme s’ils ne sont pas 
meilleurs). 

— Done, les produits presentes en grande quantite paraissent moins chers ou en promotion 
meme si ce n’est pas le cas (les tetes de gondoles par exemple). 

— Les mises en scene de la rarete precedant l’acquisition de l’objet rendent encore plus 
desirable l’objet et rendent plus sympathique le vendeur (car il adopte une strategic de coope- 
ration, feinte ou reelle). 

— La rarete se base egalement sur notre tendance a la reactance. 

— La reactance est un processus quasi automatique qui nous pousse a contredire, a dire 
non, a raler, a nous « rebeller », a vouloir absolument ce qui n’est pas disponible (alors qu’on 
ne veut pas de l’objet lorsqu’il est present). 

— Ainsi le desir pour un objet est augmente en retirant la possibility immediate de l’obtenir. 
C’est une fag on d’exploiter notre reactance. 

— La reactance est une reaction automatique qui peut etre dangereuse dans d’autres 
contextes et amener a soutenir l’insoutenable ou avoir un comportement dangereux pour soi- 
meme. 


— La reactance, bien qu’elle ait un aspect « rebelle », n’a strictement rien a voir avec une 
forme de resistance. Le « reactant » reagit a une situation sans reflechir puis trouve par la suite 
des arguments pour justifier ce « non » automatique et paraitre coherent. Au contraire, le resis- 
tant aura reflechi au prealable a la situation, pese les pour et les contre avant de se positionner 
et dire non. 

— Le phenomene de reactance, ainsi que l’efifet Streisand, demontre parfaitement que la 
censure et les interdictions sont totalement inefficaces et inutiles, car au contraire, elles en- 
trainent du desir ou de l’interet pour ce qui a ete interdit. 

— Done, prenant en compte l’efifet de reactance, se faire interdire, censurer ou ecarter peut 
etre une strategic utilisee pour attirer l’attention et l’adhesion des reactants. 


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Contrer I’effet de r arete ? 

— Contre les effets secondaires de la rarete, il faut rester attentif au flot d’ emotions qui 
nous parcourent dans certaines situations : 1’ excitation prend le pas sur la reflexion et sur la 
raison, alors nous ne pouvons plus prendre des decisions correctes (cornme l’exemple d’ABC 
dans les pages precedentes). Le fait de prendre conscience de ces emotions peut permettre de 
mettre le hola avant qu’il ne soit trop tard. 

— On peut eviter les situations ou l’on risque de s’ exciter : en choisissant des moments de 
calme pour les achats ; en s’y prenant en avance pour certains achats saisonniers ; en preferant 
faire des achats sur internet (on evite alors l’emballement humain), mais attention les sites ne 
manquent pas d’ imagination pour recreer des situations de rarete (cornme avec les offres spe- 
cials limitees dans le temps, les ventes flash) ; 

— En prenant conscience que la majorite des objets ne sont pas rares et qu’on peut les 
avoir dans d’autres magasins, a d’autres occasions ou par d’autres moyens. Done on ne prend 
aucun risque a ne pas acquerir un produit immediatement. 

Contrer notre reactance ? 

— La reactance est un mode de pensee automatique, irreflechi. Bien que son aspect « re- 
belle » en fasse un mode de pensee apparaissant cornme « interessant », « cool », ou culturel- 
lement dans les nonnes (la fameuse reputation des Francais qui ralent et se plaignent de tout) 
il n’en reste pas moins que c’est un mode de pensee automatique, done qui est loin d’etre 
adaptable a toutes les situations et qui peut meme mener a des resultats totalement idiots. 
Quand les phosphates ont ete interdits dans le comte de Dade aux Etats-Unis (car ils sont, entre 
autres, tres polluants) une grande partie de la population « reactante » s’ est pris d’amour pour 
la lessive aux phosphates, l’achetant en quantite avant 1’ interdiction, lui trouvant toute sorte de 
qualites et luttant contre son interdiction pourtant clairement justifiee 21 . 

— Un commerce s’appuyant sur la reactance, c'est-a-dire sur nos reactions d’enervement 
ou d’ opposition qui ne sont pas franchement agreables, ne devrait pas recevoir notre argent. Il 
faut done aller voir la concurrence. 

— Concernant des affaires plus politisees, avant de s’opposer, raler, s’enerver, il faut ins- 
pecter de facon neutre les tenants et les aboutissants de la situation : parfois des provocateurs 
tres eclaires en matiere de manipulation de 1’ opinion orchestrent leurs propres censures ou 
denegations afin de s’attirer de nouveaux sympathisants par reactance. 

— Avant de reagir, clamer son « non », il s’agit de reflechir. Il vaut mieux ne pas exprimer 
une opinion sur un sujet, ne pas se prononcer, plutot que de se faire partisan ou opposant a une 
idee. Car meme si on ne fait que prononcer une parole, c’est deja faire acte d’une position, et 

21 Influence et manipulation, Robert Cialdini 


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par loi de coherence, on aura tendance a suivre cette position, meme si on ne l’a pas reflechie. 
Done, preferons avouer notre ignorance sur un sujet, car prendre position en cas de meconnais- 
sance d’un theme, e’est pennettre aux « influenceurs » de dieter notre future opinion. 


@COMMERCIAL /LE PRODUIT/SA GRATUITE 


Pour un achete, un offert... le cadeau cache dans la boite de cereales... le vetement otfert 
avec le magazine... les premiers mois d’abonnement gratuits... 

Toutes les marques et les services payants utilisent cette technique en passant par le ca- 
deau, la reduction, la gratuite totale durant une periode donnee, l’essai gratuit, l’echantillon... 
II suffit de faire un tour sur les sites internet de radins pour voir la profusion de ces cadeaux. 

L’offre parait genereuse et en effet, elle cree de la sympathie envers la marque, done e’est 
un bon point pour son image. 

Elle attire egalement de nouveaux clients par son cadeau : le produit en lui meme n’a pas 
d’interet pour le consommateur, mais le cadeau peut par contre l’attirer (par le fait qu’il soit 
un cadeau, mais aussi pour ses qualites propres). Un enfant par exemple sera mille fois plus 
motive par la figurine de son heros prefere offerte dans les cereales que les cereales en elles- 
memes, quelle que soit leur teneur en chocolat. 

On aime tous les cadeaux : en recevoir n’engage apparemment en rien, e’est toujours 
agreable de manger un bout de crepe bien chaude en faisant ses courses, e’est toujours appre- 
ciable de faire une economie surtout quand on avait prevu de payer plus cher. 

Alors, que du bon ? 

Au-dela du soin de son image, la marque exploite une regie enfouie en nous, s’exprimant 
de facon inconsciente la plupart du temps : la regie de reciprocite. Cette regie pourrait se re- 
sumer ainsi : si quelqu’un m’offre un service, je lui rendrais le service, de facon reciproque. 
Si quelqu’un me fait une concession (baisser un prix tres excessif), j’en ferais une egalement 
(j’accepterais de payer un peu plus cher que ce que j’avais prevu initialement, mais moins que 
la premiere offre excessive). Si on m’offre un morceau de fromage, j’acheterais sans doute ce 
fromage-la plutot qu’un autre. 

Cette regie implicite guidant nos comportements n’est pas un defaut ou une faille, elle 
est au contraire tres importante dans nos vies. Sans cette regie, l’humanite n’aurait jamais pu 
s’entraider, faire de grands projets ensemble ou tout simplement evoluer et regler des conflits. 
C’est cette regie qui est a la base du travail honnete « je te donne un salaire contre tel travail » 
et le travail et le salaire sont en adequation. Cette regie de reciprocite permet de trouver des 
accords, d’oeuvrer ensemble et que chacun puisse y trouver des avantages egaux ou partager 
ensemble, de facon equivalente certaines penibilites inevitables a certains ouvrages. Meme si 
les deux parties sont en disaccord, grace a la regie de reciprocite et son suivi honnete, les ne- 
gociations et discussions peuvent pennettre de trouver l’equilibre qui permettra de travailler/ 


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faire affaire avec des personnes pour lesquelles on n’avait pas d’affinites ou qui etaient totale- 
ment differentes de nous. 

La regie de reciprocite est done un des fondements de notre vie en societe : 

« Une chose est sure, les societes humaines acquierent un grand avantage sur 
leurs concurrentes du fait de la regie de reciprocite, et c’est pourquoi elles ap- 
prennent a leurs membres a s’y plier sans la remettre en cause. Chacun de nous 
a integre la regie et connait les sanctions sociales qui frappent les contrevenants. 

Les tennes utilises a leur encontre sont charges de connotations pejoratives : 
on les appelle ingrats, profiteurs, resquilleurs. Comine ceux qui prennent sans 
s’efforcer de donner en retour encourent la reprobation generale, nous sornmes 
prets a tout pour eviter d’etre comptes dans leur nombre. C’est la que nous nous 
laissons prendre au piege par des individus qui cherchent a profiter de notre 
sentiment d’ obligation » 

Influence et manipulation, Robert Cialdini 

Ne pas suivre la regie et juste prendre sans donner en retour nous etiquette immediatement 
de profiteur, de parasite. Done face a un cadeau/une offre reguc/un service offert, nous nous 
sentons « oblige ». On se sent oblige de rendre la pareille a cause de la regie de reciprocite, 
mais aussi du regard des autres nous culpabilisant, nous jugeant si nous ne faisions qu’accepter 
l’offrande. C’est une veritable pression sociale, qui plus est, puissante : cela explique notam- 
ment pourquoi les chomeurs, les beneficiaires du RSA sont consideres comine des parasites par 
certains travailleurs. Du fait de 1’ integration, du suivi de la regie de reciprocite par le travail- 
leur (j’obtiens de l’argent contre un travail), le travailleur-critiqueur pense que les chomeurs 
sont des profiteurs, car ils regoivent de l’argent, mais sans travailler. Cependant cette vision 
generaliste, encouragee par certains homines politiques, est gravement lacunaire en plus d’etre 
insultante : certes, les chomeurs n’ont pas de travail sous contrat, quantifiable, mais beaucoup 
d’entre eux rendent a la societe le peu d’argent qu’ils regoivent. Par du benevolat, par le soin 
porte a leur famille ou ami, par leurs actions, par la fagon dont ils reconstruisent leur vie sans 
y mettre la consommation au centre de tout, etc. Le jugement « parasite » occulte en plus le 
contexte de chomage, la crise, les difficultes propres a chacun, l’etat du monde du travail, etc. 
Nous reviendrons sur ces faits tres largement dans notre partie travail. 

La regie de reciprocite est, de plus, tres largement exploitee de fagon malhonnete, soit pour 
acquerir plus d’avantages, plus de pouvoir sur autrui en exploitant son honnetete ; soit pour 
obtenir un comportement chez une personne (un comportement d’achat, par exemple). La sit- 
uation dans laquelle la regie de reciprocite est reveillee peut done etre biaisee des le depart : 
c’est un vendeur qui fixe un prix dementiel, et qui par jeu de concession arrive a faire croire que 
l’acheteur a fait une bonne affaire, que la regie de reciprocite a ete respectee, car il y a eu des 
concessions, des baisses de prix successives qui ne menaient qu’au prix souhaite par le vendeur. 


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Concernant le cadeau, on pourrait se dire qu’il suffit alors de le refuser d’emblee, mais il 
suffit d’ avoir ete dans cette situation pour comprendre que la regie de reciprocity, si profonde- 
ment ancree en nous, nous donne d’enormes difficultes a refuser un cadeau : 

Un homme d’affaires se hate vers la sortie d’un aeroport quand soudain un 
queteur de Krishna (une secte) lui coupe la route et lui tend une fleur : 

« l’homme pris par surprise, la saisit. Presque aussitot, il veut la rendre, 
declare qu’il n’en veut pas. Le queteur repond que c’est un cadeau de l’associa- 
tion pour la conscience de Krishna, qu’il faut l’accepter, mais que, cependant, 
un don pour les bonnes oeuvres de l’association serait un geste apprecie. La 
victime pro teste de nouveau : « je ne veux pas de cette fleur, reprenez-la » le 
queteur refuse a nouveau : « c’est un cadeau pour vous, monsieur » L’homme 
d’affaires est en proie a un conflit qui commence a apparaitre sur son visage. 

Doit-il garder la fleur et s’en aller sans rien donner en retour, ou doit-il ceder a 
la pression de la regie si profondement ancree en lui et donner quelque chose ? 

C’est maintenant sa posture qui revele son conflit interieur. Il s’ecarte de son 
interlocuteur, semble decide a s’enfuir, puis se rapproche a nouveau, pousse par 
la force de la regie. Son corps s’incline en arriere une derniere fois, mais rien a 
faire ; il ne peut pas s’echapper. Avec une grimace de resignation, il fouille dans 
sa poche et en extrait un dollar ou deux, qui sont gracieusement acceptes. Il 
peut maintenant partir librement, ce qu’il fait, son « cadeau » a la main, jusqu'a 
ce qu’il rencontre une poubelle - ou il jette la fleur. » 

Apres observation des adeptes de la secte, il s’avere qu’il leur suffit d’aller 
fouiller dans les poubelles aux alentours pour se reapprovisionner en fleurs, 
pour la bonne majorite jetee apres des dons du meme genre que cet homme 
d’affaires. 

Influence et manipulation, Robert Cialdini 

La regie, et la pression sociale associee, sont des processus si puissants qu’on prefere 
souvent accorder un avantage disproportionne a celui qui a fait le cadeau plutot que de passer 
pour un « profiteur ». Et cela en laisse un gout amer, qui s’ exprime de la meme facon que ces 
fleurs finissant a la poubelle. . . 

Cette pression sociale explique entre autres pourquoi certains salaries, meme si leurs pa- 
trons ne sont pas tyranniques et ne demandent rien de plus que ce qui est dans le contrat, vont 
etre zele au point de faire des dizaines d’heures supplementaires qui ne seront pas remunerees, 
vont s’epuiser a faire le triple du travail demande et ne jamais oser soulever le moindre pro- 
bleme dans 1’ organisation du travail (meme si ce serait dans l’interet de l’entreprise). L’em- 


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ployeur a donne un travail, un salaire en contexte de chomage et de crise, done le salarie, a la 
fois stresse par la pression sociale de la regie de reciprocite et la peur du contexte socio-econo- 
mique, va donner trois fois plus que ce que le contrat ou les ordres indiquent. 

Reprenons l’exemple de la secte de Krishna. Est-ce que le refus strict du cadeau peut per- 
mettre d’eviter l’emballement de la regie de reciprocite et tout le stress et les pertes liees a son 
suivi ? Pour repondre, retournons en terrain sectaire, ici la communaute de Jonestown fondee 
par Jim Jones. 

En 1978, il appelle ses adeptes a se suicider : 908 dont 308 enfants meurent, 
certains s’empoisonnant, d’autres etant tues. Cependant, 87 adeptes survivent 
a ce massacre, l’une d’entre elles explique ce qui l’a sauvee : a un moment ou 
elle en avait le plus besoin, Jim Jones lui a proposee son aide. Elle refuse, car 
elle etait consciente qu’en acceptant son aide elle lui serait redevable et tombe- 
rait en son pouvoir. Done, au moment de l’appel au suicide, elle a eu la force 
de prendre la fuite, aidee par le « non » qu’elle lui avait deja donne. Coniine 
elle n’ avait pas a lui etre redevable, elle a pu ne pas lui obeir. C’est en fait un 
processus de regie de reciprocite, mais inverse : je n ’accepte pas ton offre, done 
je n ’ai pas a t ’obeir. 

Influence et manipulation, Robert Cialdini 

Done le fait d’avoir une dette, e'est-a-dire d’avoir accepte une offre et qu’on ne puisse 
pas l’effacer en rendant un service en retour, nous prive de notre liberte, nous lie a celui qui a 
offert le service et surtout le met dans une position dominante. Car il pourra se permettre de 
demander des requetes excessives, telles que l’empoisonnement dans le cas de la communaute 
de Jonestown. 

L’ exploitation de la regie de reciprocite est done bien moins innocente qu’elle n’y parait : il 
est bien question de relation de pouvoir entre celui qui offre (le dominant), car il rend redevable 
celui qui recoil et le receveur ayant done le devoir d’etre reconnaissant, de rendre la pareille 
pour etre libere. 

En plus, le cadeau ou l’offre est parfois impose (la fleur de Krishna) ou mensonger (un 
einploi qui se revele totalement contraire a la presentation qui en a ete faite). 

Plusieurs techniques de manipulation exploitent la regie de reciprocite et la couple avec 
des strategies d’ engagements masques, en resultent d’importants changements de comporte- 
ment de la personne ciblee : c’est le pied dans la porte, la porte dans le nez, le sequemjage des 
demandes... Nous les detaillerons toutes dans notre partie vendeur. 

Pour conclure, nous dirons que dans la situation commerciale, les consequences sont peu 
dramatiques : on se retrouve generalement a acheter des produits que l’on n’aurait pas ache- 
tes sans cadeau ; on s’ attache au pire a une marque, a un pourvoyeur de services par le biais 


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de cette regie. Cependant, il est important de s’eveiller lorsque Ton est pris dans une situation 
basee sur cette regie, de prendre conscience du processus en nous, des offres en face. Car, dans 
d’autres contextes, cela peut virer au drame et la premiere victime, c’est nous. On en reparlera 
tres largement dans la section travail, car evidemment, tout travail fonctionne sur la base de 
cette regie, mais elle est tres souvent corrompue. 

Ce qu ’ on retient de la loi de reciprocity : 

— La loi de reciprocite est profondement ancree en nous et guide nos relations sociales. 

— La loi de reciprocite consiste a donner en retour lorsqu’on recoil, et s’applique a toutes 
sortes d’echanges : que ce soit le travail contre un salaire, une concession contre une concession 
dans une negociation, un cadeau contre une invitation dans le cadre amical ou familier ; un ser- 
vice contre un autre, etc. Sans se l’exprimer clairement, on sait qu’on doit rendre d’une maniere 
ou d’une autre ce que l’on nous a donne ou accorde. 

— Quand on recoil une faveur/un cadeau/un service, on a done, a cause de la loi de reci- 
procite, une dette. Cette dette est insupportable, car elle nous met en position de « profiteur » et 
plus ou moins consciemment, nous nous savons a la merci de celui qui nous a aide gratuitement. 

— Celui qui offre la faveur/le service/le cadeau peut done dominer le receveur tant que 
celui-ci n’aura pas pu rendre la pareille. 

— Cette sensation d’etre un « profiteur » est liee a une enonne pression sociale gravitant 
autour de la loi de reciprocite : celui qui ne rend pas ne joue pas le jeu et ne suit pas la regie, est 
done considere cornme un parasite, un nuisible. Ce qui explique en partie pourquoi la situation 
« d’endette », c’est-a-dire ne pas pouvoir rendre ce qu’on nous a donne, est insupportable. 

— Cornme la situation « d’endette » est insupportable, on a tendance a rendre bien plus 
qu’on nous donne, quitte a etre tres largement perdant. 

— Le manipulateur/l’exploiteur utilise done cette loi pour accroitre son pouvoir sur autrui 
ou lui extorquer ses ressources (physiques, mentales, financieres...). Pour cela il lui suffit de 
donner quelque chose a l’individu, si possible quelque chose qu’il ne pourra pas rendre a hau- 
teur : ainsi, durant toute la periode « d’endette », il sera a la merci du manipulateur/exploiteur 
qui pourra lui demander n’importe quel service et celui-la, par « endettement » l’executera 
meme si la situation lui est penible. 

— Refuser un cadeau/un service peut eviter l’alienation de cette situation « d’endette- 
ment » : toujours par loi de reciprocite, cornme on a refuse un cadeau/une faveur, on refusera 
plus facilement de se plier aux ordres de la personne. Et cela pourra sauver des vies dans cer- 
tains cas (l’exemple de Jonestown dans les pages precedentes). 


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Contrer la loi de reciprocity ? 

— Rejeter toutes les faveurs annule la possibility de beneficier d’avantages ou de conces- 
sions d’individus qui n’exploitent pas malhonnetement la regie de reciprocite. Cela peut en 
plus traumatiser autrui : 

Robert Cialdini (dans Influence et manipulation ) nous rapporte cet 
exemple : une ecole organise une visite des grands-parents dans la classe de 
leurs petits enfants. Une fillette de 10 ans est chargee d’accueillir les invites en 
leur offrant a chacun une fleur. Elle est tres here de ce role qu’elle prepare avec 
soin et hate en amont. Tout se passe comine prevu jusqu’a ce qu’un des invites 
refuse la fleur, la devisage, lui demande ce qu’elle veut en echange. La fille 
ne sait pas quoi repondre, elle est si destabilisee que T ecole lui retire sa tache 
d’accueil qu’elle n’arrive plus a accomplir. 

— L’ennemi numero un n’est pas le vendeur/l’exploiteur/ le manipulates, mais la loi de 
reciprocite elle-meme et la pression sociale associee a celle-ci. En cela, il est important de 
prendre conscience de ces moments ou Ton se sent endette, ou Ton risque de se sentir endette, 
car c’est la, et non dans la personne qui offre, qu’est le risque. 

— La loi de reciprocite devrait done s’annuler en situation commerciale : le cadeau, la 
reduction, l’essai gratuit, l’echantillon, les tests gratuits, etc. sont des strategies de vente ex- 
ploitant la loi de reciprocite, done on ne devrait pas se sentir oblige d’acheter. 

— S’il s’agit d’un contrat, done d’un lien faisant appel a la loi de reciprocite (je te donne 
un salaire, tu m’oflfes tes competences, ton temps, ton energie ; je te donne un abonnement 
telephonique, tu me le payes ), il ne devrait etre honore que s’il est honnete et reciproque, la 
malhonnetete etant par exemple un prix exorbitant pour son abonnement ou, au travail, de 
nombreuses heures non payees. Autrement dit, si le contrat initial n’a plus rien a voir avec 
la realite quotidienne, la loi de reciprocite est rompue, il n’y a done pas a la respecter. Il faut 
chercher a la retablir ou rompre definitivement le contrat. Si la loi de reciprocite etait caduque 
des la signature du contrat, que l’un etait largement plus beneficiaire que l’autre, on peut tout 
de meme trouver des astuces pour retablir une certaine reciprocite (on le verra dans le chapitre 
travail). 

— En cela, la regie de reciprocite, honnetement suivie par les parties, permet une certaine 
forme de justice, d’egalite dans les differentes activites humaines. Cependant, l’equilibre est 
difficile, parce que nous avons souvent tendance a vouloir dominer, chercher du pouvoir sur 
autrui, a maximiser les profits en notre faveur, a avoir peur, a surestimer le dominant, a nous 
aliener volontairement ou involontairement a causes des circonstances. Et, a la vision de notre 
histoire, de notre present et de nos experiences personnelles, on pourrait meme dire que la loi 


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de reelle reciprocity est plus rare que son pendant « malefique » , la relation dominant/domine. 
Done, non, il ne faut pas lutter contre la loi de reciprocity, mais au contraire lutter pour que 
cette reciprocity puisse exister. Et cela commence par ne jamais en faire plus que ce que le 
contrat stipule et ne jamais rendre au centuple ce qu’on nous a donne, mais plutot rendre un 
juste equivalent. 


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Nous sommes des animaux sociaux. Au fil des epoques nous avons evolues et nous nous 
sommes construits ensemble, c’est ce qui fait notamment notre force : nous sommes inter- 
dependants, nous avons besoin de l’autre comrne l’autre a besoin de nous. Nous avons done 
appris a nous tier au jugement d’autrui : que ce soit le conseil de l’expert, l’injonction de l’au- 
torite ou la proposition du groupe d’amis, leurs avis deviennent des guides de conduites, leur 
comportement des preuves sociales. 

Coniine nous ne pouvons pas tout savoir d’une situation, d’un objet, d’un comportement a 
avoir, que nous ne pouvons pas objectivement tout juger correctement, on se fie a ce que nous 
raconte l’environnement humain. 

Prenons l’exemple du restaurant : on est en voyage, dans une rue que l’on ne connait pas, 
entoure de personnes dont on ne connait pas la langue, sans acces wi-fi. On n’a done aucun 
moyen d’obtenir une information pertinente et objective pour choisir notre restaurant. Done 
on se fiera aux signes de la popularity du restaurant pour le choisir. S’il est desert a l’heure 
du repas, on peut raisonnablement penser que les habitants locaux ont prefere d’autres lieux 
pour se sustenter. Done on cherchera une preuve sociale, c'est-a-dire une terrasse emplie de 
clients. C’est pourquoi les restaurants font toujours en sorte de placer leurs premiers clients 
a des endroits ou on les voit a l’exterieur, afin de prouver leur popularity aux passants dans 
1’ incertitude. 

C’est notre tendance a faire confiance au comportement de la foule qu’exploitent les ma- 
gasins en creant des files d’attente artificielles (comine le fait Abercrombie and Fitch, par 
exemple) : il s’agit de nous prouver que le lieu a une grande popularity, que la foule est prete 
a attendre pour y acceder. 

Les vendeurs font egalement appel a la preuve sociale dans leur argumentaire « c’est notre 
meilleure vente », « j’en ai moi-meme un chez moi et j’en suis satisfait », « on les a tous ven- 
dus la semaine demiere » (avec effet de rarete). 

Mais on peut inciter a se referer aux preuves sociales sans que personne ne soit physique- 
ment present : « 100 % des clients satisfaits », « elu produit de l’annee », « n° 1 du hit-parade » 
« 80 % d’efificacite selon notre panel », « meilleure vente de l’annee », etc. 

Les etiquettes-preuves-sociales sont tres nombreuses, sans compter les labels qui sont en 
plus des arguments d’autorite pour peu qu’on arrive a les distinguer des faux labels. 


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Ces preuves sociales sont-elles pour autant gage de qualite ? Apres tout, si tout le monde 
choisit tel produit, si tout le monde s’entiche de telle musique, de tel livre, c’est qu’il y a une 
raison, sans doute liee a la qualite ? 

Matthew Salganik (2006) a realise un sondage sur Internet sur 14 000 per- 
sonnes. Sur ce site, il y avait des morceaux de musique telechargeables non 
commercialises qui s’equivalaient tous en terme de qualite. Les intemautes de- 
vaient creer un hit-parade en classant leurs morceaux preferes. II y avait deux 
conditions a cette experience : soit l’intemaute faisait son choix en voyant le 
hit-parade, soit ce classement lui etait cache. Quand il voyait le hit-parade, une 
chanson a pris la tete du classement en quelques heures. Cette chanson etait- 
elle la meilleure ? Quand les intemautes ne voyaient pas le hit-parade, aucune 
chanson ne s’est detachee, les votes etaient eparpilles. La chanson n’etait pas 
meilleure, les intemautes se sont juste auto-influences les uns aux autres, le 
hit-parade faisant office de preuve sociale que cette chanson etait meilleure que 
les autres. On a done la, avec cette experience, un produit dit le meilleur alors 
qu’il n’en est rien. Ce « numero un » est un pur effet social, sans aucun critere 
objectif qui soit. 22 

Un emballement autour d’un produit peut done etre totalement artificiel et simplement du 
au fait que la majorite dit l’aimer, or elle le prefere aussi parce que les autres la preferent. 
Chacun influence 1’ autre, tous s’emballent et 1’ emballement entraine son propre emballement. 
Autrement dit la foule attire la foule, qu’importe si l’objet de son attention est arbitraire, du au 
hasard. La presence de la foule autour de l’objet justifie - a tort parfois- la qualite de l’objet. 

On imagine alors comme il est facile de manipuler un emballement autour d’un produit, 
d’un sujet, d’une opinion : il suffit de montrer que tout le monde s’y interesse (meme si c’est 
faux) et tout le monde s’y interessera. Par exemple, sur un stand, le vendeur demandera a 
quelques amis de venir faire semblant de regarder les objets qu’il y a a vendre pour les future 
vrais clients. 

Si dans la situation commerciale classique, cela n’entraine que des achats que Ton peut 
regretter, car inutiles ou insatisfaisants ; lorsqu’il s’agit de « produits » culturels, c’est deja plus 
grave. A ne choisir que ce que les autres ont deja choisi, on se formate au groupe suivi, on plie 
son cerveau aux gouts des autres et non les siens. On s’empeche la decouverte, on se soumet a 
des diktats parfois tres nauseabonds, on s’oublie dans les gouts de 1’ autre, on abandonne fina- 
lement son esprit. 

Mais revenons aux origines de la preuve sociale d’un produit culturel, avant qu’elle soit 
etablie pour tous : le livre, la musique, le film sortent ; les medias critiquent, encensent ou 
descendent le produit, en cela ils sont les premiers prescripteurs de gout, les premiers guides 

22 Vous pouvez voir le detail des resultats ici : http://www.filosofitis.com.ar/archivos/exDenmentalmarket.Ddf 


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sociaux, posant les normes de la qualite, du detestable ou de l’exceptionnel. Ajoutez a cela les 
campagnes publicitaires (parfois entremelees aux medias), le budget plus ou moins important 
alloue a celles-ci, et vous aurez les deux domaines premiers de l’influence sociale au sujet d’un 
produit culturel : le client ne peut pas juger un film avant sa sortie, il n’a que les medias pour 
source d’informations, done il ne peut que se baser sur eux. 

Les medias et la publicity sont done les premiers piliers de l’influence sociale au sujet d’un 
produit, l’effet d’emballement de la preuve sociale, tel decrit dans l’experience precedente se 
fera ensuite de lui-meme : 

1. le media encense un film ; conjointement la production lance une grande campagne de 
publicity pleine d’evenements attrayants, 

2. les spectateurs viennent en masse, 

3. [effet de preuve sociale] comme les spectateurs sont venus en masse, d’autres suivent 
encore et encore. 

Qu’importe la qualite, l’innovation, l’interet intrinseque du produit, ce qui importe avant 
tout, c’est l’influence sociale generee autour de l’objet. Dans notre point 2. et 3. ce qui importe 
c’est l’influence sociale autour de l’objet, que ce soit le battage mediatique ou les personnes qui 
nous parlent de ce film. C’est ainsi que de veritables navets, des feuilles de chou bien pauvres 
et autres produits culturels tres mediocres arrivent parfois a devenir de veritables succes. Car ce 
n’est pas la qualite intrinseque du produit qui fera sa popularity, mais l’influence sociale autour 
de lui, la hauteur de l’echo humain autour de lui. 

Mais au-dela des consequences culturelles sur la societe, c'est-a-dire le formatage des indi- 
vidus, le recours inconscient a la preuve sociale peut permettre a un meurtre de se derouler en 
toute tranquillite : 

Nous sommes en 1964 a New York. Catherine Genovese se fait tuer en 
pleine rue a coup de couteau. Le meurtre est lent (30 minutes), bruyant et pu- 
blic : environ 12 voisins auraient assiste au meurtre. Aucun d’entre eux ne pre- 
vient la police, elle a ete poignardee dans 1’ impassibility generate. Un seul aurait 
somme l’agresseur d’arreter. Comme les voisins se voyaient ne rien faire, ils 
ne faisaient rien eux aussi. La passivite etait la preuve sociale de la situation, ce 
qu’il semblait convenable de faire. Done aucun d’entre eux n’a rien fait, croyant 
sans doute que les autres voisins avaient appele la police. Mais ils devaient eux- 
memes penser cela des autres et tous se maintenaient done dans la passivite, par 
effet d’ influence sociale. 23 

Les psychologues ont beaucoup teste cette influence tres negative du groupe dans des si- 

23 Nous avons mis certains points au conditionnel, car l’histoire a tant ete repetee qu’elle est devenue une vraie legende, 
avec toutes les deformations que cela suppose. Certains parlent de 38 temoins et d’aucun intervenant, mais il en serait differem- 
ment : httn://www.scienceshumaines.com/au-est-il-vraiment-amve-a-kittv-eenovese fr 21795.html 


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tuations dramatiques. On en vient a la conclusion que, quitte a avoir un accident ou se faire 
agresser, mieux vaut qu’il se deroule devant un seul un temoin que plusieurs dizaines : 

Darley et Latane (1968), suite au meurtre de Catherine Genovese, ont mis 
en place une experience afin de saisir cette influence sociale poussant a la pas- 
sivite pourtant en situation d’urgence. Ils ont done invente une situation de dis- 
cussion en groupe, mais chacun etait dans une cabine separe de l’autre et ils 
communiquaient par interphone. Au cours de la discussion, un participant (en 
fait une voix enregistree d’un compere) simule une grave crise d’epilepsie. Du- 
rant cette crise, les participants ne pouvaient plus communiquer entre eux. Le 
sujet (en fait seul) allait-il prevenir l’equipe, allait-il faire quelque chose pour 
aider cet epileptique ? 

Quand le sujet est seul, qu’on retire toute idee de participant et qu’il est en 
simple discussion par interphone avec le futur epileptique, il intervient a 85 % ; 

S’il y a un autre participant, il intervient a 62 % ; s’il pense qu’il y a quatre 
autres participants, il intervient seulement a 31 %... 

Nous parlions precedemment de l’influence des medias sur nos comportements, populari- 
sant certaines oeuvres, creant les conditions necessaires a l’effet de preuve sociale. Cependant 
cette influence est egalement tres importante quand il s’agit de fait divers : 

A la parution du livre « les souffrances du jeune Werther » de Johann Von 
Goethe, en 1774 on assiste a un phenomene inquietant : les jeunes imitent le 
heros, d’abord par son habillement, puis par son suicide. Les vagues de sui- 
cides sont tellement importantes que l’eglise reclame 1’ interdiction du livre, 
interdiction qui sera mise en oeuvre. Ces faits resteront dans les memoires et 
on parlera d’efifet Werther. David Phillips etudia cet efifet entre 1947 et 1968, 
notamment sur la mediatisation des suicides par les joumaux. Chaque suicide 
mediatise entrainait en moyenne 58 suicides dans les jours suivants, sans comp- 
ter une hausse des accidents (dont on postule qu’ils sont des suicides deguises). 

Mais l’influence ne s’arrete pas aux suicides : apres les championnats de boxe, 
il constate une hausse des homicides, correlee avec la couleur du perdant. Si 
c’ etait un noir qui perdait le match, le nombre de tues noir augmentait, trois ou 
quatre jours apres la nouvelle. 

Le recours a la preuve sociale, que ce soit en imitant les personnes autour de 
soi ou en se laissant influencer par ce qui a pris le devant de la scene mediatique 
peut done etre mortel, pour autrui comme pour nous. 

Influence et manipulation, Robert Cialdini 


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La preuve sociale sur Internet est terriblement presente : « nombre de vues », « popularity » 
« nombre de likes », les compteurs de visites et autres statistiques, le nombre de commentaires 
positifs, les notes attribuees aux vendeurs, aux produits, aux auteurs, aux articles... 

Evidemment, la majority de ces preuves sociales sont tres facilement manipulables et on 
peut constater l’emballement presque en direct : il suffit de « liker » un commentaire exage- 
rement et d’ autres le likeront par effet de preuve sociale. II suffit de trafiquer un compteur de 
visites sur un site (le rendre bien plus visite qu’il ne l’est) pour que les visites s’accroissent. 
Ainsi, les « vendeurs » achetent de faux commentaires positifs sur leurs offires, au point ou ca en 
est devenu presque un metier et qu’une nouvelle norme naisse : celle de prouver son vrai achat 
avec le commentaire, photo a l’appui (mais c’est evidemment manipulable aussi). 

II y a aussi des quantites de contre-preuves sociales, ou des trolls haineux viennent cracher 
sur un article, un produit ou une otfre ; ceux-ci peuvent etre des concurrents, des jaloux ou de 
vrais « haters ». Le trolling, parfois experience sociologique, se mute parfois en metier, au point 
ou l’UE embauche une armee de troll 24 pour contrer les critiques a son sujet... Done le sujet 
peut etre plus grave qu’il n’y parait : Internet est un champ de bataille d’idees, d’opinions et 
chacun lutte pour accroitre son territoire, briser le territoire des idees ennemies ou detourner 
les opinions vers d’autres territoires. Et toutes les armes sont permises, sans possibility qu’on 
puisse les interdire. La manipulation y est done aisee, pour tous les camps imaginables. Internet 
pousse done a developper un sens critique aigu et une conscience que tout peut etre detourne, 
manipule, transforme. En cela, il est un excellent terrain d’apprentissage et d’aiguisage de son 
intellect en observant les vagues d’ influence sociales et ceux qui les orientent. 


Ce qu ’on retient de Vinfluence et de la preuve sociale : 


— On a tendance a se baser sur la preuve sociale quand on est dans une situation d’ incerti- 
tude, d’ inexperience ou encore qu’on manque d’ informations sur la situation/1 ’objet/le service. 

— La preuve sociale repose sur la similarity : on a plus confiance en ceux qui nous res- 
semblent, done leurs comportements, actions ou choix ont une valeur d’exemple a suivre. 

— On est influence et on copie le comportement du plus grand nombre. 

— L’influence sociale n’est pas une tare, car c’est aussi ce qui pennet d’agir en harmonie 
vers de grands buts communs necessitant un grand nombre d’individus. 


24 httv://www.20mmutes.fr/monde/l 101 639-201 302 15-lue-finance-vat?-ouille-trolls-contrer-euroscevtiaues-reseaux- 

sociaux ; definition de troll : http://fr.wikipedia.org/wiki/Troll_%28Internet%29 


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— Nous tirons un grand plaisir a partager un interet, une opinion, un sentiment ou un gout 
cornmun avec autrui. La popularity, le nombre de personnes ajoutent un plaisir supplemental 
veritable. Un match est plus exaltant avec des centaines de supporters que trois ; le fait de boire 
un coca, une marque done populaire, ajoute un plaisir supplemental qu’on verifie a l’IRM 
dans le cerveau contrairement a des marques inconnues. 

— Ce plaisir social lie a la popularity est parfois bien plus important en lui meme que l’objet 
autour duquel il gravite : a l’aveugle, le coca ne suscitera pas ce plaisir et d’autres boissons au 
coca seront preferees ; on retrouve ce plaisir dans l’experience de Matthew Salganik (2006) 
decrite precedemment, alors que sans classement de popularity les chansons ne sont pas aimees 
plus que ca. 

— II y a une confusion entre le plaisir que l’objet ou la situation procure et le plaisir lie a 
l’influence sociale. On attribue le plaisir a l’objet (« le coca c ’est bon ») alors que le plaisir est 
dans la popularity de la marque (le cerveau indique qu’il prefere le coca, parce qu’il sait que 
c’est une marque connue et populaire) 

— S’en remettre a la preuve sociale peut pennettre de depasser des apprehensions ou des 
peurs : si on voit que tout le monde fait une activity sans peur, on aura plus confiance de la 
faire nous aussi. Les enfants, par exemple, font enormement de progres des leur entree en ma- 
temelle : ils vont parler comine les autres, oser faire des mouvements qu’ils apprehendaient de 
faire, juste parce qu’ils constatent que des enfants relativement similaires a eux prennent plaisir 
et n’ont pas peur de faire ceci ou cela. Evidemment, le bienfait de la preuve sociale depend du 
contexte : si un ado se retrouve dans un groupe ou tout le monde boit a outrance, qu’il suit le 
groupe, en effet il depasse ses apprehensions et peurs, mais ce n’est pas un bienfait... 

— Suivre continuellement les preuves sociales peut conduire a un fonnatage du systeme 
de pensees : ce fonnatage empeche le developpement de ses propres opinions, de ses propres 
interets, de ses propres avis, etc. Autrement dit, le fonnatage revient a laisser autrui posseder 
son cerveau et done, en consequence, sa vie, son deroulement et sa direction. 

— S’en remettre a la preuve sociale (et done ne pas prendre d’ initiatives personnelles) peut 
conduire a laisser un meurtre se produire, a laisser une personne souffrir. (L exemple de Kathe- 
rine Genovese explicite dans les pages precedentes) 


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— La preuve sociale peut etre totalement orchestree et n’avoir aucune verite : par des cam- 
pagnes de publicity massives, par un battage mediatique ou encore par de simples mensonges 
(trafiquer par exemple un compteur de visite sur un site web pour le faire croire populaire), le 
« vendeur » peut faire croire a un veritable evenement qui passionne la planete entiere, alors 
qu’il ne s’agira que de la mise en scene d’un emballement qui creera l’influence sociale. Au- 
trement dit, ce n’est pas un emballement social qui a cree la popularity d’un film par exemple, 
mais la mise en scene d’un emballement qui entraine 1’ emballement. 

Contrer la preuve sociale ? 

Coniine bon nombre d’automatismes que nous decrivons, lutter continuellement contre 
notre tendance a nous referer a ce que les autres font, aiment ou achetent pourrait etre negatif : 
partager un evenement social peut etre jubilatoire ; etre en harmonie avec un groupe peut faire 
progresser et construire de belles choses ; l’autre peut etre, en efifet, un bon exemple. L’ embal- 
lement autour d’un produit, d’une oeuvre peut etre totalement sincere, bienfaisant, et il peut etre 
profitable de ne pas y resister et s’y fondre egalement. 

Mais suivre la preuve sociale continuellement dans toutes les situations peut etre gravis- 
sime, pour soi comine pour autrui. 

— Dans la rue, personne n’a un visuel correct des situations ni de connaissances accrues 
de ce qui s’y deroule. On y est done toujours en situation d’ incertitude de par notre role de 
passant. Les gens y sont done relativement passifs, quelles que soient les bizarreries croisees en 
chemin : cela ne veut pas dire qu’ils en savent plus sur la situation que nous, bien au contraire. 
Le mode « passif » est simplement une copie du comportement des autres, faute de savoir quoi 
faire de mieux. Tout le monde s’ autocopie, pensant que chacun sait ce qu’il fait et au final per- 
sonne ne sait. Done, si un hornme est a terre, inanime et que tout le monde passe devant sans 
rien faire, ce n’est pas parce qu’ils savent que l’homme est un ivrogne cuvant son vin, mais 
simplement qu’ils pensent qu’un autre s’est deja charge de verifier la sante de l’homme, qu’une 
ambulance a deja du etre appelee au vu du nombre de personnes, que si personne ne fait rien, 
c’est qu’il n’y a rien a faire. Mais l’homme vient peut-etre de faire une attaque et il est fort pro- 
bable que personne n’ait cherche a l’aider a cause de la preuve sociale « passivite » en vigueur 
dans les rues. Face au moindre doute concernant des situations peut-etre urgentes, ne cherchons 
pas dans l’attitude des autres une reponse et chargeons-nous du probleme : si c’etait un ivrogne 
qui se contentait de donnir, nous serions rassures ; si c’etait un veritable malaise, nous aurions 
peut-etre sauve une vie contre deux minutes de notre temps. On ne risque rien a appeler les 
secours, et s’ils ont deja ete appeles, ils le signalent. 


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— A l’inverse, si c’est vous Taccidente, n’attendez pas un soutien naturel de la population 
aux alentours. Non pas parce que les gens sont des sadiques, mais parce qu’ils sont confus 
dans ce genre de situation. II faut done cibler la premiere personne qui passe, s’adresser a elle 
uniquement et la charger de nous secourir. Par influence sociale, d’autres viendront et suivrons 
l’exemple de la personne que vous avez mandate. 

— Comine la preuve sociale agit dans des situations d’ incertitude, il faut se donner la pos- 
sibility d’etre certain de son choix et cela passe par une recherche prealable d’ informations 
credibles. Pour les produits, « que choisir », « 60 millions de consommateurs » peuvent don- 
ner de bonnes references, car les comparaisons sont exhaustives, serieuses et sur des criteres 
larges cornme le prix, la qualite, l’efficacite, l’impact sur l’environnement. Si vous avez un peu 
de patience, vous pouvez vous-meme tester les produits du quotidien, dont l’investissement 
est moindre. Evidemment, 1’ information peut etre egalement trouvee sur Internet, mais c’est 
mo ins evident qu’il n’y parait. Les vendeurs sont partout, trafiquent les avis de consomma- 
teurs, investissent les forums pour manipuler 1’ opinion, « achetent » les blogueurs pour obtenir 
leurs faveurs, usent des reseaux sociaux dont les « j’aime » n’ont plus aucune objectivity ou 
quelconque verite (il faudrait des « je n’aime pas » pour approcher d’une certaine verite). Et 
evidemment, ces trafics et manipulations « d’ opinion » sont aussi valables pour des questions 
plus importantes que des produits, des questions politiques par exemple. Done oui, Internet peut 
pennettre de trouver une vraie infonnation, mais il faut avoir un esprit critique aiguise et etre un 
bon navigateur pour la trouver. 

— En ce qui concerne les produits culturels (livre, film, serie, musique, magazine, docu- 
mentaire, BD, jeu video) rien de plus simple que de se faire un avis personnel, non influence et 
d’acheter avec justesse une oeuvre qui merite l’argent qu’on lui donne : il suffit de les consom- 
mer au prealable, avant de passer a la caisse. 

Est-ce la une ode au piratage que nous faisons la ? Oui. Les series sont la preuve evidente 
des bienfaits pour tous du piratage : Battlestar Galactica, par exemple, n’a eu aucune mediatisa- 
tion classique en France. Elle est a peine passee a la TV, personne n’en a parle. Pas de campagne 
de marketing chez nous. Et pourtant, grace au piratage, la serie a connu un succes incroyable 
hors de son pays d’origine, les ventes DVD/Bluray ont largement depasse les attentes. Grace au 
piratage, les Francais (et d’autres) ont decouvert une serie de qualite qu’ils ont aimee pour sa 
qualite intrinseque, done non manipulee, creant un emballement reel lie a ce qu’est vraiment la 
serie, et ils ont recompense les auteurs par 1’ achat. Il en est de meme pour Game of Thrones, les 
producteurs se disent meme honores d’etre autant pirate, car ils Font bien compris : etre appre- 
cie et connaitre un succes par le biais du piratage est une preuve d’un reel interet, pour le fond 
de l’objet, pour ses qualites intrinseques et non un diet artificiel du marketing. 


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Pouvoir echanger gratuitement a travers le monde la culture est une chance inoui'e, il est idiot 
et inutile de vouloir eviter cela. Cela n’empeche pas les pirates d’acheter, et bien au contraire, 
sans Internet et ses possibilites, il n’y aurait pas eu ce genre de vente internationale. 

Pirater permet done de choisir vraiment et de recompenser par la suite les oeuvres qui en 
valent la peine : le navet qu’on y a telecharge parce que tout le monde en parle ne sera jamais 
paye, car mediocre ; le bijou cinematographique qu’on a telecharge par hasard ou curiosite sera 
achete, vante aupres de ses amis (preuve sociale par le has, en toute sincerity pour les qualites 
intrinseques du produit). Ainsi, le piratage, contrairement a la consommation « a l’aveugle », 
pousse les createurs a se surpasser, a creer de vraies bonnes oeuvres interessantes et complexes. 
C’est presque a se demander si les series, si piratees, ne sont pas devenues de plus en plus in- 
teressantes au fil des annees grace a ce nouveau processus de selection lie au piratage... Cepen- 
dant, l’effet de preuve sociale est toujours la : il y a des hit-parades de piratage, des amis qui 
vous poussent a connaitre telle ou telle serie, des blogueurs et autres influenceurs qui vantent 
certaines oeuvres piratables ; mais c’est sans consequence, car vous n’acheterez plus que les 
oeuvres qui le meritent vraiment. 

<®COMMERCIAL /LE VENDEUR/OPERATION SEDUC- 
TION : APPARENCE 

On prefere la beaute a la non-beaute ou la laideur. Ce constat est on ne peut plus simple 
et meme si les criteres de beaute changent selon les epoques, les cultures, les generations, le 
concept de beaute en vigueur sera toujours un facteur d’ influence important. 

Coniine nous avons des centaines d’ informations a traiter a chaque instant, notre cerveau 
concoit des programmes automatiques pour juger rapidement une personne. Ainsi quelqu’un 
considere comine beau sera instantanement juge comine plus intelligent, plus ambitieux, plus 
chaleureux, plus equilibre, moins agressif que ses confreres non-beau. Ce biais de jugement est 
affreusement discriminant, reniant toute qualite ou competence aux non-beaux ; comine tout 
jugement automatique, il est souvent inconscient et le lien beaute et qualite attribute ne sera pas 
fait a la conscience, on n’en gardera que la bonne impression faite par l’individu beau, alors que 
c’est parce qu’il est beau qu’il a fait bonne impression. Ce programme automatique simpliste 
est sans doute issu de nos restes primitifs : en effet, bon nombre d’animaux se parent de plumes, 
de couleurs, rivalisent par leur "esthetisme" afin d’attirer leurs partenaires. L’ animal beau se 
distingue et se fait choisir contre le moins beau. L’humain a evolue, mais il a garde ce biais, 
accolant a la beaute des qualites complexes qui n’ont pourtant rien a voir avec nos « plumages » 
(comine 1’ intelligence, le serieux, le leadership). Nous utilisons egalement ce biais dans des in- 
teractions qui n’ont rien a voir avec une future reproduction (comine un entretien d’embauche). 
Il y a, avec ce biais, comine une superposition impossible entre le raisonnement d’un paon et 
celui d’un humain, ce qui evidemment donne des resultats totalement incongrus. 


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Ce jugement automatise est evidemment exploite a foison dans notre societe, par les com- 
merces et les medias, au point d’avoir hisse la beaute photoshopee en nonne obligatoire a 
suivre, mais concretement impossible a atteindre. Paradoxe. L’ exploitation a outrance d’un 
biais, de la logique du paon en nous, aura change les normes de la societe... Serait-ce la un 
formatage involontaire de la population, au profit du benefice de quelques entreprises ? 

Laissons la question precedente en suspens et reprenons notre operation seduction du ven- 
deur. Nous parlons de beaute, de beaute si exploitee qu’elle en a formate tous les individus de 
notre societe, mais est-ce qu’elle a vraiment tant d’influence sur nos comportements ? 

Deshield (1996) L’ experience presente des publicites similaires a des sujets, 
excepte une difference : le presentateur est seduisant dans certaines presenta- 
tions ou il est peu attractif physiquement dans d’autres. Le seduisant sera juge 
plus credible et les sujets etaient plus tentes d’acheter ses produits. Done, non 
seulement le « beau » est mieux juge, mais ce jugement se transfere symbolique- 
ment au produit qu’il presente. 

Reingen et Kernan (1993) L’ experience se deroule lors d’une collecte de 
dons pour une association de lutte contre les maladies cardio-vasculaires. Les 
comperes, jouant le role de queteurs de dons, etaient soit tres attrayants physi- 
quement, soit peu attrayants. Le taux moyen du nombre de donateurs pour les 
moins attrayants etaient de 23 % contre 43 % pour les « beaux » . 

Gueguen, Jacob, Legoherel (2003). Via mail, on demande a des etu- 
diants-sujets de remplir un questionnaire. Celui-ci est accompagne d’une photo 
qui est soit celle d’une personne au physique attrayant soit celle d’une personne 
au physique peu attrayant. Certaines demandes de questionnaire n’etaient pas 
accompagnees de photos. Les resultats sont sans equivoque : les beaux arrivent, 
par leur simple photo, a faire remplir le questionnaire pour 22 % des etudiants 
contactes ; l’absence de photo a 7,5 % ; et la personne au physique peu attrayant 
agit apparemment coniine repoussoir, avec seulement un score de 3,3 %. 

La reponse est done oui, nous sornmes tres largement influences par la beaute. Cette in- 
fluence reste anodine lorsqu’elle se contente d’avoir pour resultat un plus gros pourboire pour le 
beau serveur. C’est une influence sans gravite qui finalement fait plaisir a tout le monde. C’est 
par contre gravissime quand un recruteur use de ce jugement automatique, se laisse influencer 
par cette logique de paon (tant pour les non-recrutes que pour l’entreprise et ses profits). Mal- 
heureusement, c’est bien souvent le cas et la societe accroit la puissance de ce biais primitif en 
hissant la beaute comnie prerequis a la reussite, ramenant finalement l’humain a un clone du 
paon, dont seules les belles plumes sont importantes. 


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Mais la beaute suscite aussi le desir de plaire chez celui qui y fait face. Ce besoin de plaire a 
autrui se joue egalement face a n’importe qui, il est present dans presque toutes les interactions 
humaines. Nous sornmes des etres sociaux, notre survie a travers les ages est en partie due a 
notre sociability, notre capacity a vivre ensemble. Le besoin de plaire a autrui est done encode 
au plus profond de nous, car beaucoup de choses dependent de nos bonnes relations avec autrui. 
II est tres difficile de ne pas prendre en compte les possibilites de jugement de l’autre. C’est 
presque aller contre nos instincts humains de survie sociale, done de survie tout court. 

Ce besoin de plaire est largement exploite par le manipulates et pour cela, rien de plus 
simple : il faut qu’il se fasse seduisant, sympathique, enviable ou de « statut superieur » . Les 
loups font beaucoup d’ efforts pour plaire a leur chef de meute, e'est-a-dire qu’ils obeiront ou 
subiront ses attaques sans broncher. Et a 1’ inverse, ils domineront les loups inferieurs, passant 
leurs nerfs sur eux et ne cherchant pas a leur plaire. Dans ce besoin de plaire, il y a encore 
quelque chose de tribal, ramenant a des questions de domination et de soumission. 

Cependant, l’humain sait aussi collaborer sans qu’il y ait de domination/soumission type 
meute de loups, mais un rapport equivalent entre les profits de chacun. Cette collaboration, dont 
nous avons parle, est la loi de reciprocity. 

Ce « statut superieur » qui suscite notre desir de plaire ou du moins de ne pas deplaire, peut 
avoir une certaine realite : on pense aux medecins, aux professeurs, aux pompiers, policiers, etc. 
De par leurs connaissances, leur experience, leurs possibilites d’ action, leur fonction et role, 
ils sont des autorites a laquelle on a tout a gagner de se soumettre, dans une certaine mesure et 
avec discemement. Il est bon d’ecouter leurs consignes pour notre sante, notre developpement, 
notre security et celle des autres. Cependant, ils n’en sont pas des « etres superieurs » et nous 
des etres inferieurs : le statut est une indication d’un domaine de competence, d’ autorite sur 
une petite partie de la vie, le statut n’est pas un jugement de la valeur de notre etre. En cela, un 
cadre n’est pas superieur a un eboueur, un docteur n’est pas inferieur a un ministre, un president 
n’a rien de superieur a un ouvrier : ils ont des domaines d’expertises, d’activites, d’autorites 
differents, incomparables, non hierarchisables. Ne confondons pas la fonction avec quoique ce 
soit d’autre. On aura l’occasion de largement revenir sur cette confusion tenace dans le chapitre 
travail. 

De plus, le statut « superieur » peut etre faux, et il est tres simple de faire croire a une supe- 
riority quelconque et exploiter notre confusion : par l’habillement et les accessoires. Quand on 
a peu d’infonnations sur un environnement, un contexte ou une personne, on se fie aux seules 
donnees a portee des sens, e'est-a-dire l’apparence. 

Les vetements et accessoires sont porteurs de symboles d’ autorite, de « superiority » : ainsi 
la blouse dans 1’ experience de Milgram fera le chercheur, done 1’ autorite a laquelle se sou- 
mettre. Mais dans l’experience, d’autres informations renforcent la nature de cette autorite, 
comme le prestige du lieu (!’ university), le materiel de l’experience... 


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Hors contexte, le costume, l’habillement ont-ils autant de pouvoir ? Est-ce que la simple 
tenue d’une personne peut nous amener a nous soumettre ? 

Bushman (1984) l’experience a de quoi faire rire : elle se passe en pleine 
rue, pres d’un parcmetre. Un compere fait semblant de ne pas reussir a trouver la 
monnaie necessaire pour se garer. Un autre compere, deguise en pompier, inter- 
pelle les passants et leur ordonne de donner la monnaie manquante au compere 
devant le parcmetre. Afin de voir l’efifet de l’unifonne, l’experience est renou- 
velee a l’identique, mais le compere interpellant les passants est deguise les fois 
suivantes en mendiant ou en cadre. 

44 % se soumettront a la demande de celui habille en mendiant 

50 % se soumettront a la demande de celui habille en cadre 

82 % se soumettront a la demande de celui habille en pompier 

Cette soumission incongrue a l’unifonne de pompier se fait en moins de 30 
secondes (contre plus d’une minute pour le mendiant). 

Les gens s’y soumettent instantanement, sans reflechir un seul instant : au- 
torite = obeir, il n’y pas d’autres instances entre la perception du costume, la 
requete et l’action d’obeir. La reaction au costume est automatique, il n’y pas de 
temps de reflexion quand le deguisement porte en lui des symboles d’autorite. 

Ce genre d’experience prouve egalement a quel point l’experience de Milgram peut amener 
a se soumettre totalement meme a des injonctions amorales. Le symbole de 1’ autorite est telle- 
ment puissant, que seul le costume peut suffire a generer l’obeissance, meme si la situation est 
completement incongrue. 

Gueguen et Pascual (sous-presse) l’experience se deroule dans une bou- 
langerie. Le compere devait ache ter un croissant, puis au moment de payer il se 
rendait compte qu’il lui manquait 8 centimes. Soit il disait alors tres poliment 
et avec un large sourire « Je suis confus, mais il me manque 8 centimes. Pour- 
riez-vous m’en faire grace s’il vous plait ? » ou soit il etait impoli « Oh merde, 
il me manque 8 centimes. Vous me le filez quand meme ? ». Ce compere poli ou 
impoli etait soit habille nonnalement, soit de facon assez pauvre, soit en cadre. 

La boulangere s’avera genereuse avec tous les polis, toutes tenues confon- 
dues (93 % d’ acceptation de la requete), mais c’est dans la condition d’impoli- 
tesse que le bat blesse : 

Quand il est habille pauvrement et qu’il est impoli, les vendeurs ne cedent 
le croissant qu’a 20 %, contre 40 % en condition de statut moyen (c'est-a-dire 
habille nonnalement) et 75 % en condition de haut statut (habille en cadre). 


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Quand on parait riche, de haut statut (costard, Rolex, grosse voiture, les accessoires symbo- 
liques « du pouvoir ») les individus se soumettent aux requetes les plus malpolies et insensees, 
si injustes soit le fait de ne pas donner un croissant moins cher a un pauvre, mais a le donner a 
un riche. Et cela ne s’arrete pas a la tenue : quand un haut statut pique une place dans une file 
d’attente, il y aura moins d’agressivite vis-a-vis de lui que s’il est habille normalement 25 ; les 
grosses voitures se font moins klaxonner si elles ne passent pas au vert que les voitures has de 
gamine 26 ; pire encore, les hauts statuts sont copies dans leurs infractions : si une grosse voiture 
traverse le passage pieton a un moment inapproprie 20 % la suivront dans l’infraction contre 
1 % si la voiture est de has statut 27 . 

L’apparence est done reine de nos comportements de soumission. On se fait avoir par les 
symboles du chic, du luxueux, des hauts statuts. On leur cede tout, alors qu’ils ont deja tout (en 
tout cas, materiellement). 

Cela s’explique conjointement par la peur de deplaire, par la crainte du pouvoir que pourrait 
avoir ce haut statut, par la peur de l’autorite, par le fait que le haut statut represente l’exemple 
(de par les responsabilites qu’on lui imagine), done qu’on peut le suivre dans ses comporte- 
ments. Nous ne faisons pas ca avec une soumission vecue agreablement ou extatique. C’est, 
pour la plupart d’entre nous, particulierement desagreable de se voir obeir de facon inappro- 
priee dans des contextes ou nous n’avions pas a obeir. Mais nous le faisons, contre notre gre, 
comine les sujets de Milgram poussant les manettes en pleurant, parce que nous sornmes condi- 
tionnes a obeir, parce que nous avons peur et que nous n’arrivons pas a dire « non » a temps. 

Evidemment, notre soumission automatique aux symboles de l’autorite est exploitee : ainsi 
les vendeurs sont mis en costard pour accroitre leur autorite dans le magasin, car quelqu’un 
qui paraitra avoir un statut superieur paraitra plus competent, plus expert et on se soumettra 
inconsciemment au message de son costume qui nous dit « obeis, j’en sais plus que toi sur la 
situation, j’ai une meilleure vision que toi ». Notons que les videurs, les vigiles sont toujours 
particulierement bien appretes, costard cravate, meme dans des lieux aussi peu prestigieux 
que Flunch ou McDonald’s : il s’agit la de representer l’autorite qui fait peur, l’autorite qu’on 
craint. Et inversement, pour les clients craintifs de leur securite, il s’agit la de dire, par le biais 
du costume « n’ayez crainte, l’autorite veille et vous protege ». 

Alors pourquoi certains employes sont, au contraire, tres mal habilles par leur entreprise, 
voire que certaines tenues imposees frisent le ridicule ? Prenons l’exemple des immondes 
blouses couleur lavande des agents d’entretien. Infonnes, mal taillees, laides et souvent tag- 
guees de l’enorme logo de l’entreprise, elles ont pour efifet de ne pas avoir envie d’y laisser 
son regard. Si le costard est synonyme pour l’inconscient de l’autorite, du statut superieur ; la 
tenue laide est quant a elle synonyme du statut inferieur et de la subordination. La tenue laide 
sert done a marquer l’inferiorite et par la meme elle rehausse toute personne qui sera mieux 
habillee, e'est-a-dire les clients, mais aussi les autres employes non affectes au menage. On en 
reparlera au chapitre travail. 

25 Harris (1974) 

26 Doob et Gross (1968) 

27 Lefkowitz, Blake et Mouton (1955) 


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Ce qu ’on retient des effets de Vapparence : 

— Meme si le dicton dit le contraire, l’habit fait le moine. Nous jugeons automatiquement 
la personne selon son apparence et nous en deduisons son statut social ou ses qualites et defauts. 

— Nous attribuons a la beaute toutes sortes de qualites qui ne sont pourtant pas bees a la 
beaute. 


— Par desir de plaire ou par crainte de deplaire (a une personne belle ou a quelqu’un de 
considere cornme superieur, ayant du pouvoir), nous nous plions aux demandes d’autrui, meme 
si celles-ci n’ont pas d’interets pour nous ou nous nuisent. 

— Certains vetements (blouse blanche, costume, uniformes...) sont associes a l’idee d’au- 
torite et de pouvoir, done on obeit a des personnes selon leur tenue. 

— Celui qui a la tenue ou les accessoires du pouvoir est imite dans ses pires comportements. 

— Celui qui a la tenue ou les accessoires du pouvoir peut se permettre d’etre impoli, faire 
des infractions et etre mo ins reprimands par les personnes aux alentours. 


Contrer notre interpretation automatique des apparences ? 

— Attention, les tenues de fonction sontrarement des subterfuges de scientifiques facetieux, 
il serait assez perilleux de ne pas suivre les ordres d’un pompier, d’un policier. Ils represented 
vraiment une autorite legitime. Cependant avant de reagir automatiquement, il vaut mieux 
prendre quelques secondes pour ecouter ce qui est demande et observer la situation. 

— concernant les tenues de cadre et les accessoires supposes du pouvoir ( Rolex , voiture 
luxueuse, bijoux onereux...) ils n’ont pas d’autorite legitime une fois sortie de leur contexte : si 
e’est votre directeur, au travail, on peut imaginer que son autorite ait des raisons d’etre suivie 
(quoiqu’il y ait des exceptions). Mais dans la rue, le « costarise » ne devrait pas avoir plus d’au- 
torite que le clochard, nous devrions etre tous egaux, done on ne devrait pas manquer de respect 
ni au clochard ni au costard. Cependant, beaucoup repliqueront que s’ils repondent aux ordres 
des costards, e’est parce qu’ils ont peur de leurs reactions excessives, de leur agressivite, de 
leur conditionnement a etre dominant et done irrespectueux envers les autres. En ce cas il faut 
resister, et cela commence par calmer ses apprehensions, ses peurs, mettre de cote ses prejuges 
et se comporter de la meme maniere respectueuse, mais non soumise face a n’importe quelle 
personne, quel que soit son deguisement. Sans quoi, les « dominants » pourront se permettre 
d’etre toujours tyranniques en tout lieu. 


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— Concernant la beaute (aussi subjective soit-elle), il est evident qu’elle apporte un plus a 
nos vies : un plat sera plus appetissant s’il est bien presente ; un objet usuel sera plus apprecie 
s’il est beau ; etc. Mais ne retournons pas le raisonnement. L’esthetique est un plus, mais il n’est 
qu’indicateur que de la beaute. Les qualites, les competences ne peuvent pas etre jugees d’un 
clin d’oeil, et c’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de personnes. Que ce soit des objets ou des 
personnes, l’indicateur « beaute » doit etre strictement ramene a ce qu’il est, la beaute et sim- 
plement elle. Pour le reste, il faut investiguer. 

— Dans les situations commerciales, le desir de plaire ou de ne pas deplaire devrait etre mis 
de cote, car ce mode comportemental est un appui pour l’influence, la persuasion et la mani- 
pulation. Rappelons que le vendeur est la pour vendre, votre physique et votre personne n’ont 
aucune importance, du moins pas autant que leur mission. Pas besoin pour autant d’etre agressif 
avec la personne en face, mais le « non » respectueux ou le refus en toute gentillesse peut vous 
etre plus profitable. 

(©COMMERCIAL /LE VENDEUR/OPERATION SEDUC- 
TION : COMPORTEMENT NON VERBAL 

L’ attitude du vendeur peut avoir une incidence incroyable sur notre comportement de client, 
et cela, sans meme qu’il ait prononce une seule parole. Nous allons voir au travers de quelques 
experiences l’influence de ces petites attitudes sans pretention qui seduisent inconsciemment. 
Cependant, le comportement non verbal de notre interlocuteur n’est pas systematiquement pen- 
se et orchestre pour influencer, done n’allons pas taxer de manipulateur n’importe quel individu 
nous souriant, nous touchant ou nous regardant dans les yeux. 

■ LE SOURIRE 

Il semble evident qu’un vendeur affichant son mecontentement n’aide pas specialement a 
vous decider d’acheter ses produits. Mais quel est vraiment l’impact du sourire ? 

Le sourire est un acte social tres puissant, a fort niveau de reciprocity . Lorsqu’on sourit aux 
autres, la moitie des gens sourient a leur tour. Le vendeur souriant est evalue plus positivement, 
car notre humeur est affectee positivement par ce sourire. Qu’importe si le sourire est sincere ou 
non, le vendeur souriant sera considere a posteriori comrne plus familier et done l’interaction 
de vente plus efficace. 

Tidd et Lockard (1978) Dans cette experience, une serveuse dans un bar, au mo- 
ment ou elle remet la boisson au client, fait soit un sourire minimal (mouvement des 
levres, mais sans decouverte des dents), soit un large sourire (sourire avec dents large- 
ment decouvertes) a ce dernier. Les pourboires etaient ensuite calcules en fonction du 
sexe du client et de la difference de sourire de la serveuse. 


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Si en condition de sourire minimal, il n’y a pas de difference de pourboires entre 
les clients homines ou femmes (environ 4,5 dollars) ; en condition de sourire maximal, 
les homines laissent bien plus de pourboires (14 dollars) ainsi que 8,5 dollars pour les 
femmes. Done le sourire de la serveuse double ses pourboires, voire les triple s’il s’agit 
de clients masculins. 

■ LE TOUCHER 

II ne s’agit pas la d’attouchements, mais de simples effleurements sur le bras, de mainposee 
sur l’epaule, de tape dans le dos ou encore de serrages de mains. Ces gestes sont plus ou moins 
courants dans les interactions et changent en fonction des cultures. Selon les horizons, les in- 
dividus auront tendance a emailler leurs interactions de toucher la ou dans d’autres contrees le 
toucher sera totalement absent, et interprets de facon negative. 


Kleinke (1977a) Dans cette experience, une collaboratrice placait quelques pieces 
de monnaie sur les tablettes de cabines telephoniques et s’en allait. Elle attendait ensuite 
qu’une personne entre dans la cabine, empoche l’argent et ressorte apres avoir telepho- 
ne. A ce moment-la, elle abordait le sujet de l’experience en disant qu’elle avait oublie 
de l’argent dans la cabine quelques minutes auparavant. Elle lui demandait alors s’il ne 
l’avait pas trouve. Dans la moitie des cas, lors de cette interaction, l’experimentatrice 
se debrouillait pour toucher le sujet une a deux secondes sur le bras. Sans le toucher 
de bras, environ 63 % des sujets rendait la monnaie ; avec le toucher de bras, 95 % la 
rendait ! 

Cette experience prouve qu’un simple effleurement de bras pennet d’obtenir beaucoup plus 
de son interlocuteur. 

Chez les vendeurs (et toute autre personne qui souhaite obtenir quelque chose de vous) 
on pourra done trouver cet effleurement de bras pas si innocent ; la variante de ce geste est le 
serrage de main qui est en plus socialement compris comine une marque de respect mutuel. Le 
simple toucher encourage a faction, comine le montre cette experience en situation commer- 
ciale : 


Smith, Gier et Willis (1982). A l’interieur d’un supermarche, un stand de 
presentation de produits etait installe et presentait une nouvelle marque de pizza. 
Le demonstrateur du produit abordait un client du magasin en lui demandant 
de gouter un echantillon de pizza. Selon les conditions de l’experience, le de- 
monstrateur touchait fugitivement la personne ou ne la touchait pas en formu- 
lant sa requete. Apres que le sujet eut quitte le stand en ayant accepte de gouter 


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l’echantillon de pizza, une autre personne l’abordait en lui demandant de donner 
son avis sur la pizza qu’il avait goutee. Cette evaluation se faisait a l’aide d’une 
echelle allant de 1 (notee « pas bonne ») a 10 (notee « tres bonne »). Le client 
etait ensuite remercie et il pouvait alors reprendre ses courses. Sans que le client 
le sache, il etait suivi par un des experimentateurs a distance afin de voir s’il 
achetait ou non la pizza presentee. 

Non seulement les clients ayant ete touches ont accepte de gouter la pizza 
plus facilement (80 % d’acceptation contre 50 % pour ceux non touches), mais 
ils l’ont achetee plus souvent que les non touches (35 % contre 20 %). Cepen- 
dant la notation n’a pas ete influencee par ce toucher, les notes des touches et 
non touches etant quasi similaire (8,65 contre 8,57). 

■ LE REGARD 

Le regard a d’etranges pouvoirs : regarder trop longtemps dans les yeux peut creer de la 
gene, un regard peut etre interprets comme une insulte et entrainer des bagarres, le regard 
fuyant entraine un jugement negatif de la personne. 

Mais est-ce que le regard soutenu nous influence, est-ce qu’il a du pouvoir sur nos compor- 
tements ? 


Kleinke (1977a) Toujours dans une cabine telephonique, une femme complice de 
l’experience place de la monnaie sur la tablette et s’en va. Elle attend qu’un sujet entre 
dans la cabine puis ressorte en ayant pris l’argent. A ce moment-la, elle aborde le sujet 
en lui disant qu’elle pense avoir oublie de l’argent dans la cabine quelques minutes au- 
paravant et demande au sujet si celui-ci l’avait trouve. En formulant cette demande, soit 
elle regardait de maniere soutenue le sujet, soit elle detoumait les yeux. 

63 % restitueront 1’ argent sans qu’elle les regarde dans les yeux, contre 81 % si la 
personne a ete regardee dans les yeux. La aussi, l’effet du regard est sans conteste im- 
portant. 

Le regard a une propriete d’exhortation implicite a emettre un comportement attendu, a 
s’ engager dans une interaction. Ceux qui regardent dans les yeux sont percus plus positivement 
que les autres 28 , on leur donne une personnalite plus forte, on les juge plus dominants 29 , plus 
efficaces, plus independants, plus matures et plus capables de leadership 30 . Et cela, juste en 
croisant son regard soutenu. On comprend alors pourquoi certains jeunes se battent parce que 
quelqu’un « les a regardes de travers ». Le regard induit une perception, un jugement de la 
personne, un rapport de domination. Evidemment, c’est souvent sans fondement, mais c’est une 
caracteristique humaine de juger autrui le plus rapidement possible avec des criteres simples, 
par exemple la facon de regarder. 

28 Ellsworth et Carlsmith (1968) 

29 Thayer (1969) 

30 Church et Fraser (1986) 

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Dans la situation de vente, le regard soutenu apporte une certaine credibility : si le vendeur 
a le regard fuyant, on peut penser peut-etre qu’il n’est pas certain des qualites qu’il vante a son 
produit ; et inversement, celui qui nous parle du produit droit dans les yeux parait plus sur de ce 
qu’il raconte. Mais on a peut-etre tout faux, dans un cas comrne dans l’autre. 


Ce qu’on retient de Vinfluence du comportement non verbal : 

— Les gestes, les sourires et regards nous influencent plus qu’on ne l’imagine. 

— Cependant le comportement non verbal peut etre un comportement naturel et non a but 
d’influence (mais nous influcncant tout de meme). 

Contrer Vinfluence du comportement non verbal ? 

— II est impossible de contrer le comportement non verbal et il serait dommageable de ne 
pas, par exemple, etre « contamine » positivement par un sourire. 

— Cependant, prendre acte d’un geste, d’un regard, d’un sourire, permet de s’atteler a le 
reflechir et done de prendre conscience de son effet sur nous. Observer vraiment un sourire 
suffit parfois a prendre la mesure de la sincerity de celui-ci, de voir s’il est force par l’exercice 
du metier ou totalement interesse, entrant dans une demarche de seduction. 

— Quant au regard soutenu, il peut etre une volonte de se faire passer pour un leader, un do- 
minant et tous les stereotypes qu’on associe au regard soutenu. Comine le regard soutenu n’est 
pas facile naturellement (il suffit de s’y essayer entre amis pour voir la gene que cela induit ou 
les crises de fou rire que cela genere) on peut supposer qu’il resulte d’un apprentissage, d’une 
volonte travaillee : done, prendre note de ce regard nous renseigne sur la personne, pas sur le 
fait que c’est un leader ne, mais qu’elle a appris a exercer ce signe pour s’approprier ces pre- 
cieux stereotypes servant dans bon nombre de situations (cela peut etre appris a but de defense 
dans des situations ou l’on fait face a des gens qui emploient ce signe de domination, mais aussi 
dans des cours de theatre, cornme dans des formations de management ou toute autre situation 
ou il faut savoir paraitre dominant). 


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<®COMMERCIAL/LE VENDEUR/ OPERATION : SYM- 
PATHIE 

On prefere quelqu’un qui nous donne une bonne impression, que nous jugeons sympa- 
thique plutot qu’une personne distante, froide ou desagreable. Partant de ce constat evident, 
les vendeurs vont tenter de susciter de la sympathie, parfois en toute sincerity et de facon toute 
nature lie. II est plus agreable pour eux de travailler dans la bonne humeur, avec des contacts 
amicaux, ponctues de rires et de sourires. Done, sans meme une volonte de vendre, le commer- 
cial essayera d’amorcer une bonne ambiance ne serait-ce que pour passer une bonne joumee. 

■ « Comment allez-vous ? » la technique du Pied- 

DANS-LA-BOUCHE 

Cette simple question peut etre consideree cornme une fonnule de politesse, une prise de 
contact respectueuse et prealable au contact sympathique. Dans les magasins, cette question se 
transforme en « est-ce que tout se passe bien ? ». On n’y porte pas vraiment attention, et pour- 
tant elle a des effets importants sur nous : 

Howard (1990) L’ experience teste cette technique du « pied dans la bouche » 

(la question comment allez-vous) par telephone. II s’agissait de faire vendre 
des cookies pour une association de lutte contre la faim. Le vendeur posait la 
fameuse question « comment allez-vous ? » avant de preciser sa requete ou il 
ne la posait pas. Sans la question, il n’y a que 10 % d’ acceptation de la requete 
(l’achat de cookies), contre 25 % d’acceptation avec la question. Cette simple 
question augmente done les ventes de 15 %. 

Il y a plusieurs explications a ce phenomene : 

— La technique du pied dans la bouche exploite une loi qui guide bon nombre de nos com- 
portements, la « loi » de coherence. Inconsciemment, on se pousse a etre en accord avec nos 
actes, nos paroles passees afin de maintenir une coherence dans notre comportement. La ques- 
tion et sa reponse souvent invariable (« oui, 9a va ») poussent inconsciemment a aller bien, etre 
de bonne humeur. Si on est de bonne humeur, on ecoutera, on achetera, on sera peut-etre plus a 
meme de repondre favorablement a des requetes que si on allait mal. 

— La question cree egalement une relation d’intimite plus importante que s’il n’y avait pas 
eu cette question. Le vendeur montre qu’il s’interesse a nous et inconsciemment notre loi de 
reciprocity se met en oeuvre, on sera conduit a lui porter plus d’ attention (ecouter ses conseils, 
son discours, ou accepter sa requete). 


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■ LEFFET de similarity 

Une fois les formules de politesse echangees, le vendeur va s’ajuster a notre comportement 
verbal et non verbal. Sans qu’on s’en rende compte, il va prendre nos tics, notre posture, notre 
accent, notre type de vocabulaire. 

On a tous tendance a s’imiter les uns les autres pour faciliter le contact, mais le « bon » 
vendeur le fera rapidement et avec brio, car c’est la base pour se rendre sympathique. 

On prefere egalement les personnes qui nous ressemblent, qui ont des traits communs avec 
nous, qui partagent un meme interet ou un meme probleme. Done le vendeur fera tout pour 
accroitre la similarite, c’est parfois dans ses commandements : 

Dans le guide secret des vendeurs Apple (appeles les « genius »), l’entre- 
prise incite ceux-ci a etre « empathiques ». Cependant, ce n’est pas de l’empa- 
thie, il s’agit plutot d’accroitre l’effet de similarite pour paraitre sympathique au 
client, comme le demontre cet extrait du guide d’interaction : 

« client : cet ordinateur est beaucoup trop cher. 

Genius : je peux comprendre que vous ressentiez ?a. J’ai aussi trouve que ce 
prix etait un peu eleve, mais je me suis rendu compte qu’il etait justifie a cause 
de tous les logiciels integres et de ses grandes capacites. 

Source : http://www.lesinrocks.eom/2012/08/30/medias/apple-ce-que-dit-le-eiiide-secret- 
des-vendeurs-11292775/ 


Il y a deux techniques de manipulation dans cet exemple : l’une concerne le client, en lui 
suscitant une impression de sympathie ; l’autre concerne 1’ employe, en lui faisant croire que 
cette strategic de vente est de l’empathie. Une vraie expression de l’empathie aurait donne ceci 
« je peux comprendre que vous ressentiez 9a. En efifet, le prix est tres eleve, c’est un investisse- 
ment de taille, qui plus est en temps de crise. Prenez le temps de reflechir et comparer avant de 
vous decider ». L’empathie c’est se mettre a la place de l’autre, ressentir ce qu’il peut ressentir 
face a une situation et l’aider en retour, honnetement, sans autre interet personnel que de ne plus 
ressentir le malaise de l’autre. L’empathie ce n’est pas profiter du malaise de l’autre pour avan- 
cer des arguments de vente. Ce retournement pervers de la definition de l’empathie n’est pas 
une strategic specifique a Apple, bon nombre de formations en management en font de meme. 

■ LA TECHNIQUE DU CAMELEON 

Toujours dans ce principe plus ou mo ins conscient de ressembler au client, le vendeur peut 
se transformer en perroquet : 


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Chez McDonald’s, il est obligatoire pour T equipier en caisse de repeter la 
commande du client : 

« Client : je voudrais un Maxi Best Of Big Mac. 

Equipier : un Maxi Best Of Big Mac. Frites, coca ? 

Client : Non, Ice Tea et potatoes. 

Equipier : Ice Tea et potatoes. Un dessert ? 

Client : Oui, un McFlurry Daim nappage chocolat. 

Equipier : McFlurry Daim nappage chocolat. Avec un cafe ? » 

Officiellement, il est explique a l’equipier qu’il faut repeter la commande 
afin de confirmer les produits demandes. Il s’agit aussi de le pousser a la rapidite 
en accelerant les etapes et faire de la vente « moussee ». A chaque repetition, 
l’equipier ne doit jamais dire « ce sera tout ? », mais lancer le client vers d’autres 
produits. 

Cette repetition assez agacantc quand on en prend conscience, est pourtant tres efficace 
quand le client n’y porte pas attention : 

Van Baaren, Holland, Steenaert et Van Knippenberg (2003) dans cette 
experience en restauration traditionnelle, les serveurs avaient pour instruction 
de repeter la commande ou de ne pas la repeter et dire juste que la commande 
etait bien notee. Non seulement les clients ont donne un plus gros pourboire au 
serveur-imitateur (3,18 couronnes contre 1,38), mais ils ont ete plus nombreux 
a le faire (78 % de taux de personnes donnant un pourboire a l’imitateur contre 
52 % au non-imitateur). L’imitateur est en plus percu plus positivement et les 
clients disent se sentir plus proches de lui. 

■ LA TECHNIQUE DE LA FLATTERIE « ON EST CE QUE 
L'AUTRE DIT QUE L ON EST » 

On aime tous les compliments et on reagit de facon automatique a celui qui nous en fait : 
il marque aussitot un point de sympathie, il grimpe dans notre estime, il nous fait bonne im- 
pression meme si on ne lie pas forcement cette bonne impression au fait qu’il nous ait fait un 
compliment. 

Le compliment du vendeur peut paraitre totalement detache du contexte de vente et appa- 
raitre sincere : par exemple, un vendeur de voitures qui nous ferait un compliment sur l’age que 
nous ne faisons pas. Cela nous mettrait de bonne humeur, cela nous seduirait, cela nous ferait 
nous sentir vraiment jeunes. Et done, l’esprit rajeuni par le compliment, nous jetterions un coup 
d’oeil aux voitures de « jeunes », done les sportives tape-a-l’oeil, deraisonnables, cheres, mais 
faisant cffcctivcmcnt, par leur design, jeune. 


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Comme on le constate, la flatterie n’est en fait pas si detachee du contexte si on tire un peu 
les ficelles du raisonnement. De la a dire que le vendeur a calcule ce compliment pour nous 
amener aux voitures les plus cheres, ce serait peut-etre aller trop loin : le compliment, qu’im- 
porte sa nature, son objet, nous met de toute maniere dans de bonnes conditions, dans une bonne 
humeur, done il est forcement profitable a la future vente. 

La flatterie de contexte est egalement redoutable sur nous : « vans m ’avez 1 ’air perfection- 
niste » ; « vous avez de bons gouts » ; « ca vous va a merveille ! » ; « c ’est l ’accessoire qu ’il 
faut a quelqu ’un a la pointe de la technologie/de la mode comme vous ». 

Ces compliments sont tous directement associes a des produits, le client est interchangeable, 
mais le compliment peut etre reutilise a volonte. Prenons le « [...] comme vous etes a la pointe 
de la mode », il colle une etiquette « fashion » au client, client qui, par loi de coherence et par 
envie de garder cette etiquette positive, va acheter le produit. 

Pas convaincu ? On devient pourtant ce que les autres disent que l’on est, quelque soit la 
verite ou non des compliments : 

Steel (1975) Non loin d’une bibliotheque, un compere de l’experience de- 
mande une direction a un individu ; l’individu lui repond et ce premier compere 
le remercie tres vivement « merci beaucoup vous etes tres serviable. J’ai appre- 
cie que vous ayez pris sur votre temps pour m’aider ». Gardez en tete la flatterie, 

« serviable ». Puis l’individu entre dans la bibliotheque ou un autre compere lui 
demande s’il accepte de passer deux heures de son temps au profit du telethon. 

67 % des sujets accepteront de donner leur temps contre 40 % si le premier 
compere ne faisait pas de compliments et repondait juste merci. Si l’on supprime 
la premiere phase de l’experience (qui est un pied dans la porte, technique que 
nous verrons plus tard), il n’y a que 17 % d’ acceptation. Get individu, dit « ser- 
viable » Lest done devenu apres que le compere le lui a souligne, ce qui n’aurait 
pas ete le cas autrement. 

On ne refute pas un compliment et en plus on s’y confonne. Il est done tres facile pour le 
vendeur de trouver des compliments en lien avec ses produits, de coller des etiquettes positives 
qui forceront inconsciemment le client a acheter le produit pour conserver l’etiquette positive. 

Le compliment peut alors devenir une injonction travestie pour ne pas apparaitre comme 
ordre. On verra que sur les lieux de travail, le compliment est tres utilise pour obtenir differents 
comportements de la part des employes sans qu’ils prennent ceux-ci pour des ordres, voire 
meme qu’ils pensent que ce qu’ils effectuent apres compliments provient de leur propre initia- 
tive. 


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■ LA TECHNIQUE DE LA FAUSSE COOPERATION 

On eprouve de la sympathie pour les gens qui semblent sincerement de notre cote, qui 
offrent leur competence a notre service, qui nous aident alors qu’ils pourraient ne pas le faire. 
Le vendeur cooperatif, c’est celui qui semble vraiment travailler a nos cotes, quels que soient 
les obstacles qu’il rencontre. Celui-la remporte la palme de la sympathie, car il est meme pret a 
sortir de son role habituel pour nous aider. 

Recemment, la sortie de GTA V a souleve les foules et, etonnamment, bon 
nombre de joueurs ontpu se procurer le jeu trois jours avant la sortie officielle : 
en effet les boutiques rcgoivcnt leurs livraisons avant les sorties et les vendeurs 
ont adopte avec les clients une strategic de cooperation. En douce, ils ont preve- 
nus les clients et leur ont vendu le jeu presque sous le manteau, envers et contre 
toutes les normes : « pour avoir le jeu, il faut payer en cash, aller dans une salle 
en arriere-boutique et on ressort avec un sachet violet ». 

Source : http://www.hiiffingtonpost.fr/2013/09/15/gta-5-disponible-date-sortie-rocks- 

tar-enquete n 3930601.html 

Dans ce cas present, il s’agit d’une vraie cooperation, car la boutique prend de reels risques, 
a savoir se facher avec le foumisseur puis l’editeur ; ce n’est que du benefice pour le client, le 
jeu etant tellement attendu, les vendeurs n’ont nullement influence l’achat en employant cette 
technique. La boutique gagne par contre de meilleures ventes du jeu et certainement plus de 
fidelite du client. A no ter que si ces petites boutiques ont pris tant de risques c’est egalement 
parce que les grandes enseignes (Fnac, micromania...) ont des avantages enormes avec les 
editeurs (acces a des editions speciales, des offres particulieres) contrairement a eux. Vendre en 
avance etant leur seul atout face a ces geants pour attirer la clientele. 

Cependant la cooperation peut etre totalement artificielle. Un vendeur de voitures peut par 
exemple vous proposer une reduction du prix et dire qu’il se bat avec son patron pour vous ob- 
tenir coute que coute cette reduction, et finalement ne pas 1’ avoir, ou mo ins que prevu. Il s’agit 
de mettre le client dans sa poche pour ensuite pouvoir proposer plus facilement des options 
payantes sur la voiture. 

Cela peut etre par exemple un banquier qui, face a des problemes d’argent, propose un cre- 
dit avantageux qui faciliterait une remise a pied du compte. Ce credit n’a pas ete sollicite par 
le client, mais le banquier le presente comme LA solution a tous ses problemes, la seule issue 
envisageable. Il decouvre qu’en l’etat actuel ce credit est impossible, mais dit ne pas lacher 
1’ affaire, voguant entre les bureaux a la recherche de solutions, passant bon nombre de coups de 
fil. Apres sa course effrenee, il soupire de soulagement et propose « la » solution tant attendue, 
un credit accessible. Souvent cette mise en scene de la cooperation est suivie d’une technique 
de Low-ball, c'est-a-dire qu’il proposera un credit bien moins avantageux, a fort taux d’interet. 


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Meme si le client est eclaire et refuse le credit, il eprouvera de la sympathie pour cet agent qui 
semble s’ etre depasse pour lui, afin de resoudre son probleme. Done les futures propositions 
qu’il lui conseillera seront mieux accueillies. 

Notons au passage que les banquiers et certains vendeurs se font nornmer « conseillers » ce 
qui est une appellation, une injonction semantique qui semble dire « je suis de votre cote pour 
vous aider » et omettre pourtant l’objectif premier qui est de vous vendre un produit ou un ser- 
vice. N’oubliez pas qu’un mot peut tout changer. 

Ce qu ’ on retient des techniques liees a la sympathie : 

— On accorde plus d’attention, d’ecoute, de sympathie, de faveurs a ceux qui nous res- 
semblent dans leur discours, leurs gouts, leur posture, leurs tics, leur physique, leur categorie 
socioprofessionnelle, etc. Done les manipulateurs sont generalement d’excellents cameleons. 

— On accorde plus d’attention, d’ecoute, de sympathie, de faveurs a ceux qui nous compli- 
mentent. Done les manipulateurs flattent et paraissent empathiques. 

— Nos decisions d’achat peuvent etre dirigees en fonction des compliments que l’on nous 
fait, (et il en est de meme pour des decisions autres que 1’ achat) 

— On est ce que l’autre dit que Ton est. Done les manipulateurs n’hesitent pas a nous eti- 
queter selon leurs besoins, non selon une caracteristique reelle de notre personnalite. 

— De fausses scenes de cooperation sont organisees par les vendeurs pour accroitre leur 
capital sympathie ou vendre des produits/services dont on ne veut pas. 

— La cooperation n’est pas systematiquement fausse, tout comine le compliment ou la 
sympathie ne sont pas forcement des strategies d’ influence. 

Contrer les techniques de sympathie ? 

— Resister systematiquement aux elans qu’engendrent la sympathie peut etre prejudiciable 
pour soi comine pour autrui : on vexerait les vrais sympathiques et perdrait de vraies faveurs. 

— L’exces de sympathie provenant d’un inconnu (tout particulierement en situation com- 
merciale) doit nous alerter et nous faire se poser la question du pourquoi un tel comportement. 
Ou se situe l’interet du vendeur ? 

— La sympathie n’est pas quelque chose qui se retribue par l’achat : a un comportement 
agreable, on rend un comportement agreable. Ainsi la loi de reciprocity est respectee. On achete 
un produit/service parce qu’on en a besoin, non pas parce que la personne qui le vend est sym- 
pathique. 


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— La mise en scene de la cooperation, parfois utilisee conjointement a une simulation de 
rarete, est extremement efficace, car on aime les histoires a rebondissements, les situations d’ in- 
certitude nous excitent (cf section sur la rarete). Profitons-en tel un bon spectacle. Cependant, a 
l’achat soyons rationnels, froids et objectifs. Cette posture « froide » se prepare avant d’affron- 
ter la situation commerciale et se reprend au moment des propositions concretes. 

— Concernant le mimetisme, la tendance cameleon du vendeur, il est facile d’en jouer pour 
prendre la mesure du phenomene : essayez d’ adopter des tics, postures ou elements de langage 
inhabituels pour voir si le vendeur les reprend. Cela permet de prendre conscience de la situa- 
tion et de voir le phenomene en jeu. Dans les interactions longues, le vendeur s’appuiera sur 
vos dires, done vous pouvez essayer d’introduire de fausses anecdotes innocentes afin de voir 
comment il s’appuie dessus pour tenter de se faire sympathique ou tenter de vous ressembler. 
Evidemment, ce « jeu » peut s’apparenter a de la manipulation, mais il s’agit la surtout de 
prendre la mesure du phenomene avant d’organiser si necessaire une contre-manipulation. 

@ COMMERC IAL/ LEN GAG EMENT 


Nous avons besoin de paraitre coherents dans notre comportement, e'est-a-dire que nous 
avons besoin que nos opinions, sentiments et choix restent dans la ligne droite de ce que nous 
avons choisi auparavant. Nous avons tant besoin de suivre cette ligne que nous nous mentons a 
nous-meme, nous refusons d’ouvrir les yeux sur certaines informations qui contrediraient nos 
positions initiales, nous soinmes prets a argumenter et defendre une position qu’on a choisie 
auparavant meme si la position en question a totalement changee, qu’elle ne ressemble plus a ce 
qui nous avait interesse a l’origine. Ce n’est pas forcement un processus conscient, les informa- 
tions « dangereuses » qui pourraient remettre en question nos positions ou choix initiaux sont 
parfois completement occultes : e’est par exemple un partisan d’une ideologic qui deformera 
totalement la nature du texte dans son esprit pour que cela colle a ses idees, ou qui ne cherchera 
pas a comprendre ce qu’on lui presente etant totalement guide par son ideologic (par exemple, 
un commentateur - non eclaire - du Gorafi qui se lance dans une diatribe partisane sans meme 
se rendre compte que l’infonnation est fausse). 

Le principe de coherence nous piege a lui seul, nous nous enfermons dans des choix qui 
peuvent etre nuisibles pour nous a cause de ce meme principe : 

Robert Cialdini assiste a une conference donnee par un groupe de meditation 
transcendantale (cite dans son ouvrage Influence et manipulation) , dans le but 
d’observer leurs tactiques de persuasion. Il emmene avec lui un ami professeur 
d’universite specialiste des statistiques et de logique formelle. 

Le groupe de meditation transcendantale pretend detenir la solution a tous 


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les problemes par l’utilisation de cette meditation particuliere. II pretend aussi 
que cette technique pennet d’obtenir des competences speciales telles que levi- 
ter ou traverser les murs. Le groupe propose done une serie d’etapes de plus en 
plus couteuses, pennettant de resoudre les problemes puis d’obtenir ces com- 
petences, ce qui n’est pas sans rappeler la scientologie qui procede egalement 
ainsi. 

L’ami statisticien qui accompagne Robert Cialdini ecoute avec la plus grande 
des difficultes cette conference : il ne tient plus en place face au discours insense 
et totalement irrationnel du groupe. A la fin de la conference, calmement mais 
surement, l’ami met en piece les arguments du groupe, avec une argumentation 
parfaite et inattaquable. 

L’effet est devastateur : les membres du groupe restent silencieux, ils sont 
tres embarrasses puis tentent d’opposer des objections. Ils sont peu surs d’eux, 
s’arretent regulierement pour se concilier sur les reponses a donner. Ils concluent 
sur le fait que les objections de l’ami etaient interessantes et meritaient une plus 
ample reflexion. 

On imagine alors que les objectifs de la reunion sont totalement brises au vu 
de 1’ argumentation solide qui leur a ete apposee ainsi que 1’ incertitude manifeste 
des conferenciers face a ces arguments. 

Mais le public, contrairement a tout ce qu’on pourrait supposer, s’est pre- 
cipite pour payer les 75 dollars d’inscription au programme, a tel point que les 
recruteurs du groupe ont ete surpris. 

A la sortie, les deux professeurs se font aborder par quelques nouveaux ins- 
crits et ils discutent de ce qu’il vient de se passer, de leur motivation a assister a 
cette conference. Les interlocuteurs expliquent : l’un souhaitait resoudre un pro- 
bleme d’insomnie, un autre voulait au contraire dormir moins pour gagner du 
temps pour ses etudes, un autre encore voulait acquerir plus de confiance en lui. 
Mais pourquoi s’etaient-ils inscrits ? N’avaient-ils pas compris le raisonnable 
et solide argumentaire de l’ami statisticien ? Bien au contraire, ils avaient par- 
faitement compris les objections portees a la meditation transcendantale. L’un 
d’entre eux repond : 

« moi, je n’avais pas prevu de payer quoique ce soit ce soir, parce que je suis 
un peu juste financierement en ce moment. Mais quand votre ami s’est mis a 
parler, j’ai pense qu’il valait mieux que je paie tout de suite, ou, une fois rentre 
chez moi, je me mettrais a reflechir a tout ce qu’il avait dit et je ne m’inscrirais 
jamais ». 


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Ils voulaient que la meditation transcendantale soit la solution a leur probleme et l’argumen- 
taire etait un ennemi de cette coherence, car ils risquaient d’annuler le projet qu’ils s’etaient mis 
en tete. L’argumentaire a done precipite leur engagement, car il risquait de remettre en cause le 
projet, et toutes les projections et espoirs qu’ils avaient esperes de cette technique. 

Comine on peut le voir avec cet exemple, la coherence est parfois mal avisee et se base sur 
la pensee magique que tout peut etre regie avec une seule technique. Pourquoi ? Parce qu’il est 
plus economique en terme d’ effort de souscrire a un programme que de s’attaquer aux causes 
premieres des problemes qui demanderaient une remise en question de ses habitudes de vie, 
une investigation personnelle de ses problemes, un couteux et penible travail de remodelement 
de soi-meme. Cela explique egalement pourquoi on prefere souscrire a un regime prometteur 
plutot que de revoir nos habitudes alimentaires sur le long terme ; pourquoi on prefere s’inscrire 
a la salle de sport plutot que de revoir ses habitudes physiques au quotidien (cornme abandonner 
la voiture pour les trajets accessibles a pied). On prefere s’astreindre a un nouveau programme 
payant plutot que de changer vraiment son mode de vie, parce que c’est mo ins couteux pour 
le cerveau d’integrer un nouveau rendez-vous plutot que de changer la facon dont on vit. Au- 
trement dit, on prefere ajouter quelque chose dans sa vie plutot que d’annuler ou modifier une 
habitude, meme si les dernieres solutions sont preferables ou plus efficaces. Rajoutez a ces pro- 
grammes des promesses incroyables, plus des techniques de manipulation et 1’ engagement sera 
facile a obtenir pour le groupe exploiteur, qu’il soit esoterique, commercial ou professionnel. 

Mais notre necessity de coherence n’est pas un mal, bien au contraire, elle peut etre un tres 
noble mecanisme. Dans l’experience de Milgram, les sujets ne sont pas dans l’accord avec le 
fait de faire du mal a autrui, la situation genere une incoherence avec leurs valeurs. Par cohe- 
rence avec leur morale, leurs valeurs, certains sujets arrivent a mettre terme a l’experience, et 
c’est en partie grace a cette coherence avec leurs valeurs qu’ils y arrivent. Cependant, on a vu 
qu’il est plus facile de s’adapter a une situation contraignante, que de lui resister ou de l’arreter. 
Ce qui explique en partie pourquoi, dans l’experience de Milgram, le principe de coherence 
avec ses valeurs est malheureusement souvent perdant et ne prend pas le pas sur la decision 
comportementale du sujet. Une coherence bien avisee, solide et bien entretenue comme celle 
des valeurs morales qu’on decide de suivre est evidemment une tres grande force dont il ne faut 
pas se departir, au contraire. 

Cette coherence bien avisee, repetee dans nos vies par des actes entraine un engagement. On 
s’auto-engage a respecter certaines valeurs, a les defendre, a refuser les situations qui contre- 
disent ces valeurs, a lutter contre les situations qui sont contraires a ces valeurs. L’ engagement 
est une fonne superieure de coherence, un temoin public de cette coherence, une promesse de 
tenir un certain comportement, done d’etre encore plus coherent vis-a-vis de ce choix pris sous 
l’oeil de temoin. 


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Nul besoin de faire une declaration d’engagement devant le maire et un parterre d’invites : 
1’ engagement se fait egalement quand, lors d’une situation, on fait acte devant autrui d’un cer- 
tain comportement associe aux valeurs auxquelles on s’est engage. « Faire preuve d’altruisme » 
est une valeur qui sera temoignee lorsque dans la rue, on ira voir cet homme a terre pour verifier 
son etat de sante ; l’engagement d’altruisme sera verifie lorsqu’au travail on s’interposera dans 
une violente reprimande pour defendre celui qui est pris pour cible ; etc. L’acte et les temoins 
feront preuve de l’engagement, renforcant au passage l’engagement de la personne. 

Inversement, si l’on devient incoherent, il s’abattra sur nous un ocean de reproches, de de- 
negation, de rejet du groupe, parfois justifie : si par exemple, dans un groupe Anonymous, un 
anon decide de gerer ses activites anonymes uniquement sur Facebook, il sera incoherent, car 
Facebook est un concept antinomique a l’anonymat, de plus etant donne la revente et la sur- 
veillance etroite des donnees qui y circulent, il est incoherent de defendre la liberte sur internet 
et d’utiliser (done de cautionner) un service qui exploite les internautes. Il est done totalement 
incoherent de se dire anonyme et d’etre sur Facebook a la fois. Ici la pression des anons sur les 
anons Facebook est justifiee, mais on peut constater qu’elle n’est pas du tout efficace. Dans la 
vie reelle, c’est bien different. 

Mais nous ne sornmes pas necessairement coherents de facon rationnelle et nous ne nous 
engageons pas volontairement dans certaines directions avec reflexion, pour defendre de nobles 
valeurs ou combats, comine nous l’avons decrit precedemment. La coherence se limite parfois a 
refaire ce qu’on a fait par le passe, suivre une decision prise dans le passe, ou dire une opinion 
parce qu’on l’a dite dans le passe. Pour mieux comprendre, prenons une metaphore certes un 
peu pejorative, mais qui traduit tout de meme une realite sur laquelle, nous devrions humble- 
ment ouvrir les yeux : nous sornmes comine des poissons dans un ocean d’influences, conduits 
malgre nous par des courants persuasifs invisibles dans certaines directions. Nous pensons etre 
libres et responsables de la direction que nous prenons et nous n’avouons pas avoir ete pousses 
dans une direction. Parfois, nous ne nous rendons meme pas compte d’ avoir ete entraines dans 
un de ces courants et pensons que c’est de notre propre initiative que nous sornmes alles a tel 
endroit. Par coherence, nous justifions avec toutes sortes de manieres le choix de notre direc- 
tion, quitte a mentir, quitte a vanter quelque chose que l’on n’aime pas, on defend cette position, 
ce lieu dans lequel nous avons ete pousses avec vigueur, et cela, meme si ce lieu ne nous apporte 
que des ennuis. Cette coherence mal avisee defie les faits, les evenements memes pourtant tres 
explicites : on a tous connu des couples qui persistaient a rester ensemble alors qu’ils ne parta- 
geaient que du malheur, se detruisaient l’un l’autre et que leur vie de couple ne se resumaient 
qu’a de la tristesse et de la negativite. 

Mais pourquoi une telle necessity de paraitre coherent alors qu’il serait preferable d’avouer 
son erreur de direction, de reconnaitre qu’on a ete influence, pour en prendre une autre ? L’ego 
- pour des questions de fierte - ; la reactance ; la peur ; la meconnaissance ou la difficulty a 
s’imaginer avec d’autres situations, d’autres opinions ou habitudes. Mais egalement la pression 
sociale. 


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Elle nous pousse a paraitre coherents, car celui qui donne l’impression d’etre incoherent est 
decrie, considere cornme incapable de tenir sa parole, il est traite de girouette, on 1’ accuse de 
ne pas savoir ce qu’il veut, d’etre lache, desequilibre, traitre... De plus, differentes ideologies 
poussent a penser que chacun est responsable de ses choix, qu’on a la main mise sur son des- 
tin, qu’on controle tout, done que si l’on se retrouve dans une direction, c’est qu’on l’a voulu. 
Or cette ideologic de « chacun est responsable de ses actes, de ses choix, de ses reussites et 
ses echecs » est un deni des influences, des tactiques de persuasion, de la manipulation et plus 
globalement, un deni du hasard et des multiples circonstances de la vie qui nous poussent dans 
certains choix. Done, la pression sociale et les ideologies en vigueur poussent les individus du- 
pes, trompes ou pousses dans une mauvaise direction, a justifier cet etat de fait cornme de leur 
vouloir et de defendre cette position avec vigueur. Le resultat est, pour l’individu, extremement 
prejudiciable et pour l’instigateur qui l’a pousse dans cette direction, extremement profitable. 

La coherence entraine 1’ engagement et 1’ engagement est un puissant mecanisme qui en- 
chaine les actes aux idees et les idees aux actes. En cela, les exploiteurs et manipulateurs ont 
tout interet a susciter l’engagement envers eux : l’individu pensera qu’il a pris lui-meme la 
decision de s’engager pour l’exploiteur, il pensera que les idees bees a cet engagement sont les 
siennes, il defendra l’exploiteur, car c’est sa coherence qui est en jeu, il acceptera sans broncher 
les deplaisantes contraintes ou les changements negatifs dans sa vie (car la aussi sa coherence 
est en jeu), il aura un mal fou a remonter aux causes premieres de l’engagement et les remettre 
en question ou simplement de reflechir de facon rationnelle. 

En cela, les techniques bees a l’engagement sont l’arme supreme des manipulateurs et ex- 
ploiteurs qui tenteront par tous les moyens de les susciter. C’est l’arme des sectes et religions, 
des partis politiques, des entreprises (sur leurs clients et employes). Ce sont des armes psycho- 
logies employees en temps de guerre pour formater les prisonniers : 

Pendant la guerre de Coree un camp de prisonniers s’est demarque : pas de 
tortures, pas de sevices, il y regnait une politique de douceur envers les pris- 
onniers americains. Pourquoi un tel traitement ? La strategic des Coreens etait 
d’amener les soldats a faire des declarations anti-americaines, a reconnaitre tout 
d’abord « que tout n’etait pas parfait aux Etats-Unis ». Puis ils leur demandaient 
de preciser ce qui n’allait pas, puis de l’ecrire sur papier et signer. Une liste de 
defauts des Etats-Unis etait ainsi creee au fur et a mesure, et cette liste devait 
etre lue devant les autres prisonniers. Le texte etait ensuite utilise dans d’autres 
camps, en precisant le nom du prisonnier qui l’avait redige. Le redacteur etait 
alors considere cornme un collaborates et cornme le texte n’avait pas ete ecrit 
sous la menace, le prisonnier se voyait sous un nouveau jour : en efifet, ses actes 
(l’ecriture du texte, les discours devant temoins) etaient en coherence avec 1’ eti- 
quette de collaborates, il finissait done par accepter cette etiquette et collaborer 
activement. 


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D’autres techniques d’engagement, participant a la creation d’une coherence 
anti-americaine chez les prisonniers etaient employees : le courrier des prison- 
niers etait souvent censure, done, les americains, afin de ne pas se faire censurer 
et que leurs courriers parviennent a leur famille, y glissaient des messages d’ap- 
pel a la paix ou des declarations favorables au communisme. La encore, le fait 
d’ecrire ces messages auto-engageait les prisonniers et poussait a une coherence 
anti-americaine. 

Toujours dans cette meme volonte de changer en profondeur 1’ opinion des 
prisonniers, les Coreens organisaient des concours de textes politiques dont les 
gains n’ etaient pas mirobolants, mais suffisamment interessants pour que les pri- 
sonniers prennent part a l’activite. Les Coreens ne recompensaient pas systema- 
tiquement un texte pro-communiste, ce qui encourageait les prisonniers a ecrire. 

De nombreux soldats ont ete ainsi amenes en douceur a denier la politique de 
leur pays et ne pas etre anti-communiste. S implement en etant relativement bien 
traite pour des prisonniers de guerre, en les faisant parler et ecrire... 

Robert Cialdini, Influence et Manipulation, First, 1990 

<®COMMERCIAL/LENGAGEMENT/MANIPULATION 
DE LA COHERENCE 

Pour nous engager dans une voie qui modifiera notre comportement, notre opinion ou nous 
faire effectuer des actes que nous n’aurions jamais faits autrement, le manipulateur ou exploi- 
teur procede par etapes, par sequences bien distinctes. On l’a vu precedemment, F amorce de 
la coherence orientee peut etre tres simple : « comment allez-vous ? » nous enjoint a avoir une 
meilleure ecoute, plus positive, de l’interlocuteur ; la flatterie et F etiquette sont de veritables 
guides comportementaux inconscients (mais agissant activement sur nous) pour la situation a 
venir. 

L’exploiteur de notre coherence a pour objectif de d’abord nous seduire (c’est-a-dire qu’il 
ne veut pas que nous lui claquions immediatement la porte au nez), cette phase a ete decrite 
precedemment dans la section apparences et comportement non-verbal et sympathie. Puis il 
doit nous amener a realiser un acte. Rappelez-vous, ce sont les actes qui font les idees, du moins 
c’est ainsi que notre inconscient fonctionne. Et c’est cet acte qui sera le debut du trajet vers 
F engagement. 


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■ LA TECHNIQUE DU PIED DANS LA PORTE 

Freedman et Fraser (1966) l’objectif de cette experience etait de faire ac- 
cepter aux sujets qu’ils installent un panneau de 16m 2 dans leur jardin, sur lequel 
etait inscrit « conduisez prudemment » pour le compte d’un suppose service pu- 
blic d’infonnation de securite routiere. La premiere etape (le pied dans la porte 
done) consistait a demander a des personnes de mettre un autocollant sur leur 
voiture ou bien de signer une petition sur la securite routiere. Deux semaines 
apres, un experimentateur se presentait au domicile des personnes ayant accepte 
cette requete pour leur demander si elles accepteraient de mettre un panneau 
publicitaire de 16m 2 en faveur de la prevention routiere dans leur jardin. Dans 
la condition controle, il n’y avait pas de pied dans la porte, on demandait di- 
rectement aux gens s’ils acceptaient le panneau et ils n’ont ete que 16,7 % a 
l’accepter. Avec le pied dans la porte, ou le sujet etait prealablement engage en 
acceptant de signer une petition, c’est 47,8 % d’acceptation ; avec 1’ autocollant, 
on bat tous les records : 76 % d’acceptation de ce panneau gigantesque dans leur 
jardin ! 

C’est pas moins de 66 % d’ augmentation a une requete pourtant exorbi- 
tante ! 

Le pied dans la porte peut prendre de multiples formes : sondages, reponse a une question, 
demande de renseignement, signature de petition, test d’un service/produit. . . C’est un acte qui 
demande generalement peu de temps et peu d’investissement, un acte qui est generalement 
accepte. Cependant, il engage et la coherence nous pousse a recommencer ce qu’on a deja fait 
auparavant, c'est-a-dire, dans l’exemple, repondre a nouveau a une requete d’un service de la 
securite routiere. Et c’est ainsi qu’on se retrouve a accepter un panneau de 16m 2 dans son jar- 
din, fait on ne peut plus contraignant. 

Vu en tant qu’observateur, l’effet du pied dans la porte est siderant et il est difficile de 
s’imaginer « tomber dans le panneau » egalement. Mais il faut se rappeler que notre vie, saturee 
d’infonnations a traiter, toujours dans une projection du futur ou se baladant dans sa memo ire 
du passe, n’est jamais vraiment connectee au present : parfois, seuls nos traitements automa- 
tiques se chargent de gerer les situations presentes, comine celle d’accepter l’autocollant puis 
d’accepter le panneau par logique de coherence. De plus, le pied dans la porte a ete teste et 
reteste des dizaines de fois dans d’autres situations : a chaque fois, cette technique reussit au 
contraire des situations sans pied dans la porte. 

Si dans les experiences en psychologie, le but est toujours d’orienter vers l’aide a des asso- 
ciations, a modifier les comportements pour inciter les gens a voter, s’occuper de l’environne- 
ment ou de leur prochain, ce ne sera pas le cas des autres utilisateurs du pied dans la porte : les 


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commerces l’useront pour vous faire payer (de plus en plus cher), les partis politiques l’useront 
en tant qu’appat (la signature de petition), les sectes pour commencer leur programme (en 
scientologie, le pied dans la porte sera un test de personnalite disponible sur le web dont les re- 
sultats ne peuvent etre cherche que dans la secte, resultats delivres par un adepte qui se chargera 
de deprimer le teste pour qu’il fasse a nouveau appel a la secte 31 ), etc. 

■ TECHNIQUE DU LOW-BALL 

Dire oui a une requete est un engagement : on accepte devant temoin de faire telle ou telle 
chose et, par principe de coherence, on fera ce que l’on a dit que l’on ferait. Dans le langage 
commun, c’est ce qu’on appelle « tenir parole » et, on le sait, ceux qui ne tiennent pas leur pa- 
role sont consideres comme indignes de confiance, on les repudie, on ne leur confie plus rien, 
on se passe de leur amitie, etc. Done on a peur de ne pas tenir parole, ou du mo ins on ressent 
un enonne malaise lorsqu’on ne tient pas parole, meme lorsque les circonstances imposent 
notre manquement : c’est par exemple la panique lorsqu’on est en retard (meme s’il y avait une 
greve surprise), on se repand en excuses lorsqu’on ne peut pas assister a un evenement prevu de 
longue date par un ami (meme si ce jour-la, on est cloue au lit par 40 de fievre), etc. 

II y a done une pression sociale importante a « tenir sa parole » et chacun a deja connu ce 
malaise singulier, ce sentiment de « faute sociale » lorsqu’on ne peut tenir une promesse, un 
engagement : ce sentiment d’etre en faute est l’expression meme de cette pression sociale. 

Cette pression sociale est done utilisee par les exploiteurs et manipulateurs pour obtenir de 
l’individu quelque chose qu’il n’aurait jamais accepte autrement. La technique du low-ball est 
encore plus simple que le pied dans la porte : il ne s’agit pas la d’obtenir un acte de l’individu, 
mais un simple accord verbal pour une requete future. La manipulation reside dans l’enonce de 
la requete : en low-ball, on ment par omission, oubliant ce detail penible de la requete. 

Cialdini et collaborateurs (1978) La technique du low-ball est testee ainsi : 
on demandait a des etudiants de participer a une experience qui leur rapporterait 
des credits. Sans low-ball, les experimentateurs etaient sinceres et disaient que 
l’experience commen 9 ait a 7 heures du matin (l’element penible de la requete 
surtout pour des etudiants, population rarement matinale), les etudiants furent 
done 31 % a accepter, mais seulement 24 % a etre present. En condition de low- 
ball, on leur demandait juste s’ils acceptaient de participer a une experience leur 
rapportant des credits. Ils acceptaient a 56 % et seulement apres cette acception 
on leur precisait l’heure matinale de l’experience. Ils furent 53 % a etre presents. 


31 plus d’infos ici : http://issuu.com/voxmas2/docs/vox-numero-sp cial-scientolosie?e=5 883 304/27 20887 ; http:// 
www.slate.fr/storv/36855/scientolosie-test 


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Le low-ball est tres present dans le commerce : les publicites mettent en avant les avantages, 
cachant les inconvenients ; le vendeur vous presentera tous les avantages et evitera de parler 
des desavantages a moins que vous n’ayez la sagacite de poser les bonnes questions ; a l’oral, 
on vous presentera de facon tres claire un contrat d’abonnement, et on masquera les clauses 
contraignantes dans une maree de paragraphes abscons du contrat ecrit ; etc. L’ important, c’est 
de solliciter votre parole, votre affirmation, votre oui, votre accord, votre signature. Car une 
fois le « oui » prononce, vous etes en etat d’ oblige, la pression sociale vous poussant a tenir 
parole, la coherence vous poussant a reiterer votre engagement. 

■ TECHNIQUE DU LEURRE 

Si le low-ball est une sorte de mensonge par omission, la technique du leurre est quant a elle 
une veritable tromperie, une arnaque. II s’agit de vanter par exemple un produit, avec beaucoup 
d’avantages, puis au fur et a mesure amenuiser ces avantages. 

C’est une technique qui exploite encore la coherence et cet engagement du « tenir parole » 
qu’on se sent oblige de suivre a cause de la pression sociale associee. 

Joule, Gouilloux et Weber (1989) la technique du leurre est ici testee sur des etu- 
diants. On leur demandait de participer a une experience sur les emotions, il s’agissait 
juste de visionner un film puis repondre a des questions. Ils etaient remuneres 30 francs. 
Mais une fois dans le laboratoire, un experimentateur disait a l’etudiant que 1’ expe- 
rience proposee etait terminee, mais qu’il y avait une autre experience qui necessitait 
des volontaires. Cette experience etait bien plus contraignante, car il s’agissait d’une 
tache de memo ire et elle n’ etait pas remuneree. Dans la condition controle, sans leurre, 
on leur proposait directement l’experience sur la memoire non remuneree. Seuls 15,4 % 
accepterent en condition controle (c'est-a-dire sans le leurre initial) contre 47,4 % d’ac- 
ceptation en condition de leurre. La technique du leurre est done extremement efficace 
pour faire accepter aux personnes ce qu’elles n’auraient pas fait autrement. 

On comprend alors pourquoi les arnaques, les mensonges sont toujours utilises par certains 
commerciaux, sur certains sites web, au travail, etc. C’est parce qu’une fois que la personne a 
pris sa decision (d’acheter tel produit par exemple) il lui est tres difficile de revenir dessus : elle 
acceptera alors les changements, meme si le produit n’est pas du tout celui espere du debut. On 
explique ce phenomene encore par les processus lies a l’engagement : une fois engage, l’indivi- 
du resistera au changement plutot que d’annuler le processus en cours et s’adaptera meme s’il 
se fait « avoir ». Il est moins couteux mentalement de s’ adapter a une situation deplaisante que 
de se desengager ou annuler le processus en cours. 


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■ TECHNIQUE DU « VOUS ETES LIBRE DE... » 

Nous ne sommes pas na'ifs au sujet des engagements, surtout commerciaux : on sait qu’ils 
sont pleins d’ obligations, de mauvaises surprises et qu’ils ne tiennent pas forcement leurs pro- 
messes. On sait egalement qu’ils nous privent de liberte : ils nous obligent a garder des habi- 
tudes chez celui engage, ils nous empechent d’aller voir ailleurs, ils nous contraignent. On ne 
pourra pas par exemple rompre un contrat de telephonie meme si le concurrent propose une 
offre bien plus interessante ; on s’empechera d’acheter le livre qu’on vient de trouver dans cette 
petite librairie parce qu’on doit acheter a France loisirs sous peine de recevoir des ouvrages 
payants non desires; on ne pourra pas faire du sport avec ce nouvel ami parce qu’il est dans un 
autre centre de fitness et qu’il faudrait rompre d’abord son contrat en cours. 

A cause de la negativite de l’engagement, de notre experience de ces engagements contrai- 
gnants, les marques nous font croire que leurs o fires sont « sans engagement », qu’on peut les 
quitter a tout moment, qu’on ne sera jamais oblige de rien, qu’on sera fibre. Elies font appel a 
la notion de liberte presque systematiquement, car c’est un excellent moyen de nous engager, 
done de nous priver de liberte. Cela peut paraitre paradoxal, mais nous rassurer d’etre fibres est 
le meilleur moyen de nous coincer et de nous contraindre : 

Gueguen et Pascual (2000) un compere demande de l’argent dans la rue 
pour acheter un ticket de bus. Soit il s’en tient la, soit il tennine sa demande 
avec la phrase « Mais vous etes fibre d’accepter ou de refuser. ». Il y aura 47,5 % 
d’ acceptation de la requete avec la petite phrase ajoutee contre 10 % sans la 
phrase. On a done 37,5 % d’ augmentation en evoquant simplement la liberte ! 

Nous pensons etre responsables de nos actes, car la proposition est « fibre », sans engage- 
ment. On a done plus envie de s’y soumettre, puisqu’on n’est pas oblige de s’y soumettre. 

La notion de liberte devient alors une puissante arme de manipulation : en nous laissant le 
choix, on s’accorde plus volontiers aux desirs de celui qui donne le choix. 

Connaissant cette technique du « vous etes fibre de... », il devient alors tres facile de de- 
celer les futurs engagements tres contraignants pour lesquels il vaut mieux eviter de signer : 
ceux-ci ne cessent de crier a votre liberte, au non-engagement, a la facilite de changer d’avis a 
tout moment, a la facilite d’annuler le contrat, au fait que cela ne demande pas de contraintes. 
Leur discours sera absolument contraire a la realite et c’est exactement pour cela qu’ils le 
tiennent, afin de masquer les contraintes et vous faire signer. Rappelons-nous qu’un contrat est 
forcement, de par sa nature de contrat, un engagement. De meme pour une signature : si on vous 
la demande, c’est qu’on demande votre adhesion, votre accord ou votre assentiment, done une 
forme d’engagement qu’on peut vous rappeler. 


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■ TECHNIQUE D'ENGAGEMENT 2.0 
« J’aime » 

Grace a Facebook, on peut clamer notre amour de n’importe quelle chose au monde et l’ex- 
poser sur notre mur, mur qui represente un peu le salon (pas la maison en principe, mais tout 
depend de la fag on dont l’utilisateur expose sa vie privee) dans lequel on retrod ses amis. Nous 
prenons Facebook comme un jeu, nous manipulons chacun nos petits profils a notre fat^on, sans 
grand serieux. Pourtant c’est le salon dans lequel on retrod, c’est le salon que les employ eurs, 
les ex ou autres indesirables dans notre vie privee peuvent apercevoir. On a beau etre prudent 
sur les parametres de confidentiality, Facebook changeant regulierement de clauses et de fonc- 
tionnement, personne n’est a l’abri de la revelation de son amour de Justin Bieber (un pari idiot 
entre amis) a son futur conjoint. Le futur conjoint ne verra pas la blague, juste le « j’aime Justin 
Bieber » et on peut supposer que cela impactera sur son jugement. 

Mais au-dela de ces deconvenues frequentes sur Facebook, le « j’aime » participe a la 
manipulation des opinions. Les marques l’ont bien compris et pour cela ont une strategic tres 
simple, celle du cadeau, de la reduction, du jeu offert contre un « j’aime » de notre part : 
meme si on peut s’arreter a prendre le cadeau et ne jamais se soucier de la marque ni meme 
l’acheter, il ne reste pas moins que le « j’aime » s’affiche sur notre mur, comme un poster 
publicitaire dans notre salon, aux yeux de tous. Le nombre de « j’aime » d’une marque consti- 
tuera une preuve sociale aux yeux d’autrui, une preuve sociale d’une opinion partagee re- 
layee par les medias (cf l’alfaire du bijoutier de Nice et ses milliers de « j’aime » 32 ), une 
preuve sociale qui agira sur ce qu’autrui choisira. Meme si le « j’aime » initial n’a rien d’un 
signe d’amour, meme s’il a ete fait sans reflechir, meme s’il a ete achete contre un cadeau. 
En cela, il n’a plus rien de superficiel et il n’a absolument plus rien d’amusant, bien au contraire. 

Evidemment, le principe de coherence ne s’eteint pas quand l’ordinateur s’allume : par 
coherence, on aura tendance a justifier ce « j’aime » automatiquement, en visitant la page 
communautaire de la marque, en repondant a des questions auxquels d’ autres personnes ont 
repondus, en jouant a d’autres jeux proposes, en regardant une de leur video amusante. Et on a 
la une escalade d’engagement, escalade qui mene a la fanboy attitude, parce que la marque ne 
se contente pas de faire l’eloge de ses produits, mais s’associe a l’humour, a des valeurs, a des 
activites, a du social, a une communaute, a de l’evenementiel. . . L’ engagement a la « France 
loisirs », l’engagement piege par un contrat est une strategic demodee (bien qu’encore tres effi- 
cace). Les marques ont trouve bien mieux en s’acoquinant avec tous les aspects de la vie de ses 
clients, en le faisant s’engager non plus financierement, mais moralement. 


32 http://leplus.nouvelobs.com/contribution/937Q89-soutien-au-biioutier-de-nice-le-succes-de-cette-page-facebook- 
est-effravant.html 


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Faire ecrire Vinternaute 

Avant l’ere d’intemet, les marques organisaient parfois des concours d’ecrits : par exemple, 
« parlez-nous de votre plus beau souvenir dans notre chaine de restaurants » avec cadeau a l’ap- 
pui ou publication en vue. A present, elles font la meme chose, sur le Net, sur Twitter, Facebook 
ou autre sites sociaux, parfois sans cadeau a la cle, en posant une simple question aux clients. 

L’acte d’ecrire, sur papier ou sur ordinateur, n’a rien d’innocent et de futile, bien au 
contraire : l’ecrit signe notre opinion, le texte devient preuve de notre avis et nos pensees et 
on se confonne a ce qu’on a ecrit, meme si le texte a ete commande par autrui. L’ exemple pre- 
cedent, lors de la guerre de Coree montre a quel point les ecrits peuvent changer notre propre 
opinion et cela en profondeur. 

« Deux psychologues, Edward Jones et Victor Harris, ont fait ecouter a des 
volontaires soit un discours en faveur de la politique de Fidel Castro, soit un 
discours oppose a Castro. 

Les discours, leur avait-on dit, avaient ete ecrits par deux auteurs a qui l’on 
n’avait donne aucune consigne particuliere. Sans surprise, les volontaires ont 
declare que 1’ auteur du premier texte etait pro-castriste dans l’ame, alors que le 
second etait un opposant au regime cubain. 

Les psychologues ont ensuite recommence l’experience, mais en precisant 
cette fois que les auteurs des textes avaient ete tires au sort et que le premier 
avait du, que cela lui plaise ou non, ecrire un texte en faveur de Castro tandis 
que le second avait eu pour consigne d’ecrire un texte anti-Castro, la encore 
independamment de ses convictions intimes. 

Or, les volontaires ont continue de penser que 1’ auteur du premier texte etait 
un pro-castriste convaincu, et le second un opposant au regime. Pourtant, on leur 
avait bien precise que les auteurs avaient du rediger un texte de fag on arbitraire, 
que cela corresponde a leurs idees ou non. 

Mais rien n’y fit : ils avaient le reflexe d’attribuer ce qu’ils entendaient a des 
caracteristiques intrinseques de la personne. . . 

Cette experience revele a quel point nous avons une tendance inderacinable 
a attribuer les actes d’une personne a son caractere profond, plutot qu’a des 
circonstances qui pourraient la pousser a agir de telle ou telle maniere. C’est ce 
que les psychologues nomment l’erreur fondamentale d’attribution : nous negli- 
geons 1’ impact de la situation sur les comportements. » 

Sebastien Bohler, 150 petites experiences de psychologie des medias, 

Dunod, 2008. 


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A cause de cette tendance, l’erreur fondamentale d’ attribution, tous textes ecrits (sur la toile 
ou ailleurs) sont consideres coniine traduisant le caractere, les opinions reelles de celui qui les 
a redige. Pas de nuances, si vous avez proclame votre amour de Justin Bieber sur votre mur 
(encore une private joke avec des amis), ceux qui verront le message n’en saisiront pas l’ironie 
et meme les smileys, les mdr, les lol et XD n’y changeront rien : au fond, si vous l’avez ecrit, 
vous le pensez au moins un peu. 

Done les marques insistent pour que vous parliez d’elles, que ce soit une reponse a une 
question, une demande d’avis ou quoique ce soit, car elles savent l’effet que cela aura : aux 
yeux des temoins, le texte redige aura valeur de preuve, ils penseront que vous aimez vraiment 
la marque, que ce que vous racontez est vrai, car vous l’avez ecrit. II en est de meme avec l’ap- 
pel au partage des videos, des images et des retweets. 

De plus, le principe de coherence vous poussera a refaire ce genre d’acte en faveur de la 
marque, a vous engager mentalement encore plus vers elle. 


Cependant, on reste sur le Net. Et coniine chacun peut le constater, il y a en ces lieux imina- 
teriels une tendance a la reactance assez forte qui fait echouer certaines strategies des marques : 

McDonald’s avait lance une campagne sur Twitter : sous le hashtag « #McDS- 
tories » la marque demandait de raconter les plus belles histoires vecues sous le 
grand M jaune. Les internautes se sont plies au jeu et une deferlante d’histoires 
toutes plus negatives les unes que les autres sont tombees : 

« Mec, j’ai travaille chez McDonald’s. Les #McDStories que je pourrais 
raconter ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tete » 

« Une fois je suis entre chez McDonalds, j’ai senti le diabete Type 2 flottant 
dans Pair et j’ai vomi. #McDStories.» 

« #McDStories J’ai perdu 23kg en 6 mois apres avoir arrete de travailler et 
de manger chez McDonald’s » 

« #McDStories Comment peuvent ils etre aussi populaires quand des rats se 
ballades autour de Temballages de leurs pains [sic] » 

La strategic de la marque a done ete un echec total. Mais e’est parfois, avec un peu plus 
d’imagination (mais pas plus de deontologie), une reussite : 


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Pour la sortie du jeu Gods of war ascension, un Food Truck (un camion pro- 
posal de la nourriture) passait dans les rues de Paris a l’heure du repas de midi 
et proposait un kebab contre 1 tweet ou 1 post Facebook vantant le jeu. On a la 
une exploitation relativement claire de la loi de reciprocite : un cadeau contre 
un service. Evidemment, selon l’erreur fondamentale d’ attribution, on peut ima- 
giner que les posts ou tweet ont paru sinceres et non « achetes » a ceux qui les 
ont lu. De plus, le fait de faire ecrire au joyeux gagnant du kebab une phrase en 
faveur du jeu le pousse a la coherence, et done pousse a acheter le jeu. 

Source : http://www.gameblog.fr/news/34218-god-of-war-ascension-un-kebab-tour-a-paris 


Le detournement des blogueurs : 

Comme on l’a vu, l’ecrit est tout de meme un acte qui signe 1’ opinion de son auteur et qui 
peut etre interprets par le lecteur au premier degre, oubliant le contexte qui a amene 1’ auteur a 
l’ecrire. 

Les blogueurs sont des influenceurs : ils ont leur public, parfois tres large, ils sont des petits 
medias a eux seuls et les internautes aiment les suivre, car il y a une certaine sincerity a leurs 
articles, un cachet de « vrai » qui n’est pas forcement influence par l’argent, les actionnaires ou 
tout ce qui pourrait influencer les medias traditionnels. 

Les marques ont bien compris l’influence de certains blogueurs et n’hesitent pas a employer 
les memes strategies qu’avec les medias traditionnels : ils les invitent a des evenements spe- 
ciaux, ils les couvrent de cadeaux et d’ attention. Le resultat est evident : leurs ecrits en sont 
biaises, manipules par toutes ces petites attentions qui satisfont leur plaisir, mais aussi leur ego. 
De plus, le blogueur est comme tout un chacun guide par la loi de reciprocite : il sera tres dur 
pour lui ne pas rendre en retour tous ces cadeaux et parler du produit objectivement, done pos- 
siblement en mal. 

Cependant, l’internaute n’est pas forcement au courant de toute cette campagne d’ achat 
du blogueur, d’autant plus si le blogueur parait tres sincere dans d’autres articles. Seul l’esprit 
critique aiguise, et done une habilite a la navigation critique sur le web, permet de deviner qu’il 
y a eu « achat » . Attention cependant a la facilite de reactance : ce n’est pas parce qu’un article 
est particulierement favorable a un produit que le blogueur/le journaliste a ete achete. 

Ce qu ’on retient de l’ engagement et du principe de coherence : 

— Nous ressentons le besoin de paraitre coherent dans nos actes, opinions, choix, decisions, 
comportements. 

— Ce principe de coherence s’ exprime entre autres de (agon inconsciente et automatique : 
on fait, on choisit en fonction de ce qu’on a deja fait ou deja choisi auparavant sans mettre en 
oeuvre la conscience ou le raisonnement. 


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— En suivant ce principe de coherence, on se retrouve parfois coince dans une ligne de 
conduite, dans des habitudes, ou a suivre des choix qui peuvent nous nuire. 

— Coniine il est moms couteux en tenne d’energie pour le cerveau de s’ adapter a une situa- 
tion, se plier a une situation deplaisante (cf la dissonance cognitive), on prefere se mentir a soi- 
meme, avancer de faux arguments pour justifier notre position et meme defendre avec vigueur 
la situation dans laquelle on se trouve qui pourtant nous nuit. Car remettre en cause nos choix, 
notre situation, demanderaitun « reformatage » demandant beaucoup de ressources energetiques 
notamment pour reconstruire de nouvelles habitudes ou de nouvelles facons d’aborder la vie. 

— Si on est engage dans une situation, c’est-a-dire qu’on a temoigne devant temoin(s) de 
notre engagement personnel (par exemple en signant un contrat, en ecrivant notre engagement, 
en soutenant verbalement une cause...) et que la situation change, done que l’engagement n’est 
pas celui pour lequel on s’est engage, on le defendra par principe de coherence, pour eviter le 
conflit mental en nous. 

— La technique du leurre et du low-ball consiste a obtenir un engagement, mais de chan- 
ger les conditions de l’engagement apres l’accord. Dans le low-ball, le manipulates ment par 
omission, masquant les faits genants de l’engagement ; dans le leurre, la proposition change du 
tout au tout et elle est evidemment bien plus contraignante au final. 

— L’engagement est un puissant mecanisme personnel (ou percu comine personnel) qui 
nous pousse a suivre un systeme comportemental plus ou moins pregnant sur notre vie. 

— L’engagement est un lien qui unit l’individu a ses actes. 

— L’engagement active une pression psycho logique qui pousse a tenter d’accomplir ce a 
quoi on s’est engage. 

— L’engagement peut avoir ete murement reflechi, confronts, avant sa prise, a des experi- 
ences personnelles ayant motive la personne et etre une decision personnelle de sa part. La 
coherence et 1’ engagement murement reflechi peuvent etre de puissants « pare-feu » dans des 
situations difificiles comine celle presentee dans le protocole de Milgram. L’engagement « je 
respecte autrui » dont certains resistants a l’experience de Milgram temoignent, peut sauver des 
vies, contrer les manipulations et 1’ exploitation, empecher certains formatages et, globalement, 
participe a 1’ elaboration d’un monde social plus juste, moins violent, plus intelligent, moins 
aliene, plus respectueux. Rien de « bisounours » dans ce constat : les resistants a l’experience de 
Milgram ont subi une tornade mentale, un violent conflit de valeurs en eux et ils ont du deployer 
d’immenses ressources pour appliquer leur engagement passe « je respecte autrui ». 


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Ainsi la « paix » est toujours une strategic demandant un enonne effort mental a contrario 
de la violence, du brutalisme qui est la voie la plus « economique », car elle ne fait appel qu’au 
cerveau primitif et non aux instances superieures dont nous soinmes tous pourvus. 

— On pense toujours que l’engagement vient de soi et que si on se comporte d’une certaine 
maniere, qu’on a certaines habitudes et un certain mode de vie, c’est qu’on l’a decide. Cette 
pensee denie l’influence d’autrui, denie l’influence de l’environnement, denie l’influence des 
circonstances, denie le poids de l’education qu’on a rccuc et represente un point de vue particu- 
lierement egocentre. Cependant, nous soinmes tous amenes a ce deni de l’impact de l’exterieur, 
notamment parce que les ideologies en vigueur nous poussent a nous responsabiliser meme 
pour des choses dont on ne peut pas etre rationnellement responsable. Done l’engagement nait 
veritablement de l’influence d’autrui, de l’influence de l’environnement, de l’influence des cir- 
constances, de l’influence de notre education et globalement de tout ce qu’a rencontre notre 
etre. 


— Comine le principe de coherence nous pousse a reprendre la direction que l’on a prise 
auparavant, le manipulateur n’a qu’a initier notre premier mouvement en une direction. Ce 
premier acte qui aura ete pousse par le manipulateur nous engagera dans une certaine voie qu’il 
a choisie. 

— Le pied dans la porte est une technique d’ engagement, il est ce premier mouvement 
d’ engagement qui suscitera la coherence en une certaine direction decidee par le manipulateur : 
il s’agit s implement pour le manipulateur de demander a la personne de realiser un petit acte en 
faveur d’une direction. Cela peut etre repondre a un sondage, repondre a une question, deman- 
der de mettre un autocollant sur sa voiture, demander de signer une petition... Une fois le petit 
acte realise, le manipulateur demandera la vraie requete d’engagement a proprement parler, 
c’est-a-dire une requete plus contraignante, plus determinante : signer un contrat, installer un 
grand panneau dans son jardin, consacrer plusieurs heures de son temps a une activite, partici- 
per a un programme... 

— Ce sont done les actes qui font les idees la majeure partie du temps. L’engagement re- 
flechi aurait tendance a fonctionner a 1’ inverse « ce sont les idees qui font les actes » (les idees 
ici venant d’un certain vecu), mais on ne peut pas en certifier tant il est difficile de demeler les 
origines reelles d’un engagement. Le manipulateur, pour engager une personne et ensuite l’ex- 
ploiter (pomper ses finances, changer son opinion a la faveur du mouvement qu’il represente, 
changer son comportement a la faveur de ce qu’il souhaite, etc.) va done lui faire faire des 
actes de plus en plus importants en faveur de la direction qu’il souhaite. La personne pensera 
que c’est elle qui a decide de cet engagement a cause du principe de coherence automatise, et 
chaque acte renforcera cette opinion. 


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Elle n’ envisage pas qu’elle puisse etre un pion sur un echiquier meme quand la situation 
commence a tourner clairement a Sexploitation ; nous verrons dans la partie travail que de 
nombreux manipules se blament eux-memes, non pas a cause de leur naivete, mais parce qu’ils 
estiment justement avoir eu le libre arbitre, done la responsabilite de ce qui a fait leur malheur. 

— Les sectes, certains partis politiques, certains lobbies marchands, certaines entreprises 
sur leurs employes, certaines associations, certains strateges en temps de guerre precedent ainsi 
afin de se creer une masse de sujets fideles, formates selon leurs objectifs, avec les opinions et 
la facon de vivre qu’ils leur ont imposes malicieusement. Mais les sujets pensent que c’est leur 
engagement personnel, leur libre arbitre qui s’est exprime dans ces choix, et cela a cause du 
principe de coherence renforce par les nombreux actes qu’ils ont effectues pour le manipulateur. 

— Nous sornmes tout de meme mefiants concernant les engagements. On sait qu’ils sont 
contraignants, notamment lorsqu’ils concernent des engagements commerciaux. C’est pour- 
quoi fleurissent autant les mentions « sans engagement » et que les vendeurs rappellent que 
vous etes libre de cesser l’engagement a tout moment. Cependant ces mentions et precisions 
ne sont pas de simples informations : elles sont des strategies d’influence pour justement vous 
engager. Des que la notion de liberte est evoquee « vous etes libre d’accepter ou non... » on 
a tendance a moins hesiter de perdre cette liberte. Done la notion de liberte est un excellent 
moyen de nous manipuler et nous pousser a perdre cette liberte. 

— Sur Internet, on nous pousse plus ou moins discretement a affirmer notre engagement : 
ainsi les « j’aime », les tweets qu’on ecrit en reponse ou sur une marque, les videos ou images 
qu’on partage, la participation a des evenements sociaux, la participation a des jeux, sont tout 
autant de pieds dans la porte nous engageant. En effet, on temoigne sur notre « mur » de notre 
interet pour la marque, de notre amour pour celle-ci, de notre appreciation. Le « j’aime » ou les 
autres mentions promotionnees de la marque, peuvent avoir ete motives pour d’autres raisons 
que l’amour de la marque (un cadeau par exemple), il n’en reste pas moins que le mur temoigne 
de notre engagement aupres des visiteurs de notre profil (cf preuve sociale et erreur fondamen- 
tale d’ attribution) et peut nous conduire inconsciemment a plus d’engagements a cause de notre 
coherence automatisee. 


Contrer le principe de coherence et l 'engagement ? 

— La coherence automatique, c’est-a-dire suivre la meme direction prise auparavant, est 
pratique, car elle nous fait faire des economies d’energie mentale et pennet de faire egalement 
des choix judicieux. Prenons un exemple idiot : acheter toujours la meme marque de lessive est 
un acte automatise, un acte coherent par automatisme. Cependant, il est justifie par le fait que 
cette lessive est economique, efficace et relativement saine pour l’environnement. 


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II serait idiot et couteux de remettre en question ce choix a chaque fois qu’on doit acheter 
de la lessive, sachant que cette coherence a des fondements solides et justifies par 1’experience 
et les connaissances. 

— De toute maniere, il est impossible de se passer de la coherence automatique (et des 
automatismes en general), sinon on ne vivrait plus : chacun de nos gestes serait remis en cause 
en pennanence, le savoir et 1’experience ne seraient plus d’aucune utilite, car on repartirait a 
zero pour la moindre action. On est oblige de s’arreter a certaines habitudes et de les renouveler 
a l’identique, ne serait-ce que pour la fa$on de faire son cafe ou de nouer ses lacets, par souci 
d’efficacite et d’economie d’energie mentale. 

— Cependant « la coherence mal avisee est le demon des petits esprits » 33 . II faut done que 
le principe de coherence automatique soit ajuste sur des criteres qui ont ete reflechis ration- 
nellement et honnetement au moins une fois dans notre vie. Reprenons notre exemple sur la 
lessive : imaginons qu’on prenne toujours la meme marque de lessive. Un jour, notre nouveau 
conjoint, pas encore au fait de nos habitudes, se demande pourquoi on prend celle-la et pas une 
autre. Notre principe de coherence, ici mal avise, mais pas inactif pour autant, se trouve face 
a un petit conflit mental. En fait, on n’a aucune idee du pourquoi on choisit cette lessive. Elle 
est chere, elle lave mal. Mais on la choisit depuis des annees. Nous voici en etat de dissonance 
cognitive, en incoherence. Comine il est plus couteux de remettre en question notre choix ini- 
tial, on prefere se mentir a soi-meme (puis a celui qui nous demande pourquoi on l’a choisie) 
et renforcer notre engagement a cette lessive inefificace : voila qu’on defend la lessive devant 
notre conjoint, disant qu’elle lave mieux que les autres, que c’est la meilleure lessive. Et bien 
sur, on continue de 1’ acheter pour prouver qu’on croit dur cornme fer a ces arguments et pour 
aneantir toute trace de dissonance cognitive. On n’avouera pas l’arbitraire de ce choix, d’autant 
plus si elle est extremement couteuse et qu’elle lave mal. Cornme il n’y a aucune raison de la 
defendre, mais qu’on l’achete depuis des annees, le principe de coherence nous pousse a nous 
mentir a nous-memes et a notre conjoint pour rendre raison et sens a ce choix pourtant insense. 

Plus notre choix est prejudiciable pour nous, qu’il nous dessert, plus on va chercher a le 
rendre coherent par des arguments, par un engagement plus intense. On peut par exemple ima- 
giner que ce choix de lessive a ete influence : en fait, c’etaient nos parents ou notre ex qui 
utilisaient cette lessive ; ou peut-etre qu’un jour on a ete amene a l’acheter et l’adopter suite a 
une promotion, un cadeau dans le paquet, etc. Mais on denie l’influence, la rcmplacant par des 
justifications mensongeres, par un engagement personnel dont on serait seul maitre (mais qui 
n’est que le resultat mensonger de la dissonance). 

Cet exemple nous montre qu’il faut done accepter qu’on puisse faire de mauvais choix 
et prendre de mauvaises decisions sur de mauvais criteres. Il faut accepter que parfois, nous 
sommes influences, nous faisons des erreurs, nous adoptons des comportements et habitudes 
que nous n’avons pas reflechis ou qui nous nuisent. 

33 Ralph Waldo Emerson 

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II faut regarder les choses qui nous arrivent avec franchise et constater ce qui nous deplait : 
cette lessive est chere et nulle,je me suis fait avoir, mais grace a ce constat sincere envers moi 
me me, je vais pouvoir faire les changements necessaires done m ’eviter des defenses et avoir 
du linge plus propre. 

On arrive done a l’etape de reconstruction : la coherence mal avisee ayant ete reperee va 
pouvoir se transformer en coherence bien avisee. La dissonance cognitive va pouvoir trouver 
une issue certes couteuse, mais favorable. Pour la lessive, il suffira de se renseigner, de tester 
puis de s’arreter au meilleur choix. Ensuite, on n’aura plus besoin de repenser a cette fichue 
lessive a mo ins d’un changement dans le produit. 

— II est done tres profitable de faire des erreurs et de les reconnaitre, car c ’est ce qui permet 
d’initier une coherence bien avisee. C’est certes couteux pour le cerveau, cela peut etre penible 
pour son ego sur le moment, mais cela permet de se premunir pour un bout de temps, voire 
meme de trouver la vie qui nous convient vraiment. Prenons un exemple plus important et plus 
complique que celui du choix de la lessive (ces illustrations sont inspirees de faits reels dont 
nous reparlerons au chapitre travail) : 

Imaginons-nous manager dans une entreprise. Nous etions auparavant employes, mais nous 
avons eu une promotion grace a notre competence a suivre les directives : la ou d’autres subor- 
donnes etaient imparfaits, leur comportement n’etant pas celui attendu par la direction, nous 
etions 1’ exact modele attendu sur tous les plans. Cette promotion nous a valu une hausse de 
salaire, des primes, des felicitations. De plus, a l’exterieur, notre image sociale a ete rehaussee : 
notre famille se vante de notre nouveau statut, nos amis sont tiers de nous, d’autres nous envient 
et esperent suivre une meme reussite professionnelle. 

Par coherence, nous suivons done le meme modele comportemental, e’est-a-dire que nous 
suivons rigoureusement et avec perfectionnisme les directives, en adaptant ce modele a nos 
nouvelles fonctions. Ce modele nous a offert de la reussite, il est done coherent de le suivre. 

Le temps nous donne raison : notre coherence etait avisee puisque nous sommes a nou- 
veau felicites par la direction pour l’efficacite de notre management, nous obtenons toutes les 
primes. Certes, les joumees de travail ne sont pas des journees paradisiaques, mais ces signes 
pecuniaires prouvent bien que notre comportement est bien avise. 

Puis, nous commcncons a avoir des problemes de sante. Rien de bien grave, mais c’est 
persistant. Insomnie, problemes de digestion, problemes de peau... 

Le docteur ne nous trouve pas de pathologie clairement definie. Il nous parle de symptomes 
dus au stress... La cause serait a chercher dans notre mode de vie. 

Deux solutions s’offrent a nous : soit nions ce conseil (solution 1) soit nous passons since- 
rement en revue notre vie (solution 2). 


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Solution 1, nous nions le probleme et nous evitons le conflit mental : 

Suite a revocation du stress par le medecin, nous considerons que le medecin n’est pas 
competent ou alors que nous avons surevalue l’iniportance des symptomes alors qu’il n’etait 
pas necessaire de consulter ; ou encore que le stress en question conceme notre vie familiale/ 
nos amis/nos passions, mais certainement pas le milieu professionnel. Quelle que soit l’inter- 
pretation choisie, ce rendez-vous est vite oublie et on continue de vivre cornme d’habitude 
(a moins qu’on ait determine le stress dans la sphere privee, done qu’on s’en prenne a nos 
proches). Les problemes de sante perdurent, mais on a decide de faire avec. On continue de 
recevoir des primes, de plus en plus importantes, done c’est que Ton a raison de croire en 
1’ adaptation coherente et avisee a notre travail. Notre sante est de plus en plus mauvaise. Bon, 
il est vrai que le travail est stressant, mais nous considerons que c’est le prix de la reussite et 
des primes. Mais a mesure que nos problemes de sante augmentent, notre performance decroit 
et le stress augmente ren fore ant au passage nos problemes de sante. La direction s’en alarme : 
les resultats baissant, elle commence a nous menacer. Les menaces sont de plus en plus severes. 
A un entretien en vue de reprimandes, nous commcncons a nous sentir mal, puis nous tombons 
a terre. C’est un infarctus. Suite a cet accident, nous perdons l’usage de nos deux jambes. Nous 
voici handicapes a vie, mais apres une prise de conscience forcee par la maladie, on constate 
notre chance d’etre en vie. Une collegue, elle, au meme poste et a la meme enseigne, s’est sui- 
cidee... 34 

Solution 2, nous acceptons le probleme et faisons face au conflit mental : 

Suite au rendez-vous chez le medecin, nous acceptons avec difficulty le fait que nos pro- 
blemes soient dus au stress professionnel. Cette prise de conscience est douloureuse, pertur- 
bante, genante. Elle remet en cause tout notre mode de vie et des le lendemain matin, apres une 
nuit d’insomnie a reflechir douloureusement, nous ne voyons plus les choses de la meme facon. 
Certes on a une tres bonne position sociale, de 1’ argent et la reconnaissance de ses superieurs : 
mais notre travail, qu’en est-il vraiment ? 

En regardant une a une les actions que nous soinmes amenes a faire, nous nous rendons 
compte que 90 % d’entre elles consistent a mettre la pression sur les subordonnes pour qu’ils 
atteignent des objectifs impossibles (faire autant de ventes chaque jour alors que certains jours 
il y a peu de clients). Pour cela, on a appris a les destabiliser, les menacer, les sanctionner, les 
humilier. On est parfois charge d’en licencier, mais la direction prefere encore qu’on les pousse 
a la demission, ce qui implique de notre part de trouver des astuces pour les mettre en faute (par 
exemple, mettre des objets dans leurs affaires personnelles pour les accuser de vol, inventer des 
plaintes de clients, etc.). 

34 Cette illustration est inspiree du temoignage d’un directeur d’une agence Caisse d’epargne (Envoye special. Entre- 
prises : les patrons mettent-ils trop la pression ? France Televisions, 28/02/2013) ; harceleur et harcele, il a fini par faire un 
infarctus, une autre directrice d’agence s’est quant a elle suicidee. On en reparlera au chapitre travail. Cependant, cette illustra- 
tion pourrait tout aussi bien convenir a certains managers durant la periode difficile de France Telecom - Orange, ou encore a 
bien d’autres chefs de rayons en supermarche ( Carrefour , Intermarche...). 


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Le resultat est une ambiance epouvantable dans une crainte permanente et les anciens su- 
bordonnes avec lesquels on etait pourtant amis nous ha'issent. II est grand temps d’arreter ce 
desastre. On redevient agreable avec les subordonnes et on se met a les aider, a les soutenir 
dans leur tache. On accepte qu’ils n’arrivent pas a remplir les objectifs, on reconnait qu’ils sont 
impossibles. L’ ambiance est meilleure. Les maux de ventre s’estompent puis disparaissent. 
Les resultats restent bons, certaines perfonnances ont meme augmente. Cependant la direction 
demande tout de meme de virer quelques employes devenus trop chers par leur anciennete 
pour les remplacer par des stagiaires. On refuse arguant leurs bons resultats. On nous enleve 
nos primes. La direction se moque de cette nouvelle facon de manager et commence a nous 
harceler. Apres plusieurs tentatives de « poussage a la demission », la direction nous licencie. 
On cherche alors un autre emploi similaire, on trouve, mais c’est exactement la meme rengaine, 
alors on part. On decide d’ouvrir une entreprise respectant l’humain. 35 

On obtient la une coherence bien avisee : on a fait du mal a autrui en suivant les ordres > 
cette obeissance aveugle nous a fait soufifrir > on a reconnu notre erreur et tente de la reparer > 
on a garde cet engagement « ne pas faire soufifrir autrui pour ne pas soufifrir soi-meme » et on a 
cherche un projet professionnel en accord avec cet engagement > comine on n’a pas trouve une 
entreprise avec cette valeur dans notre corps de metier, nous l’avons creee. En cela les erreurs, 
la reconnaissance de ses erreurs et la volonte d’une coherence avisee, reflechie, peuvent donner 
un sens majeur a sa vie. 

— Le corps peut etre un excellent revelateur des problematiques qu’on nie a sa conscience 
parce qu’elles entraineraient trop de remise en question sur notre facon de vivre. Done, soyons 
attentifs a nos symptomes, cependant il ne faut pas faire l’exces inverse et interpreter chaque 
maladie comine un signe : une gastro-enterite n’est qu’un virus, cela ne sert a rien de pousser 
plus 1’ interpretation. 

— Globalement, il faut ecouter ses malaises, l’ambigu'ite de ses ressentis et accepter de les 
explorer : si on est mal a l’aise dans une situation, c’est pour une bonne raison. Nier le malaise 
et le meilleur moyen de se retrouver dans une voie de coherence mal avisee. 

— Avoir une deontologie personnelle, des valeurs (qui viennent bien de nous), pennet de 
poser des limites a des engagements abusifs : cela peut aller du « je ne mettrais jamais 10 euros 
pour acheter un baril de lessive » a « je refuse de faire soufifrir mes congeneres » . Comine on l’a 
vu, c’est souvent la reconnaissance de ses erreurs, la reflexion etplus globalement l’observation 
raisonnee de sa vie passee et presente, l’observation des repercussions de son comportement sur 
autrui et soi-meme, qui pennet de se construire une deontologie personnelle coherente et solide. 

35 Cette illustration est directement inspiree d’un directeur de supermarche (source : Le management par la manipula- 
tion mentale, Bernard Salengro) qui a ete harceleur, puis qui a pris conscience de ses actes et est devenu harcele a son tour par 
les superieurs. Il a suivi le meme parcours que decrit 


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— Les marques ont bien compris la puissance de ces « valeurs » et souhaitent, par associa- 
tion, se les attribuer pour qu’ainsi, celui qui s’est donne la valeur d’honnetete par exemple, s’af- 
fectionne de la marque. Les valeurs, les chartes ethiques des marques ne sont que des strategies 
marketing tout autant a destination des clients que des employes. Elies servent de faire-valoir 
« nous, nous sommes honnetes, car c’est ecrit dans notre charte ». Ce ne sont que des mots, de 
l’esthetisme moral, un vemis. N’oublions jamais de regarder la realite, de constater les faits 
avant de croire a ces mythes qu’elles veulent s’approprier. 

— II faut se detacher de l’idee commune voulant que la fuite soit lache, inappropriee, signe 
d’un caractere faible. Bien au contraire, cesser une situation demande un grand courage, car 
il faut etre franc avec ce qu’on vit, avec notre ressenti ; faire face a la situation et l’observer 
en toute franchise, meme si cela nous fait beaucoup de mal ; reenvisager toute notre facon de 
vivre, accepter le deuil de certains avantages ; accepter de se retrouver dans un desert dans le- 
quel il va falloir se reconstruire. L’ engagement etant soumis a la pression sociale, le desengage 
etant repudie, il faut en plus subir l’attaque d’autrui sur son comportement. Done, la fuite (done 
le disengagement) est courageuse et elle est essentielle dans certaines situations ou la lutte est 
impossible. 

— Concernant l’avant-engagement, il faut se rappeler qu’il n’y a pas d’actes insignifiants. 
Tout acte que nous effectuerons aura un sens, de facon inconsciente pour nous (mais un sens qui 
agit sur nous tout de meme) et un sens (parfois different) pour celui qui temoigne de Tacte ou 
qui constate Tacte. Un « j’aime » sur un article montre a vos amis, a votre famille, a votre milieu 
professionnel ou a des inconnus que vous approuvez le contenu de T article, que vous le conseil- 
lez, que vous le soutenez, qu’il s’agit de vos opinions egalement. Ecrire un texte, meme de 140 
caracteres, vous auto-engage et prouve votre opinion a qui se renseigne sur le hashtag qu’il 
contient. Done avant de signer, ecrire, promouvoir, on reflechit a qui ce petit acte va profiter et 
en quoi cela pourrait ou non nous porter prejudice. De plus, le « j’aime » est flou : on peut ima- 
giner qu’il decrit un amour du message, du travail du messager, ou de la structure dans laquelle 
est le messager ou encore de Timage/du titre, mais pas du lien en lui meme. Un « j’aime » sur 
une video de torture d’animaux peut etre aussi bien pcrcu comine de Texpression de la cruaute 
de celui qui a liker comine de son engagement envers la denonciation de la torture des animaux. 

— L’ engagement n’est pas egal a une soumission inconditionnelle, si noble soit Tengage- 
ment tenu. Tout evolue, tout se metamorphose, et les groupes humains encore plus. Done si 
quelque chose vous deplait, que votre groupe se met a soutenir une cause que vous ne soutenez 
pas, n’allez pas manifester avec eux. Si votre parti politique change d’ opinion et que cette nou- 
velle voie ne vous convient pas, partez. Si votre association prepare une action qui est contraire 
a votre deontologie personnelle, signifiez-le et si elle persiste a aller contre des valeurs qui vous 
semblent pourtant essentielles a garder pour T association, arretez de les soutenir. 


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On peut toujours dire non, on peut toujours se desengager, et ce sont parfois les seules so- 
lutions. Cela n’a rien d’inutile, car cela peut donner la force aux autres d’en faire de merne (par 
exemple dans une replique de Milgram, il n’y a quasiment plus de soumission si des comperes 
complices se rebellent). 

— Toujours dans le meme registre, si les conditions nous ayant seduites a la prise de l’en- 
gagement changent, que les conditions initiales ne sont plus effectives, alors il n’y a aucune rai- 
son de suivre Tengagement, car ce sont des techniques de leurre ou de low-ball. Vous ne serez 
pas lache, au contraire, c’est celui qui propose Tengagement qui est un arnaqueur. 

@COMMERCIAL/LE FORMATAGE DU CONSOMMA- 
TEUR 

Avant tout, revenons sur notre definition du fonnatage : en infonnatique, le fonnatage de- 
signe une operation qui consiste a preparer un disque dur afin qu’il soit utilise par le systeme 
d’ exploitation de Tordinateur. Cette operation consiste a segmenter les parties selon un systeme 
particulier, effacant au passage toutes les donnees qui auraient pu etre presentes. On compare 
souvent le cerveau humain a un ordinateur : en effet, coinme nos machines, le cerveau traite de 
T information provenant a la fois de Texterieur et de Tinterieur, il Tassocie, la stocke ou l’uti- 
lise selon differents precedes. Certains des precedes traitant T information dans le cerveau sont 
systematises, et ces systemes peuvent etre des croyances, des styles de vie, des competences 
particulieres ayant avec le temps modele le cerveau d’une certaine facon. Si on a un doctorat 
en psychologie, on analysera les informations qui nous proviennent selon le prisme de nos 
connaissances et de T experience qui en decoule, car c’est sans doute le systeme le plus abouti 
etant donne le temps que nous y avons consacre dans notre vie. De meme, si on est avant tout 
religieux, on interpretera les evenements selon une certaine maniere, sans doute tres differente 
de notre docteur en psychologie. Si on est a la fois docteur et religieux, notre traitement de 
l’information sera encore bien different. On pourrait dire que ces systemes de connaissances, 
de croyances nous formatent a penser, interpreter, analyser et a nous comporter d’une certaine 
maniere. 

Le probleme n’est pas le fonnatage en lui-meme, car on peut etre religieux et ouvert a 
d’autres modes de fonctionnement, on peut etre specialise dans une competence et ne pas etre 
pour autant cloisonne a celle-ci. Tout le probleme se situe dans la nature du fonnatage, son 
origine, la conscience de celui-ci, sa pregnance sur notre vie et la possibility de s’en defaire ou 
non. 

Generalement, le tenne de fonnatage est pejoratif. Il decrit un cloisonnement cerebral bor- 
ne, inconscient de son fonnatage, insense et il est le resultat de pratiques decerebrantes ou 


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de manipulations repetees. Les formates sont generalement exploites et c’est meme le but du 
formatage : il s’agit de pieger mentalement un individu dans une structure de pensee afin qu’il 
soit controlable par celui qui formate et exploite. L’endoctrinement des sectes et de certaines 
religions est du formatage : progressivement on supprime les systemes de pensee de 1’ individu 
pour le remplacer par un autre systeme ferine et exclusif qui sera entierement dedie a l’ex- 
ploitant. Generalement, tout ce qui a trait au passe de la personne est ecarte soit volontairement, 
soit par le resultat du formatage. 

Que vient done faire notre formatage dans cette section commerciale ? Certes, on a vu de 
long en large que les situations de vente sont parsemees de tactiques de seduction, d’ influence, 
de persuasion et de manipulation, mais de la a aboutir a un formatage... Les consommateurs 
pourraient etre formates au meme titre que les adeptes d’une secte ? Certes, les fanboys Apple, 
amoureux de leur telephone, se tatouant la pomme et parlant des Apples Stores comine de leur 
eglise, semblent etre clairement formates. Mais ils ne sont pas majoritaires, tous les clients 
d "Apple ne venerent pas a ce point la marque (du moins on l’espere). Nous ne sornmes pas na'ifs 
au point de croire au premier degre ce que les marques nous content, par exemple McDonald s 
a beau changer son image en la teintant de discours ecolo et d’hygienisme, le consommateur 
sait pertinemment que leurs produits sont gras et a des lieues d’un quelconque respect de l’en- 
vironnement. Certes, on se fait avoir a des achats inconsideres, futiles ou impulsifs. Certes, on 
tombe dans le panneau des promotions et on est seduit par la gratuite et excite par les situations 
de rarete. Mais formates ? 

Les adeptes des sectes ne se considered pas formates. Ils pensent qu’ils ont eux-memes 
choisi cette voie, en toute conscience, et ils ne se represented pas prisonniers d’une ideologic, 
bien au contraire. Les adeptes de secte pensent au contraire que leur croyance et leur nouvelle 
facon de vivre les liberent et que ce sont nous les prisonniers. C’est meme une caracteristique 
des fonnatages enfennant, due a des manipulations et servant les exploitants plutot que nous : 
ils ne sont pas percus en tant que tel. Quand on est formate par la connaissance approfondie en 
une discipline, on sait pertinemment que l’on va aborder un sujet prioritairement sous 1’ angle 
de cette discipline, parce que c’est la que nous sornmes les plus efficaces ; cependant, les autres 
modes de pensees ne nous sont pas fermes et Ton peut envisager les choses ou se comporter 
sans la houlette de ce formatage. Les modes sont bien distincts, modifiables a volonte. Le 
« formate » a une connaissance aura un systeme d’exploitation pouvant accueillir n’importe 
quel logiciel, meme si certains seront mieux geres que d’ autres : par exemple, le trilingue aura 
une tres grande facilite a adopter un logiciel d’une nouvelle langue, par contre il aura autant de 
difficulty que n’importe qui a apprendre la voile. 


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A l’inverse, le fonnatage enfennant est un systeme d’exploitation corrompu : impossible 
d’installer certains logiciels (car prohibe par le fonnatage), des logiciels peuvent etre utilises 
selon une interpretation erronee, des logiciels n’anivent pas etre installes, car le systeme d’ex- 
ploitation limite les ressources energetiques a d’autres programmes. L’ information est globale- 
ment mal traitee, impactant tout l’organisme, cependant ce systeme d’exploitation corrompu a 
une efficacite redoutable quand il s’agit de mettre en oeuvre ses ressources pour l’exploiteur : 
c’est cornme si l’ordinateur et son systeme defaillant n’avaient que pour but de servir un autre 
ordinateur, au prix meme de son propre fonctionnement. 

Coniine les adeptes des sectes, nous ne nous considerons pas formates. Nous pensons etre 
libres de toute influence, nous ne pensons pas etre manipules ni explodes, nous pensons faire 
continuellement nos propres choix. Malheureusement, c’est faux. Pour la bonne raison que le 
systeme dans lequel nous vivons nous force a vivre d’une certaine facon et qu’il est excessive- 
ment difficile de faire autrement. Et ce fonnatage force concerne notre facon de consommer, 
done notre role de client, cornme nous allons le voir dans cette partie. 

■ LA SOCIETE DE CONSOMMATION 

Tout commence aux Etats-Unis, dans les annees 1920. Le gouvernement americain veut 
que les citoyens consomment plus et commence a mettre en oeuvre des mesures pour faciliter la 
consommation : les credits sont facilites et certaines normes bridant le commerce sont abolies. 
Mais ce n’etait pas dans les habitudes, le citoyen consommait alors tres modestement, en fonc- 
tion de ses besoins. II reparait ou faisait reparer ses objets plutot que d’en acheter de nouveaux. 
Le consommateur etait pragmatique et finalement n’avait que peu d’ambition d’achat. Alors il 
a fallu l’encourager a depenser, la depense meme totalement inutile a ete vantee, car elle etait 
consideree cornme un bienfait pour la nation. 

Les finnes, alors liberees de certaines contraintes, se sont accordees a ce souhait et ont 
evolue avec ce but qui servait egalement la nation, a savoir faire consommer le citoyen toujours 
plus, toujours plus facilement : plus il y aurait d’achats, moins les achats seraient chers, plus les 
acces aux produits seraient faciles pour tout un chacun. On voyait la consommation cornme une 
nouvelle liberte, celle d’ avoir tout a portee de main. 

La consommation devient alors le socle de la societe : je consomme, done je foumis des 
emplois (done du bien-etre), done je fournis du pouvoir d’achat a autrui et ainsi de suite. Ainsi 
etait nee la fameuse croissance, croissance qui est consideree aujourd’hui cornme l’indicateur 
positif de revolution du pays. Il faut croitre, indefiniment, sans perte de vitesse ; c’est-a-dire 
produire toujours plus de produits, vendre toujours plus, done faire travailler toujours plus. 
C’est ce qu’on considere aujourd’hui cornme la bonne chose a faire, et cela quels que soient les 
partis politiques, gauche ou droite ainsi que leurs extremes respectifs. 


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Mais le consommateur n’a pas toujours ete ce qu’il est aujourd’hui : consommer plus que 
ses besoins n’etait pas une evidence. II s’arretait de consommer quand il avait ce dont il avait 
besoin, il gardait precieusement les objets acquis et ne s’en lassait pas. Or les firmes voulaient 
croitre et c’ etait impossible si les consommateurs s’arretaient de consommer. Il a fallu les pous- 
ser a la consommation, et cornme la democratie etait de vigueur, il etait impossible de forcer 
les achats a coups de baton. Done les firmes ont commence a elaborer des strategies d’influence 
et de manipulation : la publicity, avant autoritaire ou simplement descriptive (« achetez-moi, 
vous serez satisfait » ; « lessive enlevant meme les taches de... ») commenca a jouer sur des 
leviers psychologiques, par exemple la comparaison sociale, done la jalousie. Le consomma- 
teur devait etre jaloux des possessions de son voisin pour vouloir acheter cette voiture dont il 
n’avait pas besoin. La profession de RP (relation publique) vit le jour et s’attela a organiser des 
manipulations d’envergure : alors que la cigarette etait peu consommee par les femmes, parce 
que cela ne faisait pas « bon genre » de fumer dans la rue, Edward Bernays 36 a eu la bonne idee 
d’associer la cigarette a une forme de feminisme ; la cigarette etant un symbole phallique, done 
de pouvoir, il fit une petite manifestation de femmes fumant dans la rue, portant pour message 
« les chalumeaux de la liberte ». L’ affaire fut relayee par les medias et finalement les femmes 
fumerent partout, remplissant a merveille l’objectif que s’ etait fixe les industries de tabac qui 
avaient confie cette mission a Edward. 

La societe de consommation eut done - entre autres - pour mecanique la manipulation de 
l’opinion pour la pousser a consommer. 

Ainsi, aujourd’hui, il nous semble naturel d’avoir tout le temps envie d’acheter tout et n’im- 
porte quoi et encore aujourd’hui, nous pensons que c’est une tres bonne chose de consommer 
beaucoup. On pense encore que c’est notre consommation qui fait toumer le pays, qui cree 
des emplois. Ces considerations sont des formatages archa'iques qui nient la realite, des for- 
matages enfermant, car ils empechent d’imaginer d’autres modes de vie. En effet, la consom- 
mation ne cree plus autant d’ emplois qu’ avant et meme en consommant demesurement, elle 
n’en creera pas plus : le progres technique a permis d’automatiser les usines et les firmes vont 
chercher leurs mains-d’ oeuvre dans des pays lointains. De plus, si en 1920 on pouvait se per- 
mettre d’avoir encore un fantasme d’immortalite concemant la Terre, on ne peut plus en nier 
sa fragility, ses limites et notre impact negatif sur elle. Les ressources sont limitees, la Terre est 
un endroit fini, avec ses limites et ses fragilites. Il est totalement inconsidere de penser qu’il est 
bon de croitre continuellement dans un monde fini, tout simplement parce que c’est impossible. 
La surconsommation est un mal qui ronge notre planete, qui ne comble pas nos vides person- 
nels, qui n’aide pas la societe a aller mieux. Cependant, la societe continue toujours de nous y 
pousser, que ce soit les gouvernements cornme les interets prives et nous sornmes tous formates 
a vouloir consommer au-dela de nos besoins et y ressentir une forme d’aboutissement et d’ac- 
complissement, car cela fait des dizaines d’annees qu’on nous pousse a avoir cette mentalite. 


36 « Propaganda, Comment manipuler l'opinion en democratie » Edward Bernays 


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Cependant, meme en se liberant de ce formatage de la consommation qu’on pourrait traduire 
en « un fort pouvoir d’ achat, ton objectif, te permettra de consommer beaucoup, done d’etre 
heureux et de reussir ta vie et en plus tu participeras a l’elan de croissance du pays et done tu 
pourras etre her de ta vie » ; on reste bloque dans la course a 1’ achat perpetuel, parce que tout ce 
qu’on possede finit par mourir, que ce soit l’annoire, la bouilloire, la voiture ou l’ampoule. On 
pense que e’est parce que les fabricants ne peuvent pas fabriquer des objets parfaits, on pense 
que certains composants meurent de facon naturelle, qu’il n’y a rien a faire. On pense que e’est 
parce qu’on n’a pas paye assez cher ou encore parce qu’on n’a pas ete assez precautionneux. 
C’est faux. On pourrait faire tous les efforts du monde pour maintenir en vie ses collants, cette 
bouilloire ou cette ampoule, qu’ils finiraient par deceder. Non pas parce que tout doit mourir 
sur cette terre, mais parce que cela a ete volontairement programme afin de nous pousser a la 
consommation perpetuelle. 

■ L'OBSOLESCENCE PROGRAMMEE 

L’ obsolescence, e’est la peremption d’un produit non alimentaire. L’ obsolescence peut 
etre technique : les progres rendent obsolete l’usage de certains objets. La machine a ecrire par 
exemple n’est plus utilisee parce que l’ordinateur offre bien plus d’avantages et d’aisance37. 
C’est done une obsolescence justifiee, qui a des raisons techniques qu’on ne peut nier. Cepen- 
dant les marques ont tendance a faire croire que leurs nouveaux produits rendent obsoletes 
techniquement les anciens (ou ceux de la concurrence). Elies font croire que les nouvelles 
fonctions du logiciel qu’elles proposent sont une veritable innovation dont vous ne pourrez pas 
vous passer apres les avoir decouvertes ; elles font croire que la faille de l’appareil est revolu- 
tionnaire ou que l’ajout d’un port supplementaire sur une tablette est une veritable evolution 
qui surpasse tout ce que le domaine des tablettes a pu connaitre. C’est evidemment faux. Si 
la fonction premiere de l’appareil est inchangee, qu’elle est au mieux amelioree, il n’y a pas 
devolution, done pas de necessity absolue de changer de modele. Par exemple, les machines 
a laver n’evoluent plus depuis des annees, quelles que soient les fonctions que les fabricants y 
ajoutent, le modele mecanique de base est abouti, plus durable, plus reparable que ceux qui y 
ajoutent de l’electronique inutile. 

Ne nous laissons pas epater par ces innovateurs de pacotille qui, sous pretexte d’operer un 
changement mineur dans le produit crient a la revolution technique. Ce ne sont que des stra- 
tegies marketing, les vraies revolutions techniques sont rares et pas plus intenses qu’avant : le 
marketing est en revanche bien plus intense. 

L’ obsolescence peut etre psychologique : le produit n’a pas connu de changement technique 
il n’y a pas d’innovation le relayant aux ordures et pourtant il est clairement obsolete. 

37 Cependant la machine a ecrire est de nouveau utilisee par les services secrets pour eviter les connexions ou Plages 
lies a l’informatique. Elle est aussi un objet vintage prise, a des fins de decoration. 


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C’est le cas des vetements : on pourrait porter des toges l’ete ou mettre des capes l’hiver 
sans perdre de confort, en etant protege, cependant personne ne le fait, a moins d’aller a une fete 
costumee. II est done question de mode dans cette obsolescence psychologique, de culture et 
d’habitude partagees par les groupes, imposant certaines normes vestimentaires ou des normes 
de consommation qui n’ont qu’une fonction sociale, identitaire, mais pas liee a des facteurs ob- 
jectifs. Une norme de consommation objective serait par exemple de s’equiper de moustiquaire 
dans un groupe (dans un pays tropical) et pas dans 1’ autre (dans un pays nordique). Une norme 
d’ influence du groupe non objective est par exemple de porter exclusivement des minishorts en 
ete parce que la mini-jupe a ete consideree comrne obsolete par certains et cornme personne ne 
porte de mini-jupe, personne n’osera done en porter. 

L’ obsolescence psychologique n’est pas un phenomene nouveau, toutes les societes hu- 
maines ont leurs modes et celles-ci evoluent. Le vrai probleme se situe dans la manipulation de 
1’ obsolescence psychologique : les influenceurs de tous genres (medias et industries) ne cessent 
de jouer a remettre a la mode tel produit, ridiculiser tel autre produit ou tel look pourtant opti- 
mum un mois auparavant (cf les « fashion police » de certains magazines feminins...). Le look 
n’est jamais le bon, il faut done acheter quantite de vetements, passer un temps inconsidere a la 
pratique vestimentaire et le resultat est catastrophique pour celui qui veut suivre la mode : les 
influenceurs lui disent qu’il n’est jamais assez bien, qu’il est toujours demode, qu’il faut qu’il 
fasse des efforts. Le bonheur et la serenite sont les ennemis des firmes : quelqu’un d’heureux 
se contrefout d’etre a la mode, done il est necessaire de placer le dictat de la mode en un point 
tres haut, impossible a atteindre et il faut culpabiliser celui qui « ne fait pas un effort ». Done le 
drame est d’abord individuel, mais il est aussi mauvais pour la planete, etant donne le nombre 
de dechets qu’il produit. 

De plus, la mode n’est pas que vestimentaire. Depuis des annees, toutes les industries et 
firmes veulent profiter de cette surconsommation qu’engendre la mode : ainsi la decoration 
interieure, les meubles, les voitures, les nouvelles technologies et meme les maisons tentent 
de faire leur mode, afin que le consommateur rachete sans cesse tout ce qu’il possede. « C’est 
bon de changer », nous dit Conforama : on se permet de douter que changer d’ anno ire cornme 
de chemise soit un bienfait pour nous et la planete... Il y a dans ce slogan une confusion entre 
l’apparaitre, l’avoir et l’etre : changer de deco ne changera pas la personne. 

Quand bien meme vous ne seriez pas influence par la mode, que vous avez deja decide de- 
puis longtemps de mettre au dernier plan votre role de consommateur et prefere vous atteler a 
vivre plutot qu’a passer votre vie a gagner de l’argent pour le depenser, vous serez quand meme 
force de subir les affres de l’obsolescence et done de consommer plus qu’il ne le faudrait. Parce 
que depuis les origines de la societe de consommation, vers les annees 1920, les firmes ont fait 
en sorte de programmer et imposer 1’ obsolescence. 


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L’ obsolescence programmee consiste pour les industries a fabriquer des produits peris- 
sables meme s’ils pourraient etre durables : il s’agit de denaturer les matieres pour qu’elles 
finissent par mourir plus vite que prevu, il s’agit d’inclure des fonctions ou des caracteristiques 
qui entrent discretement en conflit avec les fonctions premieres (et done qui finissent par tuer la 
fonction premiere), il s’agit, dans les plans de l’objet, de le concevoir imparfait. 

Cette fonne d’ obsolescence programmee a ete initiee a grande echelle vers les annees 1920 
par le cartel des fabricants d’ampoules : il s’agissait de reduire la duree de vie de l’ampoule 
a 1000 heures. Les ingenieurs ont ete pries de revoir les plans des ampoules afin qu’elles ne 
vivent que ce nombre d’heures definies ; des campagnes de publicity aux accents pedagogiques 
(mais mensongers) ont ete lancees pour expliquer pourquoi il etait sain et plus securitaire que 
les ampoules ne vivent que leurs mille heures ; les petits fabricants d’ampoules ont ete discre- 
tement menaces afin qu’ils s’alignent a ces nouvelles nonnes. 

Et c’est ainsi qu’a present toutes nos ampoules meurent, sans qu’on comprenne vraiment 
pourquoi et que cela nous parait inherent a la condition d’ ampoule. L’ampoule est consideree 
comme indubitablement fragile et non durable. 

Or, nous pourrions avoir des ampoules qui nous survivraient : 

En Califomie, a Livermore, on celebre un anniversaire on ne peut plus ori- 
ginal : celui d’une ampoule en filament de carbone eclairant presque continuel- 
lement une caserne de pompier depuis 1901... On peut encore la voir briller 
grace a une webcam ( http://www. centennialbulb . org/photos .htm ) . Bien que sa 
vieillesse la fasse consommer enormement, elle est la preuve « vivante » qu’on 
pourrait avoir des ampoules a la duree de vie bien plus importante. 

Mais l’ampoule n’est pas le seul objet qui pourrait etre parfait : 

En 1940, Du pont de Nemours lance un bas de soie synthetique qui ne file 
pas. Il est resistant au point de pouvoir tracter une voiture en tant que cable. 

Mais il a ete commande aux ingenieurs d’y incorporer des genes de mortalite : 
ils inclurent done dans le bas des additifs protegeant soi-disant le nylon, mais 
qui le rendirent ainsi mortel. Ainsi, les bas d’aujourd’hui se filent apres quelques 
utilisations ou au moindre choc, les rendant obsoletes parfois meme apres une 
seule utilisation, et cela quel que soit le prix qu’on y a mis. 

Ainsi, toutes les industries, firmes, mettent leur creativite au service de la mort de l’objet : 
la batterie de 1’iPod avait ete programmee pour vivre uniquement 18 mois (ce qui a souleve un 
proces) ; les generations d’ordinateurs Apple, sous le commandement implacable de Steve jobs, 


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sont volontairement restreints dans leur nombre de ports, dans la possibility de les ameliorer ou 
de les reparer soi-meme, bien que Wosniak ait insiste pour permettre aux utilisateurs d’avoir de 
quoi raj outer au mo ins quelques barrettes de memoire 38 ; General Motors s’etait donne pour 
objectif de favoriser l’obsolescence afin que les clients changent de voiture tous les ans ; etc. 

De notre point de vue de consommateurs, ces strategies d’ obsolescence programmee, ces 
volontes d’accroissement d’obsolescence psychologique sont intolerables. Cette corruption vo- 
lontaire des produits afin de nous les faire racheter est un forcing a consommer, un forcing a 
polluer, sans compter tous les petits desagrements que cela nous occasionne (perte de temps a 
chercher une anno ire de remplacement a celle qui vient de s’ecrouler toute seule sans raison ; 
perte de temps pour trouver le transport qui convient ; perte de temps et de force a la transporter 
dans la maison ; enervement et perte de temps a la monter ; puis, 3 ans plus tard, re-enervement 
quand cette nouvelle armoire s’effondre egalement). Evidemment, l’ethique est bien loin de 
ces manoeuvres d’obsolescence et ces techniques vont a l’encontre de l’humanite : s’il y a bien 
une « loi » que nous devrions tous suivre naturellement, c’est 1’ evolution. Ces techniques la 
contrent et pire encore, nous font regresser, sans que nous puissions nous y opposer : que les 
produits soient chers oupeu chers, l’obsolescence, l’empechement des reparations ou de l’ame- 
lioration sont presentes. Les produits Apple sont la preuve qu’on peut depenser des sornmes 
folles sans pour autant avoir un produit durable : la marque les fera perimer des le prochain mo- 
dele, generant au passage une pollution monstre (les composants electroniques des telephones 
et ordinateurs sont extremement polluants), sans compter l’asservissement et 1’ exploitation des 
travailleurs localises dans des pays ou les droits sont quasi-inexistants en leur faveur. 

Comment justifient-ils ces politiques ? Comment peut-on justifier le fait de volontairement 
faire du mediocre, des produits volontairement imparfaits ou faillibles ? 

Comine nous l’avons vu dans notre section « societe de consommation », ces methodes 
d’obsolescence sont justifiees par le fait qu’une forte demande pour des produits de consomma- 
tion (forcee par des techniques d’obsolescence ou par un marketing sournois qui cree des frus- 
trations pour pouvoir les combler) engendre une grande production, qui augmente le recrute- 
ment et rend les prix plus accessibles a l’ensemble de la population. Done, sans l’obsolescence 
programmee, nous serions obliges d’acheter a prix fort et aurions mo ins d’emplois disponibles. 
Certains defenseurs de l’obsolescence programmee, certains agriculteurs volontairement pol- 
lueurs arguent egalement qu’ils n’ont pas le choix, que les gens ne veulent que des prix bas, 
done qu’ils sont obliges d’opter pour ces modes de fonctionnement. 

38 « les 4 vies de Steve Jobs », Daniel Ichbiah. 


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Cependant nous constatons que : 

— Le chomage ne cesse de grimper et cela ne s’arretera pas, etant donne qu’on automatise 
les usines (ce qui est un reel progres et permet de nous liberer de travaux-torture) et qu’on fait 
realiser bon nombre de travaux dans des pays ou la main-d’ oeuvre est moins chere et plus cor- 
veable (moins de droits, statut a peine plus confortable que ceux des esclaves). Done, qu’une 
forte consommation et done une forte production engendre un bonheur pour la societe a tous 
niveaux est totalement mensonger : on soufifre a 1’ international et dans le pays avec des emplois 
souvent vides de sens et penibles (le travail a l’usine) ; le chomage n’est pas vaincu, bien au 
contraire, il restera en expansion ; l’ultraconsommation ne rend pas non plus heureux. 

— La production peu chere l’est non pas parce qu’elle est produite en grande quantite, 
mais parce qu’elle est corrompue : les steaks sont par exemple satures de graisse ; les produits 
d ’hygiene sont pleins de molecules malfaisantes (des pertubateurs endocriniens); les jouets 
premier prix se cassent ; tous les objets achetes finissent par engendrer des depenses bien plus 
importantes. 

Avant on avait une annoire pour la vie, parfois recuperee d’un heritage, et celle-ci tenait 
encore jusqu’a notre propre mort ; maintenant, l’annoire Conforama ou Ikea ne resiste pas a 
plusieurs demenagements et si elles arrivent a tenir six ans, c’est deja un miracle. 

Neanmoins, certains produits moins chers peuvent etre de meilleure qualite que les confreres 
les plus chers : cela s’explique par l’absence d’additif ou autres composants inutiles, mais dont 
1’ absence est preferable pour l’environnement comine pour nous-memes. 

Done, l’accessibilite a tous les produits est certes une realite, mais au prix de notre sante 
parfois. 

— La production chere ne l’est pas forcement par qualite et durabilite : parfois c’est juste 
une strategic de vente tres efficace (voir le chapitre precedent « prix haut », l’exemple de Cial- 
dini des bijoux qui n’ont ete vendus que lorsque par erreur la vendeuse a double leur prix) ou 
une facon d’atteindre la cible des consommateurs snobs consommant par ostentation ou tout 
simplement aux prises avec le biais « ce qui est cher est bien ». La production chere n’est pas 
pour autant serieuse : Findus, qui est une marque de surgele plus chere que le discount, a tout 
de meme reussi a nous faire manger du cheval dans ses lasagnes, et tous ont pu constater que le 
trajet de la viande etait totalement aberrant, traversant l’Europe par quantites d’ intermediaries, 
occasionnant des dizaines de trajets ultra-polluants en plus de ca. 

— Le monde des objets est done, a cause de ces strategies d’ obsolescence, condamne a la 
mediocrite, a 1’ imperfection or on pourrait avoir d’ores et deja des produits parfaits. 


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— L’ obsolescence programmee et psychologique est un frein a 1’ evolution humaine, une 
insulte aux competences des ingenieurs, une aberration qui ne s’explique que par la volonte 
d’engendrer du profit, un fardeau pour l’etat de la planete qui n’en recoil que plus de dechets. 

L’ obsolescence nous a egalement formate a d’autres niveaux : 

— On ne distingue plus la vraie innovation et on se fait avoir en s’extasiant devant des in- 
novations qui ne sont en fait que facultatives et tenant plus du gadget. 

— On ne sait plus reparer, ameliorer ou bricoler et nous ne voyons pas l’iniportance d’ap- 
prendre ces competences etant donne que les composants sont plus chers que les produits inte- 
graux neufs. De plus, il peut etre tres difficile (voire impossible) de trouver la piece a remplacer 
chez certaines machines. D’autres machines sont cogues pour empecher les reparations sans 
connaissances ou appareils de techniciens (par exemple des machines a laver trop elaborees em- 
pechant faeces a la vidange) ; d’autres encore sont bridees pour empecher les ameliorations ou 
1’ augmentation de la duree (par exemple les ordinateurs Apple ; une tour PC peut par exemple 
facilement etre amelioree en changeant la carte graphique ou en rajoutant de la memoire). 

— On sanctionne les apparences, considerant que celui qui est hors-mode par le choix 
de ses vetements ou de son chez-lui « ne fait pas d’ efforts », or il a fait certainement quantite 
d’ efforts pour couper le cordon de la pression sociale, pression elle-meme manipulee par les 
influenceurs. Ou il a peut-etre juste d’autres preoccupations. 

— On considere qu’il est nonnal qu’une ampoule ne vive pas plus de deux ans, qu’une ar- 
moire montre des signes de fatigue apres un demenagement ou quelques annees, qu’un portable 
se change tous les ans. On est a la fois dupe par ce que nous ont impose les constructeurs et on 
reporte cette duperie en norme, se preparant a l’imminente mort des objets en pennanence (d’ou 
le renouvellement de sa voiture/son portable en prevention de cette mort a laquelle on nous a 
habitues). 

— Actuellement, nous soinmes dans une ambiguite : nous savons qu’il faut eviter de jeter, 
done nous culpabilisons si nous jetons, cependant ce n’est pas de notre faute. Mais les commu- 
nications autour de l’ecologie nous rappellent que c’est de notre faute, or on est ceme d’objets 
volontairement perissables. Done, face a ce conflit mental, on abnegue et on continue de vivre 
comine on l’a toujours fait, quitte a subir la culpabilite. Cela dessert la notion d’ecologie qui est 
done injustement associee a un sentiment de culpabilite. 


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— On ne s’attache plus aux objets, ils n’ont plus d’histoire. En revanche, on s’attache a la 
marque, mais pour des raisons psychologiques (voir precedemment le chapitre « theatre de la 
marque ») et des raisons d’engagement mental qui finalement n’ont que peu de rapport objectif 
avec les produits que la marque vend, ce qui temoigne de la reussite du fonnatage du client. 

Ce qu ’ on retient de notre formatage de consommateur : 

— Nous sornmes conditionnes depuis des annees et de generation en generation (parents 
voir grands-parents) a considerer que la consommation au-dela de ses besoins est une bonne 
chose pour la societe. Cela a atteint son paroxysme dans les annees 80/90 ou le jetable etait 
considere coinme « cool » et qu’il s’est mis a fleurir tout sortes d’objets jetables (rasoir, appareil 
photo...). 

— Nous sonnnes conditionnes a croire que pouvoir consommer a outrance nous rend heu- 
reux et accomplis. 

— Coinme la consommation est consideree coinme un aboutissement, une recompense 
bien meritee qui sert en plus a faire tourner la societe, nous avons done pour objectif de toujours 
gagner plus d’ argent pour y arriver. 

— Nous pensons que nous consommons en fonction de nos propres decisions et de facon 
reflechie : or des dizaines de courants d’influences manipulent nos desirs. On pourrait schema- 
tiser grossierement ainsi : 

les industries organisent le « coming out » de leur produit (par la pub, par l’evenementiel ou 
en s’associant a des causes/d’autres produits/des concepts/des arguments d ’autorite/ etc.) > elles 
cherchent a susciter l’attention des medias > les medias relayent > les medias nous influencent 
> ceux qui ont ete influences par les medias nous influencent ; parallelement, les gouverne- 
ments encouragent la surconsommation voire la consommation ostentatoire. 

— II a ete volontairement cree par les industries et les firmes des courants de modes concer- 
nant tous types d’objets ; si l’obsolescence psychologique a toujours existe, elle a ete volontai- 
rement suscitee pour des produits, qui de par leur prix, etaient logiquement durables (voiture, 
maison, meubles, deco interieure, technologies...). II fallait done pour ces produits durables 
trouver des leviers psychologiques tels que la mode pour inciter a en changer regulierement. 

— Tous les objets sont volontairement concus pour ne pas durer : c’est T obsolescence 
programmee. Or on pourrait avoir depuis longtemps des produits tres durables (cf ampoule, 
les bas. . .). Done notre vision du monde des objets est erronee, car ils sont eux-memes sabotes 


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en leur fondement. Nous pourrions vivre dans un monde beaucoup plus efficace, plus solide, 
mo ins mediocre, mais c’est impossible tant que les firmes souhaiteront faire un profit perpetuel 
grandissant. 

— La societe de consommation entre en conflit direct avec les preoccupations ecologiques 
de notre monde actuel : l’obsolescence psychologique et programmee sont un desastre, car elles 
obligent le consommateur a jeter des produits qui sont hautement toxiques pour l’environne- 
ment (les telephones portables par exemple). De plus, les preoccupations ecologiques visent 
les consommateurs, les culpabilisent, or il est impossible pour eux d’etre plus soigneux, car les 
objets a leur disposition sont tous con9us pour etre perissables. En resulte un conflit mental dont 
le resultat est souvent rabdication et le refus de penser a ces causes ecologiques, car elles ne 
sont associees qu’a des reprimandes injustes. 

Contrer notre formatage de consommateur ? 

— On ne peut pas s’arreter de consommer totalement, nous avons besoin d’un to it pour 
nous proteger, de vetements pour nous rechaufifer, de nourriture, etc. Cependant il faut faire le 
tri dans ses besoins et etre sincere vis-a-vis de soi-meme : on a envie d’une machine a pain. Est- 
ce qu’on a vraiment besoin de celle-ci ? Ne peut-on pas essayer de faire du pain sans machine, 
avec les moyens du bord ? N’est-ce pas le fait d’avoir vu la machine en action et avoir goute le 
pain produit chez un ami qui nous a donne envie de l’avoir ? Est-ce qu’on va vraiment utiliser 
cette machine, ou est-ce que cela va rejoindre la multitude d’appareils inutiles de la sorte ? Une 
question qui est assez interessante a se poser, c’est de voir les outils qu’utilisent les profession- 
nels : les cuistots n’ont jamais ce genre de produits. Seul le four est vraiment necessaire. Un 
agent d’entretien n’a pas une quinzaine de produits differents, mais seulement deux ou trois. 
Les coureurs professionnels n’ont pas quantite d’appareils sur eux, le seul element vraiment 
choisit avec soin, c’est la paire de chaussures, et ce n’est generalement pas un modele ostenta- 
toire. Une strategic peut done etre d’essayer de faire « sans » les objets desires afin de voir s’ils 
apporteront vraiment un plus ou non. 

— Il faut distinguer la consommation normale de la consommation ostentatoire. On 
consomme quand on a un besoin et parfois, on consomme par ostentation. Pour le dire autre- 
ment, on a envie de « craner », de paraitre superieur a autrui, arracher un « oh » d’ebahissement 
a son collegue de travail, se donner une autre image ou encore se mettre en mode « seduction ». 
L’ostentation est parfois un mal necessaire : en entretien, le recruteur a tendance a juger sur les 
apparences physiques, done il faut « en jeter » ; pour aller au-dela de ces biais de jugement, il 
semble necessaire de considerer l’ostentation pour ce qu’elle est : celui qui se pare de marques 
luxueuses, qui a toujours le dernier modele de smartphone avant que le telephone precedent soit 


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abhne, celui qui a une voiture hors de prix se remarquant a des kilometres a besoin d’afficher 
son « pouvoir », son « statut social ». Quand on a besoin d’afficher a autrui son pretendu pou- 
voir avec l’acquisition d’objets hors de prix, c’est qu’on n’est pas certain de la nature veritable 
du pouvoir acquis ou que l’elevation sociale n’otfre peut-etre pas tant de superiorite qu’on l’au- 
rait 1’ imagine. Quelqu’un de certain de sa position, confiant quant a ce qu’il fait et peut faire, 
serein quant a ce qu’il est devenu n’a pas besoin de le montrer par des signes ostentatoires. La 
Rolex n’est done pas un signe de reussite dans la vie, mais une fa?on de combler un complexe 
d’inferiorite ou de faire croire a autrui qu’on a reussi sa vie. A vous de voir si vous souhaitez 
jouer le jeu de l’ostentation ou non, mais pour beaucoup deja le prejuge a ete inverse et celui 
qui se pare de montres hors de prix et roule en 4X4 en ville est directement etiquete de « gros 
connard » et est moque, ridiculise. L’ostentation en temps de crise peut meme generer de la 
haine, done certainement pas du respect envers son pouvoir, bien au contraire. 

— Avoir envie de consommer tout le temps, etre frustre de ne jamais avoir assez dans 
sa maison ou dans ses anno ires alors que celles-ci sont pleines temoigne d’un manque, mais 
pas materiel. En achetant continuellement, on reussit a combler artificiellement un manque 
(d’ amour, de reconnaissance), mais cornme le manque n’a rien de materiel, la consommation 
ne le comblera jamais. 

« Dans ma profession [publicitaire], personne ne souhaite votre bonheur, 
parce que les gens heureux ne consomment pas. Votre souffrance dope le com- 
merce. Dans notre jargon, on l'a baptisee “la deception post-achat”. II vous faut 
d’urgence un produit, mais des que vous le possedez, il vous en faut un autre. 
L’hedonisme n’est pas un humanisme : c'est du cashflow. Sa devise ? “Je de- 
pense done je suis.” Mais pour creer des besoins, il faut attiser la jalousie, la 
douleur, l'inassouvissement : telles sont mes munitions. Et ma cible, c'est vous. » 

99 francs, Frederic Beigbeder 

— On le verra plus tard, pour se debarrasser de tout fonnatage de la societe de consom- 
mation, il faut necessairement couper court a tout ce qui stimule ce fonnatage, entretient ce 
mal-etre necessaire a 1’ esprit de surconsommation : c'est-a-dire la television et bon nombre de 
magazines (en particulier les stereotypes feminins et masculins) n’etant que des plaidoyers a 
cette societe et vous formant inconsciemment a adherer a cette logique. 

— La duree de vie d’un objet doit faire partie de ses qualites, et on doit vraiment encourager 
ceux qui nous permettent d’ avoir des objets durables et sanctionner ceux nous qui vendent du 
perissable (L achat-encouragement n’etant pas egal a un surplus de consommation, mais juste 
donner la priorite a ces objets s’il venait a vous manquer quelque chose). Encore faut-il savoir 


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ceux qui vivront longtemps. . . Pour cela, n’hesitez pas a crier votre amour de cette assiette qui a 
plus de 20 ans, deconseiller cette bibliotheque qui flanche deja au bout de deux ans, etc. Internet 
et tous ces avis sur les objets devraient pulluler de ces temoignages de durability ou d’ obsoles- 
cence manifestement programmee. 

— Concemant les nouvelles technologies, preferez les supports qui peuvent etre ameliores 
par vos soins, a savoir la bonne vieille tour PC ; les smartphones sont des gadgets chrono- 
phages, addictifs en plus d’etre des traceurs de votre activity et de vos deplacements. Preferez 
un vieux (parce qu’ils sont plus solides) telephone portable non tactile, c’est plus sain a bon 
nombre de niveaux. Si vous voulez rester maitre de la technologie que vous utilisez et qu’elle 
ne vous desserve pas ou serve a exploiter vos donnees, le seul moyen est d’apprendre les bases 
elementaires de l’informatique et de prendre des bonnes habitudes sur internet (on oublie tous 
services lies a Google par exemple, on favorise le travail hors ligne, etc.). Ce n’est pas un ap- 
prentissage aussi complique que cela en a Pair, le plus dur est de s’y mettre. 

— Do it yourself ... Si vous avez du talent au bout des doigts, prenez le temps de l’entrete- 
nir : bricolage, recuperation, couture, jardinage, cuisine... Toutes ces pratiques de grand-mere 
et de grand-pere ne sont pas que des passe-temps, ils ne sont pas qu’une facon d’etre creatif 
dans son quotidien ou de s’occuper, ils sont egalement un doigt d’honneur a la societe de 
consommation. II n’est pas question ici de vivre comme nos ancetres, mais de mettre en oeuvre 
nos competences specifiques pour nous-memes, notre famille, nos amis. Faire soi-meme son 
hachis parmentier, ne serait-ce que pour un repas entre amis dans la semaine est une facon de 
dire merde a Findus ; re taper et relooker une vielle anno ire solide heritee d’une vieille tante, 
c’est economiser 4 ou 5 annoires fragiles qu’on aurait du achete autrement, c’est economiser 
du temps et de l’enervement, c’est dire un grand Non a Ikea et a Conforama et c’est gagner de 
la fierte, du controle sur sa vie ; reussir a faire pousser ses propres legumes, c’est retrouver le 
gout ; etc. 

Exercer ses competences pour soi-meme permet de retrouver du sens, car c’est reprendre 
le controle de son environnement, ne serait-ce que sur un domaine. Mais c’est encore mieux si 
on en fait profiter les autres : aider un ami nul en informatique, lui expliquer pourquoi son PC 
tombe en rade tout le temps peut lui eviter des achats inutiles ou pire encore, qu’il se laisse a 
la facility en achetant un Apple. Aider et apprendre a l’autre a reparer sa voiture, sa machine 
a laver aide a reprendre le controle. Comme la loi de reciprocity est forte, il y a fort a parier 
que ceux que vous aiderez avec vos competences particulieres, vous aideront en retour, vous 
apprendront d’autres competences. 

Certains medias parlent du troc de competences, d’aides, comme des initiatives de bisou- 
nours. La solidarity et l’entraide seraient des strategies naives, reservees aux grands enfants loin 
du cynisme et de la depression parisienne. 


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C’est un jugement qui manque cruellement de perspective : le cuisinier amateur passionne, 
faisant profiter toute sa famille et ses amis cree non seulement des liens entre ces derniers, mais 
chacun de ses plats sont des ventes de moins pour les surgeles. Le cuistot, n’utilisant que des 
aliments de base non transformes est un rebelle qui s’ignore peut-etre, mais le resultat est la : il 
ne participe plus au marche agroalimentaire bourre de saloperies. Le bricoleur, celui qui se plait 
a transfonner des tonneaux en fauteuil ou a se faire un bureau avec une armoire cassee n’a plus 
besoin d’aller se perdre a Ike a ou a Conforama. Le PCiste sous GNU/linux qui convertit avec 
succes son entourage, lui donne des bonnes bases et des bons enseignements, est l’ennemi des 
corporations informatiques qui font des fortunes sur les pratiques des noobs. Done, etre un « bi- 
sounours » qui applique ses competences a son quotidien et a celui de son entourage, empeche 
pour un domaine, l’emprise de la societe de consommation. II met en fuite notre exploitation. 
En cela, c’est un resistant pacifiste et solidaire, qui change le monde a son echelle. Et c’est 
clairement admirable. 

— II faut done acheter le moins possible et apprendre la debrouille. La crise force bon 
nombre d’entre nous au systeme D, voyons cette situation comme une opportunite de devenir 
plus qu’un simple consommateur, mais un etre plus independant, plus solidaire, moins sous 
l’emprise des firmes. Certes, l’arrivee au chomage par exemple peut etre un traumatisme, mais 
c’est l’occasion ou jamais de changer ses habitudes : consommer moins, mais mieux (en fai- 
sant la cuisine), apprendre des competences qui nous plaisent et nous servirons au quotidien, 
renouer avec la solidarite et pourquoi pas profiter du temps disponible pour s’ engager a certains 
combats... 

— Un point sur la solidarite : il ne s’agit pas la de se mettre a aimer tout le monde, de jouer 
a soeur Theresa ou de se prendre pour Jesus. On peut etre solidaire avec des personnes qu’on 
deteste, on peut s’echanger des precedes sans amitie, on peut respecter autrui sans pour autant 
etre en accord avec sa vie. Au travail par exemple, on arrive bien a travailler en groupe avec des 
personnes radicalement dififerentes de nous, on peut mener a bien des gros projets sans force- 
ment se her d’ amitie, on arrive a avancer meme avec des gens qu’on n’apprecie pas sur tous les 
plans. Alors on devrait pouvoir le faire hors travail, dans nos vies respectives. 

— Evidemment, Internet est une manne de renseignements pour lutter contre la societe de 
consommation et changer par le bas. Cependant, on a tendance a imaginer que ces revolutions 
tranquilles demandent beaucoup d’investissement, qu’elles demandent des grands efforts voire 
l’abandon total du confort et une perte d’avantages. C’est faux. Ne plus acheter de plats surge- 
les types Findus necessite juste de l’entrainement et l’acceptation de passer un quart d’heure 
de plus dans sa cuisine chaque jour. Ne plus acheter de produits de nettoyage toxiques, chers et 
inutiles servant uniquement des firmes necessite approximativement 5 minutes par mois et fait 
economiser des dizaines d’ euros (la fameuse astuce du vinaigre blanc). 


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Parfois 9a demande juste l’effort d’arreter une pratique : par exemple, arreter d’acheter des 
bouteilles d’eau alors qu’on a de l’eau courante potable (il suffit de la mettre au refrigerateur 
pour qu’elle ait un bon gout ; de plus un refrigerateur plein consomme mo ins, done remplissez 
de bouteille/de gourdes d’eau du robinet). Ces changements d’habitudes et de pratiques sont 
chacune d’entre elles des doigts d’honneur faits aux finnes nous exploitant, nous abusant. Cela 
n’a rien de bisounours, car si tout le monde se mettait a changer quelques habitudes ou partager 
ses competences a ses proches, le monde serait positivement bouleverse. On suppose d’ailleurs 
que c’est deja le cas, et cette crise n’est peut-etre pas si negative qu’elle le parait : que la crois- 
sance cesse est peut-etre la meilleure chose qui puisse arriver pour nous et pour la planete, pour 
peu qu’on s’y adapte et qu’on demonte au passage nos formatages. 

On a parle egalement de toutes ces thematiques commerciales sur le blog ou en video, a ces 
adresses : 

• http://hacking-social.com/2014/09/22/lingredient-secret-dun-marketing-reussi-est/ 

• http://hacking-social.com/2014/01/30/chomage-solution-crise/ 

• http://hacking-social.com2015/03/25/lobsolescence-planifiee-horizon-bv-night/ 



L' AUTO RITE 
DES ME DIAS 


« Pour qu’un message publicitaire soit pcrgu, il faut que le cerveau du telespectateur soit 
disponible. Nos emissions ont pour vocation de le rendre disponible. C’est a-dire de le diver- 
tir, de le detendre pour le preparer entre deux messages de pub. Ce que nous vendons a Co- 
ca-Cola, c’est du temps de cerveau disponible. » Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1 

« Temps passe devant la television des 4ans et plus : 3h50 par jour ; 
temps passe devant la television des 50 ans et plus : 5h02 par jour » Source Mediametrie : 
http://www.mediametrie.fr/television/comrnuniques/l-audience-de-la-television-en-2012. 

php?id=789#.UOvO 1 aBxHTo 


L'homme formate L'autorite des medias 


Avant toute chose, parlons de ce dont nous n’allons pas parler dans cette section medias : 

- nous n’allons pas parler de tous les types de medias : nous ne parlerons presque pas des 
joumaux, de la radio, des magazines et des medias sur Internet. Nous parlerons principalement 
du media television, meme s’il nous arrivera d’aborder d’autres medias, partageant certaines 
memes visees ou mecanismes. 

- nous ne parlerons pas des fictions diffusees ou produites par la television : nous parlerons 
des programmes etiquetes « reel », que ce soit les journaux televises, les debats, les reportages, 
la telerealite, certains divertissements... 

Si nous nous centrons sur le media television, ce n’est pas pour autant que nous ciblerons 
toutes les chaines, tous les contenus, toutes les pratiques, toutes les personnes qui y travaillent : 
une meme chaine peut produire le pire coinme le meilleur, des chaines totalement dififerentes 
peuvent partager des memes pratiques condamnables sur un meme point (par exemple, le trai- 
tement d’un sujet dans un JT) et pourtant proposer quelques bons contenus dans l’une, et des 
contenus pires que tout dans l’autre. A ce titre, France 2 est un bon exemple de l’ambivalence 
d’un media : on y trouve des documentaires, des reportages excellents, bien sous tout rapport, 
coinme le pire des programmes et les pires des pratiques. 

Autrement dit, difficile de generaliser et d’accuser toute la television, tous les journalistes, 
tous les acteurs d’un media, tous les mecanismes d’un media, c’est pourquoi nous opterons 
un angle centre sur les mecanismes, les pratiques « nuisibles » : ces rouages problematiques 
peuvent etre autant alimentes sans ethique que combattu au sein meme de la television, d’une 
chaine, d’un media. La television n’est pas une structure ou tous les elements seraient en ac- 
cord, ou tous iraient dans la meme direction et produiraient la meme chose avec la meme 
visee. II existe aussi des bons journalistes, des bons realisateurs, des bons reporters, des bons 
programmes, done il ne s’agit pas, avec cette section, d’accuser tout le monde et tout ce qui est 
produit. 

De plus il est a noter que comme tout message, le telespectateur ne va pas le recevoir d’une 
meme fa$on selon une multitude de criteres qui peut caracteriser le moment ou il va regarder 
la television : cela va dependre de ses caracteristiques intrinseques, comme son age, ses preoc- 
cupations, sa capacite d’ esprit critique ; cela va dependre du contexte dans lequel il regarde la 
television, a savoir s’il s’y installe attentivement ou si la television fait office d’ecran de veille 
et qu’on la regarde sans la regarder ; cela va dependre du temps qu’il y passe et la concurrence 
qu’il y oppose (c’est toute la difference entre le spectateur qui regarde la TV mais qui passe plus 
de temps a lire et celui qui n’a de culture que grace a la television). 

Cependant, quelles que soient les pratiques du telespectateur, des lors qu’on depasse les 45 
minutes de visionnage d’affilee, la television aura des effets, tout simplement parce que l’at- 
tention ne peut pas se maintenir a la perfection passe les 45 minutes, done que l’esprit critique 
ne sera pas aussi efficace, la perception n’arrivera plus a tout capter. A 4 heures par jour, le te- 
lespectateur est imbibe du monde televisuel, il y a forcement un impact sur son monde mental, 
quelles que soient ses capacites de resistance. 


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C’est pour cette demiere raison que nous nous centrons sur le media television : au vu de 
1’ intensity de son utilisation par la population, il est important de voir les messages qui y sont 
delivres, la facon dont ils sont delivres, leurs consequences, les formatages induits par leurs 
differentes mecaniques. La critique des medias, surtout de la television, est courante, meme 
par les acteurs qui y exercent ; en cela certains pourraient dire « a quoi bon relever ce qui a 
ete deja releve par des dizaines d’intellectuels ou specialistes ? » ; ils pourraient egalement 
dire « a quoi bon s’achamer puisse que le media television est en train de mourir, que les 
personnes abandonnent ce media pour internet ? ». Nous n’allons pas que critiquer le media 
television, nous critiquons ses mecanismes, ses effets sur certains points ; or ces mecanismes 
on les retrouve aussi a present sur le Net, certains Youtubers ont deja recycle ces mecanismes 
nuisibles avec brio et exploitent le filon cornme peut le faire n’importe quelle chaine-pou- 
belle traditionnelle. II nous semble done important de reconnaitre les mecanismes nuisibles, 
les facons de faire problematiques pour les contrer, quelle que soit la forme du media qu’on 
affectionne. Pour cela nous allons d’abord les expliquer, voir quels sont nos biais en jeu, et 
comment on peut recycler ces mecanismes, les transformer, en jouer pour lutter contre eux 
ou se reapproprier une maitrise de notre « temps de cerveau disponible ». Plutot qu’une visee 
de critique, nous avons une visee pragmatique, alliant recyclage de concept et hacking social. 
L’idee est de chercher a s’emanciper, a se rendre autonome des exploiteurs de notre attention 
(ou de notre inconscient), quels qu’ils soient. 

<®MEDIAS/PUBLICITES 


« Je suis publicitaire : eh oui, je pollue l’univers. Je suis le type qui vous vend de 
la merde. Qui vous fait rever de ces choses que vous n’aurez jamais. Ciel toujours bleu, 
nanas jamais moches, un bonheur parfait, retouche sur Photoshop. Images lechees, 
musiques dans le vent. Quand, a force d’economies, vous reussirez a vous payer la 
bagnole de vos reves, celle que j’ai shootee dans ma derniere campagne, je l’aurai deja 
demodee. J’ai trois vogues d’avance, et rearrange toujours pour que vous soyez frus- 
tre. Le Glamour, c’est le pays ou Ton n’ arrive jamais. Je vous drogue a la nouveaute, 
et l’avantage avec la nouveaute, c’est qu’elle ne reste jamais neuve. II y a toujours une 
nouvelle nouveaute pour faire vieillir la precedente. Vous faire baver, tel est mon sa- 
cerdoce. Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens 
heureux ne consomment pas. » 

99francs, Frederic Beigbeder 

Rares sont ceux qui apprecient la publicity et la regardent avec attention. Pour la plupart 
d’entre nous, elle est evitee en zappant frenetiquement, en s’affairant loin de l’ecran, en s’oc- 
cupant a d’autres ecrans, etc. 


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Mais parfois, sans qu’on comprenne pourquoi, on reste devant, prenant conscience a re- 
tardement de notre apathie face aux pubs. Quelle que soit la strategic d’evitement, ses succes 
apparents, il est deja trop tard, la pub a fait son travail de sape. 

La pub n’a pas besoin de notre conscience pour s’infiltrer en nous : elle use de notre in- 
conscient et de ses automatismes pour se glisser a travers nos representations, nos souvenirs, 
et elle s’installe en y imposant des desirs. 

On aurait pu placer cette section dans « commercial », mais cela aurait ignore les liens 
tenus entre les medias et la publicite. La pub n’est pas qu’un interlude penible pour le media 
et les spectateurs, elle est le but, la finalite des programmes comme nous allons le voir des a 
present. 

<®MEDIAS/PUBLICITES/SES RAPPORTS AVEC LES 
MEDIAS 

Pour exercer et perdurer, les medias ont besoin d’ argent : leur financement se fera par 
abonnement, par un achat direct, par le biais de subventions gouvemementales (chaines natio- 
nales) et enfin par la publicite et dififerentes alliances ou liens de propriety avec des groupes 
prives. 

Les medias dependent de ces financements et c’est loin d’etre sans consequence sur leurs 
pratiques, sur leur fa^on de traiter 1’ information, sur leur autocensure, sur leur choix de pro- 
grammes ou d’articles. 

La publicite serait-elle un mal necessaire ? 

Quel que soit le media qui se finance un minimum via la publicite, il doit obeir a certaines 
obligations que ce financement implique : il ne doit pas contrarier les annonceurs (les four- 
nisseurs de publicites) et faire en sorte que les annonceurs soient satisfaits de leur alliance no- 
tamment en leur offrant une cible. C’est l’alliance minimale, mais deja elle implique beaucoup 
le media : 

- Il faut que la publicite ait une certaine coherence avec les programmes qui les encadrent : 
done cela implique que certains programmes soient consideres comme nuisibles ou genants 
pour l’annonceur. C’est-a-dire tout les programmes serieux, les documentaires, toutes les 
emissions qui couperaient les envies de consommer ou tout ce qui pourrait eloigner de l’ecran. 

- Il faut que la pub atteigne sa cible, done que le media la place au bon moment. Il faut done 
pour le media avoir un public large, qui ne repugne pas a consommer ou qui se fera influencer 
facilement pour influencer ensuite celui qui a le portefeuille (on pense ici aux enfants). 

- Plus il y a de monde devant l’ecran plus les annonceurs payeront chers pour diffuser 
leurs publicites : recemment, TF1 a battuun record de vente d’un espace publicitaire : 160.000 
euros, pour un espace publicitaire de 30 secondes diffuse avant la rencontre France-Ukraine 
du 15 novembre 2013 39 . Si le media veut beaucoup d’argent, il cherchera a faire toujours plus 
d’audience. 

39 http://www.20miniitcs.fr/tclcvision/1242833-20131028-tfl-vcndii-spot-publicitairc-plus-chcr-lanncc 

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C’est ce qui explique la course a l’audimat : il ne s’agit pas d’etre populaire par fierte de 
ses programmes, il s’agit de gagner le plus d’argent possible via les annonceurs. On le verra 
tres largement, il est bien plus aise et plus efficace pour les medias d’ exploiter des failles, des 
automatismes, des biais (done de nous manipuler) pour nous scotcher devant l’ecran plutot que 
de tenter de nous seduire avec des programmes interessants. 

- Le media ne doit pas annoncer sa couleur politique ou s’ engager a des causes qui de- 
rangent une partie de la population. Ce n’est pas une question de deontologie, il s’agit la encore 
de ne pas faire fuir les annonceurs : on sait tres bien que certaines chaines penchent veritable- 
ment plus a droite et d’autres plus a gauche. 

- Les messages diffuses par le media ne doivent pas entrer en trop grande contradiction 
avec les messages de la publicite. La provocation legere est toleree jusqu’a un certain niveau, 
elle est acceptee si elle rentre dans un cadre humoristique. Mais le media ne s’attaque pas se- 
rieusement aux histoires concernant les marques, a cedes des groupes prives qui les financent, 
et plus globalement il ne s’attaque pas a la societe de consommation : les medias font partie 
integrante de la mecanique de cette societe, ou du moins cette mecanique leur est obligatoire 
du fait de leurs alliances, done ils ne peuvent scier la branche sur laquelle ils sont assis. 

Rien qu’avec ces exigences minimales dues a dalliance pubs/medias, on a des dizaines de 
facteurs reduisant drastiquement les possibility mediatiques et journalistiques, favorisant une 
forte autocensure et orientant le media vers une certaine direction. Le media dont le finance- 
ment provient de la pub, de groupes, du gouvernement, d’activites precises sera dependant des 
orientations et souhaits de ceux-ci. Recemment, le Figaro a ete moque parce qu’il n’a pas parle 
des affaires Dassault (son proprietaire) pourtant relayees dans tous les medias 40 ; 

Mais cela peut etre pire. 

Le media, plutot que de choisir une alliance « minimale » avec les annonceurs, peut s’as- 
socier totalement avec ces sources de financement, fusionner avec les objectifs des marques 
fournissant la publicite et mettre un point d’honneur a avoir une ligne de conduite totalement 
dediee a l’efficacite de la publicite. La transmission d’ informations est alors manipulee, trans- 
formee pour devenir un moyen de gagner plus d’argent. Informer n’est plus le but, c’est une fa- 
con de faire de l’argent, alors qu’importe le traitement de 1’ information, pourvu qu’il rapporte 
et laisse du « temps de cerveau disponible pour coca ». 

Cette alliance maximale avec les annonceurs, c’est le zero ethique bien connu de TF1 : 
c’est coca qui dicte sa politique et coca veut du temps de cerveau disponible. Evidemment, 
d’autres chaines suivent cet exemple, avec plus ou moins d’intensite, par exemple M6, Di- 
rect 8 et meme parfois France Televisions pour certains programmes. Cette forme de fusion/ 
soumission avec les objectifs des marques s’ exprime de differentes manieres : 

40 www.franceinfo.fr/emission/info-medias/20 1 4-20 1 5/infos-medias-du- 19- 1 1 -20 14-19-11 -2014-07-25 


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- Les programmes sont concus non pas pour etre interessants, pour informer, pour reflechir 
ou par volonte de creativite, mais pour inciter a rester devant le plus longtemps possible (et 
done d’augmenter le temps passe devant les pubs) : pour cela, il s’agit d’attirer l’attention et 
la maintenir sans trop la fatiguer. Et ce qui retient le plus facilement notre attention sont des 
stimulus qui parlent a notre cerveau primitif : sexe, sang, problematiques liees a la defense du 
territoire (jcux de competition, sport de competition, insecurity, immigration), nourriture et 
tout ce qui genere des emotions vives. Ce sont des sujets qui attireraient aussi les animaux, car 
ils ont trait a la survie ; ici, ils sont juste legerement sublimes, aseptises de leurs traits primi- 
tifs pour etre acceptables a l’ego humain. Evidennnent, ces thematiques sont traitees par des 
dizaines de techniques differentes pour exploiter notre attention, meme aux plus intelligents 
d’entre nous (nous aurons tres largement l’occasion de revenir dessus). 

- Le programme doit attirer l’attention, mais ne pas solliciter des fonctions superieures de 
notre cerveau, parce que faire appel a nos fonctions superieures entraverait 1’ infiltration de la 
publicity. Les infonnations complexes dont il faut parler (parce qu’elles font l’actualite, parce 
que les autres medias en parlent) sont simplifies, vulgarisees au point d’etre tronquees et 
elles sont surtout transformees en spectacle : ainsi le choix des informations diffusees se fait 
en fonction du spectaculaire, des images, de la capacity de l’histoire a retenir l’attention. La 
encore, on transforme des infonnations qui auraient pourtant pu etre traitees par nos fonctions 
superieures, en un agregat d’ infonnations qui se cantonnera a parler a nos fonctions primitives 
d’ animaux. 

C’est une des raisons qui poussent certains activistes a se mettre les seins nus, faire des 
campagnes-chocs et, globalement, a etre spectaculaire : sans cela, aucun media ne parlerait de 
leurs combats. 

Les medias ecartent done les questions qui ne sont pas spectaculaires, qui n’ont pas d’images 
impressionnantes, qui traitent de problematiques necessitant de prendre son temps ou qui ne 
parlent pas a toute la population. Par exemple Anonymous a un temps attire les medias : car 
les manifestations masquees et les images du site du LBI « Down » ofifaient un bon spectacle, 
c’etait une nouveaute. Puis les images ont ete les memes, done cela n’avait plus d’interet pour 
les medias. Il en est de meme pour les Pussy Riots, dont le deguisement dans le cadre d’une 
eglise etait interessant a montrer, mais leur enfermement sans images etait sans interet pour le 
media televisuel. 

Qu’importe le fond, qu’importe la puissance des revelations, ce qui compte ce sont les 
images et leur spectacle : Snowden a beau reveler et prouver des faits gravissimes pour une 
tres large partie de la population, tant qu’il ne dansera pas la java les fesses a Pair dans une 
cathedrale ou qu’il ne se baladera pas avec un lama dans le metro, il n’aura pas d’interet pour 
les medias. 


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A noter que lorsque l’actualite est relativement calme, la television peut egalement drama- 
tiser un sujet qui est tout sauf dramatique, par exemple en transformant l’afflux de personnes 
allant a la plage en « la prise d’assaut des plages pour combattre la chaleur » (cf https ://hacking- 
socialblog.wordpress. com/20 14/1 1/1 1/la-france-a-peur/ ). 

- Toujours dans cette volonte de laisser le cerveau disponible pour la pub, certains pro- 
grammes/articles sont des amorces a la volonte de consommer toujours plus, des preparations 
mentales pour avoir soif d’achat, des injonctions masquees a voir en l’achat la solution a cer- 
taines problematiques. Ces programmes transmettent en filigrane les ideologies liees a la socie- 
ty de consommation et guident les cerveaux sur la « bonne » voie : TV-achats, jeux avec argent/ 
produits a gagner, emissions de conseils lies a des produits, programme/article lie aux modes, 
tests/critique de produits... Tous ces programmes suscitent l’envie, le desir, la volonte d’avoir 
de 1’ argent pour le depenser, mais agissent egalement sur des pendants negatifs : culpabilite de 
ne pas etre a la mode, de ne pas etre a jour point de vue high-tech, de ne pas prendre assez soin 
de sa maison, sa deco, son hygiene ; ils generent de la frustration, de la jalousie et centrent le 
point de vue des spectateurs sur eux-memes. L’image du spectateur, le jugement qu’il retire 
de lui-meme est forcement deficient, car les modeles sont impossibles a atteindre etant donne 
qu’ils sont mis en scene. Done, il ne lui reste que l’achat pour combler ces manques que le me- 
dia et la publicity ont crees conjointement. Cependant, ces manques ne seront jamais combles, 
car tout sera fait pour les perpetuer et les medias ont un role preponderant dans la culture de ces 
manques, nous touchant consciemment ou inconsciemment. 

- La societe de consommation a ses ennemis, done le media allie a celle-ci luttera aussi 
contre eux : l’ecologie (non politisee) ne sera traitee que dans ses versants negatifs, c’est-a- 
dire par le biais d’interview d’extremistes ecolos capables de vous hair, parce que vous vous 
trompez de poubelle pour le recyclage, par la mise en avant de toutes ces taxes que l’ecologie 
impose, par les decroissants extremes vivants comine au moyen age, par les femmes debordees 
de taches menageres de par leur choix ecolo (couches lavables, culture de la nourriture, cuisi- 
nant perpetuellement), en montrant les ecolos comine des gens atypiques, marginaux ou fous. 

Les banlieues et ses habitants seront vus comine une menace pour la securite, on n’y traitera 
que des dealers, des extremistes, on n’y montrera que les seringues qui y trainent et les victimes 
de tournantes. Les trois quarts de la population y vivant tranquillement, avec pour certains des 
modes de vie solidaires qui meriteraient qu’on s’y interesse de tres pres seront ignores : cela 
s’explique aussi par le fait que les gens tranquilles, menant des initiatives positives ne sont 
pas spectaculaires, ils ne foumissent pas d’images dramatiques/sanglantes/delirantes, done ils 
n’ont pas d’interet mediatique. 


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Globalement, toute personne sage, menant sa petite revolution sans heurt ni provocation, 
etant solidaire et tolerante n’aura strictement aucun interet pour les medias bien que son apport 
pour la societe a ses alentours immediats soit enorme : au mieux, on traitera celui qui monte 
une association de troc de « bisounours », car il est mal vu d’etre pacifiste et le media se mo- 
quera de son espoir en l’humanite, de ses essais pour trouver des alternatives a la societe de 
consommation. Cette denegation du « bisounours » s’explique par le dedain de ceux qui ne font 
pas de spectacle-choc (done qui sont ininteressants d’un point de vue mediatique), par defense 
inconsciente de la societe actuelle (parce que le joumaliste ou l’acteur dans le champ media- 
tique peut y etre parfaitement a son aise), par fatalisme et misanthropic, parce qu’il est de bon 
ton d’etre cynique et de ne croire en rien, par croyance autoritariste (« on ne change rien sans 
etre violent » ou « l’homme est un loup pour l’homme »). 

Est-ce que les journalistes sont conscients de la fervente defense de notre societe de consom- 
mation, du capitalisme et liberalisme dont ils font preuve en enquetant de la sorte ? Nous en 
doutons. Si certains sont clairement defenseurs de la societe actuelle, d’autres ne font qu’expri- 
mer la tendance du milieu dans lequel ils sont plonges, ils se soumettent involontairement a ce 
que leurs superieurs attendent d’eux, ils sont relativement aveugles et ignorants concernant les 
populations avec lesquelles ils ne vivent pas (c’est-a-dire tout ce qui n’est pas accole au milieu 
journalistique), ils sont conditionnes par les pratiques de leur milieu, de leurs collegues, ils ont 
fait leurs les objectifs et codes de leur environnement et, inconsciemment, ils transposent done 
leur environnement et ses codes. C’est pourquoi les journalistes sont tant detestes par certains 
a present, car ils sont bien loin du quotidien des vies d’une tres grande partie de la population, 
ils paraissent deconnectes de ce qui est essentiel a bon nombre d’entre nous. De plus, la popula- 
tion a tendance a generaliser et voit en « les journalistes » ceux pour lesquels elle a une image, 
c’est-a-dire les presentateurs des JT, les presentateurs de reportage : cela occulte toutun monde 
journalistique plus proche de la population, comme les journalistes locaux. 

N’oublions pas que ce qui determine le media, le dirige en coulisse, est le profit. Ce profit 
s’obtient par les recettes publicitaires, done le media est guide par les volontes des annonceurs 
et s’allie plus ou moins fortement avec eux. La publicity n’est pas un facteur secondaire deplai- 
sant entre les articles ou programmes, elle est l’objectif, et elle dicte les articles et programmes. 

■ L'EXEMPLE des magazines de genre 

[Vous pouvez egalement lire ce passage sous forme d’ article illustre : 

https://hackinssocialblos.wordpress.eom/2014/08/26/vous-nieritez-mieux-que-ces-masazines/l 


Nous avons comptabilise le nombre de publicites contenues par les magazines feminins 
et masculins, les sujets presents (nous avons par gentillesse, consideres que tout ce qui n’etait 
pas lie a la vente de quelque chose etait un sujet, ce qui comprend egalement les pages astro, 


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les recettes de cuisine ou les jeux types mots croises), et les « faux sujets », dont le seul vrai 
message est « achetez » (les « must have », les guides, les conseils de produits, les photos de 
mode, de style...) : 

Femme actuelle n°1510 du 2 au 8 septembre 2013 : 

28.46 % de sujets 

29,26 % de pubs officielles 

42,28 % de pubs non officielles 

On a done 7 1 % du magazine consacre a la consommation : que consommer, ce qui 
est en vogue, ce qu’il faut acheter, ce qui va apporter a votre look, etc. . . 

Elle n°3530 du 23 au 29/08/2013 

19,4 % de sujets 

29,85 % de pubs officielles 

49,25 % de pubs non officielles 

On a done pour Elle un pourcentage de publicites encore plus enorme : 79 % consa- 
cres a l’unique consommation, toujours dans les memes thematiques de l’apparence 
traitees par Femme actuelle (maquillage, habillement, soin esthetique...) 

Les magazines masculins ne sont pas en reste : 

FHM septembre 2013 

57,14 % de sujets 

16,33 % de pubs officielles 

26,53 % de pubs non officielles 

On a done un pourcentage de publicites assez important : 42,86 % 

Men ’s Health n°56 

63,72 % de sujets 

16,81 % de publicites officielles 

19.47 % de publicites non officielles 

Le pourcentage total de publicites reste aussi tres important : 36,28 % 

On a done ici une forte alliance avec les annonceurs, manifeste, prouvee par le taux impor- 
tant de pub officielle et le taux des pubs masquees encore plus important. 

Mais au-dela de cette alliance, il y a egalement une mecanique commerciale identique 
a ce qu’on a pu voir au chapitre precedent, a quelques nuances pres : il s’agit de combler 
des manques, de foumir des solutions a des peurs, des angoisses, non pas par des produits, 
mais par de 1’ information. Et, de ce qu’on a pu comptabiliser, ces solutions informationnelles 
menent tres clairement a des produits. 


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Anne Streiger, ayant ete journaliste pour des magazines feminins et masculins durant plu- 
sieurs annees, nous explique quelle corde on fait vibrer dans les feminins : 

« On joue sur la peur ancestrale de la solitude, l’angoisse de ne pas etre ai- 
mable, la hantise d’etre le contraire de la « fille ideale » : moche, rejetee, trans- 
parente et desesperement seule. Cette presse appuie la ou 9a fait mal aux jeunes 
femmes : leur frustration sentimentale, leur mal-etre physique et social. » 41 

Ce genre de magazine exploite done les peurs et les angoisses, mais ce n’est pas ce qu’il 
y a de plus grave car qui n’a pas un jour cherche secours dans des livres-coaching, dans une 
emission ou un article ? C’est une pratique courante, parfois tres saine lorsque le livre/l’ar- 
ticle/1’ emission apporte de l’apaisement, de vraies idees pour faire face a une situation, et des 
solutions qui aident a nous construire de meilleures defenses ou annes, qui fait repenser la pro- 
fa lematique sous un angle plus profitable. Cependant les magazines feminins/masculins n’ont 
pas d’interets a solutionner definitivement nos angoisses, car c’est leur source de revenus. Que 
ce soit volontaire ou non, les magazines de ce genre produisent deux effets sur nous : 

- Par empathie, par identification, la lecture d’ article tel que « je stresse, mais je me 
soigne » fera se croire stresse et devant appliquer ces « soins », meme si on n’est absolument 
pas stresse. C’est un efifet courant que connaissent les etudiants en medecine ou en psycholo- 
gic : a lire et a chercher a comprendre des pathologies, des problemes, on se trouve toute sorte 
de problemes. II est tres facile de prendre la mesure de ce phenomene : prenez au hasard un 
dossier sante sur Doctissimo, apres lecture de ce dossier, vous vous trouverez tout un pele mele 
de symptomes lies a des maladies graves, et cela meme si vous allez tres bien. A cause de ce 
phenomene et des articles centres sur bon nombre de problematiques, le magazine participe 
volontairement ou involontairement a la creation de toute piece (ou le renforcement) de ces 
problematiques chez son lecteur. 

Rappelez-vous : « on est ce que l’autre dit que Ton est ». C’est exactement ce que font les 
magazines sexues : ils selectionnent des problematiques (sexe, couple, apparence physique, 
sante. . .) et nous les prenons pour nous. 

Or, pour la sexualite par exemple, Anne Streiger raconte que les journalistes s’inspirent 
de leur vie privee, de celle de leur entourage ou encore cherchent dans l’exceptionnel : par 
exemple les couples « fibres » ou chacun trompe l’autre, vivant parfois separement. L’ article 
en fait un mode de vie banal et perenne, il valide cette pratique cornme une norme sociale 
acceptable et profitable, que tous les couples peuvent adopter. Ce que l’article ne dit pas, c’est 
que le couple interviewe pour l’occasion a rompu peu de temps apres. II en est de meme pour 
toutes les pratiques sexuelles : sado-masochisme, triolisme, echangisme... Elies sont presen- 

41 La vie sexuelle des magazines, Amie Streiger 


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tees comme nonnales, habituelles, quotidiennes. Si cela permet d’accroitre la tolerance envers 
ces pratiques, cela les presente egalement en tant que norme a suivre pour avoir une sexualite 
nonnale. Le « je dois le faire parce que ce magazine dit que tout le monde le fait » represente 
une pression sociale supplementaire, arbitraire et perturbant le rapport a l’intimite qui devrait 
d’abord se construire en soi, puis avec son ou sa partenaire, pas en rapport avec des injunc- 
tions sociales arbitrages. Injonctions qui varient entre l’obligation libertaire « tout le monde 
doit trouver du plaisir a pratiquer la sodomie/le SM/etc. », a l’obligation restrictive intolerante 
« autoriser fhomosexualite c’est risquer la fin du monde, fhomosexualite c’est mal ». Le lecteur 
s’interrogera forcement face a la presentation de ces pratiques et culpabilisera ou s’insurgera 
d’ avoir une sexualite seulement nonnale (dans le courrier des lecteurs des masculins, certains 
homines se plaignent de leur copine qui n’acceptent pas de faire tout ce qu’on peut voir dans 
les pornos). Mais si leur sexualite est satisfaisante, le lecteur la remettra en question, parce que 
le magazine induit forcement cette reflexion, cette remise en cause et que globalement, il est 
percu comme un prescrip teur de comportements. 

Les medias retorqueraient a ceci qu’ils n’exposent que ce qui plait aux lecteurs, ce qui fait 
vendre le magazine : ainsi ce serait l’etroitesse et l’obsession des lecteurs pour l’apparence et 
le sexe qui influerait sur la ligne editoriale. 

Les medias n’ont pas completement tort pour le sexe : de par nos fonctions de survie, de 
par notre cerveau primitif essentiel a notre survie et a la reproduction, 1’ attention est dedoublee 
lorsqu’il s’agit de sexe. Nous soinmes instinctivement captives par les histoires de fesses parce 
qu’une de nos fonctions primaires est attelee a la reproduction. C’est pourquoi les medias uti- 
lisent tant la sexualite ou les symboles de la sexualite pour attirer l’attention et captiver : pour 
beaucoup d’individus et selon les circonstances, il leur est impossible de detacher le regard 
d’une paire de seins. Mais la encore, on utilise un manque : l’homme ou la femme satisfaite 
ne sera pas aussi attire par les images bees a la sexualite qu’un homme ou une femme frustres. 

Pour les sujets autres que le sexe, nous postulons que ce n’est pas le lecteur qui demande 
telle ou telle thematique, mais que c’est plutot le contenu du media qui formate le lecteur a 
vouloir toujours ce meme contenu. La seule « faute » du spectateur/lecteur est de s’ exposer 
toujours aux memes medias et d’etre done de plus en plus enferme dans ce cycle perpetuel de 
ces memes thematiques nevrotiques. 

Est-ce que les joumalistes sont conscients du formatage de leurs lecteurs ? Est ce que les 
chefs de redaction sont conscients de creer des guides comportementaux ? 

Anne Streiger (dans La vie sexuelle des magazines) interroge un respon- 
sable de la rubrique « amour charme » sur le fait que le machisme est mis en 
valeur dans le magazine « Newlook» et que les lecteurs le sont. Il repond : « il 
y a peut-etre des cons qui nous lisent, mais on n’est pas un journal qui renvoie 
la femme au foyer ! Au contraire, les starlettes ecervelees qu’on interview, on 


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se bagarre pour leur donner de l’esprit ! Et puis le but principal d’un journal, 
c’est d’etre rentable. Je travaille pour des actionnaires, je n’ai pas d’autre fi- 
nalite que ca » 

Done, qu’importent les tenants et les aboutissants, ce qui compte c’est l’argent. Que des 
milliers de personnes soient soumises et prennent pour argent comptant des articles dont 
1’ orientation est mediocre, inappropriee ou encore mensongere (que le courrier des lecteurs 
soit redige par la redaction ; que des reportages soient montes de toutes pieces ; etc.) , que ces 
articles creent des nonnes sociales et reajustent « la normalite » par le bas (faire des femmes 
non plus des femmes au foyer, mais l’objet a baiser ecervele) n’a absolument aucune im- 
portance. Ce qui compte, c’est 1’ exploitation soignee du portefeuille des lecteurs. Quant aux 
redacteurs, difficile pour eux de refuser 1’ argent facile que represente la redaction de ces ar- 
ticles : meme si comrne Anne Streiger, ils sont conscients des consequences de leur travail sur 
la societe, le quotidien et ses charges financieres prennent le dessus sur les conflits ethiques 
generes par la situation. 

- Le deuxieme efifet nocif de ce genre de media allie a la pub et ses ideologies, decoule a la 
fois de la consommation du magazine et des objectifs du magazine : sans angoisse, sans peur, 
sans anxiete, pas de lectorat fidele. II ne faut done pas resoudre la problematique qui a amene 
la fille ou le garcon a acheter le magazine, il faut au contraire l’entretenir et la perenniser. Et 
c’est un travail conjoint de la publicity et du media : 

Bessenoff (2006) 112 sujets femmes regardaient des publicites de maga- 
zines feminins. Dans un premier groupe, les pubs montraient des mannequins 
portant des vetements. Dans l’autre groupe, les pubs representaient unique- 
ment des objets (sacs, chaussures, bijoux) sans mannequins. Les sujets rem- 
plissaient ensuite un questionnaire visant a mesurer leur estime de soi. Celles 
qui avaient vu les pubs de mannequins avaient une plus faible estime d’elles- 
memes que l’autre groupe, un tres fort score d’ insatisfaction corporelle, une 
humeur morose, voire depressive, et elles se disaient plus preoccupees par des 
questions de sport et de regime. 

Nous avons le reflexe de nous comparer a autrui : c’est la comparaison sociale. Si le mo- 
dele est toujours plus beau, plus mince, plus intelligent, plus populaire ou ayant eu plus de 
reussite que nous, alors notre estime baisse. 

Les top-modeles etant photographies, maquilles, coiffes et habilles par des pros, dans des 
mises en scene valorisantes puis ensuite photoshopes, on sera forcement moins bien mis en 
valeur qu’eux, done notre estime diminue. 


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Et comment la remonter ? Les magazines nous repondent par le choix de « sujets » : en 
achetant le bon maquillage, en selectionnant le bon parfum, la bonne creme, le bon produit 
pour developper le muscle, les bons habits... La boucle est bouclee. Nous void revenu en 
quatrieme vitesse a notre chapitre precedent, le magazine ici n’etant qu’un tremplin pour les 
marques, un digne serviteur de la societe de consommation. 

En resume : 

1. Le magazine gagne de l’argent a mettre en valeur les pubs. 

2. Le magazine s’allie aux pubs en presentant des pages mode par exemple, ayant pour effet 
de faire baisser l’estime de soi au lecteur. 

3. L’estime de soi baissee, le lecteur cherchera inconsciemment des solutions et trouvera 
dans les « sujets » du magazine des conseils de choix de produits pour se rehausser. 

4. Meme apres achat, le lecteur restera frustre, car jamais il n’atteindra la beaute des mo- 
deles : pour cela, meme avec un physique parfait, il lui faudrait un photographe, un styliste, 
un maquilleur et un graphiste specialiste de Photoshop. Mais meme avec ca, sa realite sera 
toujours mediocre esthetiquement parlant, a mo ins de vivre dans un decor de cinema, ce qui 
n’existe pas non plus. 

5. Done le lecteur sera toujours frustre, son estime sera toujours basse. Bonne nouvelle, le 
magazine du mois suivant repond a ses frustrations. . . 

Le magazine est done le poison et l’antidote placebo agissant a tres court terme. Ce « poi- 
son » est transmis par la majorite des medias et systematiquement par la pub. 

■ « Arguments » en faveur des magazines... 

« Je sais tres bien que e’est cretin, mais ca nous fait bien marrer 
avec mes potes/mes copines » 

Nous ne soinmes pas completement d’ accord avec Anne Streiger sur la question de 
l’angoisse : les lecteurs des lem i n ins/mascul xml people ne sont pas tous des ecerveles ou des 
angoisses qui s’accrocheraient au magazine comme a une bouee de sauvetage. Beaucoup sont 
parfaitement conscients de consommer un magazine idiot, futile, superficiel qui ne sert a rien. 
Ils les « lisent » justement pour cette raison. 

A cela, il faut raj outer une dimension et fonction sociale : par exemple, pour les femi- 
nins, les femmes se partagent les magazines, les regardent ensemble, se moquent des looks 
improbables, cherchent les tenues les plus horribles ou les plus cheres pour clairement les 
ridiculiser. Les articles legers ouvrent des themes de discussion sans consequence sur l’amitie, 
articles sur lesquels on peut tomber d’ accord. 

Done le magazine serait achete pour des raisons de sociability, d’ identification et de 
contre-identification, et par simple imitation des habitudes des parents/du groupe social. 


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Cependant, on a beau lire le magazine au cinquieme degre, avec une distance calculable 
en annees-lumiere, il n’en est pas moms impactant : les images, les photos, les titres, les in- 
junctions rentrent dans le cerveau. Et plus que toute autre chose, le magazine pose un cloison- 
nement : la selection d’infonnations restreint le champ d’horizon (aucun magazine de genre ne 
parle de style de vie autre que celui du consommateur-travailleur, hormis pour s’en moquer ou 
pour les dedouaner) et incite a un mode de raisonnement pour ou contre. Par exemple, un theme 
sur l’homosexualite va generer soit une reactance homophobe soit un positionnement d’accord, 
par contre on trouvera moins de personne qui diront « mais pourquoi vous continuez a disserter 
de cette question, ce n’est pas un probleme ! », pour la simple raison qu’on a lu Particle, done 
que notre logique inconsciente nous dira que c’est un sujet sur lequel il faut se positionner pour 
ou contre, qu’il faut appareiller a notre soi d’une facon ou d’une autre. Le « je m’en fous » 
ou « je pense totalement autre chose » est tres difficile parce qu’on a lu, preuve qu’on ne s’en 
fout pas et que par coherence il faut trouver une raison legitimant le temps qu’on a passe a lire/ 
regarder, done en se positionnant. 

« Je lis ca pour me vider la tele » 

Get argument ne tient pas, ni pour les magazines, ni pour la television. Pour la simple 
raison que c’est physiquement impossible. Cela reviendrait a dire « Tiens, je vais manger 
quelques bonbons pour me vider l’estomac » : ce que l’on consomme, que ce soit de l’infor- 
mation ou de la nourriture, rentre, est absorbe, digere et stocke en nous. Excepte qu’on ne se 
deleste pas du gras infonnationnel par un footing mental, on le garde d’une facon ou d’une 
autre. 

« Je lis ca parce que c’est pas prise de tete » 

C’est sur qu’entre NewLook et Kant, il y a une sacree difference de « prise de tete ». 
Cependant, il faut arreter de se sous-estimer : vous aimez vous prendre la tete, utiliser vos 
neurones a plein regime et avoir le cerveau aussi illumine qu’une ampoule. Ca vous passionne, 
vous transporte, vous envahit de bonheur et les difificultes rencontrees ne font qu’augmenter 
les decharges de plaisir. Et je ne parle pas de Kant. Je parle des jeux video : c’est un divertis- 
sement, qui prend, sans jeu de mots, la tete. On est immerge dans l’activite, on y est hyperactif 
d’un point de vue cerebral, on s’y prend vraiment la tete. 

Et on adore ?a au point d’avoir du mal a decrocher. Et on s’y detend, on s’y divertit. Done, 
si vous etes capable d’adorer vous « prendre la tete » sur un jeu video, quel qu’il soit, cessez 
d’insulter les capacites de votre cerveau en consommant des medias futiles et inutiles tels que 
la television ou le genre de magazine « pas prise de tete ». Si vous prenez conscience que 
vous etes codes, en tant qu’humain tout a fait lambda, pour aimer les choses de plus en plus 
complexes, de plus en plus riches (d’ information non publicitaire), de plus en plus exigeantes 
cerebralement, ne pas « se prendre la tete » sera synonyme d’ennui le plus profond. Et qui sait, 


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a force de defis releves et d’interets decouverts, seul Kant arrivera a satisfaire vos envies de 
prise de tete ;). 

Quant aux autres arguments « je feuillette ca pour avoir des idees », « parce que c’est 
rigolo », « parce que ?a passe bien le temps » ils ne sont pas valables a notre epoque : le Net 
peut combler a toutes ces attentes avec plus d’efficacite, plus de choix, moins de depenses, etc. 
Et meme si on est coupe d’Internet, il y a des choix plus interessants : romans, BD, magazines 
plus intelligents, vraies discussions, activites sociales ou non. . . 


Que faire ? Quelques anti-conseils... 

— Ne plus les acheter. Si vous voulez les consulter, vous les trouverez gratuitement. Ce- 
pendant on deconseille fortement la pratique qui consiste a les feuilleter au supermarche avant 
de faire ses courses : c’est un enonne auto-amorcage qui va vous pousser a depenser encore 
plus que prevu (c’est pour cette raison que le rayon magazine est toujours au debut du maga- 
sin). Avec les economies realisees, vous pourrez acheter des magazines qui en valent vraiment 
la peine et qui sont generalement bien plus chers egalement (cependant certains magazines 
chers sont aussi des attrape-nigauds ostentatoires, n’en faisons pas une loi generale). 

— Si ce qui vous pousse a les acheter est lie a l’angoisse (encore faut-il se l’avouer, ce n’est 
pas forcement facile), a la frustration, ou au manque d’infonnation (on pense aux ados, aux 
jeunes inexperimentes) et que le magazine arrive un instant a resoudre ces etats d’esprit, soyez 
plus ambitieux : vivez. Un article de ces magazines n’est qu’un placebo sucre, une douce pen- 
see magique mais qui ne change strictement rien. Celibataires, il est plus efficace de mener des 
activites sociales pour estomper l’angoisse de la solitude et trouver quelqu’un que de suivre les 
conseils d’une parisienne en couple depuis des annees dont la vie n’a strictement rien a voir 
avec la votre (et n’y voyez pas la une hierarchisation, c’est une vie differente, certainement pas 
superieure ou inferieure) ; les difficultes du couple se resolvent en couple, en vivant le couple, 
pas en introspectant en solo. Quant aux sempiternels articles sur le bonheur, les moyens de l’at- 
teindre, s’en gorger est le meilleur moyen de s’en eloigner et de trouver sa vie malheureuse : 
car pour la logique inconsciente, si on cherche des infos sur le bonheur, c’est qu’on en manque 
ou que l’on n’en a pas. 

La encore, vivre des choses et se donner les moyens de vivre des choses est plus efficace ; 
d’autant qu’il y a autant de definitions de bonheur que d’individus, l’idee du bonheur est sub- 
jective, vouloir suivre une recette pour etre heureux ce serait croire en un bonheur objectif, ce 
qui est contradictoire. Et enfin, abandonnez les articles etiquetes « psychologie » (ainsi que 
le magazine du meme nom): pour la plupart, ils n’ont rien de ce qui a vraiment trait a la psy- 
chologie, sont encore a l’ere pourtant revolue de la psychanalyse, donnent parfois des infos 


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erronees, etc. La encore, si vous vous sentez un peu mal dans votre peau, mettez votre peau 
en mouvement, oubliez la television, faites des activites (et pas forcement sportives comme 
on le lit trop souvent dans ces magazines) et vous devriez deja vous sentir nettement mieux. 

— Mieux vaut aller chercher l’info quand on en a besoin ou en fonction de nos interets 
plutot que d’en subir les directions. C’est toute la difference entre aller a la peche aux cri- 
tiques/informations quand on doit remplacer son ordinateur definitivement mourant et subir 
des doubles pages de gadgets geeks qui vont reussir a vous tenter au moins un peu alors que 
vous n’en avait strictement pas besoin. Cependant, on comprend tout a fait le plaisir a se faire 
transporter a des interets qu’on n’a pas a priori : une bibliotheque, un vide-grenier, une dis- 
cussion avec un inconnu, Wikipedia, une curiosite soigneusement cultivee, seront plus effi- 
caces, plus jouissifs, plus propices a la serendipite. Internet etait egalement a meme de le faire 
auparavant, mais Google, YouTube, Facebook, ce « BrightNet » (par opposition au DarkNet) 
a reussi a coup d’algorithme, de surveillance de nos recherches, de tracagc, a nous enfermer 
dans notre propre aquarium d’ interets en y ajoutant une grande louchee de commercial. 

— Ne ha'issons pas les magazines pour autant : ils sont de fonnidables bases de donnees 
d’ images, de mise en page a detoumer, a exploiter. Recyclons-les ! 

— Le magazine peut devenir un cahier de jeux. Durant nos longues vacances, nous avons 
fait une decouverte etonnante : on trouve a present des cahiers de coloriages pour adultes. Et 
ils ont un succes grandissant... Le choc passe, nous avons cherche ce qui motivait les per- 
sonnes a passer du temps a une activite pourtant tres enfantine : ils aiment crayonner mais ne 
savent pas dessiner, cela leur permet de se detendre, cela les apaise. Soit. Mais vous prendrez 
bien plus de plaisir a crayonner les magazines, a transformer les articles, corriger les titres 
a coup de bianco, les tetes, les mises en pages. La encore l’interet est de se reapproprier ce 
qu’on nous impose, casser les efifets voulus par le mag/la pub, le repenser et le partager avec 
la salle d’attente. 

On ne va pas beaucoup plus loin dans les « que faire », car il nous semble que la 
bataille s’est deja achevee. En temoignent la chute des ventes et le succes salvateur de maga- 
zines non idiots (on pense a Causette, qui, bien que s’adressant aux femmes, est clairement 
hors du circuit habituel, en etant feministe, en parlant de politique, de sujets profonds et refle- 
chis). Certes, il y a du chemin a faire (le retour du magazine « Lui », son machisme, ses pubs 
et son succes. . .), et ceux qui n’achetent plus ne consomment sans doute pas moins le people, 
les articles-idiot-conso sur le Net. . . 


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■ TOUS POURRIS PAR LEURS DEPENDANCES FINAN- 
CIERES ? 

Fort heureusement pour nous, tous les medias ne sont pas des organisations a but unique- 
ment lucratif au point d’en oublier leur ethique professionnelle. Quelques-uns mettent leur 
priorite a l’information bien traitee, au travail de qualite, au vrai joumalisme et cela avec une 
grande intelligence, respectueuse des neurones de ses lecteurs. Parfois meme certains journa- 
listes ou realisateurs arrivent a mettre a l’antenne des documentaires exceptionnels dans des 
lignes editoriales globalement en faveur des annonceurs. 

On pense a Owni qui fut un media a la qualite irreprochable : sujets inedits sur des thema- 
tiques que peu de medias abordaient, design parfait, creativite dans la presentation et le traite- 
ment de l’information, analyses pertinentes et utiles au rendu ludique, serieux et respectueux 
du lecteur, etc. Malheureusement, le probleme fut le manque d’ argent et il ferma ses portes. 

Les solutions utilisees generalement par le media qui se veut independant et done libre 
d’exercer correctement son metier, sont de trouver son financement par des activites annexes 
(rue 89 fait par exemple des MOOC - cours en ligne - lies au journalisme), directement aupres 
du lecteur (abonnement, prix du journal, dons. . .) ou alors de faire du benevolat, ce qui tend a 
se repandre avec Internet. Soutenons les, moralement ou financierement, car ils sont precieux 
dans notre univers informationnel, ils sont un antidote au formatage et peuvent renverser l’ha- 
bituelle activite des medias traditionnels : on pense a Mediapart, qui par son travail de qualite a 
mis a jour l’affaire Cahuzac et a bouleverse l’actualite mediatique chez tous les autres medias. 

Done... 

— Plus la publicity est envahissante, plus elle est fortement correlee au contenu du media 
plus il y a de chances pour que le media soit le pantin des annonceurs, done que son informa- 
tion ait (volontairement ou non) des visees commerciales et soit mediocre, peu journalistique. 

— Les sources de financement des medias indiquent a quel « saint » sont alienes les me- 
dias. En cela, que l’argent proviennent les lecteurs peut etre plus salutaire, quoiqu’il y ait des 
exceptions. L’independance ne protege pas systematiquement des influences exterieures : par 
exemple le Canard enchaine avait pose un mauvais jugement sur l’affaire Cahuzac, accusant 
a tort Mediapart (voir : Jeu d ’influences, les strateges de la communication, un documentaire 
de France Televisions 42 ) 

— Les medias sur le Net ne sont pas plus valides parce qu’ils seraient dans un autre monde : 
par exemple pour les jeux video, les redacteurs sont arroses de cadeaux et de privileges par 
les editeurs/producteurs ; des blogueurs sont totalement allies aux marques et leurs articles 
sont issus de cadeaux ou avantages (e’est tres souvent le cas des blogueurs mode, beaute) ; 

42 http://www.dailvmotion.com/cmbcd/vidco/xltdiTi7 et http://www.dailvmotion.com/cmbed/vidco/xlv5icc 


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d’autres produisent du contenu qui permet d’attirer a la vente d’autres choses ; d’autres encore 
cherchent de fa$on aussi assidue qu’un service de marketing la fa?on d’attirer le plus de monde 
possible pour gagner de l’argent (Buzzfeed, Demotivateur, Squeezie...) 

— Toujours sur le Net, les blogueurs benevoles ne sont pas forcement pousses par le travail 
bien fait ou la recherche de verite via des analyses serieuses : ils sont motives par la celebrite, 
le nombre de vues ou des motivations d’ordre ideologiques. 

— La seule fag on de se reperer efficacement pour trouver des bonnes informations, docu- 
mentaires, programmes et cela quel que soit le format ou le media, reste d’affuter son esprit 
critique, ses capacites d’analyse. 

(®MEDIAS/PUBLICITES/ COMMENT ELLE EXPLOITE 
NOTRE MEMOIRE 


« La memorisation est une condition necessaire a toute efficacite 

publicitaire » 

SNPTV (syndicat national de la publicity televisee) 

http://www.snptv.org/_files/etudes/fichiers/40.pdf 


Maintenant que nous avons vu a quel point le media peut etre allie a la pub au point de 
n’etre qu’une extension de celle-ci, amorgant, facilitant son infiltration dans notre cerveau, en- 
trons au coeur des mecanismes qu’elle exploite. II n’est pas question de conscience ici, qu’im- 
porte qu’on sache que la pub soit malsaine, elle arrivera a ses objectifs par 1’ exploitation des 
mecanismes inconscients de notre cerveau. 

Son premier objectif, sa premiere cible, est la memo ire. Voyons la memo ire a long terme 
comme une bibliotheque d’ informations : certains rayons seront accessibles plus rapidement 
que d’autres, et mis en valeur par notre bibliothecaire interne. Les raisons sont diverses : les 
informations peuvent etre accessibles rapidement parce que nous les utilisons tres reguliere- 
ment (un mot de passe pour ouvrir son ordinateur), parce que l’environnement nous repete tout 
le temps son importance (1’ information « mangez cinq fruits et legumes par jour »), parce que 
ce sont des informations qui nous procurent du bien-etre (le souvenir multisensoriel d’un repas 
en famille de notre enfance). Parfois le « livre » d’ information present en notre memoire est 
indissociable d’autres livres, par exemple le repas en famille agreable de notre enfance peut 
etre associe a l’odeur de poulet, done l’information « poulet » rappelle ce souvenir et inverse- 
ment le concept « poulet » et son lot d’ informations sont accoles au concept « bon moment en 
famille ». Done le poulet peut rendre heureux, parfois on se rappellera de 1’ association avec le 
repas (le fameux effet madeleine de Proust) parfois non, il n’y aura juste qu’un enthousiasme 


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etrangement demesure pour 1’ achat du poulet. 

Notre bibliotheque d’informations et de souvenirs est poetique, elle melange sensations, 
emotions, informations factuelles et connaissances complexes. On donne un sens demesure 
aux objets, aux details, le moindre grain de poussiere peut derouler des pelotes entieres de 
concepts associes a des sensations, des emotions, a des considerations humaines complexes. 
C’est une de nos grandes forces, un de nos talents les plus beaux, car c’est, entre autres, la ca- 
pacity a donner du sens au monde. 

Prenons un exemple : apres moult resolutions, on s’est un jour decide a se mettre a courir 
regulierement. La decision a ete difficile a maintenir, on a souffert, mais chaque jour on a re- 
commence, on a tenu bon malgre la fatigue, tete basse sur la vision de nos chaussures defilant 
sur le sol. On a reussi a depasser les objectifs qu’on s’etait fixes. On se sent mieux dans notre 
vie quotidienne. C’est une tres belle reussite. 

De cette experience resulte un souvenir melangeant nos sensations, les decors parcourus, 
les objets en presence, les ressentis et des considerations sur nous meme qui nous donnent 
de la force, meme si l’evenement est passe. Nous en retirons une grande fierte, car bien que 
l’evenement soit simple, il est tres significatif de ce que l’on est et comment on reussit a se 
transformer malgre les difficultes. Cet evenement et son souvenir nous construit et il guidera 
nos comportements futurs : si a l’avenir on baisse les bras, si on se de^oit, on se rappellera de 
ce souvenir et on trouvera la force d’affronter les situations deplaisantes. 

Sauf que dans ce souvenir, il y a un enorme Nike sur les chaussures. Et il est possible que 
les chaussures originelles n’etaient pas des Nike. Et peut-etre bien qu’a y reflechir, on a bien 
eu une periode de footing, mais le decor n’avait rien de naturel contrairement a ce que nos 
souvenirs nous renvoient. Alors, peut-etre bien que notre souvenir s’est confondu avec les 
pubs de Nike, ou pire encore, que bien qu’on sache que Ton n’a pas eu de periode footing, on a 
1’ impression d’ avoir ce souvenir... 

« Plus un stimulus per$u engendre d’ activations de representations stoc- 
kees (plus la trace qu’il genere est etendue), meilleur sera son souvenir. Une 
information plurimodale (visuelle + auditive) doit done etre mieux memorisee 
qu’une information unimodale. [...] Les Sciences Cognitives nous montrent que 

1 . Plus une information est riche, plus elle active de representations en me- 
moire et plus son stockage en memoire a long tenne est efficace. 

2. L’ attention suscitee par une information va favoriser son stockage en 
memoire. 

3. La charge affective associee a une information (- ou +) va egalement 
favoriser son stockage. [...] 

Un message publicitaire dont le contenu est a la fois riche [c’est-a-dire ta- 


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blant sur l’auditif, le visuel et toutes les modalites sensorielles possibles], tout 
en demeurant suffisamment attractif sur le plan attentionnel, et signifiant sur le 
plan emotionnel [c’est-a-dire provoquantpeur/tristesse/joie/surprise/etc.] aura 
les meilleures chances d’etre bien retenu. » 

Source SNPTV: http ://www.snptv. org/_files/ etudes/fichiers/40 .pdf 

Autrement dit, le publicitaire a tout interet a faire une publicite qui s’accapare toutes 
les modalites sensorielles (c’est-a-dire avec une musique particuliere, un visuel particulier, 
des odeurs associees) et qui provoque une emotion ou qui en rappelle une. Et cela, non pas 
par « creativite », mais pour la memorisation. Mais comine nous l’avons illustre avec notre 
exemple sur le footing, le raccourci le plus efficace pour la publicite est de s’accrocher a 
quelque chose qui est deja en memoire (par des processus dissociation que l’on decrira juste 
apres). 

Voila ce que nous allons explorer ici : 1’ infiltration de la publicite au coeur de ce qui fait 
le precieux noyau de nos vies et qui guide notre comportement present et futur, a savoir la 
memoire. 

■ LE MOMENT ADEQUAT 

On memorise mieux les informations quand elles sont susceptibles de nous servir : entre 
la publicite pour un robot qui parle et l’annonce pour des concessions obseques, l’enfant re- 
tiendra mieux celle du robot. Cibler directement le public devant l’ecran selon les horaires ne 
consiste pas a interesser le spectateur, lui proposer des messages qui lui seront plus agreables 
(ce sont des arguments utilises par les adeptes de la pub ciblee). Non, c’est une facon de faire 
mieux retenir les pubs au spectateur, de pousser son attention a se focaliser sur les messages et 
de les enregistrer au coeur de son univers interne, a cote de ses preoccupations (la mort, pour 
les concessions obseques) et des projections liees a ses activites (le jeu, pour la pub du robot). 

On constate egalement que les series de pubs sont plus denses avant le repas ou autour des 
horaires de repas. Deux raisons expliquent cela : 

— A ces moments, les individus sont plus presents chez eux, ont souvent le poste de TV 
allume, notamment lors des activites menageres. 

— L’estomac gargouillant du spectateur produit des effets mentaux recherches par les 
publicitaires : les pubs pour la nourriture seront bien plus efficaces, etant des stimuli visuels 
agissant sur T appetence, de concert avec Testomac gargouillant (c’est approximativement 
le meme effet que les odeurs dans les magasins, qu’on a vu precedemment) ; l’etat de faim 
accroit egalement la vigilance, done on est plus attentif aux stimuli de Tenvironnement en 


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general et on les memorise mieux. Cela s’explique par nos instincts de survie : notre organisme 
mobilise toutes ses competences au mieux afin de nous aider a trouver de la nourriture quand 
on a faim. 

Done... 

Etant donne que notre memoire est plus efficace quand on a faim, autant utiliser ce bonus 
pour nous-memes et ne pas le laisser s’epuiser dans le travail de traitement de la pub. C’est 
done le moment ideal pour apprendre, reviser, notamment des infonnations qui necessitent du 
« par coeur ». 

Concernant les annonces de nourriture, force est de constater qu’on aime saliver. On aime 
desirer puis se repaitre de l’objet qu’on a attendu. Mais la pub n’est qu’une etape frustrante : 
soit vous n’aurez pas acces dans l’immediat au produit, soit il sera trop gras, trop sucre ou 
decevant en comparaison avec ce que presentait la publicite. Done ce merveilleux desir sera 
immanquablement un echec ou il generera des sentiments deplaisants : frustration, culpabilite, 
colere... La seule solution est de creer soi-meme son desir, avec des produits que vous savez 
disponibles, des produits qui ne genereront pas de culpabilite ou autre sentiment negatif. Au- 
trement dit, il faut reprendre le monopole de ses desks et savoir les cultiver soi-meme ou avec 
autrui de facon bienfaisante pour tout le monde. Marketons les carottes qu’on compte servir 
le soir, promouvons notre bouillon, devenons les maitres de la communication de nos repas 
disponibles, creons notre propre satisfaction client. 

■ RAPIDITE 

La rapidite de la publicite s’explique d’abord par les couts des encarts publicitaires : le 
temps, c’est de 1’ argent, alors il s’agit de faire passer le message le plus rapidement et le plus 
efficacement possible. Mais la rapidite a des efifets sur nous, effets qui arrangent les marques. 

Imaginez-vous une partie de Tetris : au debut, chaque piece arrive lentement, vous avez 
le temps de les placer de fa$on adequate, de voir les differentes possibility, d’imaginer votre 
strategic a long terme pour faire le plus de lignes possible avec un placement correct. Vous 
calculez des probability, done vous avez le temps de faire appel a vos fonctions cerebrales 
superieures. 

La rapidite des pubs, c’est Tetris lors de ses phases les plus rapides : votre perception a a 
peine le temps de prendre note de la forme de la piece qu’il faut deja la placer et vous occuper 
de la suivante : la rapidite empeche le travail des fonctions superieures, vous ne pouvez plus 
elaborer de grandes strategies, car vous etes tout le temps sollicite par une nouvelle piece a ran- 
ger rapidement. Done, Tenchainement des pubs empeche de les jauger correctement, e’est-a- 
dire de juger si vous auriez vraiment besoin d’un tel produit, si le message aurait de Tinteret ou 
non, etc. Votre cerveau se contente de reagir automatiquement et se depeche de ranger la pub 
dans une case de votre memoire, sans subtilite du raisonnement, sans conscience, ni reflexion. 
Ainsi, le produit de menage sera range dans le rayon « produit a acheter si cuisine encrassee » 


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sans la finesse du raisonnement que pourrait permettre de distinguer le sexisme de la pub (un 
homme incapable de nettoyer regulierement sa cuisine), le mensonge de 1’ image (la cuisine 
qui devient d’un pschitt aussi brillante qu’un diamant), l’idiotie de la mise en scene vous 
prenant pour un cretin de premier plan, etc. 

Ce n’est pas une question d’etre intelligent ou de ne pas l’etre, l’enchainement rapide des 
pubs empeche a n’importe qui la prise de conscience complete, avec ses reflexions poussees, 
parce qu’un stimulus chasse l’autre. Pour l’anecdote, on s’est force a regarder des plages 
entieres de pubs pour ce present ouvrage : l’idee etait de prendre note de chacune d’entre 
elles, d’analyser leur enchainement, etc. Cela a ete impossible, nous ne pouvions qu’ecrire le 
produit et quelques mots pour chacune tant c’etait rapide. 

Mais la rapidite ne fait pas qu’empecher l’analyse : 

Bolls, Potter et Lang (1996) l’experience consistait a presenter des 
echantillons de spot publicitaire plus ou moins frenetiques : 

- le premier echantillon comportait une a deux coupes, 

- le deuxieme quatre a six coupes, 

- et le dernier, plus de onze coupes. 

Quand les scientifiques ont demande aux sujets ce qu’ils avaient retenu 
de ces spots, c’est ceux ayant vu les spots les plus frenetiques qui avaient le 
mieux retenu les contenus. 

Ces resultats vont a l’encontre de la logique : pourquoi on retiendrait mieux le contenu 
d’ images qui s’enchainent en quatrieme vitesse plutot que des images au rythme de defile- 
ment lent ? 

Selon les psychologues, cela s’explique par la reaction a la nouveaute de notre cerveau : 
a chaque nouvelle image, le cerveau mobilise de l’energie qu’il lui dedit. Et le processus se 
repete a chaque nouvelle image. 

A.Lang a pris des mesures sur des sujets qui regardaient des programmes 
comportant de nombreux changements de prises de vues. Elle a constate que 
la frequence cardiaque des sujets diminuait, ce qui est signe de redoublement 
de 1’ attention. Elle a constate a nouveau que les contenus etaient mieux rete- 
nus de cette facon. 

Meme si on n’a pas l’impression de faire des efforts devant la television, encore moins 
devant la pub, nos processus cognitifs comine la perception, l’attention puis la memoire 
en font enormement, de facon automatique, pour traiter tous ces stimuli. Ce travail nous 
vide de nos forces mentales en faveur de la publicity qui s’installera dans notre cerveau. On 


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comprend alors mieux la phrase de Le Lay sur le temps de cerveau disponible (citee en debur 
de chapitre) : le traitement automatique et inconscient de la pub est une tache eprouvante, il 
ne faut done pas que les programmes la precedant aient deja epuise nos ressources mentales. 
Toute la force mentale doit etre dediee a l’absorption correcte et efficace de la publicity. 

Ces constatations cassent aussi un mythe : ce fameux mythe qui declare « qu’on reste 
devant la television pour se detendre, pour se changer les idees ». Certes, le rythme cardiaque 
baisse, mais nos processus cognitifs tournent a plein regime. On ne se detend pas, on ne se 
change pas les idees : on laisse travailler notre cerveau a l’absorption de la pub. C’est effecti- 
vement une distraction, mais elle ne nous sert pas, au contraire elle pollue notre cerveau d’in- 
formations inutiles, elle nous manipule, installe les fils invisibles qui nous guideront comme 
des marionnettes au supermarche. 

Done... 

On croit s’affaler devant la television parce qu’on n’est plus capable de faire autre chose, 
parce qu’on veut « se vider » : en fait, il se passe exactement le contraire. Nos fonctions cog- 
nitives sont debordees (ce qui explique le futur affalement) et on se remplit inconsciemment 
de toutes sortes d’ informations nuisibles car inutiles. Nous ne soinmes pas des loques meme si 
la journee a ete eprouvante, notre cerveau peut faire de grands travaux comme le prouvent ces 
resultats de memorisation de la pub. Ce qui nous fait en apparence du bien, c’est la distraction, 
la sensation de se vider la tete, qui est en fait le fait de se faire remplir d’autres choses. Bonne 
nouvelle, de nombreuses activites plus profitables sont toutes aussi distrayantes (voire plus) et 
comportent beaucoup plus d’avantages pour nous : le livre demande de l’attention, il aura le 
meme efifet sur la baisse du rythme cardiaque, il vous distraira vous calmera, vous apprendra 
des choses qu’on ne peut apprendre nulle part (certains aspects du roman sont impossibles a 
retranscrire en film par exemple, c’est une forme de telepathie du lecteur vers l’auteur, comme 
le dit Stephen King), ameliorera votre culture et votre ouverture, ameliorera votre vocabulaire, 
ameliorera votre orthographe, augmentera vos capacites attentionnelles et de concentration. Il 
peut servir de somnifere, de relaxant et pour certains livres, de grands motivateurs a faction 
(cela peut meme servir d’entrainement mental a faction). Le jeu video a egalement un grand 
nombre d’avantages, distrayant « activement » et developpant des competences : Tetris aide 
a depasser les flash-back negatifs 43 il est done une bonne prescription palliative contre les 
ruminations qui nous envahissent (on suppose que tous les casuals games peuvent avoir cette 
vertu) ; les MMORPG developpent le QI, forment a travailler en groupe voire a developper 
des competences de leader ; les FPS ameliorent les reflexes et meme la vue 44 ; etc. Pas besoin 
d’aller chercher dans les programmes « entraineurs cerebraux » ennuyeux, les casuals games 
et les jeux de gamers sont plus profitables au cerveau. 

Plus globalement, toute autre activite semble plus profitable que la television, excepte 
les situations entretenant des sentiments negatifs (s’enerver sur ses proches, se droguer, se 

43 http://www.numerama.com/magazine/17319-iouer-a-tetris-reduirait-les-troubles-de-stress-post-traumatique.html 

44 http://www.huffingtonpost.fr/2013/ll/12/ieux-video-bienfaits-sante n 4264120.html 


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battre...). Si on se retrouve devant la television parce qu’on va mal, mieux vaut prendre le 
probleme a bras le corps et travailler a le resoudre : c’est tres difficile, cela peut generer en 
premier lieu des sentiments penibles, mais il faut savoir s’offrir un temps d’observation sin- 
cere de sa vie, de ce qui nous peine/nous stresse/nous angoisse afin de trouver des solutions a 
long terme. II faut s’entrainer a pouvoir regarder ses problemes avec objectivity, sans sombrer 
dans la culpabilite, la haine ou tout autre sentiment qui ne resoudraient rien au probleme. C’est 
un exercice avec soi-meme, une gymnastique mentale qui ne doit avoir que pour objectif de 
trouver des solutions, pas de se punir ou de punir autrui. On a deja parle de ce genre de conflit 
mental precedemment et on y reviendra regulierement dans la section travail. 

On reviendra egalement sur la rapidite dans notre section actualites. 

■ REPETITION 

La strategic la mo ins subtile de la pub pour s’ installer dans notre memo ire est la repeti- 
tion : [’infernal slogan se repete a l’identique trois ou quatre fois d’affilee dans un intervalle de 
quelques secondes. Le message est court, c’est une phrase, le nom de la marque ou un slogan 
idiot. On peut hair ces pubs de toutes nos forces, il n’empeche qu’on ne peut empecher notre 
cerveau de les enregistrer. Plus on sera soumis a cette repetition, plus la pub sera ancree et 
quand vous passerez devant le produit ou qu’un ami vous en parlera, le gimmick sera reconsti- 
tue a la perfection par votre cerveau, au point de vous hanter toute la joumee parfois. 

La repetition peut etre juste une invasion de la pub en question dans notre environnement : 
a la TV, sur les affiches dans la ville, dans les journaux, a la radio, sur le Net, etc. Ainsi, impos- 
sible d’echapper a la demiere campagne de yaourt, car meme si on fait tout pour ne pas voir, 
pas ecouter, notre perception jugera tout de meme bon d’enregistrer cet element recurrent dans 
T environnement. « Si c ’est partout, c ’est que c ’est un element important, c ’est qu ’il faut s ’en 
rappeler ». C’est un processus parfaitement normal de notre cerveau qui met un point d’hon- 
neur a bien encoder 1’ environnement afin de pouvoir mieux s’y adapter et y vivre. 

On peut fuir la pub cornme la peste, on y sera tout de meme soumis par les affiches dans 
les rues, dans nos magazines, a la radio dans les magasins, sur le Net. On ne peut pas se couper 
d’elle. Les grosses campagnes de pub pour ce yaourt seront done enregistrees inconsciemment 
et une fois dans le rayon firais, a la recherche de desserts, elles agiront egalement inconsciem- 
ment : Tinconnu fait peur, il est prise de risque. C’est une loi comportementale inscrite en nous 
inconsciemment et elle est tout particulierement active lorsque Tinconnu en question est un 
aliment. Du temps de la cueillette et de la chasse, mieux valait pour notre survie de ne pas se 
risquer a gouter des baies ou des champignons qu’on n’avait jamais vus avant. Notre cerveau 
a garde de ces temps anciens cette prudence concernant les aliments inconnus et meme si le 
supermarche ne propose pas d’aliments dangereux (quoique...), nos processus inconscients 
nous pousseront a choisir quelque chose de familier. Cette familiarite est egalement visuelle, 
done nous choisirons le yaourt dont on a subi Tenonne campagne de pub plutot que celui qui 
n’a jamais ete affiche dans nos villes. 


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Done... 

Cette pratique de la repetition peut etre utilisee par les etudiants et tous ceux qui ont besoin 
d’apprendre certaines infonnations par coeur : concevez vos notes de revisions coniine des 
pubs, e’est-a-dire sans trop d’ informations a la fois, avec des phrases ou chiffres repetables 
en rimes ou formant un gimmick. Ensuite, envahissez votre espace de ces elements, toujours 
selon les codes de la pub, avec des images reconnaissables en un clin d’oeil. 

Si on souhaite echapper a la repetition de la publicite et ses diets, il ne suffit pas de couper 
court a tous les medias (ce qui peut etre en plus prejudiciable), car les affiches/panneaux et les 
placements de produits dans les films vous envahiront tout de meme. II faut au contraire regar- 
der la publicite en pleine conscience, prendre le temps de l’analyser : les fonctions superieures 
du cerveau la classeront correctement dans votre memoire en tant que « pub qui me prend pour 
un idiot », « pub drole, mais humour sans lien avec son pro duit a fort potentiel d’inutilite » 
etc. Vous aurez en plus le temps de j auger si le produit a un interet pour vous ou non : on ne le 
repetera jamais assez, la pleine conscience, le temps pris a observer et analyser une situation 
est l’ennemi de la publicite et globalement de la manipulation. De plus, cela peut permettre de 
faire la difference entre le publicitaire et le commanditaire de la pub : une pub intelligente, qui 
est sincerement drole ou a un message percutant est le signe qu’on a laisse le publicitaire faire 
preuve de creativite. Saluons comine il se doit le talent d’un publicitaire, sa creativite et son 
intelligence, mais ne confondons pas ce talent avec le produit, la marque : elle n’a fait que pay- 
er celui-ci et lui donner plus ou moins de contraintes. Ainsi une pub particulierement moche, 
idiote, sexiste aura sans doute ete imposee au publicitaire sans lui laisser exprimer la moindre 
creativite, tandis que celle qui fait preuve de plus d’ intelligence est sans doute signe d’une plus 
grande liberte. Mais la creativite ou l’humour ne vient pas de la marque ou du produit, mais 
du createur qui l’a concu. La lecture de 99francs de Frederic Beigbeder est tres instructive a 
ce sujet. 

■ RAPPEL 

Le rappel est un renforcement du mecanisme d’apprentissage de la memoire : la pub pour 
l’anti-poux passe, avec sa petite histoire et son petit slogan. Puis, deux pubs plus tard, rappel 
de l’anti-poux, sans le film, juste le slogan durant deux secondes. Cette technique cible direc- 
tement la memoire : rien de plus efficace qu’une pause et un rappel, meme extremement rapide 
pour coder le message dans notre cerveau. C’est une sorte d’effet de deja vu : la memoire 
signale qu’elle a deja croise cette infonnation et la re-encode. La vision de ce rappel fait egale- 
ment dire a notre memoire « cette information est revenue dans l ’environnement visuel/auditif 
done elle est plus importante que les autres, retenons la ». 


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Done... 

La technique du rappel nous apprend 1’ importance des pauses : quand on est dans un 
processus d’apprentissage, mieux vaut faire autre chose apres avoir pris connaissance d’une 
notion importante et ensuite revenir dessus rapidement par un resume. A l’inverse, pour se 
rappeler de quelque chose, un signe, un symbole, un mot peut suffire a rappeler l’ensemble 
d’un message. Done, activistes, si un aspect de votre message semble incompris, il ne faut pas 
le repeter encore et encore de plus en plus fort a l’identique : le message initial a un probleme, 
une mauvaise orientation, quelque chose qui ne passe pas, sinon un seul symbole, une seule 
phrase suffirait a le rappeler. Cependant, cela demande beaucoup d’elfort, d’empathie, d’in- 
telligence et d’ imagination pour traduire et faire passer correctement un message complexe a 
la population. 

■ Gimmick 

[nous avons egalement traite ce sujet en video : https://hackingsocialblog.wordpress.com/2014/07/10/ 
le-gimmick-publicitaire-horizon-bv-night/1 

II est, selon Wikipedia, « une cellule de quelques notes de musique capable de capter 
l’oreille de l’auditeur.» 118, 218 ! Vous avez la musique en tete ? Si ces chiffres ne vous disent 
rien, vous avez du etre loin de l’ecran TV ou de Tordinateur a Tepoque ou ils nous harcelaient 
tous. En tout cas, e’est ce qu’est un gimmick publicitaire reussi : a Tepoque, des dizaines de 
numeros pour les services de renseignement luttaient pour prendre place dans le cerveau de la 
population, avec le deli d’etre memorise correctement, ce qui n’est pas evident pour une serie 
de chiffres. 118 218 est sans conteste le numero qui a impregne le plus les cerveaux, qu’on 
utilise ou non ses services. La principale raison de cette memorisation est le gimmick : le cer- 
veau enregistre avec une facilite deconcertante les sonorites simples, et meme apres les avoir 
entendus pour la premiere fois, il s’attele a les repeter en arriere-plan de notre conscience, 
parfois les transformant en veritable « ver d’oreille ». Le ver d’oreille est un refrain, une me- 
lodie simple qui investit notre conscience et ne nous lache plus a notre grand desespoir. On 
comprend alors pourquoi la pub affectionne autant ces gimmicks envahisseurs : on les retient 
immediatement, on les repete automatiquement sans que personne ne nous y pousse, on ne 
les oublie pas meme apres des annees, on les reconnait des les premieres notes ou esquisses 
de chant, on se surprend a les siffloter (done on contamine involontairement autrui) et parfois 
on s’en sert d’arme pour empoisonner autrui en les chantant volontairement (ce qui sert gran- 
dement la propagation de la pub). Les enfants sont extremement sensibles a ces gimmicks, 
mais n’en saisissent pas forcement le potentiel nuisible ni leur mediocrite musicale ou leurs 
objectifs. Parfois les gimmicks leur plaisent veritablement et ils deviennent des standards a 
connaitre absolument pour etre a la page dans les cours de recreation. Cela va evidemment de 


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pair avec les objectifs des publicitaires, done ces techniques sont loin d’avoir fait leur temps. 

Done... 

Pour guerir du « ver d’oreille », la solution serait de faire des anagrammes de cinq lettres 45 
... Cependant, on ne guerit pas de l’association inalienable du gimmick a la marque. Meme 
si on n’a pas l’impression que la melodie soit reliee a un produit ou que cela n’a aucune inci- 
dence sur nos choix, inconsciemment cela sera efficace : la sonorite repetee et enregistree nous 
fera choisir preferentiellement le « 118 218 » contre un autre numero mo ins ancre dans notre 
memoire. 

Que faire alors ? Comme le gimmick persiste, autant le detoumer a notre avantage en chan- 
geant les paroles, pour se rappeler d’autres dates, d’autres informations. 

II peut egalement servir d’arme pacifique de sabotage et il peut servir a se lester de son 
conditionnement positif par association a des evenements negatifs : par exemple, avant d’abor- 
der une reunion qui sera extremement penible (ou pendant, mais cela demande de l’audace), 
entonner discretement le gimmick peut introduire en tous les esprits presents un element in- 
congru perturbant les volontes de l’organisateur de ce mauvais moment. Cela associe egale- 
ment la marque du gimmick a un mauvais moment, ce qui a le don de detruire l’aspect positif 
de la marque. Attention, le resultat peut etre assez malsain et cette « arme » est tres clairement 
une manipulation mentale pour soi-meme ou autrui. Cependant on peut faire des associations 
de gimmick de fa5on plus legere et drole : on pense par exemple au « rickrolling » qui a no- 
tamment a ete utilise par les anons contre la scientologie. II s’agissait de faire des liens d’ap- 
parence scientologue mais qui renvoyait en fait sur le clip de la chanson « Never gonna give 
you up ». Le gimmick est utilise dans le rickrolling comme un tenninus inattendu, une reponse 
« WTF », parfois activiste ou simplement humoristique. 

(®MEDIAS/PUBLICITES/ COMMENT ELLES EX- 
PLOITENT NOS CAPACITES DISSOCIATION 


La memoire n’enregistre pas les stimuli seuls : imaginons que vous ayez passe un examen 
ecrit. Le souvenir d’une question particulierement vicieuse sera sans doute associe au souvenir 
de l’odeur de renferme de la salle. L’odeur et la question sont associees dans cette scene desa- 
greable et agissent l’une sur l’autre. A l’avenir, meme si n’avez pas ce souvenir exact en tete, 
une odeur de renferme similaire a celle du souvenir pourra avoir pour effet de vous decourager 
totalement, de vous laisser un sentiment diflfus d’echec. 

Globalement, le cerveau procede par association et le langage n’est qu’ association : ce sont 
des lettres ou phonemes qui renvoient a des representations des concepts qui eux-memes sont 
associes a nos souvenirs et tout ce qu’on a pu accumuler a leur sujet, que ce soit des informa- 

45 http://www.tvac.com/20 13/09/vers-doreille-des-experts-ont-trouve-iine-facon-de-sen-debarrasser/ 


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tions factuelles et sensorielles, comme des avis exterieurs ou des analyses personnelles. 

Done, pour rentrer dans notre cerveau, une strategic de la publicity n’est pas de se creer 
une nouvelle place dans notre cerveau (par exemple y installer un nouveau gimmick insuppor- 
table), mais de s’inserer dans des clusters d’infonnations deja solidement ancres, comme un 
souvenir, un concept, des sequences emotions, des representations sensitives, des ressentis lies 
a une atmosphere, etc. 

Ici nous parlerons de differentes associations : 

— L’ association qui se fait en nous, entre ce que l’on porte deja et le message publicitaire. 

— L’ association exterieure qui se fait entre la pub et un facteur positif (par exemple, une 
bonne musique). 

Dit autrement, cette association exterieure pourrait se comparer au travail d’un virus 
sexuellement transmissible unilateral : la musique par exemple, en « s’accouplant » a la pub 
lui transmet ses caracteristiques positives. Mais cet accouplement la contamine de pub, alors 
que la pub a quant a elle pompe toutes ses caracteristiques positives et les a transposees a son 
produit. C’est ce qu’on appelle le transfert symbolique. 

■ TRANSFERT SYMBOLIQUE : LES STARS 

Les celebrites portent chacune d’entre elles des qualites pre-enregistrees dans notre cer- 
veau : humour, serieux, competence et talent particulier, beaute, force, role et identite speci- 
fique... La pub, en les associant a ces produits, pompe ces caracteristiques pour les transferer 
a ses produits ou motiver a la depense. Un exemple particulier est celui de la croix rouge : 
Adrianna Karembeu a par exemple completement dope les dons en offrant son cachet sexy et 
elle est a present completement associee a la croix rouge. Ici, l’association est plutot profitable 
pour tout le monde, etant donne que la cause est bonne et que le procede ne cache pas son jeu, 
exagerant le cote sexy. Un autre exemple est celui de Mac Lesggy (animateur de E=M6) qui se 
voit pomper sa valeur « scientifique » pour etre transferee a du dentifrice ; les footballeurs sont 
quant a eux utilises pour a peu pres n’importe quel produit : soda, rasoir, eau minerale, sham- 
poing, yaourt, telephonie, voiture. . . Ici, leur popularite semble suffire a elle-meme, qu’importe 
1’ absence de hen logique entre le soda et le ballon rond. 

Ce procede dissociation ou, plus exactement, de transfert symbolique, se fait de lui- 
meme, les publicitaires n’ont pas beaucoup d’ efforts a faire : il suffit que deux elements soient 
presentes cote a cote pour que l’element le plus significatif donne du sens a l’element le moins 
significatif : 

« Deux psychologues, Donal Carlston et Lynda Mae, ont distribue a des 
volontaires des photographies de personnes posant a cote de “symboles” varies. 

II pouvait s’agir d’une rose (symbole de romantisme), d’une paire de chaus- 


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sures de sport (symbole de dynamisme physique), d’un pistolet ou d’une croix 
gammee (symboles de violence), d’une paire de chaussures “rangers” (symbole 
d’autoritarisme), d’un drapeau (symbole de patriotisme), etc. 

Apres avoir visualise les photographies, les volontaires ont du repondre a 
des questionnaires ou ils devaient indiquer, sur une echelle de 1 a 7 (corres- 
pondant aux affirmations allant de “pas du tout d’accord” a “entierement d’ac- 
cord”), s’ils trouvaient la personne romantique, sportive, violente, autoritaire, 
patriotique, etc. 

Les resultats ont montre que les volontaires jugeaient les personnes en fonc- 
tion du symbole iconographique qui apparaissait sur la photographic. Le pou- 
voir contagieux de ce symbole impregnait le personnage de facon diffuse et 
inconsciente. 

L’ experience a revele que le transfert symbolique s’opere egalement avec 
des symboles moins “evidents” : une personne photographiee a cote d’une pa- 
lette de peinture est ainsi jugee creative. . . » 

Sebastien Bohler, 150 petites experiences de psychologie des medias, Dunod, 

2008. 

Ce transfert symbolique n’a rien d’un biais, d’un defaut de notre part : nous sommes des 
machines a creer du sens, des histoires, alors face a deux elements differents, nous tissons au- 
tomatiquement des liens entre eux. Si un des elements est plus signifiant que l’autre, il donnera 
son sens a l’autre. 

C’est ce qui se passe avec le dentifrice et Mac Lesggy : l’animateur est plus signifiant que 
le dentifrice, il donne son caractere scientifique au dentifrice. Cependant, l’association est 
totalement erronee, car les scientifiques disent majoritairement que le dentifrice ne sert a rien, 
c’est le brassage qui fait la bonne hygiene. Le fluor qu’il contient, il faudrait l’ingerer pour 
qu’il soit efficient (et encore...). Done notre Mac Lesggy sert de faire-valoir, pour masquer la 
vacuite des caracteristiques du dentifrice, il sert d’ argument d’ autorite pour nous convaincre 
de choisir ce dentifrice et pas un autre. C’est une duperie du spectateur, cela ternit 1’ image de 
Mac Lesggy qui perd sa credibility dans cette association denuee de fondement, mais cela reste 
une pub qui sera comine toutes les autres, efficace. 

■Transfert symbolique : lamusique 

Cette fois-ci nous ne parlons plus de gimmick, mais de vraies musiques et chansons plai- 
santes et agreables. La pub s’y associe et beneficie de plusieurs effets : 

— Comine pour le gimmick, on retient mieux le produit, la musique tendant a s’auto-re- 
peter en nous. 


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— Comme il s’agit souvent de chansons en vogue, generalement on les entendra dans 
d’autres contextes. Cependant, meme si la musique est seule, la marque y sera accolee dans 
nos souvenirs, qu’on le veuille ou non, et s’accolera done aux nouveaux souvenirs associes a 
cette musique. 

— Meme si Ton a connu la musique avant d’avoir connu la publicity, elle sera tout de 
meme indissociable du produit. Le cerveau aimant a completer tous les aspects d’un stimulus 
comme les pieces d’un puzzle sensoriel qu’il constituerait, il encodera les images de la pub et 
le slogan avec nos souvenirs de cette musique. 

— Comme avec les celebrites, la musique etant plus signifiante que le produit seul, ses ca- 
racteristiques, ce qu’elle degage, seront transferees inconsciemment au produit. Par exemple, 
Air France a reussi il y a plusieurs annees a rendre zen, paisible et doux l’avion (du moins dans 
ces pubs) en utilisant une musique de Chemical Brothers 46 . 

« Le psychologue Gerald Gom a presente a des volontaires deux modeles 
de stylos identiques, mais de couleurs differentes, Fun beige, l’autre bleu. Pen- 
dant que les volontaires examinaient le stylo bleu, il leur a diffuse en musique 
de fond une melodie hindoue, assez peu harmonieuse pour l’oreille occidentale. 

Puis, lorsqu’ils ont eu entre les mains le stylo beige, il leur a diffuse une mu- 
sique populaire connue et entrainante. Ensuite, il a demande aux volontaires 
s’ils etaient prets a acheter Fun des deux stylos, et quelle somme ils seraient 
prets a depenser pour cela. Il a constate que la majorite des volontaires etaient 
prets a acheter le stylo beige, mais pas le stylo bleu, et qu’ils etaient prets a 
depenser davantage d’ argent pour cela. 

Et cet cffct n’etait pas du a une preference pour la couleur, car le meme phe- 
nomene a ete observe en echangeant les couleurs : c’est toujours le stylo associe 
a la musique connue et entrainante qui remporte un plus franc succes. » 10 

Sebastien Bohler, 150 petites experiences de psychologie des medias, 

Dunod, 2008. 

La caracteristique « agreable » de la musique a ete transferee au stylo. Mais comme le 
precede se realise de fag on inconsciente, au supermarche il ne restera de ce conditionnement 
associatif qu’une sorte de sentiment diffus sans origine determinable, peut-etre consideree 
comme une intuition, que ce stylo beige est plus agreable que les autres. 

46 https://www.voutube.com/watch?v=eIyoki7MuB0 


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■ ^ASSOCIATION AVEC LES PROGRAMMES : LES PUBS PAR- 
TENAIRES 

Nous appelons pubs partenaires toutes ces pubs sorties de leur plage horaire officielle pour 
s’accoler au debut ou fin du programme. L’association consiste pour la publicite a pomper les 
caracteristiques positives du programme. Par exemple, pour Pekin Express on a « Monster en 
ligne, choisissez le meilleur candidat dans Pekin Express ». Bien que le service n’ait aucun lien 
logique avec remission, la ritoumelle rapide trouve a relier des caracteristiques communes, a 
savoir la selection de candidats. C’est suffisant pour que le cerveau decide d’encoder en me- 
mo ire le programme et la pub sans dissociation, ce qui n’aurait pas ete le cas si la pub n’avait 
pas trouve un minimum de point d’accroche. Cela pennet pour la pub de pomper le fun de 
remission et de gagner en terme d’ image. 

« Faites le plein d’energie en suivant Pekin express avec Duracell » la encore, les piles 
n’ont rien a voir avec le jeu, mais le petit slogan reussit a faire la connexion de la caracteris- 
tique positive « energie » du produit et l’energie du jeu, de ces candidats qui courent tout le 
temps. 

Ces pubs partenaires sont terriblement efficaces, car elles sont directement enregistrees 
par le spectateur assidu de remission comme faisant partie du show, de son introduction. 
Elles s’approprient les qualites et valeurs supposees du jeu a leurs produits. On a done une 
association durable de « plaisir de suivre Pekin Express » et « Duracell » ou « Monster » dans 
l’inconscient. 

Evidemment aucun consommateur devant le rayon des piles ne se dira « je vais prendre ces 
piles-la, car elles sont associees a Pekin Express et j’aime Pekin Express », bien au contraire, 
jamais cette association ne sera consciente. II fera ses courses au plus vite, souvent dans le 
stress, car il a des tas de choses a faire, il regardera un temps le rayon piles, se fatiguera incon- 
sciemment de faire un choix (etre face a quantite de choix coute tres cher en ressources cere- 
brales et engendre du stress) et se laissera aller au choix impulsif, irreflechi : les piles associees 
a son programme prefere qu’il regarde pour se detendre (Pekin Express), les Duracell. Son 
cerveau n’est pas faible, bien au contraire : il subit du stress, il est fatigue done, il le renvoie 
inconsciemment vers un choix associe a un moment de detente. C’est au contraire tres malin et 
montre la puissance de l’inconscient qui n’oublie jamais rien. 

■ FAUX SOUVENIRS ET CONCEPTS NARRATIFS 

Scenes familiales ou un grand-pere offre un caramel a son petit fils, souvenirs de repas au 
restaurant ou tout le monde rit. . . Les scenes « souvenirs » sont partout dans la pub. Le proces- 
sus est simple : il s’agit de s’acoquiner de vos propres souvenirs, de fusionner avec votre vecu, 
mais d’y rajouter le produit certainement manquant. L’ emotion positive generee par le rappel 
de vos propres souvenirs face a ceux de la publicite se contaminera au produit, et vous aurez 


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1’ impression d’etre au coin du feu, protege, quand vous mangerez un caramel : le faux souve- 
nir, le vrai et l’emotion seront melanges et applique au produit plus ou moins consciemment, 
avec plus ou moins de rappel mnesique de la pub ou du souvenir. 

« Trois psychologues, Hans Baumgartner, Mita Sujan et James Bettman 
ont fait lire a des volontaires un magazine contenant une publicite pour une 
compagnie de location de vehicules. La photographic de la publicite montrait 
une famille debout devant une fourgonnette de location, avec une mascotte 
de Mickey et le chateau de Disneyland en arriere-plan. L’ inscription disait : 
“Conduisez nos vehicules pour aller voir Mickey en famille.” Les volontaires 
devaient regarder attentivement la publicite, puis prendre un stylo et un papier, 
et inscrire la liste de toutes les pensees qui leur etaient venues a 1’ esprit durant 
leur observation. 

Certains de ces volontaires ont eu des pensees autobiographiques (ils se 
souvenaient de scenes qu’ils avaient vecues dans leur vie, par exemple lors- 
qu’ils etaient alles en vacances, ou meme a Disneyland) et d’autres n’ont pas 
eu de pensees autobiographiques. Enfin, ils ont rempli des questionnaires eva- 
luant leur perception de la marque : trouvaient-ils cette marque sympathique, 
attrayante, avaient-ils envie un jour de louer un vehicule de cette compagnie ? 

Les resultats ont finalement montre que les personnes ayant eu des souve- 
nirs autobiographiques, et chez qui la publicite avait fait resurgir des souve- 
nirs lies a leur propre passe, appreciaient davantage la marque que ceux qui 
n’avaient pas eu de pensees relatives a leur propre passe. Le fait d’activer des 
souvenirs autobiographiques est done un moyen efficace, pour une publicite, de 
faire apprecier le produit qu’elle diffuse. » 

Sebastien Bohler, 150 petites experiences de psychologie des medias, 

Dunod, 2008. 

Sans aller jusqu’a recreer une scene qui pourrait etre autobiographique, il suffit parfois pour 
la pub d’avoir ce qu’on appelle un discours narratif auto-reference : 

« Une autre psychologue, Jennifer Edson Escalas, a experiments une va- 
riante de cet effet, qui ne necessite meme plus de susciter des souvenirs au- 
tobiographiques chez le telespectateur, le lecteur ou l’auditeur. II suffit de lui 
presenter le produit sous un angle narratif, en l’incitant a s’imaginer dans une 
situation particuliere. 

Dans cette experience, J. Escalas montrait a des volontaires des publicites 
pour des chaussures de sport. Dans un cas, le texte a cote de la photo livrait 


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une description objective du produit : “Les chaussures de sport Westerly sont 
con£ues pour la meilleure performance par tous les temps, etc.” Dans 1’ autre 
cas, le texte proposait une version dite “narrative auto-referencee”, c’est-a-dire 
un petit recit ou le lecteur occupe la place centrale : “Imaginez-vous avec les 
chaussures Westerly aux pieds, foulant les allees d’un pare, respirant l’air pur 
de ce debut d’automne. Vous etes en forme ce matin, vous vous sentez des 
fourmis dans les jambes, etc.” Apres avoir vu les imprimes publicitaires, les 
volontaires devaient remplir des questionnaires mesurant leur etat d’humeur 
(sentiments positifs de detente et de bien-etre, ou morosite) et leur niveau d’ ap- 
preciation de la marque. En outre, ils repondaient a des questions destinees 
a evaluer a quel point ils etaient “pris dans le bain de la publicite” . II s’est 
avere que les volontaires ayant lu la version “narrative auto-referencee” {Ima- 
ginez-vous avec les chaussures Westerly aux pieds, foulant les allees d’un pare, 
etc.) etaient a la fois de meilleure humeur que les autres, et manifestaient plus 
d’attirance pour la marque. Selon J. Escalas, le discours narratif auto-reference 
fait spontanement surgir des experiences personnelles passees. Lorsque nous 
nous imaginons en train de courir dans un pare, notre cerveau fait appel a des 
images qu’il a reellement vecues et emmagasinees par le passe. Des lors, des 
souvenirs autobiographiques sont automatiquement actives, produisant un effet 
d’attirance pour la marque. » 

Sebastien Bohler, 150 petites experiences de psychologie des medias, 

Dunod, 2008. 

II s’agit la en fait d’utiliser les mecanismes de la fiction dans un but commercial. Voila 
pourquoi nous avons accole ce « concept narratif » aux faux souvenirs de cette section : qu’im- 
porte que vous n’ayez jamais vecu ce souvenir joyeux de repas en famille coniine en montre les 
pubs, la petite histoire fait son effet, car elle est une sorte de conte modeme universel, dont on 
saisit par la narration, le concept, ce qu’elle represente en terme de ressenti. Elle est le concept 
narratif multi-sensoriel partage par notre culture, c’est ainsi qu’est represente le repas en fa- 
mille idealement normal, avec les parents et les enfants, du soleil, des rires, le partage joyeux 
de la nourriture, etc.. Qu’importe que la pub ne fournisse pas concretement les ressentis, le reel 
de la situation : la narration, comme pour les fictions, fait « vivre » en nous le moment comine 
s’il etait reel. C’est un des pouvoirs incroyables du cerveau, c’est un melange d’ identification 
a la scene, d’imagination, d’empathie qui nous fait reconstruire interieurement une scene dont 
les pieces nous manquent pourtant (tout ce qui a trait aux sensations). 

II en est de meme pour le concept narratif multi-sensoriel du jogging : seul dans la nature, 
depassant ses propres limites, avec pour seul environnement sonore notre respiration, le bruit 
du vent et de nos pieds, etc. Qu’on l’ait vecu ou pas, on a tous les elements necessaires pour 


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en faire un ersatz de souvenir : les images, les sons et leur mise en scene suffisent pour que 
notre cerveau complete. 

On a ici un renversement complet du cours naturel des choses : « normalement », les 
objets peuvent prendre une place importante dans nos souvenirs parce que nous avons vecu 
quelque chose d’ important a leurs cotes, parce qu’ils etaient presents lors d’evenements nous 
ayant construit. Cela peut etre le vieil ordinateur avec lequel on a termine un gros projet uni- 
versitaire : on en garde un souvenir emu, car il s’est associe (par la pratique et le reel) a des 
emotions fortes, des histoires qu’on se plait a se rappeler, car elles ont construit ce que l’on 
est aujourd’hui. 

Ce que font les marques est l’exact processus inverse : on n’a pas vecu telle situation, on 
n’a pas ete confronts a tel evenement, on n’est pas telle personne. La pub foumit un ersatz des 
souvenirs, une fiction qui comble le manque du vecu reel. Elle dit « si tu veux vivre 9a, etre 
telle personne, tu as besoin de cet objet. Cet objet est indissociable de ce genre d’ evenement 
ou de ce genre de personnalite ». C’est evidemment totalement faux. Aucune marque n’a le 
monopole d’un domaine d’activite, done ce vieil ordinateur pris en exemple precedemment 
aurait tout aussi bien pu etre un Apple, que toumer sous Windows ou systeme d’exploitation 
fibre GNU/linux. A une autre epoque, il aurait pu etre une machine a ecrire, qu’importe, le 
souvenir aurait ete tout aussi beau, car c’est le parcours menant a la reussite qui a fait le bon 
souvenir. Pas l’objet. L’ objet n’est qu’un decor que l’on a a posteriori charge des emotions 
et du vecu. On aurait tout aussi bien pu hair cet ordinateur si on avait echoue notre travail 
universitaire. 

Il y a desormais confusion entre la fiction et la realite : par pensee magique, on pense que 
l’objet va nous faire vivre des evenements, nous transformer, prendre une place fondatrice 
dans notre identite, combler tous nos manques ou nous donner la matiere suffisante pour nous 
« sortir d’affaire ». On en a parle precedemment ( dans « theatre de la marque ») ; la public- 
ity renforce ces pensees magiques, renforce la fiction de la marque : Apple est devenue une 
marque « rebelle » avec son spot anti -Big Brother 47 , attirant ceux qui souhaitaient devenir 
rebelles (mais pas ceux qui l’etaient vraiment, car se rebeller n’est pas acheter). Aujourd’hui, 
Apple est Big Brother, loyal servant de la NSA, et enregistre meme vos empreintes. La pub 
est un mensonge, une fiction, elle ne represente que des volontes commerciales, du ciblage de 
futurs consommateurs, elle exploite nos manques et nos failles. 

N’oublionspas : ce n’est pas l’objet qui fait l’homme. L’ avoir n’est pas l’etre, car l’etre de- 
mande des actions concretes, pas de posseder. L’ avoir ne sera jamais l’etre, quoi que puissent 
crier les defenseurs et acteurs de la societe de consommation. 

Done... 

La connaissance de ces processus dissociation peut etre utilisee a notre profit pour ap- 
prendre et retenir des informations : par exemple, pour apprendre la signification d’un pan- 

47 https:/www. youtube. com/watch?v=2zfqw8nhUwA 


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neau routier, mieux vaut chercher dans le reel ou nos souvenirs un exemple concret. L’idee est 
d’associer le theorique a quelque chose qui nous est deja familier done code en notre memoire 
avec d’autres stimuli, par exemple la sensation de fatigue pour le panneau hisse en haut d’une 
cote. Meme si le stimulus n’a aucun lien avec le caractere prioritaire de la route, designe par 
son panneau - par exemple une odeur pregnante de dechets et poubelles -, ce rappel des sensa- 
tions pennettra d’ancrer la connaissance et de la renforcer. 

On peut se creer volontairement des associations : en ecoutant telle musique pour tel genre 
de moment ; en se parfumant avec tel type de parfum pour tel contexte.... On le fait d’ailleurs 
assez intuitivement pour certains contextes : s’offrir un cafe apres un dur labeur (et done as- 
socier, paradoxalement, le cafe a la detente) ; l’idee est de le faire volontairement et avec des 
stimuli servant d’autres contextes. Pour exemple une musique qu’on aura associee au calme 
pourra servir a destresser avant un examen. 

Si l’association fonctionne si bien dans la pub, c’est parce qu’elle est ancree par des proces- 
sus inconscients : la solution est done de la regarder en pleine conscience. Le temps pris pour 
observer et analyser pleinement la pub pennettra d’activer ses fonctions superieures et on se 
rendra vite compte de 1’ aberrance de certaines associations et les volontes d’ infiltration dans 
notre cerveau seront vite percees a jour et neutralises (du moins, les pubs seront codees dans 
notre memoire de facon intelligente). 

Le cas de la musique est different : l’association musique-image est tres difficile a separer. 
II faut reassocier la musique a d’autres images, a d’autres souvenirs et reduire au maximum 
ce qui pourrait renforcer l’association pub-musique (c’est-a-dire fuir la pub ou ces images tant 
que possible). Mais c’est generalement impossible, l’association pub-musique gache souvent 
les musiques. 

Concemant les stars, le prejudice moral est plus grave pour elles que pour nous ; excepte les 
cas comine Adrianna Karembeu et la Croix Rouge, ou l’association est ici gagnante-gagnante. 
Cependant si vous aimez certaines celebrites et que voulez les dissocier de la pub, employez la 
meme strategic qu’avec la musique : fuyez la pub et augmentez le nombre d’ images de la star 
dans son vrai contexte d’artiste (concert, spectacle...). 

Pour le partenariat avec les programmes, il y a une solution toute simple : preferez le tele- 
chargement des programmes en question, le piratage ou les regarder sur Youtube/D ai/y motion. 
Le web-Tv sur le site des chaines etant egalement pourri des pubs partenaires, autant adopter 
des sources alternatives. 

Evidemment, n’oublions pas d’utiliser systematiquement AdblockPIus (ou mieux encore, 
uBlock Origin ) pour le web, afin de bloquer un maximum de pubs. 


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@MEDIAS/PUBLICITES/ COMMENT ELLES EX^ 

PLOITENT NOTRE PERCEPTION ET NOTRE ATTEN- 
TION : 

La perception est une fonction complexe : imaginez-vous un enonne centre de tri ou ar- 
rivent sans discontinuer des informations a traiter, a analyser puis a stocker. Ces informations 
sont visuelles, auditives, tactiles, olfactives, gustatives, proprioceptives (c’est-a-dire la per- 
ception de son corps, de son equilibre et du positionnement des membres). II est impossible de 
tout prendre en compte en meme temps avec la meme attention, done il y aura un vaste tri qui 
eliminera des informations pourtant enormes : 

Regardez la video (sans lire le commentaire en dessous soyez joueur !) et comptez 
le nombre de passes de l’equipe blanche : http://www.koreus.com/video/test-visuel- 
compter-nombre-passes.html 

A l’inverse, on captera des stimuli sans en prendre conscience : c’est le cas pour les images 
subliminales, qui bien que d’une rapidite extreme, done impossible a voir en toute conscience, 
sont tout de meme comprises par le cerveau. Leur influence agit sur nos comportements, mais 
ne nous inquietons pas, les images subliminales ne sont que peu utilisees, car leur efifet est peu 
precis : 

si Ton insere une image subliminale pour Coca dans un programme, l’individu se dirigera 
plus vers des boissons que s’il n’y avait pas d’image subliminale dans son programme 48 . Mais 
il ne prendra pas forcement un Coca, seule l’envie de boire sera activee par l’image sublimi- 
nale. 

Notre perception consciente n’est qu’une reconstruction de la realite : bon nombre d’ ele- 
ments en auront ete evinces (comme fours de l’experience precedente) et d’autres porteront 
toute notre attention en fonction de notre activite du moment : ainsi le conducteur, Localise 
sur la route, remarquera rapidement qu’une voiture lointaine a une trajectoire etrange, mais ne 
verra pas les vaches qui font les folles dans un champ a proximite. Le passager quant a lui se 
focalisera sur les vaches, mais pas sur la voiture a la trajectoire etrange. 

Notre perception et notre attention decoulent done de notre activite du moment, de nos 
preoccupations, de l’intensite des stimuli qui viennent a nous et leur interet a nos activites ou 
preoccupations. Si le stimulus ne sert pas nos activites, n’a aucun rapport avec nos preoccu- 
pations, qu’il est long, monotone sans surprise, l’attention decroche et va chercher ailleurs 
des centres d’interet plus palpitants. La pub va done essayer de faire tout l’inverse : elle va 
s’accrocher a nos activites, va s’accrocher a nos preoccupations, etre rapide et toujours chan- 

48 Channouf, Cannae et Gosset (1999) 


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geante. II ne s’agit pas la d’accrocher votre attention durablement pour exciter vos fonctions 
superieures cornme pourrait le faire l’intrigue complexe et passionnante d’un bon film, mais 
juste que votre perception soit captee par le petit ecran, que les stimuli qu’elle genere soient 
plus puissants que ceux qui pourraient maintenir votre attention ailleurs. Au lieu d’etre centre 
sur le col de chemise que vous repassiez, vous voila hagard devant le paysage traverse par une 
voiture ; alors que vous aviez le nez sur votre ordinateur, vous voila deconnecte de votre tache 
par une marque d’huile d’olive. Ce n’est pas que vous ayez trouve la pub interessante, ce n’est 
pas parce que vous etes fatigue de votre journee ou que votre activite vous a lasse : c’est parce 
le publicitaire sait comment ramener tout le faisceau perceptif sur son annonce. 

Done... 

Meme si Ton peut ameliorer sa perception, cela semble un travail excessif pour uniquement 
contrer les publicites de la television : autant ne plus regarder la television et choisir ses pro- 
grammes sur Internet ; un simple cable sufifit pour relier un ordinateur a un ecran de television, 
nul besoin d’investir dans des appareils onereux «tout connecte» qui surveillent de pres vos 
activites. 

Cependant meme hors pub, soyez vigilant, pensez a regarder la ou n’est pas le focus : on 
dit souvent « Quand le sage montre la lune, le sot regarde de doigt », il faudrait en ce cas dire 
« quand le manipulates montre la lune, le sage regarde la main avec laquelle il ne pointe 
pas la lune » ; que ce soit dans les tours de magie, les spectacles de mentalisme, ou certains 
programmes tele, c’est hors-champ, dans ce qui n’est pas dit qu’on percoit la mecanique et 
qu’on peut deviner les manipulations. Autrement dit, ce n’est pas tant afifuter sa perception qui 
compte, mais de pouvoir la rendre souple, la faire changer de mode aisement. 

■ Seduction 

Paysages grandioses, humains toujours beaux, nourriture toujours appetissante, scenes 
a l’esthetique soignee... Tous ces stimuli veulent seduire la perception, ils lui orient « re- 
garde- nous, on est plus profitable que le minable col de chemise que tu repasses, on est plus 
sexy que le logiciel que tu installes ». Et 9a marche en toute logique, car oui, les images ont 
intrinsequement plus d’attrait que les taches auxquelles on s’affaire chez soi, dans un environ- 
nement que l’on connait par coeur. C’est ainsi qu’on se retrouve parfois scotche sans raison 
apparente devant les pubs : panni tous les stimuli visuels et auditifs qu’on re9oit de son salon, 
les stimuli de la pub sont, a juste titre, per9us comme plus dignes d’y porter attention. Col de 
chemise ou Adrianna Karembeu ? Adrianna l’emporte instantanement. Les precedes sont done 
les memes en tenne de seduction que ceux qu’on a vus precedemment dans la seduction du 
vendeur. 

Si dans le cas des modeles a la plastique sexy, la seduction de la perception immediate est 
evidente, cela l’est moins pour d’autres stimuli, comme les paysages ou les fruits qui parlent. 


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Done... 

Tout ce qui a une connotation sexuelle attire Tattention, a cause de nos fonctions repro- 
ductives, mais egalement par reactance culturelle (e’est interdit, secret, voire tabou done e’est 
immanquablement attirant). Faut-il pour autant coller la photo de Clara Morgane sur nos cours 
ennuyeux pour forcer son attention a les lire ? Ce serait improductif, car le contenu du cours ne 
sera certainement pas correle a Clara Morgane. II faudrait plutot sexualiser le cours, Timaginer 
en version sexy voire porno pour enclencher le desir d’explorer ce cours version X. Cependant, 
bien que facilitant Tapprentissage, faire une telle association peut avoir des effets secondaires 
que vous pouvez imaginer et ces effets peuvent etre particulierement inappropries. 

Si evidemment le sexy ou le sexuel attire Tattention, ce n’est pas pour autant qu’il y a un 
interet pour la chose a laquelle il est associe. Le monde journalistique a tendance a faire sou- 
vent le raccourci que seul le sexuel interesse les gens, or par exemple pour des articles sur le 
net, une paire de seins en tete d’ article peut attirer de nombreux dies, mais quant a la lecture 
meme de Tarticle, elle peut etre nulle, ce qu’a fait Tintemaute est presque du tic, de Tautoma- 
tisme, cela n’a pas grand-chose a voir avec un interet. 

Pour le lecteur/telespectateur/auditeur, il s’agit de dompter cette reponse automatique, sur- 
tout quand on cherche a s’ informer serieusement ; on peut facilement s’entrainer a reperer 
automatiquement les tentatives de racolage d’ attention par « seduction » et les contrer (en ne 
cliquant pas, en cherchant T information ailleurs, sans racolage). Il s’agit tout simplement de 
dompter ces pulsions et les remplacer par un traitement efficace des images par la raison et non 
les emotions. 

■ PAYSAGES 

L’homme ayant ete durant des centaines d’annees en contact etroit avec la nature, notre 
cerveau s’ est modele pour trouver du plaisir a observer les milieux naturels : en efifet, comine 
e’etait dans la nature que nous trouvions notre pitance, la vision d’une vaste foret etait syno- 
nyme de futurs repas, de futures trouvailles bienfaisantes. On active done automatiquement 
certaines zones cerebrales riches en recepteurs opioldes quand on observe des paysages (en 
image ou reellement), recepteurs qui reagissent a une substance assez similaire a la morphine 
ou l’opium. On est done litteralement apaise par ces substances, semi-anesthesie et satisfait 
par les paysages naturels. Il est done naturel qu’on soit capte par des images qui nous offrent 
un certain apaisement. 

Done... 

La vision de paysages entrainant la production de molecules proches de T opium, autant en 
profiter : une balade dans la nature apaisera sans les consequences nuisibles de la prise de dro- 
gues, e’est presque un medicament naturel contre le stress, T agitation excessive, les angoisses 
et Tanxiete. Mais encore faut-il se preter au jeu et s’immerger dans le decor : certains etats de 


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stress s’opposeront a l’effet « medicament » du paysage en herissant un mur de ruminations 
entre ce que la perception de la nature peut apporter et vous. A nous d’interdire et de detruire 
ce mur en nous focalisant seulement sur ce que nos sens nous communiquent. Pas de pensee au 
futur, pas de pensee au passe, juste la perception du present. A force de reconcentration (parce 
que cela demande parfois beaucoup d’effort mental de « couper ») sur l’unique perception du 
paysage naturel, cet opium naturel devrait etre produit et libere. 

Les grandes entreprises ont bien compris l’effet des paysages et decorent leurs salles de 
pauses, leurs coins detente de paysages, de plantes et autres stimuli singeant la nature. En ef- 
fet, cela peut relaxer, mais cela ne remplacera jamais une vraie coupure loin du lieu de travail. 
C’est une detente artificielle hypocrite (car on reste sur le lieu de travail), ce qui pennet de 
« tenir », mais qui empeche le vrai ressourcement qui lui demande une vraie distinction : il est 
plus profitable de rentrer chez soi, meme si on est loin de la nature, plutot que d’user de ces 
salles pour se reposer. Ces entreprises devraient plutot inciter les gens a rentrer chez eux le 
plus tot possible si elles veulent une meilleure productivite. 

■ANTHROPOMORPHISME 

Les paysages nous anesthesient, les tops modeles excitent notre attention... Mais les fruits 
qui parlent ? Comment expliquer que, passe 1’ enhance, notre perception prefere focaliser son 
attention sur des girafes dansant autour d’un soda plutot que sur notre travail sur l’ordinateur ? 
Parce que c’est plus « fun » ? 

Non, il y a d’ autres mecanismes qui font que notre perception nous fait preferer les fruits 
qui parlent. Nous sommes equipes de zones cerebrales specialement dediees a la reconnais- 
sance des visages, done le moindre detail rappelant un visage, comine les phares d’une voiture 
rappelant des yeux, excite notre perception « La ! du vivant ! ». 

Reconnaitre instantanement les traits du vivant et porter immediatement son attention des- 
sus est une fonction qui a ete essentielle a notre survie : nous sommes des animaux fragiles 
physiquement, nous avons reussi a nous en sortir en nous radiant a nos congeneres pour af- 
fronter l’adversite. Done il s’agit la de detecter instantanement les proies, les allies, les preda- 
teurs, etc. 

Nous avons egalement un systeme de detection des mouvements biologiques tres efificace 
qui fait porter instantanement notre attention a ce qui bouge comine un etre vivant : ainsi, des 
l’instant ou l’on voit une eponge se dandiner coniine une danseuse, meme si elle n’a pas de 
visage, nous regardons. Il n’est done pas question de « fun » dans l’attrait immediat de la per- 
ception pour ces pubs anthropomorphiques, mais d’excitation des fonctions dont nous sommes 
equipes pour survivre. Meme si la girafe qui danse la salsa, la voiture qui fait un clin d’oeil, le 
fruit qui hurle, ne produisent chez vous qu’une poker face, il attirera neanmoins votre atten- 
tion instantanement et c’est tout ce que cherche la pub. Votre appreciation, votre jugement n’a 
aucune importance du moment que votre perception a capte le message et que la memo ire l’a 
encode. 


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Done... 

L’anthropomorphisme peut etre une excellente solution pour comprendre des systemes et 
retenir des informations complexes. Le dessin anime « il etait une fois la vie » est un excellent 
exemple d’un anthropomorphisme reussi et profitable : il rend humain des cellules, leur font 
vivre des histoires en fonction de leurs caracteristiques reelles, ce qui facilite l’explication des 
fonctions du corps humain aux enfants, sans reduire pour autant la complexity du sujet (ce- 
pendant, il y a tout de meme vulgarisation) et en le rendant particulierement attrayant. Cet an- 
thropomorphisme donne de l’image a l’abstrait, facilite la representation et la comprehension 
d’infonnations complexes. On peut tout « anthropomorphiser » : le cellulaire, la physique, le 
chimique, le technique, le neurologique, et tout ce qui pourrait paraitre abstrait... Toute imagi- 
nation peut etre capable de transformer un phenomene en personnage, avec son caractere, ses 
faiblesses, ses forces, etc... Le processus peut paraitre enfantin, il n’empeche qu’il rend efficace 
la memorisation et renforce la comprehension. 

C’est a se rappeler si on veut expliquer des choses complexes, abstraites ou ennuyeuses a 
un public dont l’attention est difficile a capter. 


@medias/publicites/Biais et formatage de 

LA PUB 

Nous avons vu precedemment comment la pub exploitait nos fonctions cognitives (percep- 
tion, memoire et attention) mais evidemment ce n’est pas sa seule cible : une fois l’attention 
captee, le produit encode en memoire, il faut le rendre necessaire, il faut que le telespectateur 
le desire, il faut amorcer certains etats d’ esprit pour que le telespectateur se transforme en 
consommateur. 

Les techniques pour cela, vous en connaissez bon nombre si vous avez deja lu la partie 

« commercial » de cet ouvrage, car la pub est une forme anticipee de la vente. On retrou- 
vera done : 

— L’effet de rarete (offires speciales, editions inedites...) 

— La gratuite, 

— L’ usage d’ argument d’ autorite, 

— L’ usage de la preuve sociale, 

— La technique du low ball, 

— La flatterie, 

— L’ exploitation de nos manques, et pas seulement les primaires lies a la consommation : 
le manque d’amour, le manque de reconnaissance, etc. 


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■ IDENTIFICATION 

La publicity exploite egalement notre capacite a nous identifier aux personnages et aux 
situations, done notre empathie. Cependant la ou est le danger, c’est que les personnages de 
la pub auxquels on s’identifie de facon automatique sont souvent de grands malades : ils sont 
dysmomorphiques, c’est-a-dire qu’ils ont une image defonnee de leur corps, c’estpar exemple 
la femme taille 34 qui decide de « se reprendre en main » et faire un regime ; c’est l’homme qui 
se met au shampoing anti-chute de cheveux alors qu’il est extremement chevelu. Ce sont des 
personnages narcissiques, qui ne sont preoccupes que par eux-memes ; qui preferent les objets 
a leurs proches, comine l’homme est amoureux de sa voiture ou est heureux d’avoir un enfant 
uniquement pour s’acheter une nouvelle voiture ; ils sont nevroses obsessionnels, ne suppor- 
tant pas le moindre grain de poussiere ni le quart de millimetre de poil ayant resiste au rasoir. 
Plus globalement, ces personnages ne trouvent satisfaction que dans l’achat, dans l’acquisition 
ou l’utilisation d’un produit, et leurs problemes se reglent grace a un produit. A l’inverse de 
ces personnages banals, le personnage de la pub peut etre admirable et faire exemple : c’est le 
transfert symbolique dont nous avons parle precedemment , qui melange les pistes dans le cer- 
veau en donnant quelque chose cornme « si je veux etre comine lui, je dois utiliser tel produit ». 

Bien que tous ces personnages paraissent affronter toutes sortes de situations, ils ne jouent 
qu’un seul et unique role tres reducteur : celui du consommateur. Or la vie est un peu plus que 
ca, elle donne tout de meme d’autres possibility de roles plus importants, dont on peut etre 
un peu plus fiers, des roles qui nous comblent sans doute mille fois plus. Cependant, a ne voir 
autour de soi que des consommateurs, on ne devient que 9 a et on reduit son imagination a ne 
plus pouvoir envisager autre chose que ce role de consommateur. 

L’ autre identification, c’est celle des situations : on s’identifie d’autant plus facilement 
que les situations presentees dans la pub sont de l’ordre du quotidien. Mais ces situations sont 
enjolivees a 1 ’ extreme : la moindre balade en voiture est epique, ramenant la lumiere du soleil 
dans la ville (le conducteur devenant alors une sorte de messie, ce qui exploite chez le teles- 
pectateur le manque de reconnaissance voire d’ amour) ; laver sa cuisine devient un acte qui 
vous rend celebre et pour lequel vous recevez tous les honneurs (encore une exploitation du 
manque de reconnaissance) ; se raser revient a experimenter de nouvelles technologies dans 
une salle de bain transfonnee en laboratoire de pointe (exploitation de la frustration de ne pas 
faire des choses aussi interessantes et importantes que les scientifiques) ; mettre du deodorant 
rend nymphomane toutes les femmes (exploitation de la frustration sexuelle, de l’impuissance 
a attirer l’attention des femmes sur soi) ; etc. Des qu’on se retrouve a rouler, a se raser, a laver 
sa cuisine, la petite histoire est reactivee, nous plongeons dans un petit songe bien distrayant. 
Le probleme n’est pas de s’imaginer que toutes les lilies du boulot vont se jeter sur nous apres 
avoir mis ce deodorant, mais qu’inconsciemment on injecte au produit le pouvoir de combler 
les manques de reconnaissance. A long terme, l’objet finit par veritablement etre investi de ce 


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pouvoir magique : c’est le cas de la voiture par exemple qui est definitivement associe au statut 
superieur, a la domination, a la puissance. Quant a notre deo, il est probable que si on deman- 
dait a des homines « vaut-il mieux avoir mis du deodorant pour seduire ou non ? » il dirait qu’il 
vaut mieux en avoir : l’objet a reussi a devenir un indispensable dans la palette de seduction. 
Tout comine bon nombre de femmes ne s’imaginent pas sans maquillage pour seduire ou tout 
simplement sortir de chez soi. 

Done... 

Le processus d’identification n’est pas a combattre : pour les jeunes, il permet de se 
construire, de se trouver, de se donner des modeles inspirants ou au contraire de se mettre des 
limites (« je ne ferai pas ?a, je ne serai pas comine ?a »). Meme adulte, il est bon d’avoir des 
modeles, des personnes au comportement inspirant : cela pennet de se motiver, de s’ameliorer 
dans sa conduite, d’apporter du reconfort, de l’espoir. 

Cependant les « modeles » televisuels sont plutot des contre-modeles, et les personnages 
de la publicite sont, a ce titre, catastrophiques : par effet d’heuristique de disponibilite, ac- 
cumuler des images de personnes stereotypees, mediocres, sans intelligence, sans creativite, 
narcissiques, voire sadiques, abaisse le niveau d’ exigence qu’on se donne a soi-meme, puisque 
la norme est au ras des paquerettes, a quoi bon faire le moindre effort de comportement, d’in- 
telligence, etc... 

Evidemment, la publicite n’est pas a elle seule responsable de ce « niveau abaisse » : il faut 
y aj outer les autres programmes tele, les magazines, ce que les medias mettent en exergue et 
tout ce dont ils ne parlent pas. 

Comine c’est une question d’heuristique de disponibilite, il s’agit de donner plus de place 
a des modeles, des personnes, qui portent des propos ou des comportements admirables : ils 
peuvent se trouver dans la realite, dans son entourage, dans les bibliotheques, dans des medias 
altematifs. Et si on est media, il faut les favoriser et ignorer les modeles au ras des paquerettes. 


■ COMPARAISON SOCIALE 

Cette identification enclenche egalement un autre processus, celui de la comparaison so- 
ciale. On se compare entre nous de facon automatique : cela nous pennet de nous positionner 
dans un groupe, de prendre en consideration les normes sociales particulieres du groupe et de 
s’y ajuster. L’utilite de la comparaison sociale est de faciliter notre insertion dans le groupe et 
de ne pas etre rejete. Etant des animaux sociaux, notre survie depend du groupe, done nous 
nous soinmes modeles pour pouvoir nous accorder entre nous, meme si on provient de groupes 
aux moeurs tres dififerentes. La comparaison sociale nous pennet d’integrer un groupe pour 
lequel on est un etranger. On va regarder comment se comporte le groupe, ce qui est different 


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de nous (la tenue, la posture, les habitudes), on va ensuite imiter les autres. Par exemple au tra- 
vail, sans que cela soit indique ou preconise, il existe des regies sociales : dans une entreprise, 
rendre son travail au plus vite reviendra a etre considere comine un odieux fayot ; dans une 
autre entreprise, rendre son travail juste a l’heure sera considere coniine un terrible manque 
de serieux et de motivation. Seule la comparaison avec les autres nous permettra de deviner 
ces regies implicites. 

On a une terrible peur du rejet de 1’ autre et du groupe parce que la survie sociale est pour 
l’humain synonyme de survie tout court. Done on se compare pour ne pas etre rejete, pour etre 
nonnal, accepte, ou encore pour etre mieux considere que les autres et en dernier lieu pour 
avoir du pouvoir sur les autres. Dans nos societes occidentales, il est preconise implicitement 
d’etre parfait et mieux que les autres. 

Depuis les annees vingt, la publicite stimule et exploite cette tendance naturelle a la com- 
paraison sociale, a la jalousie et au desir de superiorite : la voiture fut associee a une certaine 
superiorite, une preuve materielle de la puissance et une extension de la virilite parce qu’a 
cette epoque, c’etaient les homines qui tenaient le budget et qui conduisaient. Il fallait une 
voiture pour prouver a ses voisins que nous aussi on avait obtenu un certain statut social. 
Cette association n’a jamais cesse d’etre, variant mais restant toujours sur un meme registre : 
bientot la pub crea le stereotype de la femme attiree par l’homme a la grosse voiture, puis la 
femme-voiture dominee, puis la voiture plus aimee que la femme, etc... Tout ceci couple a une 
obsolescence psychologique creee de toutes pieces, avec des modeles sans cesse renouveles 
mettant au rencart les autres voitures. 

Done... 

Encore une fois le mecanisme de comparaison sociale n’est pas mauvais en soi : il permet 
de s’integrer dans un groupe humain dont on ne connait rien, en observant, en imitant, en 
testant. 

Cependant il faut lui mettre des limites, y faire intervenir la raison : on ne compare pas 
T incomparable, par exemple sa photo prise en vacances avec celle d’un mannequin en stu- 
dio... Si les conditions different, il n’y a pas de comparaison possible. 

On ne devrait pas se comparer pour se sentir superieur (schadenfreude : joie de voir le mal- 
heur d’autrui) parce que ce narcissisme dessert autant l’autre que soi-meme, n’aide personne, 
ne resout aucune situation ; on ne devrait pas non plus se comparer si cela nous inferiorise, 
nous laisse un sentiment d’inferiorite, car cela ne nous sert pas et cela incite l’autre au narcis- 
sisme. 

Done les medias qui proposent des articles, des programmes qui incitent a la comparaison 
sociale stimulant soit le narcissisme soit le sentiment d’inferiorite sont a eviter : parce qu’ils 
ne servent a rien d’ autre qu’a generer des etats propices a la consommation, etats qui ne nous 
rendent pas heureux, nous poussent a la nevrose, nous poussent a la desolidarisation, entre- 


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tiennent ce mythe que l’homme est un loup pour l’homme. 

La comparaison sociale doit se reduire aux situations qui aident les deux individus en com- 
paraison, qui apportent a chacun des idees, qui aident a integrer les personnes differentes, cela 
peut meme etre un vecteur devolution pour les deux comparateurs, les deux s’imitant dans 
leurs meilleurs aspects. 


*** 

Voila de quoi est capable la publicite, a force de temps et de repetition : investir un objet 
d’un sens arbitraire pour le rendre indispensable meme lorsqu’on n’en a pas besoin. La societe 
de consommation a rapidement transforme le monde en formant ce genre d’ association arbi- 
traire, au point ou les objets sont devenus des thermometres sociaux : « si t’as pas de Rolex 
avant cinquante ans, t’as rate ta vie... » Ce genre de phrase est une victoire de la publicite, des 
corporations, d’une miserable perception de la vie qui ne se base que sur les apparences et non 
sur le fond de notre vie. C’est la le plus grand fonnatage de la pub : elle force des associations 
qui n’ont aucune legitimite et qui a force de temps, de repetitions, de diffusion sur l’ensemble 
de la population, d’utilisation de ses biais psychologiques, d’ exploitation de ses tendances, de 
stimulation du cerveau primaire, vont devenir une realite, et remplacer la realite elle-meme, 
nous transformant en coquilles vides. Certes nos coquilles sont rutilantes, brillantes d’objets et 
de vetements luxueux, mais sont-elles pleines ? Si on creuse, est-ce qu’on y trouve une histoire 
ou n’est-ce la qu’un vernis ? Cela explique pourquoi tant de gens sont en crise personnelle, 
n’arrivent pas a se trouver, n’arrivent pas a trouver leur voie personnelle ou professionnelle, 
n’arrivent pas a trouver du sens : la societe de consommation n’ofifre que des modeles de 
coquilles vides, encourage a devenir un consommateur aguerri, a paraitre parfait et se fait 
ennemie de l’interieur de la coquille. Parce que l’interieur de la coquille se construit en usant 
des fonctions superieures de son cerveau et celles-ci ne peuvent que reprouver la societe de 
consommation, en jouer, s’en moquer, voire s’y attaquer. 

Le fonnatage de la pub est un fonnatage qui ravive, entretient nos bas instincts : defense du 
tenitoire (domination, superiority, reconnaissance du groupe, soumission des autres), repro- 
duction (seduction, domination, soumission, pulsions), survie (tout ce qui a trait a la nourriture, 
aux pulsions)... Toutes ces thematiques sont gerees par le cerveau reptilien, cerveau particulie- 
rement pregnant, car c’est pour ainsi dire notre premier cerveau, celui qui nous permettait de 
survivre et perpetuer notre espece au temps des cavernes. Cependant on a aussi des fonctions 
superieures, notamment le lobe pre-frontal : sa fonction est, entre autres, d’inhiber, c’est-a-dire 
de bloquer nos pulsions, nos comportements automatiques, d’empecher 1’ emotion de nous 
submerger (et done de nous paralyser), d’empecher nos reactions violentes, de dompter nos 
peurs et, pour finir, de trouver des solutions plus fines a nos problemes que la simple reac- 
tion que propose le cerveau reptilien. Dire non a ces pulsions, les guider, les dompter est une 


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fonction particulierement humaine, caracteristique de notre intelligence, de notre finesse. At- 
tention, ne demons pas notre cerveau reptilien : il participe a notre survie, il est essentiel pour 
nous maintenir en vie. Cependant, il est indispensable de savoir dompter ces emotions brutes 
et les reactions brutes qu’il peut entrainer, parce que nous vivons dans une societe humaine qui 
ne fonctionne pas a la maniere d’une meute de loups (en principe). 

Un chien reagit avec son cerveau reptilien : il voit une peluche ressemblant a une chienne, 
il tente de se reproduire avec. C’est une reaction. Un hoimne voit une femme qui lui plait, il va 
se retenir de lui sauter dessus et discuter avec avant. C’est le « non » provenant de ces fonctions 
superieures qui lui permettent de ne pas reagir automatiquement comine un animal. Or, dans la 
pub, l’homme est un animal. Un animal qui, comme le chien ne peut s’empecher de s’accou- 
pler a ce qui ressemble a ses desirs, quitte le lit conjugal pour faire corps avec sa voiture parce 
qu’elle comble plus ses frustrations que sa femme (selon la pub). Tout comme la femme est 
un animal qui, guide par ses pulsions frustrees, va prendre un shampoing orgasmique (selon 
la pub). 

La pub nie nos fonctions superieures, nie notre statut d’humain et nous renvoie dans les 
cavernes. 

Ceci dit, bien que nous ayons accuses la pub de toutes sortes d’horreurs, nous considerons 
qu’elle n’est pas la pire dans son genre. La pub est balisee : a la television, elle est clairement 
annoncee entre deux logos ; son format est reconnaissable, que ce soit a la radio ou dans les 
magazines. On sait que les panneaux de la ville ne sont que pubs. Seuls les petits enfants, les 
hyper-credules prennent leur message au premier degre. On a vu que meme en n’etant pas 
credule, elle a tout de meme un effet sur notre inconscient qui lui, prend les infonnations au 
premier degre si la conscience n’est pas interpellee. A force, les produits gagnent des valeurs 
coniine voiture = puissance. 

Cependant nous ne sornmes pas na'ifs : on sait que la pub ment, ne represente pas la realite, 
donne des informations tronquees, tente de nous seduire, de nous influencer, de nous manipu- 
ler. Prise seule, dans ses manifestations officielles, on peut Taccuser de bon nombre de mefaits, 
mais pas du fonnatage dans son integrality : c’est son alliance aux medias et la soumission 
de ceux-ci, la fusion des medias aux objectifs de la pub qui sont responsables du fonnatage. 
Contrairement a ce qu’ils argumentent, les medias ne se plient pas aux demandes toujours plus 
trash des spectateurs : ils se sont inspires de la strategic de la pub (parler au cerveau reptilien 
et jamais aux fonctions superieures), ils ont explodes de la meme maniere nos plus basses 
tendances, ils ont valorise tout ce qui a trait a nos reactions primitives, et ils ont tout correle 
a notre unique fonction de consommateur. Pas parce qu’ils sont diaboliques. Pas parce qu’ils 
ont des desirs de domination. Pas parce qu’ils complotent contre nous. Pas parce qu’ils ont des 
projets secrets d’idiocratie. 

Parce qu’ils veulent gagner de Targent. 

Et que c’est la pub qui rapporte, done il faut faire de la television un endroit propice a l’in- 


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filtration de celle-ci. C’est tout. C’est juste une question de rentabilite. Beigbeder disait « les 
gens heureux ne consomment pas » on pourrait raj outer « les gens heureux ne consomment 
pas, car ils sont trop occupes a leur bonheur pour laisser la tele allumee ». 

On est trop extreme dans notre jugement ? Pas assez tolerant envers les medias qui es- 
sayent de bien faire ? La suite de ce dossier vous permettra de conclure par vous-meme. 

Done... 

En resume, pour lutter contre le formatage publicitaire : 

— II faut couper la television. 

— Abandonner 1’ achat des magazines contenant plus 40 % de pubs (masquees ou offi- 
cielles). Le comptage est rapide et simple : tout ce qui est lie a l’achat de quelque chose est 
publicitaire. 

— Quand une pub s’impose neanmoins dans le paysage, qu’on est force de la voir, autant 
la regarder avec attention, concentration et 1’ analyser. II faut etre particulierement conscient 
des mecanismes de la pub en question afin que votre cerveau la « range » correctement et 
qu’on ne soit pas influence par elle. Une bonne analyse de la pub nous vaccinera meme contre 
f achat de certaines marques. 

— Trouvez d’autres sources d’ informations sur Internet. Toutes les informations que dif- 
fusent la tele se retrouvent aisement, avec plus de developpement, plus de points de vue, sous 
differents formats (ecrit, video...) 

— Si c’est un programme tele qui vous interesse en particulier, preferez le telecharger ou 
le voir en streaming afin d’eviter les pubs. 

— La pub est presente sur le Net, et elle y est soumoise (faux forumeur conseillant des pro- 
duits, page de fans totalement bidons...) done il faut absolument developper un sens critique 
quand on fait d’Internet sa premiere source d’ informations. Plus d’infos : https://hackingso- 
cialblog.wordpress.com/2014/12/21/lhomme-est-un-mouton-ah-oui-vraiment/ 

— Installez Adblockplus ou uBlock origin pour naviguer sur le web. 

— Si vous etes pollue par un gimmick, n’attendez pas la contamination et detoumez ses 
paroles a votre profit. Ou utilisez-le comme arme. D’autres infos : https://hackingsocialblog. 
wordpress.com/20 14/07/1 0/le-gimmick-publicitaire-horizon-by-night/ 

— Reexploitez-vous en utilisant les mecanismes de la pub. 

— Detournez les pubs, pompez leurs idees a votre profit, a celle d’une cause. 


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@medias/Actualites 


Tous les journaux TV suivent a peu pres le meme format : d’abord Tactualite internatio- 
nale, puis nationale, puis des points divers sur la culture, le regional, une question thematique, 
une interview ou une explication avec schema a l’appui. Toutes les informations y sont pre- 
sentees tres vite, entrecoupees de reportages tout aussi cadences rapidement. Le dernier point 
du journal est souvent plus lent, il prend plus le temps d’expliquer, mais il n’est pas systema- 
tiquement relie a Tactualite internationale ou nationale. 

C’est done 40 minutes (ou moins) pour faire le tour du monde des nouvelles. Le nombre 
de telespectateurs devant le JT de TF 1 peut depasser les sept millions de personnes et celui 
de France 2, cinq millions cinq de personnes. fin formation qui est donnee a ces millions de 
personnes est selectionnee, manipulee (au sens strict du terme comine au sens de manipulation 
mentale, par le media comine par ceux qui delivrent l'information), elle est consideree comme 
verite, fenetre objective et exhaustive sur le monde : le JT est, bon gre mal gre, un puissant 
outil de formatage. Outil qui, volontairement ou involontairement, change les representations 
des personnes, change les opinions, change les comportements. Le JT est roi de nos opinions 
politiques, de nos interpretations de la societe, de nos croyances sur nos concitoyens : face a 
lui, on absorbe ou on est reactant, mais c’est toujours lui qui dit quel debat merite de prendre 
la place d’honneur. Et les consequences ne sont pas des moindres. 

@medias/Actualites/Rapidite 


Les plus petits sujets traites par les JT, quelle que soit la chaine, font moins d’une minute : 
il s’agit souvent des news internationales, prenant l’aspect d’un titre legerement image, sans 
developpement. Les sujets les plus longs sont decoupes en differents reportages d’une a deux 
minutes, mais traitants du meme theme : 

Par exemple TF1 le 5 avril 2013 : Paradis fiscaux 2 min 33 s/Hollande au 
Maroc 2 min 50 s/« Hollande ne veut pas reagir sous la pression de l’opposi- 
tion » 1 min 24 s/un remaniement pour sortir de l’affaire Cahuzac ? 2 min 26 s/ 

Jerome Cahuzac, un homme aux multiples visages 2 min 40 s/ Argent de Cahu- 
zac : la justice se penche sur l’industrie pharmaceutique 3 min 36 s. 

ou sous la forme d’un sujet plus long : 

TF1, le 5 avril, journal de Pernault : « Des octogenaires fringants » (titre 
d’un ouvrage mettant en lumiere les secrets de jouvence de 20 personnalites. 

Duree : 6 min 58 s) 


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Le traitement de l’information y est forcement superficiel, parce qu’il est impossible de 
parler de la relation de la Coree du Nord et des Etats-Unis en deux minutes (TF1 et M6, 20 h le 
4 avril). Meme en prenant douze minutes decoupees pour un theme, on ne traite pas en profon- 
deur une question. Soit. Cest le JT, pas un cours. II s’agit de news, pas de reportages, il aurait 
fallu se tenir au courant avant afin d’avoir le bagage necessaire pour comprendre les questions 
intemationales. Le JT n’a pas vocation a enseigner, expliquer, analyser, il in forme. Soit. 

Mais meme en prenant ce point de vue, a savoir que le JT ne doit que repandre la nouvelle, 
non l’expliquer, la rapidite des sujets pose probleme. Son scqucncage, ses changements de 
plans frequents provoquent des effets nefastes a notre reflexion. Vous vous rappelez ce que Ton 
a dit pour la rapidite de la pub ? Il en est de meme pour le JT : 

— La rapidite, les changements de plans rapides font mieux enregistrer l’information dans 
la memoire : cela pourrait etre considere comme un point positif ici, cependant les informa- 
tions du monde n’ont aucun interet a etre retenues par coeur. Cela reviendrait a apprendre un 
poeme de deux lignes en une langue inconnue dont on ne saisit que quelques mots clefs. Cest 
bon pour jouer a Questions pour un champion, dans la vraie vie cela n’a absolument aucun 
interet pour soi ou les autres d’etre une encyclopedic sur pattes. 

— La rapidite empeche le traitement de l’information par notre cerveau : a peine a-t-on 
eu le temps de reagir aux images presentees qu’une autre news arrive, chassant d’un revers 
l’autre. On peut la aussi reprendre la metaphore de Tetris abordee precedemment. Done aucune 
information ne peut etre reflechie en profondeur, jaugee, et rangee convenablement dans notre 
memoire. 

— La rapidite rend credule : plus une infonnation est delivree rapidement, plus on la 
prendra automatiquement pour vraie et on ne cherchera pas a la questionner. Autrement dit, la 
rapidite empeche l’esprit critique de fonctionner : 

Gilbert, Tafarodi et Malone (1993) les sujets lisaient des textes de des- 
criptions d’un individu « B ». Puis on leur donnait des infonnations en rapport 
direct avec la description ou d’autres totalement inventees. Le premier groupe 
des sujets testes devait indiquer si Tinfo donnee etait reelle ou inventee. Le deu- 
xieme groupe quant a lui devait lire T information le plus rapidement possible et 
la comprendre. La fin de T experience montrait que le premier groupe avait une 
vision assez juste de cet individu “B” contrairement au deuxieme groupe qui 
croyait a toutes les informations delivrees, meme les fausses. Le fait de devoir 
comprendre rapidement des informations conduit a estimer les infonnations 
vraies. 


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La credulite n’est done pas l’unique apanage des cretins : e’est un processus naturel mis en 
place par le cerveau pour comprendre rapidement les choses. Presupposer qu’une information 
rapide est vraie pennet de la comprendre plus rapidement. Mais ce raccourci utile -pris par 
n’importe quel cerveau- a un prix : celui de croire a des informations fausses. 

On voit done tout le danger de presenter des informations a toute allure : l’individu n’a pas 
le temps de mener sa reflexion, d’exercer son esprit critique, de prendre du recul, tout juste s’il 
a conscience de ce qu’on lui raconte. 

A contrario, prendre soin de remarquer la ou le media prend du temps a developper un 
sujet, est tres instructeur de ce qui preoccupe le media (le 5 et 4 avril 2013, e’etait Cahuzac 
pour tout le monde et Pernault a reussi a faire presque autant pour un ouvrage sur des « secrets 
de jouvence »), et de ses croyances au sujet de ce que veulent les telespectateurs : prendre du 
temps, e’est donner au spectateur le temps de s’approprier une information, de la considerer 
comme importante panni les autres nouvelles du monde. 

Rien que par le temps pris, le media dicte au spectateur ce qu’il doit retenir des nouvelles 
du monde et ce sur quoi il doit passer rapidement. Pour reprendre notre metaphore du Te- 
tris, e’est comme si lors d'une phase rapide de jeu, alors que les pieces les plus compliquees 
tombent rapidement, le jeu redevenait extremement lent pour une piece : vous en conclurez 
que celle-ci, il faut bien la placer, qu’elle a peut-etre plus de valeur que les autres, qu’il y a a 
reflechir la-dessus. Cependant, toutes les pieces sont importantes. Excepte peut-etre celle des 
secrets de jouvence de Pernault... 

Done... 

Mieux vaut s’infomier de l’actualite via des medias « lents » ou ecrits : si Ton veut s’inte- 
resser vraiment a un sujet, il faut pouvoir se poser tranquillement et ne pas etre parasite par 
d’autres stimuli. 

Pour que notre cerveau soit satisfait du transit d’une infonnation, il faut l’etudier sous 
toutes les coutures, sous toutes ses imbrications, avoir tous les points de vue a son sujet, et, 
plus que tout autre chose, il faut que cette infonnation puisse etre comelee a notre vie, qu’on 
puisse agir avec cette information : l’enervement, la colere, la tristesse face a l’information ne 
doivent pas etre balayes, fuis. Si on eprouve des sentiments, ce n’est pas simplement pour les 
subir, ils ont des objectifs concrets : par exemple, si vous eprouvez de la colere parce qu’une 
administration refuse de prendre votre dossier parce qu’il vous manque un papier, l’energie 
de cette colere, si elle est bien canalisee, sera utilisee pour argumenter, trouver des solutions 
concretes pour que votre dossier soit enregistre. Si vous etes ravage de tristesse en voyant un 
enfant se faire flapper en public, l’indignation ne va pas tarder a monter et peut-etre que vous 
irez voir le parent violent pour lui faire prendre conscience de l’honeur de ses actes. 


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S’il n’y a pas d’action, le sentiment est totalement inutile et il finit par « moisir » en nous, 
generant des etats d’esprit nuisibles, a savoir la culpabilite, la frustration, la haine ou encore 
des interpretations faussees sur le monde ou sur soi-meme. Cest ce que genere l’absorption 
du JT chaque jour : il nous fait eprouver par procuration les pires histoires du quotidien sans 
qu’on puisse (apparemment) y faire quoi que ce soit. Au fil du temps se constitue un agregat de 
sentiments jamais resolus, moisissant en nous et nous transformant. Pour le pire. 

Mieux vaut alors en finir avec le JT et s’atteler a une information a la fois, une information 
pour laquelle on pourra faire quelque chose. Il ne s’agit pas la de ne pas se preoccuper de l’in- 
temational ou des grandes questions, mais de prendre le temps de digerer correctement 1’infor- 
mation, de l’eprouver dans la realite, d’en tirer des lemons, de se poser face a elle et de voir ce 
qu'on peut en faire concretement, dans le futur ou maintenant. 

Done, rien qu’a cause de leur rapidite, les JT sont a fuir absolument. Cependant, leur 
visionnage peut etre interessant si on les regarde avec un tres grand recul et qu’on n’y espere 
pas y voir le reel etat du monde : ces informations touchent des millions de personnes et, par 
deduction, on peut en conclure beaucoup de choses sur la fa?on dont elles incorporeront fin- 
formation. De plus, decortiquer la maniere dont est livree l’infonnation par le media est tres 
instructif sur les volontes de celui-ci, sur ses croyances, sur la fa$on dont il per?oit les teles- 
pectateurs et comment il est manipule par les politiques ou qu'il manipule [’information a des 
fins politiques ou pour - et par - des interets prives. 

Pour n’en rester qu'a notre section « rapidite », un premier exercice consiste a voir com- 
ment est distribue le temps d’antenne en fonction des sujets et de comparer entre les differents 
JT. Pour beaucoup de chaines, il va falloir un chronometre, mais TF 1 par exemple laisse le 
descriptif de son journal sur le Net et le temps passe a chaque sujet (ce qui est une excellente 
initiative) : tres utile quand on veut exercer son oeil critique. Chacun peut aisement, sans meme 
entendre une seule minute de Pernault, voir ce vers quoi le media veut attirer l'attention, ce 
qu'il pense etre primordial pour les citoyens. On peut facilement imaginer les reactions de 
ces millions de spectateurs (absorption sans critique/reactance/absorption sans attention ni 
conscience/fan attitude/etc.). 

@medias/Actualites/choix des sujets 

■Titres racoleurs et tapageurs 

On a vu dans le chapitre precedent qu'un seul mot ou adjectif peut faire augmenter les 
ventes d’un produit. Les mots se rapportent a des representations, des sensations, des emotions, 
done on suppose automatiquement qu'un sorbet « explosif » sera plus fort en gout qu'un sorbet 
auquel on n’aurait pas appose ce qualificatif. Qu’importe la verite ou le mensonge de l'adjectif 
concernant le produit, il s'agit, dans le commerce, de persuader d’acheter : c'est pour cela que 


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les messages publicitaires sont si orgueilleux, decrivant leur produit comme revolutionnaire, 
changeant la vie, reglant tous les problemes, indispensable, extatique, merveilleux. Nos au- 
tomatismes nous poussent a croire que s’il est dit que telle chose est revolutionnaire, elle doit 
l’etre un minimum. Puis, apres l’achat, par loi de coherence, on s’auto convaincra qu’en effet 
le produit est revolutionnaire, sinon on ne l’aurait pas achete (plus le produit est cher, plus on 
se mentira a soi-meme). Si vous n’etes pas convaincu, proposez des toasts fa?on « gastro-ente- 
rite » a vos futurs invites, vous pourrez constater la puissance d’un seul mot. 

Les medias usent et abusent de vocabulaire tapageur, cette fois non dans le but de vanter 
leurs produits, mais pour capter l’attention sur le sujet qu’ils traitent, pour titiller la curiosite, 
rendre plus grandiose/dramatique/extraordinaire/epatant le sujet. Ce n’est pas trop grave lors- 
qu’il s’agit par exemple d’un article presentant une video « extraordinaire » et qu’en fait la video 
est relativement mediocre. Cela Test plus quand le vocabulaire concemant un sujet est syste- 
matiquement change pour le dramatiser : « Encephalopathie spongiforme bovine », 9 a vous dit 
quelque chose ? II est probable que non - surtout si vous etes tres jeune - car les medias n’ont 
que tres peu utilise cette expression, preferant de loin « vache folle ». 

« Marwan Sinacoeur et ses collegues de l’Universite de Stanford ont compte 
le nombre de fois que sont apparus, entre 1991 et 2002 , les expressions vache 
folle et son terme scientifique encephalopathie spongiforme bovine dans deux 
journaux frangais, Le Monde et Les Echos. Ils ont constate que lorsque les 
journaux utilisent vache folle, la consommation de viande de boeuf diminue. 
Lorsqu’ils utilisent encephalopathie spongiforme bovine, la consommation re- 
monte... » 

Sebastien Bohler, 150 petites experiences de psychologie des medias, 

Dunod, 2008. 

L’ expression « vache folle » fait peur. Et c’est normal, nous sommes des animaux sociaux 
ayant besoin de communiquer entre nous efficacement, done une expression aussi imagee que 
« vache folle » nous fait prendre la fuite immediatement. Le cerveau reptilien, gerant les ques- 
tions de survie voit en « vache folle » une alerte engendrant la peur, peur etant necessaire a la 
survie en milieu hostile. II n’y a pas a s’en vouloir d’etre alerte par un terme pareil et d’avoir 
l’appetit coupe. Le probleme est ici la volonte de faire peur, d’attirer les regards, l’attention 
du telespectateur sur cette vache folle et non sur 1 ’ encephalopathie spongiforme bovine, qui 
par un tenne qui incite a la reflexion n’acquiert pas une attention devolue et inquiete devant 
l’ecran. 


Sinacoeur (2005) II y avait deux groupes de sujet pour cette experience : 
— Le premier lisait des articles sur la vache folle puis on leur faisait rem- 


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plir un questionnaire poussant a la reflexion. En faisant traiter l’information de 
cette fa?on, on activait chez les sujets le mode deliberate, mode qui permet de 
prendre des decisions apres reflexions poussees sur un sujet. 

— Le deuxieme groupe, apres avoir lu les articles, se voyait poser des ques- 
tions sur leur etat d’esprit : il s’agissait d’activer le traitement du sujet de la vac he 
folle par un mode dit « associatif », qui fait intervenir principalement l'emotion- 
nel. C’est ce que font beaucoup de medias. 

Par la suite, les chercheurs ont constate que le premier groupe, grace au 
raisonnement encourage, n’avait pas change ses habitudes alimentaires, contrai- 
rement au deuxieme groupe. 

La fa 5 on dont les mots sont choisis, la fa 5 on dont est traite l’information n’influencent pas 
seulement l’attention, la curiosite vis-a-vis d’un sujet ; elles influencent egalement le compor- 
tement des personnes. 

On pourrait presque se demander si le probleme concemant la grippe aviaire a cause moins 
de paranoia dans la population que prevu (les gens ne se vaccinaient pas et ne se precipitaient 
pas sur les milliers de litres de disinfectant pour les mains ou les masques) grace a son appella- 
tion : si les medias l’avaient renomme la « grippe de foiseau fou », y aurait-il eu plus de peur ? 

Le media a un enonne pouvoir sur la population, jusqu’a sa fa?on de se comporter face a 
une situation. En use-t-il parfois volontairement ? Pour les questions d’attention sur un sujet, 
on peut repondre par l’affirmative sans se tromper. Quant a des questions plus graves, nous ne 
tenons pas a verser dans le complotisme, qu’il soit realite ou non : le complotisme empeche 
d’agir concretement, jouant lui aussi dans le registre de la peur. 


Concernant les titres racoleurs sur Internet on en a fait un article ici : https://hacking- 
socialblog.wordpress.com/2015/02/05/arretez-tout-voici-les-secrets-des-titres-racoleurs-cela- 

va-vous-epater/ 

Done... 

Un exercice interessant pour affuter son esprit critique est de retrouver le « bon » titre, 
celui qui seraitplus objectif, plus juste vis-a-vis de ce qui est formule. Prenons le titre « Naitre 
pere : deux papas au pays des Bisounours » ( http://www.lefigaro.fr/cinema/2013/02/13/03002- 
20130213ARTFIG00438— naitre-pere-deux-papas-au-pays-des-bisounours.php ) apres lecture 
on pourrait le renommer « Naitre pere : un documentaire dont la tendresse n’est pas, a notre 
avis, realiste et au service de la propagande de gauche ». Rien qu’en renommant correctement 
les actualites, la facon dont elles sont traitees apparaissent plus clairement. 


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■Argument d’autorite 

Avis d’ experts, sondages, chiffres, statistiques... Le JT regorge de ces arguments d’ autorite, 
appuyant les sujets, confirmant l'avis de la population, justifiant ce qu’il est bien de faire, ce 
qu’il est mal de penser. 

Or, un sondage peut emettre un avis totalement artificiel : rappelez-vous 1’ experience des 
chansons sur le site web. Elle avait prouve que les individus, face a des chansons qui se valent 
toutes, votaient en fonction du classement des autres. La fameuse influence sociale... Une 
autre experience a ete menee durant l’entre-deux tours des elections presidentielles de 2012 : 
1000 votants ont ete interroges sur leur intention de vote au second tour. Si on leur presentait 
un sondage fictif qui allait dans le sens contraire de leur intention de vote, ils changeaient 
d’opinion pour 25 % d’entre eux pour se rallier a ce faux sondage. . . 

On a ici une belle preuve du biais de conformite. C’est exactement le meme biais qui se 
manifeste lors des sondages : les personnes repondent en fonction de criteres sociaux, de ce 
que les autres pensent en general, en fonction des autres sondages entendus... L’individu se 
conforme a la majorite, sans forcement etre d’accord avec le propre avis qu’il donne, car il 
s’agit la de paraitre aux yeux du sondeur comme normal, en conformite. Et le resultat peut 
devenir completement caduc. 

Mais evidemment, ce n’est pas le seul probleme. La question du sondage peut amener les 
sondes a repondre d’une certaine fag on et pas d’une autre. Les questions negatives troublent la 
logique. Les possibilites de reponses sont elles aussi manipulables : par exemple « Aimez-vous 
le fromage : A la folie/passionnement/un peu ». Avec cette fermeture orientee des reponses, 
on a forcement une reponse positive, car le sondeur ne laisse pas le choix de ne pas aimer le 
fromage et de ne l’apprecier que moyennement. A savoir que tous les sondages qui ne pro- 
posent pas de « pas d’avis sur la question » ou ce genre d’intervalle sont caducs : on force le 
questionne a se positionner, alors qu’il peut ne pas avoir d’avis, car il ne s’est pas interroge sur 
la question, ou pour reprendre notre question, qu’il n’ a jamais goute au fromage. 

M6 fait beaucoup usage de sondages a la fin de son JT : chacun peut y participer, 10, 20, 50 
fois si vous avez la patience, l’organisation et certains souhaits quant a Tissue du sondage. En 
effet, les sondages sur le Net n’ont aucune securite : on peut rejouer a Tinfini en enlevant ses 
cookies, en utilisant des VPN, TOR ou des proxys. Les hackers peuvent detoumer les sondages 
sur des milliers et des milliers de voix avec une rapidite deconcertante. ( http://reflets.info/tru- 
cage-de-sondage-sur-france-3-la-presse-decouvre-lastroturfing/ ) Done ces sondages realises 
via le Net, sans securite, n’ont aucune valeur et ne sont absolument pas representatifs. 

Les statistiques souffrent egalement de defaillances bien qu’elles soient mieux pergues, 
qu’elles paraissent plus valides. Depuis tout jeune, on est conditionne a faire confiance aux 
chiffres, car 2+2 feront toujours quatre. Les mathematiques semblent etre une verite absolue, 


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impossible a remettre en question, car elles sont vraies. De plus, les statistiques sont issues 
d’instituts serieux, bondes de specialistes : cela ne peut qu’etre vrai. 

Or, on peut tout a fait produire des statistiques qui sont mathematiquement serieuses et 
correctes, mais dont l’enonce est errone, tronquant la realite, ne couvrant pas tous les aspects 
d'une question. 

Les statistiques du chomage sont un excellent exemple d’une statistique mathematique- 
ment juste, mais qui renvoie a une perception erronee : 

— Les chomeurs qui y sont comptes sont ceux qui sont inscrits au Pole emploi. Or bon 
nombre de chomeurs se font regulierement radier meme s’ils n’ont pas trouve d’emploi (on 
reviendra la-dessus dans la section travail) ; certains ne s’y inscriront pas pour des raisons so- 
ciales (les SDF, ceux qui ont des problemes avec la justice ou ont peur d’avoir des problemes 
avec elle) ; d’autres ont abandonne l’idee que cela puisse les aider et preferent se debrouiller 
par eux-memes. 

— Seuls sont comptes ceux qui sont au chomage total. Done les stagiaires non remuneres, 
ceux qui ont travaille une heure dans le mois, ceux qui n’ont qu’un petit contrat de 5 h par se- 
maine, ceux qui sont malades (mais pas en contrat) ne sont pas comptes. 

— Seul l’hexagone est compte. 

Une statistique se fait toujours dans un cadre : il y a une question qui a determine sa pro- 
duction et done les donnees qu’on decide ou non d’y inclure. Pour les statistiques du chomage, 
les volontes sont tres claires : il s’agit d’enlever quelques millions au vrai chiffre du chomage 
afin de rassurer sur la situation du pays. Cette statistique sert les homines politiques afin d’eta- 
blir de fausses comparaisons avec les pays voisins (le fameux « nous sornmes doues, car c’est 
pire ailleurs »), de vanter les merites de sa politique (meme d’une baisse arbitraire). 

Les medias utilisent neanmoins les statistiques comine des verites absolues, sans chercher 
a interroger leur validite, leur justesse, et les interets de qui elles servent. Cela semble a nos 
yeux une faute professionnelle induisant en erreur le spectateur et servant les politiques/les 
groupes d’interets prives. 

Il y aussi des statistiques qui ne donneront jamais un indice liable et representatif, tout 
simplement parce que les personnes ne seront jamais sinceres pour certains sujets : ce sont, par 
exemple, toutes les statistiques au sujet des pratiques sexuelles, des revenus ou encore sur des 
sujets ou n’importe qui ment nature llement, car la question est genante, ou qu’on veut appa- 
raitre sous un bon jour ou encore qu’on a honte de la verite. C’est tout a fait comprehensible, 
il en va pour le questionne de proteger son jardin secret. 


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II y a egalement des statistiques ou sondages qui portent sur des sujets trop complexes : une 
question sur une province d’un pays dont on n’ arrive pas a dire le nom, qu’on est incapable 
de situer sur une carte, qui demanderait de choisir entre deux candidats a une election dont on 
ne sait rien, fournira des statistiques erronees : les gens, forces de se positionner, diront ce qui 
leur passe par la tete, s’appuyant sur le nom qui parait le plus sympa a l’oreille. Rappelez-vous, 
un sondage ou une etude qui force les sujets ou les questionnes a se positionner ne permettra 
jamais de se faire un avis clair sur la question : les questionnes n’ayant pas le choix, choisiront 
par hasard une reponse. Tout le monde devrait avoir le droit de « ne pas avoir d’ opinion sur le 
sujet » . 

II y a des comparaisons de statistiques totalement inutiles. Comine comparer le salaire 
moyen touche dans un pays avec un autre, totalement different. Les deux pays sont dans des 
contextes differents, un plein de courses vaudra peut-etre 150 euros dans Tun, 50 dans Tautre. 
On a beau etre tous fireres et soeurs, on est tous soumis a des conditions economiques dififerentes 
selon nos pays respectifs, et les comparaisons statistiques peuvent etre rapidement erronees. 

II y a des correlations faites entre differentes statistiques qui ne resultent d’aucune cause 
a effet et qui sont pourtant relayees massivement par les medias, raccourcissant au passage 
les etudes pour faire des titres-chocs qui attirent : les enfants intelligents sont plus amenes a 
se droguer (correlation entre le QI et la consommation de drogue), les jeux video donnent le 
cancer aux enfants (qui est en fait une etude sur T inactivity); . . . 

On pourrait continuer ainsi longtemps sur les statistiques, leurs defauts de base, leurs tru- 
cages, Tutilisation malveillante ou erronee de ceux qui les brandissent, la soumission incondi- 
tionnelle que nous leur portons et la fa£on dont le monde est regi a travers elles. Les chiffres 
ont pris trop de place, les individus n’existent plus, ils sont devenus des pourcentages. La 
statistique est un outil, un indicateur faillible et changeant, pas une loi divine a laquelle nous 
devrions etre soumis. 

Concernant les avis d’experts, ils sont egalement faillibles : 

— L’expert peut etre corrompu par ses sources de financements. De nombreuses etudes sur 
l'alimentation sont financees par les groupes industriels afin de prouver par exemple qu’il est 
sain de manger des gateaux au gouter. ; la quasi-totalite des etudes sur les insectes sont menees 
par des groupes vendant principalement des pesticides ; etc. 

— L’expert peut etre corrompu par ses propres interets financiers : Dukan par exemple, 
bien qu’effectivement medecin, ne va pas critiquer la viande parce que le regime qui Ta rendu 
riche preconise une alimentation presque exclusive de viandes. 


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— L’expert est mal choisi : par exemple, pour une question psychologique, le JT fera in- 
tervene un psychotherapeute. Or, n’importe qui peut se declarer psychotherapeute : seuls les 
psychologues ont suivi cinq annees d’ etude en psychologie. Les psychologues sont meme plus 
competents en matiere psychique que les psychiatres (3 ans d' etude de la psychologie, le reste 
des annees d’etude ayant trait a la medecine). La television fait aussi beaucoup intervenir les 
psychanalystes : or les recherches ont evoluees, la neuropsychologie et la psychologie cogni- 
tive ont des reponses plus sures, validees scientifiquement, et avec des indications therapeu- 
tiques plus efficaces (cf le livre noir de la psychanalyse). 

— II est pose des questions inutiles et debiles a l’expert, mais il peut etre tente d’y repondre 
tout de meme (par interet financier par exemple) : l’analyse du succes de Gangnam style via 
l'analyse psychologique, par exemple. La reponse fut a la hauteur de la question, decredibili- 
sant au passage la psychologie. 

— L’expert est coupe, ses reponses foumies et completes sont tronquees. « On/off » d’Ol- 
livier Pourriol explique le phenomene avec clarte : a Canal +, n’etaient retenus au montage que 
les disputes avec les experts, les moments droles, legers, futiles. Si l’expert recadrait le journa- 
liste sur la debilite de sa question, c’etait coupe, meme si l’explication etait interessante. Ainsi, 
le seul moment d’expertise serieux etait jete aux oubliettes pour ne garder que le spectacle de 
l’intervention : l’interet du media etait ici de casser, de ridiculiser l’expert afin que tout le monde 
se sente plus intelligent. 

Malheureusement, on ne peut avoir foi en aucun des arguments d’autorite presentes a la TV, 
que ce soit des chiffres ou des avis d’ experts : il y a trop d’interets qui convergent, entre ceux du 
media, des politiques, de l’expert lui-meme. Finalement, l’etude la plus serieuse ou l'expert le 
plus integre, sont passes a la moulinette, leurs propos et messages etant tordus par les interets 
de chacun. 

On a ecrit un article complementaire a ce sujet : 

https://hackingsocialblog.wordpress.com/2014/06/23/sondages-statistiques-chiffres-ne- 

plus-se-faire-avoir/ 

Done... 

Le danger e’est la paranoia totale, et ne plus croire en un seul expert : e’est une reactance 
massive qui peut par exemple amener les personnes a ne pas vacciner du tout leurs enfants, a 
ne pas les amener chez le medecin et done les rendre malade tout le temps. Un seul remede a 
la credulite ou a la reactance : l’intelligence, l’esprit critique tempere et pose. 


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L’argument d’autorite ou du chiffre ne devrait pas etre prioritaire sur nos arguments de 
« realite » : c’est-a-dire qu’on ne devrait pas prendre peur de se balader sous pretexte que la 
criminalite a augmente (les medias le disent, cependant les statistiques disent le contraire : la 
delinquance a baissee), mais plutot de s’en remettre a ce qu’on a vecu. A-t-on deja ete agresse ? 
Non. Alors au diable la peur du chiffre, allons dans la rue prendre la mesure de cette crimina- 
lite supposee. « II faut manger ceci et cela en telle quantite », argument d’autorite 6 combien 
courant, parfois totalement contradictoire et impossible a suivre : les bebes nous rappellent 
qu’on sait ce qu’on doit manger naturellement. Observez le petit enfant qui commence a man- 
ger de la nourriture solide : il mangera de temps en temps des feculents, mais les refusera a un 
repas, preferant uniquement des fruits. Et ainsi de suite pour une selection d’aliments : on sait 
ce qu’on doit manger en principe, notre corps nous le reclame ou est degoute d’autres aliments. 
Cest le psychique, en grandissant, qui s’interpose et transforme les aliments en medicaments/ 
en ennemis contre notre bon apport nutritionnel. Done, l’argument de l’autorite est incompetent 
en la matiere, seul son propre corps, si on l’ecoute bien et qu’on dissocie les besoins psychiques 
des besoins nutritifs, nous indiquera ce dont il a besoin. Ne nous laissons pas rendre idiot (« je 
ne sais pas manger, done je vais suivre a la lettre ce programme nutritionnel et ne jamais en de- 
roger meme si cela me rend malade ») ou reactant (« rien a foutre des conseils, je ne mangerais 
que des biscuits de toute ma vie »). 

De plus nous avons tendance a prendre pour nous les conseils (identification), meme si 
nous ne soinmes pas conceme : cela trouble notre perception de nous-memes, nous culpabilise, 
nous fait nous inventer des problemes. Et generalement, les personnes reellement concernees 
par un probleme ne s’identifieront pas a l’expose de la problematique, par deni, ou penseront 
qu’elles font bien les choses contrairement aux autres, quitte a approuver l’avis de l’expert, mais 
faire l’inverse. 

Un « jeune » d’infonnation peut etre alors necessaire afin de voir la realite de sa vie, et non 
sa vie au travers le filtre de l’information. 

■ LACIBLE, REINE ? 

Quand Pernault passe six minutes cinquante-huit sur « les secrets de jouvence des person- 
nalites » alors que les autres sujets durent environ deux minutes, cela parait etre une fag on de 
contenter l’audimat, la « cible », pas de faire du journalisme. La cible est agee, le sujet retient 
leur attention (car les touchant personnellement), efface les effets des news negatives, les met 
sur le droit chemin de TF1, a savoir avoir l’etat d’esprit apte a absorber la pub : lutter contre 
la vieillesse est une thematique de la societe de consommation, completement infeconde (on 
vieillira de toute maniere), qui ne sert qu’a faire rever a des produits qui rendrait la jeunesse ou 
la retiendraient. Il s’agit done ici de passer du temps sur le superficiel, de guider lentement loin 
de tout ce qui pourrait agiter les esprits et leur donner envie de couper la television. 


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Done non, l’interet du telespectateur n’est pas un facteur prioritaire dans le choix des sujets, 
car le satisfaire dans l’immediatete en lui offrant un terrain propice aux pensees magiques (la 
fameuse fontaine de jouvence) n’est certainement pas un bienfait pour lui : il se centre sur lui- 
meme et de faux problemes (parce qu’il est normal de vieillir, 9a n’a rien d’une problematique 
a resoudre ; le seul vrai probleme est 1’ acceptation du changement) qui le guident vers son 
statut de consommateur et le rendent apte a 1’ injection de la pub. 

Les autres JT font de meme pour efifacer les ondes negatives des informations : e’est le 
fameux dernier sujet de JT, toujours leger/amusant/heureux/,etc. Parce que Tobjectif est de 
maintenir T attention. Et pour garder Toeil du spectateur sur la television, il ne faut pas laisser 
sa colere ou sa tristesse Tenvahir. 

De plus, les chaines ont une certaine vision de ce qu’aiment leurs telespectateurs, elles ont 
des croyances au sujet de leur cible qui les amenent a modeler leur sujet en fonction : il est 
evident que la majorite des chaines ont adopte T adage « il ne faut pas prendre les gens pour 
des idiots, mais ne pas oublier qu’ils le sont ». Mais quand on prend durant des annees les gens 
pour des idiots, ils finissent par le devenir : le fameux « on est ce que T autre dit que Ton est » 
explicite page precedemment. 

Quand on dit « ceci t’interesse, ceci ne t’interesse pas », l’audimat finit par se ranger a ce 
choix, surtout lorsqu’il ne peut pas (ou ne pense pas a) chercher ailleurs T information. Meme 
si le telespectateur reagit, est reactant en ralant devant le televiseur, il n’empeche que e’est le 
media qui decide des centres d’interets du moment, qui ouvre ou reduit le champ de vision des 
nouvelles du monde. 

La cible n’est pas reine. Elle subit les informations que les medias ont choisis pour elle et 
ses travers sont explodes afin de maintenir T attention. Il y a une volontaire confusion entre 
« ce qui plait au public » et T exploitation des travers : faire des programmes de plus en plus 
trash n’est pas une question de repondre aux attentes du public, mais de trouver des moyens 
de plus en plus intenses de maintenir son attention « primitive ». En effet, au fil des annees 
il y a habituation aux stimuli : plus on voit de nudite, moins cela retient notre attention parce 
que le stimulus « nudite » a perdu en extraordinaire, le cerveau considere que plus une chose 
a ete vue, moins cela requiert d’ attention : le stimulus qui etait extraordinaire devient banal et 
Tattention s’accroche a d’autres choses. Ce processus n’a rien a voir avec quelque chose qui 
interesserait ou non le public ; on pourrait presque considerer cette affaire comme de l’ordre du 
reflexe perceptif. Cependant, le public confond aussi « ce qui Tinteresse » avec « ce que son 
cerveau a perQu comme extraordinaire » : une perception visuelle extraordinaire n’est pas un 
interet. Tin interet necessite une reflexion, une elaboration interne, une recherche de differents 
point de vue, une action... Un interet provoque une passion, un gout a etre dans la thematique 
de celui-ci, un interet fait sens dans sa vie quotidienne, un interet he a d’autres personnes, un 
interet fait construire, un interet demande de T effort, mais cet effort est profondement plaisant : 


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c’est tout Tinteret. Une perception visuelle extraordinaire, une histoire hors du commun at- 
tirent la perception primaire, mais c’est tout. C’est une unique consommation qui n’a que pour 
consequence de finir par rendre nonnal ce qui etait auparavant extraordinaire. Et cela n’est pas 
sans impact sur notre vision du monde. 

Done... 

Ce plaisir de se sentir choye d’une chaine, d’un animateur ou par un sujet est une illusion. 
Une illusion qui comble nos manques d’attention/d’amour/de reconnaissance, une illusion qui 
masque un peu la solitude. Done, il faut chercher un vrai contact humain, cela nous comblera 
bien plus. Tous les moyens sont bons : meme aller a la rencontre de vraies personnes sur In- 
ternet ou dans les jeux video sera plus prolifique. 

■ L' INTERNATIONAL EST UNE ANECDOTE 

« Catastrophe (...) : Selon la regie edictee par la commission de deontolo- 
gie des journalistes, plus la catastrophe se deroule loin de la France, plus elle 
doit entrainer de victimes pour susciter l’interet. On compte en general 1 firan- 
Qais = 2 italiens = 3500 pakistanais » 

Le dictionnaire injuste et borne de la television, Arnaud Demanche 

Tous les JT ne passent que tres rapidement sur les nouvelles de T international, a moins 
qu’il n’y ait des faits de grande ampleur. Ils passent plus de temps a parler de Tarrivee de la 
neige dans les regions que d’une menace de guerre Coree du nord/Etats-Unis (canal+, JT du 
soir le 6 avril 2013). 

Ce focus reduit n’est pas du a un manque d’actualite a T international, ni au fait que les 
journalistes s’en desinteressent : ce traitement de T international repose sur la prise en compte 
d’un de nos biais psychologiques, a savoir le « phenomene du mort kilometrique ». 


Jacques-Philippe Leyens presente dans cette experience un texte racon- 
tant un incendie meurtrier. Soit il se deroulait dans le pays natal des sujets (la 
Belgique) soit en Angleterre. Apres lecture du texte, on leur demandait ce que 
les victimes avaient pu ressentir. Si Tincendie se deroulait dans le pays natal, 
les sujets donnaient quantite d’adjectifs ; mais quand il s’agissait de l’Angle- 
terre, ils ne donnaient que des adjectifs representant des emotions primaires, 
qu’on pourrait aussi bien attribuer aux animaux. [experience trouvee dans Se- 
bastien Bohler, 150 petites experiences de psychologic des medias, Dunod, 
2008] 


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Le mecanisme en jeu dans ce phenomene du mort kilometrique est 1’ infra-humanisation : 
on n’accorde que des sentiments primaires aux personnes vivants loin. C’est une proto-forme 
de racisme, mais qui peut s’expliquer autrement que par le racisme pur et dur : 

— Les spectateurs n’arrivent pas a s’identifier aux drames se passant a l’etranger, le lieu et 
la culture ne leur etant pas familiers. Ils differencient les acteurs selon le contexte dans lequel 
ils sont plonges. 

— Les spectateurs peuvent etre pragmatiques et n’investissent leurs sentiments que dans 
les situations proches, qu’ils connaissent et auxquelles ils peuvent raccrocher des representa- 
tions vecues. 

Que se passe-t-il alors si on supprime la distance kilometrique, done qu’on garde un meme 
contexte connu, mais qu’on change les « acteurs » ? A priori, les deux arguments precedents 
n’auront plus lieu d’etre, la distance kilometrique ayant ete annulee: 

Shanto Iyengar et Kyu Hahn en 2007 prouvent que si des americains 
voient un reportage sur un homme blanc ayant tout perdu a cause de l’ouragan 
Katrina, il sera plus dispose a apporter une aide financiere et a accuser le gou- 
vemement de ne pas 1’ aider, que s’il est noir. . . 

On a plus d’empathie pour les gens qui nous ressemblent physiquement. On a, avec ce biais 
de jugement, un terrain propice au developpement du racisme. 

Automatiquement, nous avons tendance a discriminer (parce que notre perception se doit 
de distinguer les elements du decor entre eux), mais cette discrimination n’a de bon que lors- 
qu’elle se cantonne a la stricte perception des choses, des elements : des lors qu’elle se teinte 
de jugement moral, qu’elle sert de base au jugement de l’humain il y a un probleme. La dis- 
crimination devrait se contenter de la vision : ceci est un etre humain ; c’est une femme, ce 
qui est different de moi, homme ; ceci est une femme a couleur marron, aux yeux bleus, etc. 
Point final. La discrimination visuelle devrait s’arreter la et ne pas s’emplir de croyances, de 
representations, de jugement. Mais les automatismes nous poussent a juger autrui sans autre 
information que l’apparence, c’est un veritable travail que d’arreter ce traitement automatique, 
de l’empecher d’exercer : cependant nos fonctions superieures nous pennettent de dompter ces 
traitements automatiques, on devrait tous etre capables de ne pas etre racistes. 

Malheureusement la television n’a pas vocation a stimuler nos fonctions superieures. C’est 
meme le contraire : la pub ne veut pas de nos consciences et reflexions, done les autres pro- 
grammes se doivent de ne pas enclencher le mode « superieur » de notre cerveau. 


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Done... 

Ce probleme du traitement de 1’ international par les medias nous est delicat. D’un point de 
vue pragmatique et immediat, il est logique et meme rationnel que les individus ne se preoc- 
cupent pas de 1’ international : pour la simple et bonne raison que s’investir cognitivement et 
emotionnellement dans une histoire intemationale, e’est a coup sur ressentir de la frustration, 
des emotions negatives qui ne pourront pas etre gerees. On ne pourra rien faire pour aider les 
milliers de morts d’une catastrophe naturelle a 10 000 kilometres, done la tristesse eprouvee, 
dont l’utilite est l’action d’aide concrete, sera totalement infructueuse. Meme en faisant des 
dons, on n’arrivera pas a rendre cette tristesse utile. D’autant plus si on a soupese le probleme, 
ete empathique, qu’on a pris a coeur le sujet. La seule suite logique serait l’aide sur le terrain : le 
deployment cognitif et emotionnel y trouverait une issue favorable, nous y trouverions, malgre 
les difficultes du terrain, une forme de sens. 

Ce sont pour ces memes raisons que ce sont les news de proximite qui interessent : parce 
qu’on peut y faire quelque chose, du moins notre conscience peut planifier ce qu’on ferait, 
comment reagir, etc. La probability de rencontrer le « fait » le rend plus digne d’interet pour 
notre cerveau, car on a plus de chance d’etre acteur de cette histoire. La n’est pas question 
d’egocentrisme, de racisme, mais de pur pragmatisme : pour 1’ international « je ne pourrais 
jamais rien faire contre ?a, done j ’economise de l’energie mentale afin de la reserver a des pro- 
blemes que je peux affronter et resoudre, a des gens que je peux aider ». 

Les medias pourraient etre plus intelligents, plus creatifs et passer outre ce biais du pheno- 
mene de mort kilometrique. Pour la bonne raison que les gens s’interessent a des vies totale- 
ment differentes d’eux, a des centaines de kilometres, des vies sans aucun lien apparent avec 
la leur, dans des pays Grangers, dans des conditions qu’ils n’ont jamais connues et qu'ils ne 
connaitront jamais : nous parlons ici du succes des series, des films et de la fiction en general. 
Madame Michu dans son village aux allures moyenageuses peut s’interesser a la vie d’une 
astronaute ; monsieur Dupond, parisien presse peut-etre totalement captive par la campagne 
rude et sale de Game of Thrones ; mademoiselle Kevina, obsedee par la tenue de son fard a 
paupieres, peut s’interesser a des questions politiques complexes avec House of cards ; etc... 

C’est mal connaitre Thumain que de l’imaginer seulement preoccupe par son nombril et 
reniant ce qui est Granger a lui : quand on sait y faire, on peut rendre n’importe quel sujet, 
si complexe soit-il, captivant et activant les zones les plus complexes du cerveau sans que le 
spectateur trouve cela pGiible, bien au contraire. 

Nous ne parlons pas ici de transformer le JT en Game of thrones (quoique l’idee est parti- 
culierement plaisante), il ne s’agit la que de montrer que les individus ne sont pas des cretins a 
T esprit ferine. Si e’etait le cas, il n’y aurait personne pour voir des films, lire des livres, regar- 
der des series. 

Nous considerons que le probleme du traitement de Tintemational par les medias est un 
probleme de point de vue : les news defilent de loin, avec un recul aussi important que celui 


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d’un astronaute observant la terre de loin. Avoir du recul est important, pour prendre l’enver- 
gure du fait, mais la distance ne nous in forme pas vraiment : c’est comine connaitre la tempe- 
rature elevee d’un patient, mais ne pas le rencontrer, ne pas chercher ses autres symptomes, ne 
pas savoir les details qui l’ont amene a avoir cette temperature, etc. 

Par contre, quand un ami parti a l’etranger vous raconte comment il a vecu tel fait, celui-ci 
prend une tout autre envergure : l’ami fait part du ressenti, de l’avant et de l’apres, de l’impact 
que le fait a eu sur sa vie, de la le^on ou l’absence de le^on qu’il en a retire, son point de vue 
sur le monde apres ce fait, de son comportement et ces positions qui ont change apres ce fait, 
etc... Voila comment on devrait prendre - ou plutot ne pas prendre l’international - : il faut le 
laisser se raconter a nous, et ne pas le survoler de l’espace et en conclure qu’en effet un nuage 
passe au-dessus de ce pays, ce qui est inutile. Quand l’international se raconte a nous, nous 
apprenons de lui, nous correlons naturellement a notre vie ce qu’il nous raconte meme si c’est 
un point de vue radicalement different, cela nous enrichit. Quand on laisse la place a 1’ interna- 
tional, on partage, on communique entre humains memes a des centaines de kilometres, on se 
rassemble dans notre sang identique en tous points et nos differences se completent. Ce n’est 
pas une mission utopique des medias, ils le reussissent tres bien parfois. Pour la premiere elec- 
tion d’ Obama, des les primaires, les medias ont commence un suivi intensif de la question. Les 
Americains noirs comine blancs, democrates ou republicains etaient interroges, on les voyait 
vivre l’evenement de chez eux ou dans les conferences, ils parlaient de leur histoire person- 
nels, de celle de leurs ancetres et comment elles faisaient echo a leur present. Specialistes, po- 
litiques, citoyens engages ou non, tout le monde faisait part de son histoire face a l’evenement. 
L’evenement etait aussi visionne avec la distance astronomique dont nous avons fait part avec 
la metaphore precedente. 

Nous avions un point de vue presque complet de la situation (excepte le fond des pro- 
grammes et la politique en elle-meme, ce qui est en effet, un point non negligeable...). Les 
medias avaient fait un veritable feuilleton de cette question « un noir president des USA » et si 
certes, d’un point de vue strictement politique c ’etait defaillant, le traitement de cette question 
a ete profitable aux francais : bon nombre d’entre nous ont ete totalement passionne par la 
question, elle faisaient echo en nous, a tel point que beaucoup se sont leves aux aurores pour 
suivre en direct les resultats americains. La joie, 1’ emotion de la victoire d’ Obama ont ete par- 
tagees malgre les centaines de kilometres : on vivait ensemble cet evenement. 

Les medias devraient laisser place a l’international plus souvent, que ce soit pour les bonnes 
ou les mauvaises nouvelles, pour le quotidien ou l’exceptionnel. Parce que cela pourrait nous 
unir, parce que chaque pays apprendrait l’un de l’autre, parce que cela renforcerait notre tole- 
rance, parce que cela nous aiderait a ouvrir le champ des possibles, notre imagination, notre 
capacite a imaginer d’autre facon de vivre, cela nous donnerait des idees et encore tant d’autres 
bienfaits. 

Il y a la une noble mission que les medias pourraient saisir... 


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■ DU SPECTACLE OU RIEN 

« C’est done la premiere raison de cacher les choses : taire les sujets dont on 
craint qu’ils fassent “decrocher” le public cornme ils disent. Je dirais que c’est 
la plus frequente. On pourrait appeler 9a de la censure douce » 

Daniel et Clemence Schneidermann, c ’est vrai que la TV truque les images ?, 

Albin Michel, 2008 

L’ image marquante est prioritaire : entre une manifestation qui degenere par des actes de 
destruction et une greve sans manifestation, les medias font vite leur choix. Le spectaculaire 
prevaut, qu’il soit sanglant, exuberant, impressionnant ou etonnant. 

II faut que le media retienne l’attention, alors le choix du sujet depend fortement de sa capa- 
city a faire du spectacle. Et s’il faut parler de l’evenement, mais qu’il n’y a pas assez d’images, 
alors les medias composent entre anciennes images, images du journaliste depeche sur place 
(ce qui fait percevoir l’evenement comme important ou fait « ressentir » l’evenement, avec ce 
pauvre journaliste depeche sur place, affrontant toutes les pires tempetes) ; le media fait inter- 
vene des specialistes, des citoyens qui donnent leur avis ; etc. 

Mais parfois, les medias manipulent completement l’evenement : TF1 a tres clairement 
manipule les images d’une manifestation de Melenchon pour la rendre plus impressionnante 
qu’elle ne l’etait. On a ici l’exemple d’une manipulation a but politique, http://tempsreel.nou- 
velobs.com/photo/201 3 1202.QBS7810/melenchon-sur-tfl -le-zoom-qui-fache.html 

Cette course au spectacle a des consequences importantes : 

— Elle donne une image fausse de la realite et entraine chez le telespectateur de la paranoia 
et ce qu’on appelle le « syndrome du grand mechant monde » qu’on detaillera plus tard. 

— Elle force ceux qui ont quelque chose a faire diffuser a etre spectaculaires. Ainsi tous les 
combats tranquilles, les revolutions silencieuses, tous les evenements sans foule, sans violence, 
sans spectacle sont ignores. 

— Le bonheur ou 1’ absence de probleme ne sont jamais abordes : il peut y avoir mille trains 
a l’heure, c’est toujours le mille et unieme en retard qui retiendra l’attention des medias. Seules 
les joies exceptionnelles sont montrees (gagnant du loto/matchs/elections...). Cela participe 
a la vision erronee du monde du telespectateur assidu, change les opinions (le focus sur les 
anti-mariage gay, parce qu’ils faisaient spectacle contrairement a ceux qui etaient satisfaits, 
a entraine le reveil de l’homophobie), accroit le symptome du grand mechant monde ; et fait 
percevoir par contraste les initiatives sans spectacle generant un bonheur tranquille chez autrui 
comme « bisounours ». 


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— Les politiques qui manipulent et scenarisent les evenements sont favorises contraire- 
ment a ceux qui sont honnetes. 

— Les politiques qui font des scandales, qui sont tapageurs ou qui creent des polemiques 
sont favorises. A l’inverse, ceux qui sont respectueux de leur adversaire sont ignores. 

— Les politiques qui parlent des problemes concrets et apportent des solutions concretes 
sont defavorises au profit de ceux qui accusent autrui. 

— Les actualites concernant des problemes dilficiles a illustrer sont ignorees : Snowden et 
globalement toutes les problematiques du Net qui ne concernent pas les lamas dans le metro/ 
le terrorisme/la pedophilie/la drogue, ne sont pas abordes. II en est de meme pour les proble- 
matiques intellectuelles, certaines questions scientifiques ou philosophiques qui sont evincees 
par manque de spectaculaire ou parce que le media suppose que le spectateur n’a pas le bagage 
intellectuel pour les comprendre. 

Les medias ont done instaure la loi du spectacle : si on veut etre entendu par eux, qu’ils 
daignent s’interesser a notre message, il faut se mettre les seins nus, detruire et etre violent, 
exprimer des sentiments tres forts (haine, colere) et surtout ne pas avoir un message trop com- 
plique ou meconnu. Meme l’infiltration de Greenpeace dans une centrale nucleaire, prouvant 
les multiples defaillances du systeme, n’etait pas ete assez spectaculaire pour mobiliser coniine 
il se doit les medias. 

Les medias poussent les citoyens, les activistes, les politiques a mentir, se mettre en scene, 
a etre tapageur, a favoriser les apparences plutot que le fond. 

L’ intelligence, la finesse, la subtilite, l’astuce, le pacifisme, la tranquillite, la reflexion, le 
calme, la positivite, la sagesse n’ont pas leur place a la television : les medias annihilent toutes 
ces qualites de leur retranscription du monde (bien qu’elles soient heureusement presentes) et 
cela a pour consequence de rendre le telespectateur cynique, paranolaque, misanthrope, fata- 
liste, apathique (a quoi bon faire quelque chose s’il n’y a rien de bon dans le monde), les me- 
dias renforcent l’idee que l’homme est un loup pour l’homme et que la seule solution est d’etre 
soi-meme loup. C’est la un des plus grands formatages que nous avons constate : a force d’etre 
soumis a une version tronquee du monde (c’est-a-dire videe de son versant positif, intelligent, 
creatif et actif), les personnes pensent que l’humanite est profondement mauvaise, idiote, in- 
sensee, mediocre. Ce formatage touche tout le monde et la seule solution est de completer sa 
vision du monde par tout ce que les medias ignorent, a savoir chercher la bonte, 1’ intelligence, 
les revolutions tranquilles, les pacifistes et les sages. Ils existent. Ils agissent. 


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Le media ne fait pas de l’info-spectacle pour rien, il n’est pas le seul a avoir pris cette 
decision : 

— II le fait pour retenir 1’ attention : le spectateur doit rester devant la chaine pour pouvoir 
absorber la prochaine publicity. Le media fait done de 1’ info-spectacle (Infotainment) pour 
garder ses annonceurs et les satisfaire. Plus le media vide ces informations de leur fond pour 
ne garder que le spectacle, plus il facilitera l’absorption de la pub tout en s’assurant d'avoir une 
bonne audience en parlant de sujets relativement importants. Faire de l’info-spectacle permet 
de gagner toujours plus d’ argent. 

— Notre attention est captee par des stimuli exceptionnels. Nous sornmes ainsi faits pour 
survivre : on detecte instantanement un element anormal ou etrange, parce que cela pourrait 
etre une menace (catastrophe, tuerie, mouvement de foule...) ou un avantage (tout ce qui est 
lie a la nourriture ou a la sexualite par exemple). Cette attention automatique est presque aus- 
si automatique que le fait de respirer : il n’y a pas a s’en culpabiliser, et de toute maniere, la 
culpabilite ne resoudrait rien. Mais plus un stimulus est present dans l’environnement, mo ins 
on va y accorder de 1’ attention : par exemple, si on sortait dans la rue et qu’on voyait une 
personne se balader nue, notre attention serait stimulee, on se poserait un tas de questions et, 
meme si on n’aurait pas le regard focalise sur la personne nue, 1’ affaire nous preoccupera, car 
extraordinaire. Mais si on vit dans un camp de nudistes, apres quelque temps, on se fichera 
totalement des corps nus, on sera peut-etre plus preoccupe par le temps ou ce qu’on va manger 
au prochain repas. 

C’est ce qu’a fait la television : progressivement, elle a amene des stimulus qui nous eton- 
naient, mais leur presence repetee leur faisait perdre toute force attentionnelle. On ne s’etonne 
plus du sang, de la nudite : ce n’est pas signe d’un manque d’empathie, c’est simplement que 
1’ image etant presente tout le temps dans notre petit ecran, le cerveau conclut qu’elle n’est pas 
un stimulus extraordinaire, que c’est une situation nonnale. 

Alors le petit ecran, comine on le verra surtout dans la partie divertissement, a cherche a 
trouver d’autres stimulus extraordinaires, escaladant la montagne du trash arguant que c’est ce 
que souhaitait le telespectateur. Or c’est une enorme confusion entre « ce qui interesse » et « ce 
qui retient l’attention ». La TV, en escaladant la montagne du trash ne fait que s’appuyer sur un 
mecanisme automatique du cerveau, elle exploite des reflexes mentaux et cela n’a rien a voir 
avec ce qui motive l’ensemble d’un cerveau, cela n’a rien a voir avec « ce qui nous interesse ». 
Cependant, on le verra, les gens en sont venus a confondre ce mecanisme automatique avec 
leur interet : beaucoup pensent que si leur attention est attiree sur un sujet par le biais de cette 
exploitation des reflexes mentaux, c’est qu’ils s’interessent au sujet. 

Le JT exploite aussi ce reflexe mental de l’attention sur les stimulus extraordinaire : c’est 
aussi pour cette raison qu’il ne traite que de l’extraordinaire. 


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■ Si les autres en parlent, c’est qu’il faut en par- 

LER. 

Quand on compare les differents JT, il est frappant de constater a quel point leurs news sont 
identiques : ils parlent tous des memes faits, des memes sujets, sensiblement dans le meme 
ordre. Les seuls sujets qui different sont des informations peu importantes ou culturelles. 

« Ils ont peur de s’ecarter du troupeau. C’est rassurant, de traiter les memes 
themes que ses confreres, de les retrouver chaque matin parce qu’on “couvre” 
les memes evenements. Jusqu’a en penser la meme chose, quand on ne sait pas 
trop quoi penser soi-meme » 

Daniel et Clemence Schneidermann, C’est vrai que la TV truque les 

images ? , A I b i n Michel, 2008 

Le directeur du site d 'Arret sur images parle de « suivisme » ; les psychologues parleraient 
plutot de tendance au conformisme ou de biais de conformite : cela designe la tendance que 
nous avons, parfois, a delaisser notre propre raisonnement pour rallier l’avis de la majorite. Et 
cela, meme si la majorite a tort et qu’on le sait pertinemment : 

Asch (1951) le sujet doit evaluer la longueur d’une ligne et dire, dans une 
autre serie a laquelle elle correspondait. Le test est simple, sans equivoque : 
ainsi, le sujet, seul avec fexperimentateur, donne toujours la bonne reponse. II 
n’y a que 1 % d’echec. Mais Solomon Asch fait passer le test en groupe, jusqu’a 
9 sujets presents : ils sont tous complices de fexperimentateur, il y a toujours 
un seul vrai sujet. Les complices ont pour consigne de donner une tres mauvaise 
reponse, qui ne peut qu’etre que consideree comine mauvaise (dire que deux 
lignes ayant 5 centimetres d’ecart sont identiques). 

Le sujet comptabilisera cette fois-ci 36 % d’echec au test : il a manifes- 
tement ete influence par le groupe, meme s’il ne le reconnait pas (les sujets 
justifient leurs erreurs en disant avoir mal vu). Cest l’expression meme d’une 
tendance au conformisme, meme quand la majorite se trompe manifestement. 

Il y a eu de recentes decouvertes sur ce conformisme, et cette tendance s’ observe dans 
une structure cerebrale nominee insula. L’ insula est connue pour centraliser des infonnations 
emotionnelles provenant du corps. Elle s’active quand l’individu sent peser une menace d’etre 
exclu du groupe auquel il appartient. On a done des pressions sociales (a la television, l’audi- 
mat, le fait de devoir plaire a tous ; le fait de rester dans la ligne editoriale/l’ADN de la chaine ; 


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le fait de ne pas passer a cote d’un evenement dont les autres journalistes auraient parle ; etc.) 
exercees par differents groupes (la chaine, la hierarchie dans la chaine, les autres chaines, 
le groupe joumalistique, les telespectateurs) sur les differents journalistes et creant une peur 
d’etre marginalise, voire exclu des differents groupes. On a done une selection et un traitement 
des informations bases sur des craintes. 

Du cote des telespectateurs, la perte est evidente : des dizaines d’infos sont relayees au pla- 
card, des infos qui pourtant les interesseraient sont etudiees en 10 secondes. . . C’est une forme 
de « censure douce ». Le resultat est une uniformisation de l’information : tout le monde se 
copiant, on a presque la meme chose sur toutes les chaines, a quelques nuances pres. Le monde 
contient plus de 7 milliards d’habitants (a l’heure ou nous ecrivons ces lignes) et cela sur des 
continents aux climats et moeurs differents : il est evident qu’il se passe suffisamment de choses 
pour qu’on puisse faire des JT radicalement differents. 

Done... 

II n’y a plus besoin des JT pour s’ informer. Si vous voulez trouver les infonnations qui in- 
teressent les medias traditionnels, faites comine leurs journalistes et chefs de redaction : lisez 
Le Parisien 49 et jetez un ceil sur l’AFP. C’est leurs premieres sources d’informations, ils en tirent 
leurs infos, ils les copient, ils s’en inspirent, etc. 

Si vous souhaitez des infonnations que les medias classiques n’ont pas abordees, il faut 
aller trouver la ou se nichent les journalistes independants, e’est-a-dire souvent sur le Net. Rien 
ne vous empeche a present de jouer a l’apprenti journaliste pour trouver l’info : il suffit de s’y 
mettre, d’etre tenace, d’avoir l’esprit critique, d’etre un peu malin, de savoir lire l’anglais et vous 
pourrez vous atteler a decortiquer des kilometres de documents. 

Quant aux journalistes, pour se liberer de cette tendance au confonnisme, il n’y a qu’une 
solution : Tindependance ou choisir un media qui respecte cette independance, qui la valo- 
rise. Votre metier peut etre essentiel au monde, cependant si l’organisation du media vous 
bride, empeche votre travail, empeche l’exercice de l’audace et de l’intelligence « qui pique », 
barrez-vous et trouvez une solution pour exercer correctement votre metier et ne plus etre un 
vulgaire subalterne obeissant. Vous perdrez peut-etre vos reperes et une partie de votre salaire, 
mais conquerir la liberte de bien exercer son metier ne peut etre qu’un bienfait : pour la bonne 
raison qu’on vit mieux sans conflit mental, sans deni, sans conflit ethique et surtout, avec du 
sens et de la coherence. Et vos lecteurs/auditeurs n’en seront que mieux in formes. 

■ Si c’est un copain, on en parle. 

Certains invites du JT semblent revenir sans cesse en interview. De meme, leur dernier 
ouvrage/film/concert/spectacle est toujours aborde sur telle ou telle chaine avec un positivisme 
effarant : e’est la loi de reciprocite qui est a l’oeuvre. 

49 source : Ollivier Pourriol, On/Off, Nil, 2013. 


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L’invite/le politique a un jour fait une faveur a la chaine/au joumaliste, done la chaine/le 
journaliste lui fait une faveur en lui accordant un sujet, un temps de parole... 

Derriere le JT, les personnalites de tout genre copinent avec les joumalistes et inversement. 
Cest un processus qui peut se faire naturellement : les joumalistes politiques sont amenes, de 
par leur metier, a passer beaucoup de temps avec ceux-ci, ils nouent done naturellement des 
liens, parce qu’on ne peut pas vivre aupres de quelqu’un en gardant continuellement de la dis- 
tance. Alors, ils finissent par s’echanger des faveurs, ayant chacun des pouvoirs particuliers. 
« Tiens, suis-moi en voyage en Guadeloupe », « merci, voila un beau reportage sur toi en Gua- 
deloupe ! ». Et ainsi de suite... 

La loi de reciprocite est evidemment totalement orchestree dans de nombreuses situations : 
un homme politique qui invite a diner un journaliste ne le fait pas par simple amitie, il sait que 
s’il ofifre cette faveur au journaliste, le journaliste, par loi de reciprocite, le trouvera obligatoi- 
rement plus sympa qu’avant le diner, et sera done plus conciliant avec lui lors de futurs papiers 
ou interviews. 

Mais les joumalistes peuvent faire le premier pas dans cette loi de reciprocite, en pondant 
un reportage particulierement favorable au politique et ainsi l’avoir dans ses petits papiers : il y 
a ainsi plus de chances qu’il ofifre des informations exclusives. 

Les consequences sont nombreuses : 

— Les joumalistes ont, individuellement, tout interet a se lier d’amitie avec leurs « fournis- 
seurs d’actualites » et a les brosser dans le sens du poil afin d’acceder a des infonnations plus 
ou moins confidentielles, ou pour avoir certaines infonnations plus vite que leurs collegues 
utilisant moins leur reseau. 

— C’est la personnalite qui manipule le plus les joumalistes qui sera la mieux vue dans les 
medias. 

— A l’inverse, les personnalites qui se preoccupent plus de leur travail en lui meme et qui 
ne « gerent » pas leurs relations seront defavorisees. 

— Ce sont done toujours les memes artistes et personnalites, avec les memes joumalistes, 
qui sont sur le devant de la scene : un inconnu, meme brillant, competent, creatif, innovant, aura 
beaucoup de mal a parler de lui, sauf s’il a des relations dans le milieu. 

— Les joumalistes, a force de jouer ou d’etre pris au piege de la loi de reciprocite perdent 
toute objectivity et ne peuvent pas faire leur travail correctement : on ne pose pas de questions 
delicates (mais essentielles) a un ami qui vous a tant donne... 


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La ou reside le noeud du probleme, c’est que le journaliste et son media ont besoin de 
contacts pour exercer leurs metiers. S’il ne joue pas le jeu de la reciprocity, il se fait beau- 
coup d’ennemis puissants (les politiques) ce qui ne plaira pas du tout au media pour lequel il 
exerce. 

Le journaliste se doit done d'etre astucieux, trouver des alternatives a la recherche d'infor- 
mations : obtenir des informations exclusives parce qu'on est copain coniine cochon avec un 
hornme politique a un cout, celui d'une soumission inconsciente aux desirs de l'homme poli- 
tique, et on ne pourra plus jamais parler objectivement de lui et ses actions. Cependant, cela 
ne semble pas gener les chaines, mais les citoyens ne sont pas dupes : la soumission se voit et 
c'est, entre autre, a cause de celle-ci que les journalistes sont tant detestes par la population. 
Parce qu'eux aussi, ils nous ont abandonnes. 

Quant a nous, difficile parfois de saisir ces liens caches. Des fois, c'est criant : quand 
Pernault a les yeux qui brillent devant Sarkozy, qu'il est triste lorsqu'il joue la tristesse, il est 
extremement facile de voir qu'il est dans l'affectif et dans l'admiration sans limites, tres loin 
de l’objectivite. Mais l’attitude inverse est tout aussi dangereuse : si un journaliste soupire, 
denigre, ne cesse de poser des questions-chocs tres provocatrices, on peut soupQonner que 
l'homme politique n'est pas de son cote/avis/camp, done l’interview est utilisee cornme une 
anne, ce qui n'est pas non plus tres fin et ne donne pas de bons resultats. On l’observe souvent 
quand Marine Le Pen est invitee : les journalistes la detestent, on les comprend. Mais cette 
haine occulte leur intelligence, les prive de sagacite et de reflexion quant aux thematiques 
qu'ils pourraient aborder : done Le Pen a les pleins pouvoirs et n'a qu'a rebondir sur leurs 
erreurs, ils lui offrent ainsi un tapis rouge. 

Done... 

Il faut se raccrocher aux faits, aux preuves irrefutables. Pour les artistes, pour les decou- 
vrir ou en savoir plus sur eux, il faut creuser dans leur oeuvre. Les interviews et les critiques 
peuvent etre interessantes a posteriori, quand on a aborde leur oeuvre un minimum. Sinon, 
cela reste de la publicity et on n’a pas besoin de pub : laissez votre curiosite vous guider sur 
internet ou dans les bibliotheques, vous n’avez pas besoin de la television pour vous dire quoi 
lire, quoi regarder, quoi ecouter. Votre curiosite sera bien meilleure conseillere. De plus un 
artiste n’est pas forcement un bon representant de son oeuvre, hors de son contexte artistique. 
Ou au contraire, un artiste peut etre excellent en interview, mais son oeuvre creuse et sans 
interet. Lady Gaga a un sens de la representation et de la communication indeniable ; quant 
a son « oeuvre »... 

Concernant les politiques, mieux vaut se raccrocher aux actions concretes qu'ils ont deja 
realisees et aux actions concretes qu'ils proposent. « Baisser le chomage » n’est pas une action 
concrete par exemple, c'est de la pub. C'est exactement cornme la lecture de l'emballage d'un 
produit : d’un cote vous aurez « yaourt fruits, en manger c'est gagner en sante » et de l'autre 
la description objective du contenu qui vous apprendra que c'est un vulgaire yaourt tres sucre 


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sans fruits avec juste des colorants et des aromes, mais pas l’ombre d’un seul ingredient parti- 
culierement bon pour la sante. II faut tenter de trouver la description objective des propos des 
politiciens, et ce n’est pas evident, parce que seule sa pub est mise en avant. Un bon exercice 
a faire est de prendre un cahier et un stylo devant une interview politique et de prendre uni- 
quement en note ce qui a trait aux actions concretes que propose le politique : on parie que la 
feuille ne sera pas tres remplie, parfois elle restera blanche. 

En resume, prenez les renes de l’infonnation : allez la chercher vous-meme, allez vous 
renseigner sur les absents des medias et ne vous laissez pas dieter ce qui est important et ce 
qui ne Test pas. 

■ On ne scie pas la branche sur laquelle on est 

ASSIS 

Les medias ne parlent pas de ce qui met vraiment a mal les fondements de la chaine. 
Pas de critique acerbe de l’industrie du foot et du cine chez Canal +, pas d’enquete aupres de 
Bouygues pour TF1, pas d’ode a l’anarchie pour les chaines nationales, etc. Rajoutons a ces 
differentes autocensures particulieres tout ce qui mettrait a mal le financement par la pub : on 
ne critique pas la societe de consommation, les pratiques des marques, on ne denonce pas la 
consommation ostentatoire, on ne parie pas de l’obsolescence programmee... Cela fait des di- 
zaines de sujets pourtant primordiaux qui ne seront pas abordes, ou d’une fag on qui en denigre 
l’importance. 

Les consequences sont la aussi terribles : 

— Etant donne que le media vit grace a une certaine mecanique liee a la societe de consom- 
mation, il n’a aucun interet a la remettre en question : il ne mediatisera pas les alternatives, 
done le spectateur pense qu’il est impossible de sortir de cette mecanique ou que cela serait 
nefaste pour lui. Cest faux : c’est le media qui, par son autocensure, fait croire a l’absence 
d’altematives et c’est pour le media que le changement est problematique (car il faudrait qu’il 
se repense totalement). 

— Le spectateur est soumis a un certain pret-a-porter ideologique, il se pense libre de ses 
choix, que ses choix sont tout a fait differents de ceux de son voisin. Or, aucun parti ne sort 
du pret-a-porter ideologique en cours et les extremes melangent la perpetuation d’ideologies 
en vigueur avec celles du passe, dont l’histoire a tres largement prouve leur dangerosite. Per- 
sonne ne remet en cause le travail, la croissance, la gouvernance par un etat, etc. Pourtant il 
y a d’autres solutions, d’autres idees qui ont meme ete testees et approuvees par les citoyens : 
mais personne n’en parie parce que tous les homines politiques, les medias, les groupes prives 
puissants y perdraient de leur pouvoir. 


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Les alternatives existent, avec efficacite et plus-value pour les citoyens, mais personne n’en 
parle parce que tous les puissants y perdraient. Done on laisse le spectateur dans ce faisceau 
ideologique qui satisfait finalement tous les partis et les puissants. 


Done... 

II est evident qu’il faut aller chercher ailleurs l’information, la ou le financement n’est pas 
assure par la pub ou d'autres interets politiques/commerciaux. 

Mais il est egalement necessaire de parler haut et fort de ce dont les medias ne parlent pas : 
il faut creer un contre-pouvoir d’informations, d’idees. II faut valoriser les initiatives qui sortent 
de notre statut de consommateur/citoyen, il faut denoncer les fonnatages, il faut donner tous 
les conseils qu’on peut donner pour se liberer de notre servilite, entretenue largement par les 
politiques, les groupes prives et les medias. 

La simple reactance, le « pas d’accord » devant la news du 20 heures ne suffit pas, au 
contraire, il entretient meme le systeme parce qu’il reste dans le cadre du "tous pourris" pose 
par le media. Il faut parler d’autre chose, etre creatif, aller chercher ailleurs, reveiller son ima- 
gination et sa curiosite et, enfin, de s’y rallier. 

Le Net pennet 9 a. 

Cependant, les puissants y ont deja largement pris place : si le Net etait une ville, les 
puissants y auraient les larges boutiques dans les grandes avenues aseptisees. Facile d’acces, 
attrayantes, familieres, populaires et d’apparence bienfaisantes. Les trams de Google nous y 
emmeneraient a toute vitesse et on pourrait passer nos apres-midi dans ces avenues sans se 
lasser ni avoir la curiosite d’aller visiter le reste de la ville. Cependant, ce sont dans les petites 
ruelles qu’est ne le web : des petites ruelles glauques, bordeliques, avec leurs GIFs de mauvais 
gout et leurs pubs pour du pomo. C’est dans le foutoir que se nichent les petits tresors, les crea- 
tifs, les revoltes, les originaux, les debats independants de l’influence des puissants (quoiqu’on 
apercoive de grands changements en ce moment), et tous ceux qui font la difference. Cest au 
coeur de ce foutoir qu’on se rallie, qu’on s’echange de personne a personne, qu’on decouvre 
l’etranger, qu’on construit notre futur. 

Les petites ruelles sont de plus en plus dures a trouver, tant les geants, medias cornme com- 
merciaux, ont envahi le web de leurs produits, occultant les petites perles libres. 

Notre attention se monnaye : nos yeux decident de ce qui est important ou pas. A nous de 
reprendre le controle sur ce a quoi on veut s’interesser et d’aller voir ce qui merite d’etre vu. 


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@medias/Actualites/Formatage 


On a deja elague bon nombre de mecanismes, de methodes utilisees par les medias forma- 
tant la population. On le repete encore une fois, qu’ils le fassent volontairement ou non n’est 
pas notre question, car y repondre n’apporte pas de solutions concretes pennettant le change- 
ment. Resumons done tous les formatages induits par les medias que nous avons deja abordes. 

— « consommer beaucoup est une bonne chose », « la croissance est necessaire », « le 
travail c'est la vie », « ne pas travailler est une catastrophe », « les apparences sont primor- 
diales », « la societe actuelle est bonne pour nous », « les alternatives a notre societe sont dan- 
gereuses/nous privent de confort/sont utopiques », « les alternatives sont impossibles », « les 
seules alternatives sont la droite/la gauche/l ’extreme droite/voire 1 ’extreme gauche », « ceux 
qui souhaitent le changement sont des illumines/drogues/jeunes immatures/extremistes », etc. 
Cela fait bon nombre de fonnatages, mais si nous les avons ainsi regroupes, c’est qu’ils sont lies 
les uns aux autres : pour augmenter la croissance il faut travailler beaucoup et done depenser 
beaucoup = le travail est bon, consommer est bon. Les medias sont generalement d’accord avec 
cette ideologic sous-jacente a la societe de consommation, car le media est un rouage essentiel 
a cette mecanique de la societe. II en fait partie integrante. II autocensure ou deforme tout ce 
qui pourrait le mettre en danger et cree finalement une representation du monde tronquee qui 
sert son propos : le telespectateur voit son champ de vision des futurs probables reduits a cer- 
taines thematiques n’allant que dans le sens de la societe de consommation. Done, a force de 
consommation de television, il peut etre convaincu des ideologies vehiculees par le media qui 
s’exprime par des comportements et des desirs d’avenir allant dans le sens de ces ideologies : 
avoir plus d’argent pour s’acheter telle ou telle chose (done, travailler plus), rever de gagner au 
loto pour s’acheter tout ce qu’on desire, economiser pour acheter des voyages, prendre des cre- 
dits pour etre son propre patron et avoir plus d’argent, avoir de l’argent pour etre aussi beau que 
tel acteur, etc. Et les gens sont malheureux, en toute logique, parce que toutes ces propositions 
manquent cruellement de sens. 

— « passer a la television = signe de competence = personne digne d'interet =fait impor- 
tant dont on peut se vanter ». Or la presence d’un individu sur un plateau est souvent signe de 
copinage done pas de competence. Ou c’est une question de spectacle : l’invite est choisi pour 
sa capacite a distraire, done on le verra plus tard, il est souvent choisi pour son idiotie, son 
ridicule, sa capacite a ce que le public puisse le lyncher. 

— « les medias font le tour des infos et si tout le monde parle de la me me chose, c'est 
parce que ce sont des infos importantes ». Il y a des faits evidemment incontoumables. Mais 
beaucoup d’informations primordiales passent a la trappe faute de spectaculaire ou par manque 


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d’audace. Les journalistes/redacteurs en chef sont tout simplement conformistes et ont peur. 

Le probleme c’est que le spectateur est formate a croire que le media classique donne un 
apercu exhaustif et complet de l’actualite du monde. Or il est completement influence par bon 
nombre de facteurs : le media est manipule par les politiques, il est influence par ses propres 
opinions, il a peur de faire decrocher l’attention, il s’autocensure, etc. 

— « le monde entier marche sur la tete ». Le media, en ne choisissant que le spectaculaire, 
du paysan demeure a l’activiste drogue, donne une image completement taree du monde. On 
n’y voit que les violents, les idiots, les ridicules, les fous, les insenses et tous ceux qui repondent 
aux prejuges (le jeune immature, l’arabe musulman de la cite, le paysan incomprehensible, 
la vieille raciste,...) : ainsi tous les gens qui sortent des cases, sont nonnaux, intelligents ou 
creatifs quelles que soient leurs categories socioprofessionnelles, leurs origines ou le contexte 
dans lequel ils sont plonges ne sont jamais mis en lumiere. Le resultat est que le monde humain 
semble empli de degeneres, d’idiots, de violents et d’extremistes, or c’est juste la representation 
qu’en donne les medias, pas la realite. 

— « il ne se passe que des choses epouvantables a Vetranger ». Comine les medias n’y 
consacrent que quelques minutes, ils n’en parlent que pour ses news les plus catastrophiques : 
guerres, terrorisme, catastrophe naturelle, tueries... L’etranger reste ainsi totalement etranger, il 
fait peur, il est craint, ces habitants semblent completement differents de nous. Cela participe a 
renforcer le racisme et les prejuges. 

— « le JT donne des informations vraies et des arguments solides et verifies ». Non, les 
medias (surtout la television) se font manipuler par les politiques, propagent des etudes/chiffres 
corrompues a la source, ils deferment la realite en transformant n’importe quoi en spectacle, ils 
deferment des evenements mineurs pour les rendre spectaculaires, ils choisissent les sujets en 
fonction de leur capacite a retenir l’attention, etc. Verite ou pas, tout est deforme, transforme 
pour finalement livrer quelque chose qui n’a plus grand-chose a voir avec la realite, done qui 
ne peut pas etre totalement vrai. 

Meme si l’autorite des medias est tres remise en cause par la population qui a de moins en 
mo ins confiance en eux, la reactance systematique est egalement fonnatee : renier les sujets, 
critiquer ses arguments e’est tout de meme rester dans le sujet et le prendre avec la meme atten- 
tion que celui qui y croit en bloc. 

— « Le monde est dangereux, il faut y remettre de I'ordre avec intransigeance » ou « le 
monde va extremement mal, il nous faut quelqu'un qui y mette de I'ordre et qu'il n'y ait aucune 
tolerance pour ceux qui derogent a I'ordre » « le monde va mal, les gens sont cons, il faut taper 
fort » « on vit dans un monde dur, seuls les durs s' en sortiront » « ceux qui pensent encore que 
I'humain est bon sont des cretins/des bisounours/des utopistes ». Ce fonnatage « brutaliste » 


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est le plus fort, le plus important et le plus dangereux pour notre societe. II decoule directement 
de la peur engendree par les medias, peur artificielle qui donne des interpretations erronees 
du monde autour de nous. C’est egalement un formatage qui a ete etudie par les chercheurs en 
psychologie et qui est reconnu en tant que « syndrome de grand mechant monde » . 

■ LE SYNDROME DU GRAND MECHANT MONDE 

[nous avons fait une video sur le syndrome du grand mechant monde : https://www.you- 
tube.com/watch ?v=8 WiiqssAME4 ] 

Les psychologues et autres chercheurs se sont tres souvent interroges sur la violence a la 
television : est-ce que la television rend violent ? Ou est-ce que les gens violents sont attires par 
la violence offerte a la television ? Les resultats de ces etudes ne sont pas concluants. Certaines 
prouvent le lien avec la violence et la television, d’autres au contraire prouvent que regarder un 
film violent peut faire effet de catharsis. Mais ce dont les chercheurs sont certains, c’est qu’une 
forte consommation de television (au-dela de deux heures par jour) cree un « syndrome de 
grand mechant monde » auquel les actualites participent, avec evidemment tous les reportages, 
enquetes sur les serials killers, les meurtres et le dur travail de la police confronts a l’horreur 
chaque minute, etc. 

« George Gerbner a demande a des volontaires combien d’heures ils regar- 
daient la television par jour, et leur a ensuite demande d’estimer la probabilite 
d’etre la victime, dans une semaine de vie normale, d’une agression dans la rue. 

II a constate que les personnes regardant le plus la television (au-dela de quatre 
heures par jour) estimaient cette probabilite a 50 pour cent, alors que la proba- 
bility reelle, dans le cadre de cette etude, etait de l’ordre de 1 pour cent. Ainsi, 
les telespectateurs surestimaient d’un facteur 50 la dangerosite du monde reel, 
a partir de l’image que leur en donnait la television. » Sebastien Bohler, 150 
petites experiences de psychologie des medias, Dunod, 2008. 

Une autre etude confinne le ben entre peur et consommation de television : 

« Dans une etude portant sur 450 collegiens du New Jersey, le psychologue 
Joseph Dominick a interroge les enfants a propos de leurs pratiques televisuelles, 
ce qui l’a conduit a les classer en deux groupes de telespectateurs, “assidus” et 
“occasionnels”. II leur a ensuite demande d’imaginer qu’ils marchaient seuls 
dans une ville la nuit, et de decrire les sentiments qu’ils eprouvaient. Comme 
on s’y attend, les telespectateurs assidus ont decrit plus de sentiments de peur 
et d’ apprehension que les telespectateurs occasionnels, mais il restait a prouver 


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que c’etait bien la television qui les rendait peureux. J. Dominick a alors consti- 
tue deux groupes de collegiens et les a soumis a deux regimes televisuels : le 
premier groupe etait soumis a des doses intenses de television, le second a des 
doses plus moderees. 

II a ensuite fait passer des questionnaires a tous les collegiens, afin d’evaluer 
leurs reactions de peur dans une multitude de situations de la vie, que ce soit a 
l’ecole ou en dehors. II s’est avere que les collegiens du premier groupe deve- 
loppaient des reactions de peur bien superieures a ceux du deuxieme groupe. 

Cette experience montre ainsi que c’est le spectacle repete des programmes 
de television qui modifie l’attitude des telespectateurs face a diverses contrarie- 
tes de la vie, en les rendant plus peureux. » 

Sebastien Bohler, 150 petites experiences de psychologie des medias, 

Dunod, 2008. 

La television deforme la perception du monde en mettant le focus sur les drames, les 
meurtres, la dangerosite de notre monde. Elle engendre la peur, l’anxiete. Et la peur n’est pas 
une bonne conseillere : 

— Le cortisol libere par la peur empeche le fonctionnement optimal des zones frontales 
du cerveau : ces memes zones qui servent au traitement rationnel de l'information. Quand on a 
peur, on reflechit forcement moins bien. 

— La peur est une reaction d’urgence : on a peur pour immediatement s’enfuir face a un dan- 
ger par exemple. Done, les infonnations effrayantcs sont automatiquement considerees cornme 
vraies, parce que les situations liees a la peur sont naturellement peu propices a la reflexion. 
Done, pour que le media fasse croire une information, il lui suflflt de dramatiser l'information. 
Et c'est ce qu'il fait tout le temps. 

Poison mental, le cumul des images de pedophiles, de serial killer, de bebes morts, d’ enle- 
vements, de criminalite cree un socle de pensee chez le telespectateur : le monde est horrible il 
faut y mettre de l’ordre, il faut taper du poing sur la table pour regler ce Mai. Apres avoir inocu- 
le le poison, la television propose l’antidote le plus denue de reflexion profonde : elle valorise 
aussi les documentaires sur la police, sur les services de securites, sur l’ordre par la repression 
vive, sans jamais s’interroger sur l’origine et les causes de la criminalite. Elle cree l’illusion 
de 1’ insecurity totale puis preconise implicitement la solution : un etat securitaire, surveille par 
de nombreuses cameras de surveillance et autres precedes. Il le faut, car vous avez 50 % de 
chances de vous faire agresser durant la semaine. 

Ah non... un seul pourcent seulement. 


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■ BESOIN d'ordre 

Ce « besoin d’ordre » est une consequence directe du syndrome du grand mechant monde. 
Puisque le monde est chaos, qu’il nous terrorise, il faut y remettre de l’ordre et de la securite. 

« Le psychologue Peter Fischer a reuni des volontaires et leur a distribue 
des coupures de presse faisant etat d’une forte menace terroriste dans le pays. 

Puis il leur a distribue un autre document relatant le proces d’un voleur de voi- 
tures, et leur a demande de proposer une peine pour ce delinquant. Les resultats 
ont montre que les volontaires ayant lu les coupures de presse sur la menace 
terroriste ont propose des peines de prison bien plus lourdes a l’encontre du 
delinquant que des personnes ayant lu des articles plus moderes sur le risque 
d’attentat terroriste. Ces volontaires avaient ete impressionnes par la menace 
terroriste lue dans les journaux et avaient reagi par une plus grande fermete 
a l’egard de perturbateurs de l’ordre public au sens large, meme si le champ 
d’action de ces perturbateurs n’etait aucunement lie a la menace. 

Une autre partie de l’experience a repete ces resultats avec des photogra- 
phies de reportages faisant apparaitre des victimes d’attentats. Dans l’ensemble, 
cette etude a done revele que la perception d’une menace terroriste rend plus 
intransigeant vis-a-vis de debts qui, pourtant, n’ont aucun rapport avec la me- 
nace terroriste en elle-meme.» 

Sebastien Bohler, 150 petites experiences de psychologie des medias, 

Dunod, 2008. 

Ainsi, meme si ce voleur n’a rien a voir avec la menace terroriste, le climat engendre par 
la presse rend plus dur envers ceux qui contreviennent a l’ordre. 

La dramatisation cultivee par la television a done des consequences lourdes sur les com- 
portements des telespectateurs : elle modifie leur jugement, meme sur les sujets differents. 
Evidemment, c’est la politique qui ensuite exploite la peur generee et qui permet aux gouver- 
nements d’imposer des lois securitaires liberticides, detruisant la vie privee sans que personne 
ne se plaigne. 

■ Perception faussee et phobies 

Imaginons la possibility que cet avion que vous voyez dans le ciel s’ecrase. Tout un tas 
d’images vous viennent, il est probable meme que celle du 11 septembre vienne s’insinuer 
dans vos pensees. Cette petite trainee blanche dans le ciel devient soudainement tres mena- 
cante et vous appreciez votre place, les pieds bien sur terre. Imaginons maintenant un accident 
de voiture. La aussi beaucoup d’images vous viennent, parmi lesquelles vos experiences en 


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voitures, sans doute plus nombreuses. Certes, l’accident de voiture est plus probable, mais bi- 
zarrement 1’ avion parait bien plus effrayant. Pourquoi ? 

Parce que lorsqu’on s’attele a ce petit exercice d’ imagination, on rassemble tous un tas 
d’images au sujet des avions et, sans doute pour la plupart d’entre-vous, vous avez plus d’expe- 
riences en voiture qu’en avion. Avions, dont vous aurez collectionne les images principalement 
a travers les medias, surtout lors de dramatiques accidents. C’est l’heuristique de disponibilite : 
plus vous avez d’images mentales d’un evenement (accident d’avion) plus vous avez 1’ impres- 
sion qu’il sera davantage susceptible de se produire. Cela explique, entre autres, ces phobies de 
l’avion alors que la personne n’en a jamais pris de sa vie. 

Cette heuristique de disponibilite explique aussi le syndrome du grand mechant monde : 
avec la television vous accumulez des dizaines de portraits de tueurs, vous en deduisez done 
une plus grande proportion de meurtriers parmi la population. 

■ Quand le peuple a PEUR (MAIS QU’IL ne se l'avoue 
PAS)... L’AUTORITARISME EST A LA PORTE DE LA NATION. 

Le media engendre la peur : il met en exergue des faits divers, les dramatise, en realise 
presque un film d’horreur. II emploie des expressions qui terrifient, il ne montre du monde que 
ses pires aspects. Il le fait pour capter l'attention, se rendre plus interessant. Le spectateur as- 
sidu, etant donne son temps passe devant l’ecran, collectionne plus les images des medias que 
celle de la realite et en resulte chez lui un syndrome du grand mechant monde qui appelle a 
un besoin d’ordre : c’est-a-dire plus de punitions pour les criminels, une tolerance zero envers 
tous ceux qui menacent la tranquillite publique, plus de surveillance (done acceptation qu'on 
empiete sur sa vie privee ou qu’on lui enleve des libertes), une eviction de tous ceux qui sont 
une menace (les etrangers et toute personne dont on ne comprend pas les moeurs). 

On a ici le portrait-robot de celui qui elirait un dictateur, qui serait pour l’autoritarisme au 
pouvoir. 

Plus il y a de peur dans une societe, plus cette societe sera prete a abandonner ses libertes, 
moins elle sera tolerante, moins elle pourra reflechir (la peur empeche clairement les fonctions 
superieures du cerveau d’etre utilisees de facon optimum). 

On constate ces derniers temps un racisme decomplexe, notamment sur le Net. Difficile de 
savoir s’il s’agit d’un reel retour en arriere ou si c'est un mirage entretenu par certains medias 
ou ceux qui veulent imposer leur intolerance a tous. Nous postulons que cette peur n’a stric- 
tement rien a voir avec des faits reels : les gens ont peur, car ils regardent trop la television, 
pas assez la realite ; les gens ont peur de leur avenir economique, parce qu'ils pensent ne pas 
pouvoir vivre differemment (par exemple en ayant moins d’argent), mais reportent cette peur 
sur une categorie de population. 

Il est etonnant de constater que la montee du FN s’est d’abord operee dans les petits vil- 
lages, contrairement aux grandes villes : c'est la ou il n'y a pas d'immigrants que le FN est sol- 


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licite... Pourquoi une politique basee sur le nationalisme, l’intolerance vis-a-vis de l’etranger en 
France gagne un electorat qui n’est pourtant jamais confronts a des immigrants, qui n’a aucun 
vecu positif ou negatif avec celui-ci ? II est evident que cet electorat ne se base pas sur ce qu’il 
voit par sa fenetre et sa vie quotidienne, done sa realite : il se base sur ce qui est raconte dans 
les medias. 

Un electorat qui vote en totale contradiction avec sa vie quotidienne est un electorat com- 
pletement formate et manipule. 

Pour conclure, rappelons-nous que la peur ne sert que si on a un ours en colere en face 
de soi. Elle ne sert qu’a prevenir des dangers immediats mcnacant notre vie, comine la peur 
que Ton pourrait ressentir en voyant une voiture a contre-sens roulant trop vite. La peur n’est 
valable que si elle se raccroche a des faits concrets, palpables dans le present, visibles dans 
l’immediat, relies a quelque chose de materiel ou qu’on peut sentir : les autres peurs sont des 
poisons de fame, nous rongeant inutilement, nous empechant de reflechir, nous poussant a des 
comportements idiots. Avoir peur pour la sante de la planete par exemple, ce qui est une peur 
legitime, acceptee par la societe et bon nombre de partis, est totalement inutile, infructueux : 
cette peur nous empeche d’agir, pire encore elle est consideree comine une action a elle seule 
« moi, au moins, je me sens concerne, car j’ai peur » or c’est faux. Se sentir conceme par une 
problematique n’est pas ressentir, ni avoir peur ou etre angoisse, car c’est exactement ce qui 
empeche de regler la problematique. Etre conceme n’est pas ressentir, c’est faire. Avoir peur de 
la crise economique, de la pauvrete est totalement inutile : mieux vaut mettre ses forces a ap- 
prendre a reparer des objets, faire a manger, apprendre a vivre sans le travail, s’organiser pour 
etre independant au niveau energetique, tout en gardant notre bonheur intact. II y a pas mal de 
choses a faire pour reprendre le pouvoir sur sa vie, suffisamment pour tuer tout instant de peur. 

Dans quelques annees, nous aurons le droit a de nouvelles elections. Si la peur artificielle 
continue d’etre entretenue, que les medias continuent de jouer a nous liguer les uns contre les 
autres et que cela fonctionne, ce sera le debut d’une ere tres sombre sous une houlette encore 
plus autoritaire, encore moins democratique. II semble assez urgent de se guerir du syndrome 
du mechant monde. Et cela nous conceme tous. 

<®MEDIAS/LA POLITIQUE 


« Et puis il y a une autre raison de cacher les choses [dans les medias] : par 
leur origine sociale, par leur mode de vie, pour les necessites de leur metier aus- 
si, les journalistes des grands medias sont souvent trop copains, trop familiers 
avec de nombreux pouvoirs, de nombreuses institutions, et les personnages qui 
les dirigent. Done, ils les menagent. » 

Daniel et Clemence Schneidermann, C’est vrai que la TV truque les 

images ?, Albin Michel, 2008 


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Les medias et la politique sont deux grands pouvoirs qui s’entremelent, se choquent, se dis- 
putent, s’associent, se manipulent l’un l’autre, se servent mutuellement, se confrontent. . . Leurs 
liens sont serres, que ce soit dans la collaboration cornme dans la guerre ouverte. Le spectateur 
et citoyen observe le tout via les medias, sans nulle possibility de se faire une idee autrement 
que par eux. La seule possibility pour le citoyen de se faire un avis clair sur une question serait 
de se comporter lui-meme en joumaliste, de comparer les articles, les emissions autour d’une 
question, de plancher le sujet, trouver d’autres sources et tenter de faire une synthese. Et meme 
avec ce travail-la, il ne pourrait etre sur de rien. Personne n’a le temps de se comporter ainsi, 
d’etre critique et mefiant au point de s’acharner a comprendre une question par son propre 
travail. La majority cherchera un journal, une chaine, un site qui lui convienne a peu pres sur 
toutes les questions et s’arretera a ce stade de recherche. II aura une vision de certaines infor- 
mations, sous un angle de vue particulier, eliminant tout un autre monde (le parti politique 
adverse, les medias altematifs, les infonnations dont aucun media traditionnel ne parle, cornme 
INDECT par exemple, etc.). Personne n’est dupe : personne ne s’imagine le politique honnete 
et sincere, la confiance (et cela pour n’importe quel parti) a foutu le camp depuis longtemps. 
Au final, lors d’un vote, le candidat est choisi presque par defaut, parce que l’autre on n’en veut 
pas, parce qu’on pense qu’il ne fera pas les choses qu’on veut qu’il fasse (ou inversement on le 
choisit pour qu’il ne fasse pas certaines choses qu’on craint que l’autre candidat fasse). 

Les medias ont dans ce jeu un role decisif, car c’est par eux que s’ouvre l’horizon politique 
ou qu’il se restreint. II n’y aucun autre moyen de savoir ce qu’un futur president veut faire, ce 
qu’il est et comment il envisage de mener le pays, sans se referer aux medias. On peut certes 
assister a des congres, lire les programmes, mais la encore on se tournera naturellement vers 
notre camp. Personne ne s’amusera a assister aux conferences de chaque parti. 

Done les medias. Pour voir les candidats en action. Pour voir leur comportement, leur ca- 
pacity a etre president, leurs idees et ce dont ils ne veulent pas. 

On va done etre confronte a deux mondes de pouvoir, les medias et les politiques qui savent 
leur association indispensable pour le meilleur cornme pour le pire. On verra tout au long de 
ce chapitre comment ces deux mondes se manipulent l’un l’autre, comment on retrouve la 
fameuse soumission a l’autorite (abordee dans le chapitre sur Milgram) et comment le teles- 
pectateur se retrouve manipule au sein de cette guerre froide faite d’autant dissociations que 
de confrontations. 

@MEDIAS/LA POLITIQUE/PACKAGING 


Vous le devinez, on a deja beaucoup parle des strategies de persuasion des homines poli- 
tiques : ce sont les memes qu’emploient les commerciaux, la pub et les actualites. Linage des 
homines politiques est trafiquee en amont, puis le media la diffuse telle quelle sans esprit cri- 
tique, ou en adoptant le point de vue contraire a celui attendu par les politiques (le petit journal 


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de Canal + le fait regulierement) ou re-trafique l’image (TF 1 par exemple qui fait passer une 
manif de Melenchon pour un evenement enorme, alors que ce n’etait pas le cas). 

Parlons tout d’abord de la facon dont le politique se presente au media. II faut qu'il soit 
mediatise, pour cela il est a Legal du produit de supennarche qui doit attirer l'attention du 
consommateur, sauf qu’ici c'est d’abord le media qui est cible avant le spectateur. 

— L'homme politique doit seduire. Contrairement au vendeur, il ne s'agit pas d’etre 
« beau » (quoique cela puisse jouer, car plus Hollande maigrissait durant la campagne presi- 
dentielle, plus il etait populaire), mais surtout d’avoir l’apparence de l'autorite, paraitre puis- 
sant et capable de domination. Cependant ce n’est qu'une apparence et on peut legitimement 
se demander si l’incarnation de ces stereotypes serait vraiment un bienfait pour nous, etant 
donne qu'une vraie personnalite autoritaire au pouvoir serait dictatrice. Sur cette question, il 
s'agit aussi du travail d’un biais qui nous est propre ainsi qu'aux journalistes : on semble avoir 
du mal a concevoir qu'un president n'ait pas un style autoritaire, puissant. 

— L'homme politique doit avoir une histoire. C'est ce qu’on nomine le storytelling : les 
elements de sa vie sont agences comine on agencerait une fiction. Certains faits sont gros- 
sis, d’autres oublies et le storytelling ne s'arrete pas au passe. Les evenements sont parfois 
orchestres pour entrer dans cette histoire, d’autres sont arranges pour entrer en correlation 
avec l’histoire. Cette histoire sert a justifier des actions reprouvees par les citoyens, a deriver 
l’attention vers des nouvelles dignes des peoples (afin de masquer les problemes politiques), 
a rendre plus sympathique le personnage politique, a le faire aimer plus meme en temps de 
crise, a expliquer grossierement des faits qui sont beaucoup plus compliques dans la realite, a 
faire taire des debats, etc. 

— Cette histoire et cette apparence sont correlees et associees a des concepts, des tennes 
forts (comine l'appellation du produit ou les titres racoleurs et tous les processus dissociation 
de la pub). Le personnage politique incame le slogan, en tout cas les apparences sont soignees 
dans ce but. Par exemple, Hollande est devenu Mitterrand pendant la campagne presiden- 
tielle : sa gestuelle, sa fa^on de poser les mots, sa voix... Quant a Chirac, ce sont les Guignols 
de l’info qui lui ont fait le meilleur emballage (ils ne pensaient pas que ca contribuerait a son 
election, l’equipe etant de gauche a l’epoque) : ils font transforme en sympathique amateur de 
saucisson, obsede par ses poinmes, en franchouillard bien dans sa campagne, un peu beauf sur 
les bords, un peu mafieux d’un autre cote. 

L’important, c'est la creation du personnage, d'un personnage qui se doit d’etre aussi per- 
cutant que celui d’une fiction. L'exemple de Chirac le prouve : le personnage peut etre a mou- 
rir de rire, le principal etant qu'il incarne une certaine conception de la vie, qu'il ait un certain 


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style et cela qu’importe le fond de son programme. Ce personnage est clairement une fiction, 
il tronque la realite : certes Chirac etait son personnage, mangeant du saucisson a n’importe 
quelle heure, passant un temps considerable au salon de l’agriculture, ce qui le rendait immen- 
sement sympathique. Mais il etait president, pas notre jovial voisin avec qui on prend plaisir a 
boire un verre. Et politiquement, il a trempe dans des magouilles, des sales affaires, il a fait des 
essais nucleaires... On est bien loin du simple amateur de saucisson. 

On voit done a posteriori a quel point le personnage ainsi cree peut contribuer a faire 
oublier les faits, les actions politiques reelles pas toujours aussi sympathiques du veritable 
bonhomme. 

A ce simple niveau des apparences, on conclut deja beaucoup de choses : 

— Les medias se desinteresseront du politique qui ne se scenarise pas, qui ne fait pas de 
« spectacles ». 

— Les medias prefereront les grands menteurs qui savent jouer la comedie, les personnes 
qui ressemblent plus a des personnages de fiction qu’a des personnages reels, parce qu’ils 
rendent mieux a l’ecran, attirent plus fattention. 

— Les medias prefereront l'homme politique qui sait se vendre en deux mots avec des im- 
ages fortes, mais pas forcement realistes (comme le fait a merveille la publicite) plutot que le 
politique qui chercherait a exposer rationnellement et avec toute la complexity que cela induit 
les problemes et les solutions qu'il preconise. 

— les medias, en favorisant les homines politiques acteurs/vendeurs/publicitaires de leur 
plein gre, montrent aux spectateurs un theatre politique, ce qui dedouane ces personnabtes aux 
yeux des citoyens. On les regarde comme un spectacle : c'est divertissant, mais on sait que cela 
ne menera a rien, que tout ceci est une vaste fumisterie dont nous sommes les victimes, quels 
que soient le parti et la chaine. 


@MEDIAS/LA POLITIQUE/UNE COMMUNICATION 
DE MANIPULATEUR-HARCELEUR 

Attelons-nous maintenant a ecouter un peu ce qui sort de la bouche des politiques : 

— Des arguments d’autorite et des preuves sociales. OWNI avait realise un travail for- 
tement interessant ( http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozv0 aux 
demieres campagnes presidentielles et avaient passe au crible tous ces chiffres que brandissent 


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les politiques. Sur le debat Hollande/Sarkozy, il y avait une moyenne d’un chiffre toutes les 
47 secondes (c’est dire a quel point c’est une technique utilisee par les politiques). Premier 
constat grace a ce merveilleux outil qu’etait le « Veritometre » : les politiques se trompent dans 
les chilfres qu’ils donnent. Hollande allege le bilan de Sarkozy en clamant que 80 000 postes 
dans 1’ Education nationale ont ete supprimes alors que c’est plus de 100 000, il baisse la dette 
publique. Sarkozy se vante d’avoir multiplie par 4 les energies eoliennes alors qu’il n’y a eu 
qu’une multiplication de 1,72 ; il affirme que l’education nationale c’est la moitie de la fonc- 
tion publique, alors qu’on serait plutot sur un peu plus d’ 1 sur 6 . 

Ils font des erreurs, mais les chiffres et autres arguments peuvent etre eux-memes faux, non 
representatifs cornme on l’a vu precedemment. 

— Des attaques : encore un grand classique de la communication politique qui consiste a 
attaquer le parti oppose, ses projets, ses attitudes, ses prises de position et ses decisions. Dans 
ces discours, il n’y a rien de constructif, cela peut se reduire a une moquerie cinglante et n’ap- 
porte rien au pays, ni d’idees ni de projets, pas meme un espoir. Il s’agit juste de casser l’autre 
parti et valoriser le sien. 

Cette guerre entre partis mobilise les electeurs, dans des argumentaires qui ne servent qu'a 
se moquer de l’autre en utilisant les problemes des citoyens pour se valoriser : « Les Framjais 
en ont plus qu'assez de votre politique absurde/puerile/stupide/etc., M.Machin, ils veulent 
ceci...» Sous-entendu, ce que le parti attaquant M.Machin propose. 

Il s’agit la de renforcer la cohesion du groupe en stigmatisant l’adversaire, utiliser l’ennemi 
pour affirmer sa superiorite morale, intellectuelle, voire physique. Les problemes du pays et les 
eventuelles solutions qu’il pourrait mettre en place sont completement zappes de ces attaques, 
en cela c’est du neant politique, done totalement inapproprie pour se faire une opinion objec- 
tive de ce que pourrait donner le parti attaquant au pouvoir. 

Mais evidemment, 5 a attire le public. On est exactement cornme dans une cour de recre, 
avec ces petits groupes et d’ autres groupes pris a parti pour des gaffes, des erreurs ou des at- 
titudes. Ceux du groupe moqueur se sentent superieurs en soulignant les defauts des autres, 
on aime alors etre dans ce groupe « fort ». Au-dela de cet esprit de clan qui n’apporte rien a la 
construction (ou a la reparation) de notre societe, il y a un effet psychologique qui ne doit pas 
etre inconnu aux politiques : on memorise bien mieux les arguments negatifs cornme le prouve 
cette experience : 

Bizer et Petty (2005) Deux groupes de sujets observaient chacun un mes- 
sage pour une campagne electorate Active : dans l’un on presentait le candidat 
Smith, ses qualites humaines, les vertus de son programme ; dans le deuxieme, 
on presentait aussi Smith, mais en se basant sur les critiques adresses a son 
adversaire, Bredesen. A l’issue de l’experience, les deux groupes avaient l’in- 


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tention de voter pour Smith, mais les chercheurs n’en sont pas restes la et ont 
presente a tous un message critiquant la politique de Smith. Le premier groupe 
ayant vu le message positif en premier lieu s’est rallie a Bredesen et le second 
est reste acquis a la cause de Smith. 

La conclusion est que lorsque Ton s’ attache a un candidat politique qui ne fait son eloge 
personnel, on a toutes les chances de lui rester fidele meme quand il essuie des critiques. Ce- 
pendant on pourrait arguer le fait que les sujets ayant recu le message valorisateur n’avaient 
aucune infonnation sur le clan adverse ; et inversement que l’on n’a pas non plus un portrait 
positif de Bresdesen, done un debat non equilibre en tennes d’ information. Cependant l’ef- 
ficacite de l’attaque est tout de meme prouvee : si tu attaques le premier, ca te premunira des 
attaques adverses en conservant ton electorat. Une manipulation de l’opinion, done, a base de 
techniques de cour de recre et de clans, qui tire son efficacite des parties les plus archaiques 
du cerveau, celle de la « defense du territoire » (ici son parti, son clan) propre au cerveau dit 
« reptilien » qui s’occupe de la survie. 

— Des tennes grandiloquents. 

— Des flatteries aux joumalistes et aux citoyens qui les interrogent. 

Globalement, l’homme politique communique de la meme lacon que n'importe quel ma- 
nipulateur ou harceleur. Voici quelques extraits pris de la typologie de la communication du 
manipulateur dont on parlera section travail, mais ici appliquee aux homines politiques : 

• II n’affirme rien de concret, n’est pas precis et on ne peut pas verifier ses propos. 

• II reste flou, conceptuel, approximatif : ainsi il evite les erreurs et ne laisse pas de 
prise a la critique. 

• Il laisse des vides, il repond de fa^on vague aux questions qu’on lui pose et laisse 
le champ fibre aux phenomenes de projection qui peuvent conduire a le percevoir 
autre (meilleur) que ce qu’il est en realite 

• Il seme le trouble, le doute ou laisse le champ fibre aux interpretations avec ses 
non-dits et s’offusque ensuite de ce qu’il a lui-meme genere. 

• Il saisit toutes les occasions pour faire deriver la discussion vers des sujets qui lui 
conviennent et pour gagner du temps de reflexion : 

- En ne repondant pas pleinement aux questions. 

- En reposant les memes questions. 

• Il suscite l’empathie chez son interlocuteur (sans pour autant en ressentir authen- 
tiquement, lui-meme). « vans savez, c'est pas facile d'etre president de la Repu- 
blique » 


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• II attribue des pensees ou projets ou intentions a ses interlocuteurs « je sais que 
vous etes tres preoccupe par le pouvoir d'achat » : cela permet de faire deriver le 
sujet vers un argumentaire qu’il a prepare 

• II fait semblant de ne pas comprendre, merne des faits extraordinairement simples : 
« soyez plus clair » ; « mais qu'est ce que vous entendez par la ? » ; « J’aimerais 
bien que vous m ’expliquiez, car la je ne vois pas quel est le point de discorde » ; il 
s’agit la de se donner le temps d’elaborer une strategic sur une question qu’il n’ar- 
rive pas dans l’immediat a eluder. 

• II donne des faux choix : un choix qui ne comporte pas beaucoup d’options difife- 
rentes et qui va dans le sens de ses opinions, ce qui detruit la possibility d’introduire 
des alternatives dans le discours. « Qu ’est-ce que vous preferez : que le chomage 
continue a augmenter ou qu ’on mette en place des mesures pour arreter sa pro- 
gression ? [sous entendu, la mesure est de s’attaquer aux droits sociaux] » 

• II annonce une fausse sincerity « je le dis franchement » ; « voila pourquoi je veux 
dire la verite » il s’agit d’amorcer l’aura de la franchise, qu’importe si le contenu 
est franc ou non. 

• Si l’interlocuteur l’accuse, le critique, enonce une verite qui le contrarie, il joue le 
surpris et reformule a son avantage. 

• Il utilise la violence verbale ou physique de l’interlocuteur pour le decredibiliser. 

• Il laisse la conduite operationnelle aux subalternes (aux ministres par exemple) 
pour deplacer la responsabilite sur eux en cas d’echec. 

• Il s’attribue tout le merite des reussites menees a plusieurs. 

• Il ne reconnait jamais ses torts. 

• Il feint l’ignorance pour ne pas reconnaitre ses torts ou gagner du temps de re- 
flexion dans une discussion 

• Il ne cede pas de terrain a son interlocuteur quitte a dire des choses insensees ou 
contradictoires. 

• Il se positionne en victime pour s’attirer la sympathie. 

• Il discredite en avance le clan adverse. 

• Il peut employer un langage dogmatique, tres technique pour etre incomprehensible 
et donner 1’ impression de savoir. 

• Il donne volontiers un peu afin d’obtenir ensuite beaucoup en retour. Ce sont sou- 
vent des details de sa vie privee, des confidences, des « OFF » accordes aux jour- 
nalistes. 

• Il recourt a la comparaison avec autrui pour souligner nos manquements et nous 
pousser a nous conformer a son souhait : en nous comparant a d’autres pays, par 
exemple. 

• Il affiche le sourire meme lorsqu’il est mis sur la sellette, comme si rien ne pouvait 


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l’atteindre. 

• II seme la discorde au moyen de sous-entendus qui creent de la suspicion, du doute, 
de la mefiance. 

• II n’hesite pas a mentir pour arriver a ses fins. 

• II utilise la flatterie pour seduire et s’attirer notre sympathie (ou celle des journa- 
listes). 

• II change comine un cameleon en fonction des situations, des circonstances ou de 
son public. 

• II se sert de son savoir ou de son statut professionnel et des representations sociales 
afiferentes a ce statut pour subjuguer, notamment les journalistes. 

• II cree des boucs emissaires pour eluder le partage de responsabilites dans les 
problemes complexes, pour attirer l’attention ailleurs, pour cacher d’autres pro- 
blemes, etc. 

@MEDIAS/LA POLITIQUE/ SOUMISSION ET VEN- 
GEANCE DES MEDIAS 

« [technicien du grand journal sur canal + expliquant au chroniqueur Olli- 
vier Pourriol les « regies du jeu » ] Si tu attaques un politique, il va te mordre 
plus fort. Enfin, un politique qui a du pouvoir, hein, pas un muppet show. . . Et 
quand on recoil un superpredateur de la chaine parlementaire ou gouvernemen- 
tale, en general on s’ecrase. Sinon il revient pas. C’est une symbiose. Coniine 
le remora accompagne le requin et se nourrit en lui nettoyant les coins. Une 
societe de services. Je te gratte le dos, tu me grattes le mien. 

— C’est la loi de la jungle, quoi. 

— C’est la loi de notre jungle. On attaque les petits, on flatte les grands. 

Sinon on n’est pas surs de survivre. Les politiques regulent 1’ audio visuel. Ils 
peuvent fermer le robinet. Alors on ferine notre gueule. Et si tu craches dans la 
soupe, la soupe te recrache. » Ollivier Pourriol, On/Off, Nil, 2013. 

■ SOUMISSION 

« votre article etait vraiment excellent ! » Vous etes jeune joumaliste politique, et Particle 
qu’on vous complimente porte sur un potentiel futur president qui est actuellement face a vous 
tout sourire. Il vous propose un diner pour en parler plus. Un diner dans un cadre magnifique 
ou vous serez servi comine un roi. Un diner ou il vous complimentera encore plus, ou il s’in- 
teressera a vous et votre vie, un diner ou il vous confiera des secrets, rien que pour vous. 

En plus, vous l’aimiez deja bien avant. Vous etiez deja admiratif de son parcours aupara- 


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vant, meme si dans les articles vous tenez toujours a etre objectif. 

Qui ne serait pas sous le charme ? 

Qui garderait la tete froide ? 

Qui arriverait a ne pas etre fier d’etre dans le sillon du pouvoir ? 

Le politique n’a pas beaucoup a faire pour creer sa cour de journalistes soumis, il n’a qu’a 
les flatter, les faire entrer dans son cercle prive, leur confier des secrets rien qu’a eux en OFF, 
les inviter en voyage avec lui, en diner. . . Bref, leur faire gouter aux avantages du pouvoir. 

Et le journaliste se soumettra, sera de plus en plus gene de tenter des attaques, il perdra son 
objectivite et se ralliera au conformisme ambiant (on pose telle question du moment, comine 
les autres, et on s’en tient la), ne cherchera pas a faire de vagues (sauf si l’heure est a la casse 
partout). 

Ainsi personne n’osa poser la question qui aurait pourtant du etre posee a Sarkozy durant 
son mandat « Pourquoi avez-vous augmente votre salaire par trois ? ». 

Question de peur. De gene. Pour plaire a celui qui tient le pays. Par oubli inconscient, 
parce que tout votre etre ne veut pas se mettre en danger ainsi. Par peur de la chaine/du jour- 
nal/du media qui tient a ne pas se faire ejecter et qui ne manquera pas de vous ejecter si vous 
la mettez en danger. Par peur de ce que le president repliquerait a votre question. 

Les pressions sont enonnes et les gains a la soumission tout autant. L’integrite, F objec- 
tivite sont de veritables defis pour le journaliste, c’est accepter un danger constant pour sa 
situation et des stress et pressions continuels. Alors que la soumission, en echange, vous oflfe 
un train de vie paradisiaque, des avantages, du pouvoir, et des passerelles professionnelles 
vers le camp politique. 

Pour certains journalistes, le choix est rapidement fait. Certains ne feront leur parcours 
qu’en fonction de ces avantages, ces gains et oublieront totalement leur role premier. D’autres 
resisteront, mais se feront virer, ne grimperont pas l’echelle, ils auront done un mal fou a exer- 
cer leur metier convenablement. 

Les des sont done pipes a la source de ces relations entre politiques et journalistes. Mais 
il semble impossible qu’il n’y ait pas de lien entre eux, deja pour la seule raison qu’ils vivent 
ensemble et que meme si les deux parties souhaitaient faire leur travail convenablement, il y 
aurait des liens qui se formeraient tout de meme, influencant l’opinion des journalistes. 

Le seul indice d’une quelconque objectivite, d’une certaine forme de sincerity journa- 
liste se trouve chez les journalistes qui ont eu beaucoup de problemes, qui se font attaquer 
sans cesse ou licencier. Il y a fort a penser que ces attaques ne sont pas gratuites et qu’elles 
concernent des infonnations que les journalistes ont ose divulguer contre l’avis de l’autorite, 
du pouvoir, done forcement quelque chose qui interesse le citoyen par une fonne de veracite. 
Etre un bon journaliste se paye generalement tres cher. 


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■VENGEANCE 

Evidemment cette soumission est penible pour les journalistes : comme la citation en tete 
de section l’explique bien, les « petits » politiques se feront descendre, mais ils viendront parce 
qu’ils ont besoin des medias pour exister. Plus generalement, les journalistes saisiront n’im- 
porte quelle occasion pour se venger de leur propre soumission. Cest un peu le meme procede 
qu'au travail, chez les managers totalement soumis a la direction et qui se vengent sur leur 
equipe pour recuperer l'honneur qu’ils ont perdus. Un peu comme le comportement des sujets 
de Milgram qui en venaient a s’enerver sur Bob (« mais c’est pourtant facile ! ») pour reprendre 
un peu de domination sur la situation. On voit la vengeance a l’oeuvre quand le joumaliste 
se met a attaquer l'homme politique, tente de le detruire ou de le pieger en posant des ques- 
tions soumoises auxquelles il ne peut que mal repondre a moins d'etre autiste de haut niveau 
(nombre de tel type de bateau dans le pays, nombre exact de citoyens dans telle situation tres 
particuliere, etc.) 

■ LA VENGEANCE PARLE DIVERTISSEMENT ? 

Le politique n’est plus politique dans les medias. Personne ne semble se soucier de com- 
ment reparer la societe : ce qui compte c’est le spectacle. Les « spectateurs » se sont done 
eloignes de la politique qui est fatiguante pour les nerfs, car suivre ces adversaires qui ne se 
preoccupent que de leur victoire sans penser vraiment au fond et a la realite de la societe est 
ereintant, enervant, enrageant. Voila que les medias et les politiques ont done trouve une pa- 
rade aux auditeurs se desinteressant de la politique : mettre le politique dans des emissions de 
divertissements. L’homme politique parle alors de sa vie, de ce qu’il aime et autres broutilles. 
Pour son image, le gain est qu’il parait plus normal, plus sympathique, plus accessible. Mais 
sur le plan politique, le gain est nul. Encore une fois, ce que devrait etre la politique, e'est-a- 
dire un moyen de faire evoluer la societe convenablement, la reparer ou l’ameliorer, est tota- 
lement ignore. On a la une promotion d’un individu, comme un acteur promeut son film en 
faisant son spectacle. La ou la correlation est appropriee pour l’acteur (film = divertissement = 
fiction = jeu sur le plateau de l’acteur + seduction), elle ne l’est plus pour le politicien, car les 
affaires de notre pays ne sont pas une fiction avec un acteur sur le siege du president. 

Le resultat du melange divertissement + politique est simple : le spectateur se desengage 
encore plus que ceux qui regardent ces emissions politiques. Le discours autocentre qui est la 
nonne de ces emissions (J’aime ceci/je ceci, cela ; bref un discours centre sur l’individu) est to- 
talement a l’oppose de ce qui aide a l’engagement politique, a savoir un discours ou le locuteur 
emploie peu la premiere personne, utilise peu de verbes de jugement et d’ appreciation person- 
nelle, mais se concentre sur un propos descriptif ou il fait peu intervenir sa subjectivity propre. 

Pourquoi continuer ce massacre ? Parce qu’on n’a pas besoin d’etre engage politiquement 
ni d’ avoir des opinions ou des espoirs sur la facon dont on voudrait que le monde tourne pour 


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voter. Parfois, il suffit d’avoir de la sympathie envers l’individu pour choisir son nom plutot 
qu’un autre. Parfois il suffit de partager des gouts ou des attitudes avec quelqu’un pour le trou- 
ver sympathique. Et enfin choisir son nom plutot qu’un autre... 

Done les emissions de divertissements sont pour lui un bon moyen de capturer les desen- 
gages de la politique et de les rallier a sa cause, sans meme parler une seconde de programme 
ou de republique. En plus, les medias sont satisfaits, ca fait du spectacle, ca donne une certaine 
credibilite de faire venir des politiques, c’est done une alliance gagnant-gagnant. Et les per- 
dants, c’est nous. 

Mais l'entremelement du politique avec le divertissement apparait parfois coinme une ven- 
geance, une facon d’ecraser le puissant : « est-ce que sucer c’est tromper ? » demande Ardisson 
a Rocard. Comment ne pas y voir ici une vengeance, une volonte de domination sur fhomme 
politique, tout en dedouanant son role premier dans la societe. 

Imaginons l’inverse : « Est-ce le contexte actuel de liberalisation et de reference a l’Etat de 
droit qui impose une reforme administrative ? » demande le journaliste a l’acteur porno. N’y 
a-t-il pas la une volonte d’humilier la personne, de la dominer en lui posant la question impos- 
sible etant donne que son domaine de competence n’a strictement rien a voir avec la politique ? 

Cette vengeance, cette attaque apporte-t-elle quelque chose au spectateur ? Et s’il peut etre 
jouissif de voir le puissant en mauvaise position sur l’instant, qu’est-ce qu’au final la societe en 
retirera ? Cette jouissance confirme tout simplement notre position habituellement soumise et 
inferieure, d’ou notre desir de vengeance. Il renforce l’esprit de clan, adverse coinme celui de 
l'homme politique humilie. Done cela ne fait que mettre de l’huile sur le feu, cela nous main- 
tient dans nos positions et ne nous apporte aucun element digne d’interet pour ajuster notre 
reflexion ou imaginer des alternatives. Ce n’est que du spectacle. Le meme spectacle que Ton 
peut observer dans les cours d’ecoles primaires, quand soudain un chef de bande est mis au 
rencart et humilie par le groupe autrefois inferieur. 

<®MEDIAS/LA POLITIQUE/FORMATAGE 


Le formatage est simple : la politique finit par devenir un sujet que les gens fuient, les 
homines politiques sont tous consideres coinme indignes de confiance, les citoyens se sentent 
esseules et explodes. Les homines politiques profitent de ce formatage lors des elections presi- 
dentielles pour se vendre ; ils rebondissent sur ce degout qu’ils ont eux-memes provoques (les 
affaires par exemple...) pour « vendre » des programmes politiques extremes. 

C’est le plus gros probleme de ce formatage, a savoir le degout pour les questions d’ordre 
politique. Les homines politiques polluent les thematiques les plus importantes, ce qui detache 
le citoyen de l’interet qu’il aurait pu avoir pour la question. Et la societe est abandonnee au pas- 
sage par ses citoyens, qui preferent - et on les comprend - s’occuper de leur vie plutot que de 
ces questions qui paraissent insolubles ou dont les solutions ne semblent jamais leur profiter. 


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Ces differents fonnatages sont parfaitement comprehensibles, ils sont meme legitimes. Ce- 
pendant, fuir les questions politiques, c'est abandonner notre societe aux homines politiques. 
Fuir les questions politiques, c’est aussi laisser l’inconscient se raccrocher aux seules apparence 
que l'homme politique renvoie, done de choisir le candidat selon de mauvais criteres. 

Done... 

II faut s'extirper des debats imposes par les medias et les politiques. Se reapproprier les 
questions de societe et cela en fonction des problematiques auxquelles on est personnellement 
confronts : penser la question du chomage quand on est chomeur est prolifique ; penser la 
question de l’environnement avant d’acheter une maison est benefique, car c'est l’occasion ou 
jamais de faire un acte politique en decidant d'y installer un recuperateur d'eau, par exemple. 

Comine nous n’accordons plus notre confiance aux politiciens, a nous de faire de la poli- 
tique. Et les occasions ne manquent pas : en refusant de verser un seul centime a telle ou telle 
entreprise ; en depensant uniquement pour des produits qui le meritent ; en decidant d’etre le 
plus independant possible energetiquement ; en montant des petits ou grands projets ; ... 


@MEDIAS/DIVERTISSEMENT 


Se divertir, c'est se detourner de ses preoccupations et trouver de l'amusement. Le diver- 
tissement detoume de l’essentiel e'est-a-dire des preoccupations quotidiennes, des questions 
serieuses, des problemes. Ce detournement est done necessaire pour mieux s'appliquer a l’es- 
sentiel. Cela peut paraitre contradictoire, mais c'est en fait assez simple : pour se preoccuper 
de l’essentiel, des affaires de notre vie, de notre monde, nous avons besoin de nous « couper », 
prendre un temps de distraction nous requinquant et nous pennettant de revenir a elles apaise. 

Tous les creatifs connaissent ce processus : face a une difficulty, un blocage, un probleme 
qui parait insoluble, il ne faut pas insister ou se faire violence. Non, il faut couper court a 
toute reflexion et s'atteler a une activite qui n’a strictement rien a voir avec la conception de sa 
creation. Les idees arrivent alors coniine « par miracle » sous la douche, en passant le balai, 
en lisant un livre ou en marchant. « Se preoccuper de l’essentiel », e'est-a-dire reflechir a des 
problemes delicats et complexes, est un processus cerebral couteux en energie et demandant 
du temps. Se detourner, se divertir n’empeche pas pour autant les processus inconscients de 
continuer a travailler le probleme, bien au contraire, en enlevant la conscience de ceux-ci, on 
libere de l’energie pour que les mecaniques inconscientes y travaillent mieux. 

Cependant certaines preoccupations essentielles sont cornme des virus informatiques : 
elles s'accrochent a notre conscience, tournent en boucle dans notre esprit au point de parasi- 
ter toutes nos activites et de nous empecher de nous distraire profitablement (comme avec la 
lecture, activite 6 combien sensible au parasitage mental). Le cercle est vicieux, parce que les 
ruminations provenant de ces preoccupations empechent de regler ces memes problemes. 


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Alors on fuit, avec plus ou moins de degats, plus ou moins d’elficacite sur la resolution de 
ce parasitage. On fuit vers le divertissement le plus intense pour couper court au plus vite. 

Cela n’est pas une faiblesse, ni une lachete, c’est un processus sain quand le divertissement 
Test et qu’on n’en est pas boulimique. Ce processus, utilise avec temperance, perniet de retrou- 
ver des ressources mentales. 


Cependant certains divertissements, certains detournements de la realite sont nocifs. On 
en consomme avec demesure ; ou on les utilise pour combattre des problemes pour lesquels le 
divertissement ne fera qu’empirer la situation, tels que l’ennui, la fatigue mentale, la solitude 
ou d’autres frustrations. La solitude se resout en voyant des personnes, l’ennui doit etre mis a 
profit pour reflechir a de nouvelles directions, projets qui nous motivent, la fatigue mentale 
demande du repos et du calme, etc. 

Le probleme du divertissement est le meme que celui de la facon dont on peut mal gerer sa 
nutrition : anorexie, boulimie, on se remplit de divertissements inappropries, inelficaces pour 
de mauvaises raisons, a de mauvais moments. 

Le divertissement a la television, c’est se nourrir exclusivement de gateaux, biscuits, bon- 
bons et ne boire que des sodas : au fond, on ne sera jamais nourri meme si en apparence, l’es- 
tomac semble s’etre calme et qu’on aura plaisir a ces sucreries sans parler de la nausee mentale 
qu’ils entrainent. 

Le divertissement a la television est, selon notre recherche, notre reflexion, le plus impor- 
tant vecteur de formatage negatif, le plus destructeur et le plus nauseabond. Le divertissement 
n’y est pas seulement inutile et idiot (ce qui pourrait etre, par ailleurs, une mission plus noble 
qu’actuellement ou du moins un passe-temps neutre coniine on l’admet communement), il se 
deverse en chacun des telespectateurs, investit le cerveau, comble les vides representationnels 
par les pires images, cree des stereotypes, oriente totalement la personne tout en l’empechant 
de se ressourcer. 

Le divertissement a la television (nous exceptons ce qui n’est pas produit par la television 
elle-meme, c’est-a-dire les films et certaines series) n’est pas un divertissement, c’est une usine 
d’exploitation de l’attention deguisee en loisirs dont nous sommes les esclaves addicts. 

Le but du divertissement televisuel n’est pas d’amuser, distraire ou interesser. Le but est 
d’attirer un maximum d’yeux et d’oreilles, de les maintenir sur le canape d’un bout a l’autre 
du programme, de les captiver pour qu’ils veuillent voir le prochain episode, suivre l’afifaire 
meme s’ils jugent le programme creux ou idiot. Ainsi, les medias gagneront plus d’argent des 
annonceurs. 

Mais comment realiser cet exploit ? En exploitant notre curiosite, nos biais, nos inclina- 
tions, nos pulsions, nos peurs, nos frustrations. 


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Nous parlerons ici : des jeux classiques (les Z’amours, Questions pour un champion...), 
des emissions « coach » (. Nouveau look pour une nouvelle vie, belle toute nue, D and Co, Mai- 
sons a vendre...), des emissions pseudo-psy/de temoignages ( Toute une histoire, Confessions 
intimes, Strip tease, Tellement vrai,...), des jeux de telerealites (Koh Lanta, Pekin Express, Top 
Chef...), des reportages ( enquete exclusive, Capital) et des emissions people. Nous ne parle- 
rons pas des teleachats, leur seul interet est de vendre directement des produits. 

■ SURVIE 

Certaines thematiques captent l’attention universellement, sans distinction d’age, de ca- 
tegorie socioprofessionnelle ou de sexe : manger, se reproduire, construire et amenager un 
abri, defendre son territoire, trouver des allies ou des ennemis. Ces thematiques liees a nos 
besoins primaires nous captivent automatiquement, car elles sont liees a la survie, done notre 
attention est automatiquement captee par le defile d’images. Essayez d’ecouter quelqu’un et 
de vous rappeler de ce que cette personne raconte en mettant un film porno en arriere-plan, et 
vous constaterez la puissance de ces automatismes : l’attention ne pourra pas etre dediee a la 
personne, les images sexuelles la captant automatiquement. 

Faire du divertissement sur ces thematiques, c’est done s’assurer une bonne audience. Et, a 
bien y regarder, aucun divertissement ne parle d’autre chose : 

— Se nourrir : Top Chef, Un diner presque parfait, Koh Lanta... 

— Se reproduire (par consequent etre seduisant) : Miss France, Belle toute nue, Nouveau 
look pour une nouvelle vie, Total look, Toute une histoire... 

— Construire et amenager un abri : Koh Lanta, Maisons a vendre, D&Co 

— Defense du territoire : tous les sports et jeux de competition, Mail Ion faible, Koh Lanta, 
Top Chef 

Les telerealites regroupent generalement tous ces themes, qu’on retrouve a foison egale- 
ment dans la pub. En cela les programmes sont parfaitement correles a la pub, a la societe de 
consommation et ces ideologies : le steak durement gagne apres une epreuve de Koh Lanta 
trouvera son echo bienfaisant dans une pub Charal ; le club Med paraitra encore plus paradi- 
siaque apres avoir vu les galeres de Pekin Express ; un mascara paraitra encore plus essentiel 
apres une emission de relooking ; l’envie de dominer la route dans une berline sera encore plus 
forte apres vu Top Chef (parce qu’il faut etre le meilleur, done avoir les apparats du dominant). 

Le probleme n’est pas notre attrait naturel pour ces questions bees a la survie : c’est abso- 
lument normal en tant qu’etre vivant, c’est meme essentiel. 


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Le probleme est que cette attirance-reflexe est surstimulee puis surexploitee afin que nous 
soyons absorbes par les programmes proposes ; et que la pub, la consommation soit per 9 ue 
comme la seule solution aux problemes. Le probleme n’est pas la thematique, mais la fa 9 on 
dont le programme la detourne, la vide de ces sous-themes qui pourraient etre interessants, puis 
la correle a la pub. 

Prenons l’exemple d’un divertissement qui se base aussi sur notre attrait reflexe pour les 
questions de survie, mais qui le fait avec un grand respect du « client », une grande intelli- 
gence : Don 7 Starve. 

Nourriture, construction d’un abri, defense du territoire, recherche d’allies/d’ennemis. Tout 
y est, excepte les questions de reproduction. On a ici un Koh Lanta solo, dans un monde plus 
hostile, plus fantastique. 

Le summum du plaisir, dans Koh Lanta, est generalement pour les candidats, avec le ca- 
deau gagne aux epreuves physiques : repas bien copieux, nuit a fhotel ou autre confort typique 
de notre societe de consommation (et quelques rares exceptions ou les candidats gagnent le 
droit de partager avec les locaux leur culture). Les constructions des candidats ne seront que 
de faibles palliatifs a leur condition de survie, ils ne sont pas mis autant en valeur que les gains 
aux epreuves physiques. 

Dans Don 7 Starve, on trouve parfois ce genre de recompenses : des ressources que des 
explorateurs morts ont laissees derriere eux, des camps deja mis en place... Ce ne sont pas des 
recompenses, ce sont des bonus palliatifs. Le summum du plaisir dans ce jeu est d’avoir reussi 
a passer l’hiver avec un minimum de ressources, dans un camp laborieusement construit. Cette 
survie a la force de ses propres bras, sans intervention exterieure, est hautement gratifiante, or 
dans Koh Lanta, elle est deniee : ce sont les recompenses du monde modeme qui priment, qui 
ont de la valeur. 

On peut en quelque sorte tricher a Don 7 Stance, en faisant atterrir son personnage dans un 
monde plus luxuriant, avec moins de dangers. Que passe-t-il alors ? Le jeu perd tout interet, il 
n’y a meme plus de jeu a proprement parler, mais juste de la collecte ininteressante. 

On a deux morales bien distinctes a ces deux divertissements exploitant notre attirance 
pour la survie : 

— Koh Lanta : tu ne pourras pas fen sortir sans la societe de consommation, a laquelle tu 
reveras sans cesse. Les seules reussites obtenues par ta « tribu » (avoir du feu, trouver de la 
nourriture...) pallieront un peu, mais tu attendras que le monde modeme te mette a l’epreuve, 
seul contre tous, meme contre tes compagnons d’hier, pour obtenir des recompenses provenant 
de la societe de consommation. Ce n’est pas de la survie, c’est la guerre contre les autres, contre 
tes limites physiques et tu vaincras en manipulant des alliances, en les trahissant, mais surtout 
en ne pensant qu’a toi et ta victoire. 


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— Don't Statue : la moindre evolution (faire du feu, preparer des repas...) te procurera sa- 
tisfaction et fierte, d’autant plus si les ressources etaient rares et que tu n’as pas eu de chance. Si 
tu re?ois trop d'aide du jeu (ressources a profusion, pas de menaces animales...) le jeu devient 
ennuyeux et sans interet. Le plaisir reside dans le fait de s’en sortir grace a son propre travail, 
dans l’astuce pour eviter tout afifrontement (il est plus facile d’avoir de la nourriture et se de- 
fendre en montant des pieges, en laissant les betes s’entretuer, que de partir en guerre frontale), 
le tout dans un environnement particulierement hostile qui ne fait pas de cadeaux. 

La principale difference entre Don't Starve et Koh Lantal L’un est un jeu video indepen- 
dant utilisant la survie comme gameplay et but du diverti, l’autre est une emission televisuelle 
a gros budget utilisant la survie comme etant un pretexte a captiver le diverti. 


En resume : 

— Notre attirance pour les questions de survie est surexploitee au detriment d'autres ques- 
tions qui pourraient pourtant etre divertissantes. Meme les jeux s’apparentant a la culture tels 
que Questions pour un champion ne jouent que sur l’attrait de la defense du territoire : ici il 
s’agit d’etre celui qui a le stock d’information le plus grand et le plus accessible rapidement, la 
connaissance est arbitraire, elle n’est qu’un objet interchangeable. 

— Une fois le telespectateur capture par l’attrait de cette question de « survie », les thema- 
tiques sont corrompues, trahies : il n’est pas question de survie dans Koh Lanta, mais de lutte 
les uns contre les autres dans un environnement hostile ; il n’est pas question de voyage a la 
J'irai dormir chez vous dans Pekin Express, mais encore de lutte les uns contre les autres dans 
un environnement exotique. 

— La consommation passive y est toujours presentee comme la solution aux problemes, 
coniine le pre-requis a revolution de la situation, comme la recompense, le vrai aboutissement. 

Done.... 

Il y a duperie sur la marchandise dans les divertissements TV : le programme est etiquete 
« survie » or la survie n’est qu’un decor, arriere-plan ; le programme est etiquete « cuisine » or 
il s’agit d’une lutte sans merci pour obtenir un brin de reconnaissance et de notoriete, la cuisine 
n’est qu’un objet interchangeable qui est parfois remplace par le chant ou le sketch dont la 
mecanique est la meme. Il y a une tres forte orientation vers la societe de consommation et ses 
ideologies fondent la mecanique du jeu (une certaine conception du travail) ; le tout est correle 
a la pub plus que n’importe quel autre programme. 


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On a parle de Don’t Starve qui satisfait a merveille cet attrait pour la survie, mais tous les 
jeux video ou presque satisfont cet attrait pour la survie : les FPS (defense du territoire), les 
jeux de strategies ou de gestion, les tower defense, etc. Ici pas d’orientation vers la societe de 
consommation (en general), pas de duperies, pas de portes ouvertes a l’intrusion de la pub, juste 
l’amusement du divertissement : il faut vraiment pousser et tordre les faits pour trouver des 
ideologies sous-jacentes a Plants vs. Zombies (l’ecologie contre la mort ? La lumiere pour lutter 
contre fabrutissement zombie ? ce sont plutot des symboles que des ideologies). Bien que de 
plus en plus de jeux video soutiennent des idees, elles sont souvent plus d’ordre philosophique 
ou esthetique que d'ordre purement societal (et c'est rarement au coeur meme du jeu quand elles 
sont presentes). 

On a plaisir a jouer ou se divertir avec des questions de survie notamment parce que notre 
environnement est confortable, qu’on a peu l’occasion de vivre des emotions liees a la survie 
meme. Or on est « code » pour apprecier mille fois plus le fruit d’actions sensees resoudre nos 
besoins : c’est la satisfaction de manger la tomate qu’on a eu tant de mal a faire pousser, c’est 
le sentiment de serenite qui vient en mangeant des mures qu’on a cherche longtemps dans la 
nature. 

On n’a aucune satisfaction a aller au supennarche, peser ses legumes et les payer (a moins 
d’avoir ete en tres grande galere financiere auparavant), parce que cela n’a pas de sens (au 
mieux, on peut avoir du soulagement en trouvant la tomate tant convoitee si le magasin est 
particulierement grand et/ou mal range). 

La crise force bon nombre d’entre nous a renouer avec cette mecanique de la survie, cette 
quete lente du bien redevenu precieux (la tomate, pas la Rolex ), rare, pour lequel on a fait des 
efforts sains et benefiques dans d’autres domaines : l’exercice physique libere de l’endorphine 
et ameliore les competences intellectuelles ; etre dans la nature a des vertus apaisantes sur le 
cerveau ; fabriquer, concevoir et mettre en oeuvre un projet d’un bout a l’autre a du sens, ce sont 
des actes coherents ; arriver malgre un environnement difficile a reussir par soi-meme procure 
une immense joie, cela fait un effet de rarete. 

Etre en galere est angoissant, stressant, mais, cornme toute crise, c’est l’occasion de 
construire de bonnes habitudes qui perdureront meme avec des finances plus hautes. On a de 
l’attrait naturel pour la survie, il ne s’agit pas de volontairement se miner ou vivre au milieu de 
la foret, mais de mettre a profit cet attrait pour construire sa vie soi-meme. Les sentiments et les 
bienfaits qui en decouleront seront bien plus puissants, benefiques que de regarder Koh Lanta. 

@Medias/divertissements/social 


Nous sommes des animaux sociaux curieux et incertains quant a notre propre autojuge- 
ment. On est curieux de l’autre, de ses ressemblances avec nous, de ses differences ; on s’au- 
tojuge en fonction de l’environnement social, des nonnes qu’on y percoit, on s’y confonne ou 


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on essaye de faire mieux. Cette tendance a la comparaison sociale n’a rien de malsain en soi : 
elle nous permet de nous integrer, de nous ameliorer, de faire des compromis, de se repenser. 

Les emissions de Delarue ((fa se discute), les temoignages, les telerealites exploitent cet 
attrait pour la comparaison sociale. 

Face a ces emissions, le spectateur s’identifiera aux problematiques, usera de son empathie 
pour comprendre, envisager d’autres issues aux problemes, pour se faire une opinion, face a 
des pratiques qu’il ne connait pas. Voila pour l’aspect positif de la comparaison sociale, qui est 
possible quand les temoignages, les situations presentees le sont avec respect et une certaine 
neutrality . 

« — C’est dommage, mon unijamb iste, il est pas bon client ! 

— Moi, mon SDF, il n’aligne pas deux mots... Laisse tomber, Jean-Luc va 
piquer une crise ! 

— J’ai un abus sexuel pour toi, mais elle est deja passee sur ?a se discute. . . 

Reservoir prod, aquarium de misere... Vingt employes accroches au tele- 
phone comine des charognards a la recherche du pire. » 

La tentation d’une He, pi 50 Phillipe Bartherotte 

On se compare a autrui pour se rassurer sur sa position, renforcer son ego, mais aussi pour 
l’opportunite de se sentir dominant : c’est le fonds de commerce de Confessions intimes, Telle- 
ment vrai, L' amour est dans le pre, Strip tease... 

La comparaison sociale peut renforcer fimpression de superiority, etre un moyen depres- 
sion de sa domination, de sa valeur plus elevee que celui qui est compare. Il y a deux reveils 
possibles a cette comparaison sociale malfaisante : la personne comparant avec dedain subit 
de grosses frustrations, un manque de reconnaissance qui la pousse a retrouver un ersatz de 
dignite en se comparant a plus faible. Cest le gros dur de la cour de recre (mais moque des 
professeurs de par ses echecs) qui s’en prend a l’eleve qui a eu le malheur de mettre un tee-shirt 
demode. Mais les emissions, par leur cadre, leur selection du point de vue, le montage, peuvent 
creer un terrain propice a la moquerie et done inciter celle-ci. Les emissions exploitent alors 
la frustration des spectateurs, leur position incertaine en leur offrant un defouloir, une arene 
ou Ton met a mort socialement les temoins ou candidats. Pour reprendre la metaphore de la 
cour de recre, c’est comine si le professeur, voyant que le demode etait moque, organisait une 
epreuve de sport pour lui seul, lui disait que cela ameliorerait sa reputation. L’eleve se prepare- 
rait pendant que le prof expliquerait aux autres eleves que le demode etait ridicule et qu’il allait 
le prouver dans la future epreuve physique, qu’il les conviait tous a observer a quel point il etait 
definitivement idiot compare a eux, tout en faisant croire au pauvre gamin qu’il est soutenu par 
l’assistance. Vous imaginez l’horreur... 

L’argument des chaines pour justifier ces mises a mort sociales sous les huees et le dedain, 
c’est qu’elles ramenent de l’audience : les gens aiment ce genre Remission, ils sont mauvais, ils 


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aiment a se moquer d’autrui pour se rehausser. Certes, l’humain gere mal ses frustrations en s’at- 
taquant a autrui, certes il a parfois des pulsions voyeuristes malsaines. Mais toute la difference 
de ce processus tient a forchestration du programme, a son cadre et au pouvoir de la television 
: la TV est une autorite (cf le jeu de la mort) et, pour faire une metaphore plus appropriee, elle 
serait le surveillant de la cour qui organise les jeux des eleves. On peut faire des jeux differents, 
on peut amuser une grande partie de la population sans faire une victime, sans avoir pour mo- 
teur la destruction sociale d’un individu. 

Les chaines pourraient alors repliquer qu’elles ne le font pas pour detruire des vies : leurs 
temoins sont reels, ils sont reellement idiots, ridicules ou pathetiques et eux ne font que faire 
part de cette realite afin d’infonner le grand public. Non seulement, nous le verrons plus tard, 
cette realite arguee est un pur mensonge, mais ils la manipulent clairement pour que le temoin 
soit plus idiot, plus moquable, plus malleable. II y a une volontaire censure de l’intelligence 
du candidat, une censure de sa culture, de sa serenite ou de toute qualite dont il pourrait faire 
preuve. Ces comportements decries ne sont pas expliques, le temoin n’a pas de place pour faire 
comprendre aux telespectateurs ce qui famine. 

En resume : 

— La television est une autorite (cf le jeu de la mort), c’est elle qui pose un cadre d’action au 
temoin, un cadre restreint et oriente de reflexion aux spectateurs. Sortir de ce cadre de reflexion 
demande des efforts, or ce divertissement ne le permet pas, bien au contraire elle demande de 
redoubler d’effort afin de briser ce dirigisme de reflexion et d’en tirer une certaine verite. 

— Les telespectateurs ne sont pas des sadiques frustres qui se vengent sur la mort sociale 
d’un individu en direct. C’est le cadre de remission qui les pousse a produire cette attitude, c’est 
le cadre de remission qui les incite a reveiller leur voyeurisme, a faire de la comparaison sociale 
malsaine. Ces emissions ne laissent pas le libre-arbitre intervenir, puisqu’il pourrait venir briser 
son "bon" deroulement. 

— Comine on connait tous des frustrations, il est tres facile de stimuler cette comparaison 
sociale malsaine et de l’accroitre pour rendre efficient le programme. 

Done... 

On aime a se comparer entre nous, on est curieux des modes de vie et du comportement de 
personnes que l’on n’a pas l’occasion de cotoyer. Pour attirer a ses programmes, la television 
exploite cette tendance qui, en soi, n’est pas malsaine car, bien au contraire, elle pousse a ce que 
l’on ait naturellement envie de se sociabiliser avec tout le monde. 

On connait des frustrations sociales (manque de reconnaissance par exemple) et la com- 
paraison sociale peut alors devenir un moyen de se rassurer sur sa position ou de se ressentir 


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dominant pour un temps. La television exploite ces frustrations en offrant le cadre ideal a la 
« vengeance » sociale : une arene, un temoin qu’on met a mort socialement en le poussant a se 
tuer devant des millions de spectateurs qui trouvent satisfaction dans leur position de non-hu- 
miliation. 

Nos inclinations malsaines et l’arene sont toutes deux responsables, mais se culpabiliser se- 
rait infructueux, mieux vaut se mettre au travail et reveiller son empathie : le spectacle devient 
alors insupportable, on y decele alors les litres de sang social deverses par une victime trompee 
par le cadre de remission et on se sent « sale ». 

La curiosite sociale n’est pas un mal, mais autant la nourrir dans la vraie vie face a des per- 
sonnes reelles qui ne sont pas tronquees par le cadre d’une emission : en discutant, en vivant 
aux cotes de gens differents, en posant des questions a ceux dont on ne comprend pas le com- 
portement, avec respect, sans jugement a priori. La comparaison sociale peut alors accroitre 
la tolerance, permettre de faire preuve de temperance, d’etre plus empathique, plus intelligent 
socialement parlant et s’ouvrir a des amities inattendues extremement profitables pour chacun. 

<®Medias/divertissements/empathie 


« En fait, c’estune emission [Toute une histoire] a personnalite multiple. De- 
vant, une emission philanthrope. Derriere, un business ou les temoins, comine 
nos candidats de telerealite, ont une valeur marchande qui oscille en fonction de 
l’etendue de leur souffrance et de la facon plus ou moins poignante avec laquelle 
ils nous ont fait part. Au final, chaque temoin permettra de degager un benefice 
net pour Jean-Luc. Chaque temoin est un reservoir de misere qui vient se vider 
sur le plateau. Ce flux de malheur cree des bonnes courbes d’audience qui per- 
mettent de degager de gros benefices. » 

La tentation d’une He, Phillipe Bartherotte 

Pour les emissions qui paraissent plus serieuses en terme de temoignages comine celles de 
Delarue, tout est mise sur l’emotion et l’empathie. Devant l’ecran, on doit se sentir coinpre- 
hensif de ces personnes qui ont aflfronte le malheur, on se met a leur place, on se demande si 
on aurait fait mieux/dififeremment ou comment on aurait reagi. L’ empathie, done. Le defile de 
temoins aux vies hors-norme n’est pas inutile, la population se familiarise avec les handicapes 
mentaux, les families ultra -nombreuses ou les femmes qui ne veulent pas d’enfants. Ce hors- 
norme ne devient plus hors-nonne, et on n’y prete plus un jugement etonne : la situation a deja 
ete vue et expliquee a la television, done cette personne qui hurle « sale pute » toute les deux 
secondes, ce n’est pas insultant, c’est un syndrome de la Tourette, ne nous emballons pas. Le 
resultat pourrait done etre relativement positif si on arretait notre reflexion ici. 


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L’empathie est un sentiment fort qui bouleverse nos emotions, emotions qui ne sont pas la 
juste pour elles-memes : on a des emotions pour agir. On a peur pour nous permettre de fuir, par 
exemple. Les emotions sont particulierement liees a Taction, et si on a tres mal quand on voit 
quelqu’un se mettre a pleurer, c’est parce qu’en tant qu’etres sociaux, on est concu pour imme- 
diatement repondre a cette souffrance et par exemple, prendre dans nos bras cette personne, la 
consoler, etc. La douleur de voir autrui souffrir est la pour qu’on tente immediatement d’agir 
pour arreter cette souffrance partagee. Un bebe a d’ailleurs des hurlements particulierement in- 
supportables justement pour que toute personne autour cherche au plus rapidement une solution 
efficace pour cesser la douleur empathique qui nous traverse par ces pleurs. C’est egalement 
pour cela, qu’en tant qu’etres sociaux nous semblons si « douillets » par rapport aux autres ani- 
maux : le moindre bobo nous fait hurler, il semble que, de tous les animaux, se soient nous qui 
souffrions le plus. Ces reactions, ces cris, pleurs, hurlements de douleur sont justifies par notre 
condition sociale : nous avons besoin de prevenir autrui, d’agir en groupe contre les situations 
de douleur parce que nous ne soinmes pas des animaux ayant une grande force physique. 

D’ou cette souffrance si expressive, d’ou cette empathie qui frise T insupportable pour les 
plus sensibles d’entre nous. 

Les emissions de temoignages du type de cedes de Delarue generent cette empathie, ge- 
nerent ces emotions poussant a Taction. Or, il n’y a pas d’action a faire. On reste spectateur, 
et souvent, vu le montage des emissions, la situation est resolue ou du moins apaisee. Toute 
cette empathie, ces emotions generees n’auront servi a rien, si ce n’est a vibrer coinme on vibre 
devant une fiction. Mais c’est la realite, et il y aura un effet « bonne action » genere qui ne sera 
pas reel. L’empathie est done pervertie, faussee dans sa fonction primaire, celle d’agir avec ses 
propres moyens dans un monde physique pour resoudre la situation. Cest done une empathie 
gaspillee, au deprofit de la realite. 

Done... 

Aimer se mettre a la place de l’autre est une formidable qualite. Ces emissions favorisent 
facilement ce sentiment et sa resolution en epurant les problematiques, en les clarifiant, en 
donnant les seuls elements necessaires a la comprehension, mais surtout en offrant une issue 
favorable ou du moins apaisee, positive, a la situation. 

La realite est bien moins claire, elle est plus angoissante, elle comporte beaucoup plus de 
lacunes en tenne d’information (ou du moins elles sont tres dilficiles a obtenir), on peut avoir 
beaucoup de mal a obtenir des avis divers et varies sur une question. La resolution des pro- 
blemes, des situations, est lente, incertaine et celui qui aide peut etre en proie au doute quant 
a son action, il peut culpabiliser, avoir fimpression d’etre dans l’erreur, en vouloir a celui qu’il 
aide de ne pas faire ce qu’il devrait faire pour resoudre ces problemes.... L’empathie, dans le 
reel, peut etre un fardeau, apportant enervement, lassitude, frustration, colere. Aider l’autre de- 


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mande patience, energie mentale a toute epreuve sans quete offensive du resultat : c'est la per- 
sonne qui se changera elle-meme ou qui changera sa situation, celui qui n’aide ne peut souvent 
pas changer directement les choses (et ce ne serait pas profitable). 

II faut avoir conscience de cette difficulty quand on regarde ce genre d’emission, sinon face 
a une vraie situation d’aide on risque vite de baisser les bras ou de classer le probleme cornme 
insoluble. Et d’ainsi devenir incapable d’aider qui que ce soit, et de petit a petit ne plus pouvoir 
"utiliser" son empathie cornme on le devrait. 

@Medias/divertissements/People, comme- 

RAGE ET REACTANCE. 

On aime naturellement se mettre en mode « ragot », ecouter et diffuser des rumeurs, echan- 
ger des infonnations futiles a la « dallas ». On retrouve ce commerage dans tout groupe humain, 
que ce soit au travail, dans les grandes families, sur le Net mais aussi dans les medias, que ce 
soit dans la sphere politique ou people. 

Le commerage est tres mal pcrcu : tout le monde, y compris les plus grandes commeres 
disent qu’ils « detestent les gens qui parlent sur le dos des autres ». 

Les magazines ou emissions de commerage, c’est-a-dire etiquetes people, sont extreme- 
ment bien vendus et vus, mais personne ne se vantera d’en etre fans : il faut etre en position 
de grande faiblesse pour que leur lecture soit toleree ou conseillee, c’est-a-dire malade dans le 
cabinet du medecin ou dans la chambre d’hopital, par exemple. 

Pourquoi cette propension a vouloir connaitre tous les potins les plus inutiles a notre re- 
flexion ? Pourquoi s’attacher au fait que telle personnalite trompe untel et que telle autre a de la 
cellulite ? Et pourquoi denie-t-on ensuite s’y etre interesse ? 

Encore une fois, parce que nous soinmes des animaux sociaux, que nous vivons depuis des 
millenaires en larges communautes. On a besoin d’entretenir des liens, meme avec des indivi- 
dus qu’on ne voit pas quotidiennement et cela passe par la diffusion d’informations a caractere 
psychosocial (machin s’est marie avec untel, true est deprime,...). Le commerage tient un ben 
social a distance ainsi que dans le groupe ou est partagee l’infonnation. 

Or, dans notre societe actuelle, on connait les celebrites sous tous les angles, mais elles ne 
nous connaissent pas et il y a tres peu de chance pour que cela change. Tisser un ben social 
unilateral parait n’avoir aucun interet, mais pourtant ces infonnations nourrissent les conversa- 
tions et, pour certains, cassent la solitude : tout connaitre de la vie d’une personne, c’est cornme 
partager un peu sa vie. Avoir des informations sur une personne, c’est se l’approprier, la correler 
a notre vie : on comprend alors que pousse a l’extreme, certains fans deviennent totalement 
delirants, voire violents, envers les stars, oubliant totalement que la collecte d’information n’a 
rien d’un lien reel avec une personne et que posseder des informations n’est pas posseder la per- 
sonne. Cela marche egalement avec les fans de series, qui en viennent a devenir violents avec 


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les createurs, pensant qu'etre « fan » c'est etre proprietaire et decideur de l’oeuvre, melangeant 
leurs connaissances astronomiques de la serie avec l’idee du pouvoir sur la serie. Ce n’est pas 
parce qu’on possede beaucoup mentalement sur un sujet qu'on en est proprietaire, decideur, 
omniscient ou omnipotent. 

L'autre explication de cet attrait pour le people (cumulable avec les premieres explications) 
est la reactance : les people sont presentes comine parfaits la majorite du temps, dans des roles 
et situations enviables pour beaucoup de personnes, ils ont la reconnaissance, l’admiration, ils 
sont done a des lieues d’etre nonnaux. 

Pas de defauts physiques, pas de probleme comportemental, pas de faille dans les discours, 
une maitrise totale de la facon dont ils nous apparaissent, done une image ideale comine on 
n’en voit jamais dans la realite. Alors... Reactance. Le spectateur veut faire cesser le spectacle, 
enlever les paillettes, interdire Photoshop, voir les failles, casser l’image mensongere, rappeler 
le nonnal et ses imperfections parce que ce conte de fees n’existe pas. II y a dans cette reactance 
un besoin de remettre les people sur un pied d’egalite avec le cornmun des mortels : ainsi la 
comparaison sociale peut s'exercer pour le meilleur (« on a les memes defauts, c'est done qu'il 
n’est pas superieur et que je ne suis pas inferieure ») comine pour le pire (« oh elle a de la cel- 
lulite ! quelle grosse vache, avec tout le pognon qu'elle a, elle pourrait avoir la decence de se 
la faire enlever » ). 

Done... 

Mieux vaut encore assumer sa tendance au commerage, cela permet de mieux la controler. 

Connaitre tous les ragots permet de se sentir plus proche du milieu dont ils sont issus (ce qui 
facilite l'insertion dans le milieu si on y est deja plonge) ; pour celui qui les diffuse, les ragots 
lui permettent de se sentir puissant, de manipuler les opinions au sujet de la victime du ragot, de 
prendre possession des renes de la popularity de telle ou telle personne. C'est pour cette derniere 
raison que les commeres sont tant decriees, a juste titre ; mais les ragots sont parfois orchestres 
par les victimes pour s'autopromouvoir. 

Alin de ne pas etre l’objet influence des commeres de tout genre, la seule solution est d’apai- 
ser son propre besoin social en tissant de vrais hens sociaux, en face a face, en discutant vrai- 
ment, en ecoutant vraiment sans juger. Les commeres pathologiques ont une incapacity a nouer 
de vrais liens, c'est une des raisons pour lesquelles elles jouent au jeu des ragots : afin de s'attirer 
de la sympathie. Mais c’est une fa$on de proceder pathologique. Les magazines et emissions 
people exploitent la solitude, meme dans la reactance : quand nos besoins sociaux sont com- 
bles, on se fiche de savoir telle star dans une position inconfortable. 

@Medias/divertissements/les mensonges de 

LA PRODUCTION 


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■ SCRIPT 

Les emissions de temoignages ou les telerealites exploitent des biais et stimulent des ten- 
dances assez nauseabondes : comparaison sociale a but de moqueries, voyeurisme, reactance 
mal orientee, frustrations... Le spectateur ressent certaines emotions, il est parfois stimule dans 
son empathie ou mis en position de juge. Comme le programme est etiquete « reel», le teles- 
pectateur en tire inconsciemment des conclusions qui lui serviront a juger le reel : par exemple 
il ne s’offusquera pas de l'homme qui l'insulte toutes les deux secondes, devinant qu'il s'agit d’un 
syndrome de la Tourette. 

La television, en mediatisant cette maladie, a reussi a permettre aux personnes de rester zen 
face a ce genre de comportement, car ils savent a present que c'est une maladie, pas un affront 
fait a leur personne ; mais dans d’autres versants plus negatifs, le telespectateur peut penser 
qu'une grande majorite de la population est a la limite du handicap mental, qu'elle est stupide, 
egoiste, parce qu'une grande majorite des programmes ne montrent que le pire chez les gens. 

Or, le soi disant « reel » des temoins de Confessions intimes et compagnie n'est pas reel : 
si les temoins sont effectivement de vrais « gens » pour la plupart, ce n’est pas le cas des situa- 
tions, notamment pour Tellement vrai. Confessions intimes ou encore Pascal, le grand frere. 
Tout y est scripte, c'est-a-dire qu’il y a, comme pour le tournage d’une fiction, un listing des 
actions a filmer. La camera n’est jamais posee la en attente d’avoir des images, les emissions 
font jouer les temoins, leur donnent leur role et attendent qu’ils se comportent tel que le script 
le definit. 

« Je m’entends tres bien avec mon epouse mais ils voulaient que Ton fasse 
semblant de se disputer ! Tout etait scenarise ! Comme par exemple cette scene 
dans ma cuisine ou ils m’ont fait repeter trois fois la scene, car ils trouvaient 
qu'on ne se disputait pas assez ! Ils voulaient aussi que Ton fasse croire qu'il y 
avait une vrai tension dans notre couple alors qu'on s'entend a merveille ! Ils 
voulaient aussi que Ton fasse semblant que l’on avait des problemes d’argent 
alors qu'au contraire on a beaucoup d’argent de cote ! [sic]» 50 

A ce temoignage, on pourrait se demander si, vexe par remission a l’antenne, les temoins 
n’abusent pas et mentent. Mais les realisateurs temoignent aussi dans le sens de cette mise en 
scene totalement bidonnee : 

« Je devais suivre un temoin qui avait une maladie de peau. Or, il avait deja 
eu un traitement. Le red chef lui a done demande d’arreter son traitement pour 
pouvoir le presenter comme n’ayant pas encore trouve le medicament pouvant 
le soigner. Trouver un traitement devenait l’enjeu du reportage. Lorsque je suis 
arrivee, j’ai decouvert un temoin tres presse de commencer le toumage pour 

50 Thomas Gillion, parlant du toumage de son Tellement vrai - la reference, sur Internet, a ete effacee depuis la redac- 
tion de cet ouvrage. 


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pouvoir enfin reprendre ses medicaments. On n’est plus dans le temoignage, 
mais dans de la fiction. » 51 

En 2009, Le Parisien revele le sequencier de remission de « Pascal le grand firere » : 

« Le 29 octobre, 12 h 30, « aujourd’hui encore, le repas ne convient pas 
a Dylan ». « 18 h 30 : Marianne annonce a son fils que si cela ne marche pas 
avec Pascal, elle le placera en foyer ». « 19 h 30 : Marianne tente de regarder 
un programme TV mais c’est sans compter sur le caractere despotique de Dylan 
qui zappe sans vergogne. » 

Source Le parisien : http://www.leparisien.fr/loisirs-et-spectacles/un-docu- 

ment-digne-d-un-scenario-30-ll-2009-728549.php 

Le document de 1 5 pages recupere devoile la planification de vols dans le portefeuille des 
parents, puis sa decouverte et Tintervention en consequence. Tout est done scenarise, planifie, 
rien n’est naturel ni reel. On a avec cette emission un programme qui se fait passer pour reel 
alors qu’il est totalement fictionnel dans sa construction a la minute pres des evenements, des 
attitudes et comportements des protagonistes qui se voient jouer un role. Du spectateur au « te- 
moin », tout le monde est dupe. 

Tout recemment, c’est Remi gaillard (http://www.nimportequi.com/fr/) qui 
a prouve le script de confessions intimes. Avec l’aide de deux amis, il a piege 
remission en inventant de faux problemes de couples autour de sa personne : 
l’homme serait obsede par Remi Gaillard au point d’en delaisser son couple. Les 
acteurs nous devoilent alors comment confessions intimes leur faisait repeter 
des scenes encore pires que cedes qu’ils avaient prevu de jouer. On a encore 
avec cet exemple la preuve que ces emissions sont totalement irreelles et s’ap- 
parentent bien plus a de la fiction qu’a autre chose. 

Plus d’infos : http://www.huffingtonpost.fi/2013/04/18/remi-gaillard-piege-confessions-in- 
times-tfl-sms-compromettant_n_3 107127.html 

L’ emission : http://kickasstorrent.kickassdownloads.net/confessions-intimes-16-avril- 
2013-remi-gaillard-t7327327.html (lien torrent, car remission n’arrete pas de se faire censurer 
sur YouTube et evidemment TF1 ne 1’ a jamais mise en replay) ou https://vimeo.com/65384545 

Quant aux Loft&co, meme si les situations sont ouvertement programmees et que le cadre 
du reel est volontairement modifie pour produire des histoires « reelles » inedites, il y a tout de 
meme duperie : n’ayant pas l’heure, les candidats sont vite perdus dans le temps et ne se rendent 
pas compte de leur decalage. Cela apparait a l’ecran comme une sorte de faineantise, mais c’est 
en fait une perte de repere. 

51 une realisatrice de « tellement vrai » : http://www.paperblog.fr/6133227/tellement-vrai-nril2-tacle-par-le-site-arret- 
sur-images/ 


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Ils n’ont egalement pas le droit de parler de culture, de politique, de sujets a polemiques 
exterieurs au jeu, d’actualites, etc. Tous les sujets qui sont de pres ou de loin intelligents sont 
evinces. Qu’ils fassent preuve de reflexion altruiste ou non, de toute maniere ce sera coupe au 
montage. Done on ne voit que des discussions futiles, en rapport avec les candidats ou le jeu, 
en rapport avec la consommation (nourriture, maquillage, look...). Et e’est le cas aussi pour 
Tellement vrai : 

« II y a toujours la bimbo, le Beige et le jet-setter. Si la bimbo lit Proust, le 
Beige n’a pas d’accent et le jet-setter fait de l’humanitaire, tant mieux pour eux, 
mais je ne choisirai jamais ces passages, 9a ne colle pas au role qu’ils se sont 
attribues. » 

Source Rue 89 : http://rue89.nouvelobs.com/2014/Q2/14/telerealite-si-mon- 

tage-repete-cest-parce-etes-trop-betes-249679 

Done... 

Pour trouver du reel, il faut regarder dans le reel. On pourrait nous retorquer que les gens 
jouent egalement des roles meme sans la presence de cameras, qu’ils suivent des scripts eta- 
blis par les differents cadres ou situations qu’ils rencontrent. Des scripts inconscients, lies aux 
nonnes sociales. C’est en effet vrai. 

II est done plus interessant de porter notre regard, notre jugement sur ces scripts invisibles 
qui guident les conduites. Une profession egale un script : on a beau avoir vu des dizaines de 
vendeurs differents, on trouvera un ton comrnun, une attitude commune. Tout se deroulera 
toujours de la meme fa?on dans une administration, meme si des dizaines de personnes com- 
pletement differentes attendent leur tour. Qui ose s’echapper du script et danser la polka a Pole 
emploi ? Quel vendeur osera dire franchement que la depense qu’envisage le client ne sert a rien 
et qu’il vaudrait mieux qu’il ne sorte pas son portefeuille ? Regarder le script permet de voir les 
influences a l’oeuvre, ceux qui en jouent, ceux qui en cassent joyeusement les codes, ceux qui 
detournent le script. 

Face a la television, on ne peut que subir le script : on ne saura jamais si les candidats/ 
temoins ont essay e d'etre autres que ce que la production voulait. On ne saura jamais s'ils sont 
plus profonds que ce qui nous a ete donne de voir. La realite reste a ce jour le seul « media » 
pour comprendre autrui. Encore faut-il aiguiser sa conscience, son intellect et son respect d'au- 
trui. 


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■ MONTAGE 

« Confessions intimes : Emission constituant une sorte de « diner de cons » 
documentaire, diffusee aleatoirement par TF1 . « Confessions intimes » propose 
a chaque numero de suivre les peripeties de cas psychologiques cffarants : les 
anonymes persuades d’etre celebre, les tares du tuning, les obsedes de Johnny, 
les malades de Claude Francois, les cingles qui conservent les tickets « 20 cent 
de reduction sur votre prochain paquet de chocapic », les degeneres de la salle 
de muscu, les bimbos customises, les debiles persuades de ressembler a Faurent 
Ruquier ou a Anne Sinclair et qui en font genereusement profiter leur entourage, 
les vieux croutons qui se dorent la raie a 95 ans sur les plages nudistes et qui 
draguent des cagoles de 19 ans, les puceaux qui revent de se deniaiser lors de 
leur premier sejour au Club Med. . . 

Tous s’y cotoient avec enthousiasme, sans honte ni pudeur. 

Fa fonction de cette emission est, pour TF 1 , de rassurer ses propres telespec- 
tateurs, en leur prouvant par A + B qu’il y a toujours plus idiot qu’eux et qu’ils 
n’ont pas a avoir honte de regarder » 

Le dico injuste et borne de la TV, Arnaud Demanche 

En plus du script deformant tres profondement la realite (voire l’organisant completement 
differemment selon les envies de la production), il y a le passage au montage qui coupe, char- 
cute les phrases, transforme a nouveau la realite : 

« Forsque vous me verrez soit disant « jouer », c’etait en fait au moment ou 
je me rememorais le texte! Je passe done pour la pire actrice. (...) Enfin, le reali- 
sateur posait des questions a mon entourage, ou au photographe, etc. sa question 
etait: quels sont les points positifs et negatifs d’Ophelie ??? ahaha et laissez moi 
rire... au montage qu’est ce qu’ils gardent??? FES POINTS NEGATIFS bien 
sur!!!! [sic] » 52 

Comine si la realite n’ etait pas deja assez truquee a la base, le montage permet encore plus 
d’empirer la situation filmee ou de rendre encore plus imbecile le participant a T emission. 
Meme scenarise, il faut encore truquer les images pour leur faire raconter une histoire qui n’a 
plus rien a voir avec ce qui avait ete propose au candidat : 

« Fa production et le realisateur m’ont mentis sur le sujet! En effet lors des 
castings, le real ma bien precise que le sujet de remission etait de voir des jeunes 
artistes motives Jet le sujet lors du passage a la tv etait: je suis sur d’etre une star 
ou je suis la prochaine Cameron Diaz! [Sic] » 

52 Ophelie Kelly parlant de son passage a Tellement vrai- la reference, sur Internet, a ete effacee depuis la redaction de 
cet ouvrage. 


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[Ophelie Kelly parlant de son passage a Tellement vrai- la reference, sur 
Internet, a ete efifacee depuis la redaction de cet ouvrage. ] 

Les tournages de Tellement vrai durent trois jours. Or l’histoire apparait cornme bien plus 
longue. La premiere victime est le sujet de remission evidemment, mais le telespectateur est 
aussi pris pour un demeure : il est per9u coniine un voyeur avide de voir son prochain mal en 
point, un frustre qui ne prend son plaisir qu’en voyant plus idiot que lui, un aveugle incapable 
de distinguer la fiction de la realite... 

Done... 

« Ouais, mais je sais que e’est du fake, mais 9a me fait marrer ». La resistance est forte : tout 
le monde renie le programme, sait qu’il est faux, mais persiste a le regarder. Tout cornme l’al- 
coolique se refuse a croire que l’alcool le rend totalement idiot meme lorsqu’on le montre dans 
ses pires frasques, il inventera des excuses ou donnera des interpretations a son comportement 
pourtant injustifie : 9a defoule, il merite bien de relacher la pression, la semaine a ete dure, e’est 
son anniversaire, il fait mauvais... 

La distraction, qu’elle soit drogue ou non peut avoir un effet addictif, meme s’il n’y a pas 
d’apport concret et que e’est plus destructeur qu’autre chose. La tele en general est addictive, 
d’autant plus si on cherche a fuir la realite. Ce genre d’emission oflfre un palliatif aux frustra- 
tions de la vie : ce palliatif, e’est la recherche du bouc emissaire, la personne sur qui jeter des 
pierres, des petits suisses, des tomates, a faire objet de moqueries. Est-ce qu’il n’y a pas mieux 
a faire ? Plus efficace ? Plus profitable pour tous? 

Vous connaissez la reponse. 

■ TRUCAGE DES JEUX 

On a vu a quel point Tellement Vrai, Confessions intimes et Pascal le grand frere etaient tru- 
ques. Soit-disant parlant de la realite, ce sont en fait des fictions organisees avec des personnes 
reelles, manipulees cornme des pantins pour produire le script prepare par les producteurs et re- 
alisateurs. Et quand il n’y a pas de script, l’histoire est determinee a posteriori par la production 
qui reinvente done la succession d’images. Ainsi tout ce que croyait ressentir le telespectateur 
devant ces emissions est faux, etant donne que tout ceci est une grande fiction ou seule remis- 
sion est gagnante, les participants etant les plus victimes, leur image etant salie, manipulee pour 
produire le pire, utilisee cornme objet pour que les telespectateurs puissent se sentir superieur. 

Si Ton ment autant sur un tel programme, qu’en est-il pour des programmes de telerealite 
ou il y a de T argent en jeu ? 


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Le probleme n’est pas de ressentir des emotions via des faits faux : la fiction le fait perpe- 
tuellement et elle est parfois extremement profitable au spectateur. La vraie fiction est honnete : 
on sait qu’elle n’est pas la realite, mais ses messages complexes sont coniine des schemas qu’on 
pourrait appliquer a la realite, sans pour autant qu’il y ait confusion. Avec l’outil fictionnel as- 
sume, on peut apprendre de schemas reels, sans pour autant utiliser directement la realite. La 
fiction se presente cornme un monde parallele qu’on peut utiliser coniine exemple pour penser 
la realite. Par exemple, on peut utiliser 1984 d’Orwell pour penser a la surveillance a laquelle 
nous soinmes de plus en plus soumis, et des dangers possibles lies a cette surveillance. 

Or, quand on donne des schemas dits « reels », on donne a voir ce qui ne nous est pas 
accessible : la vie d’un fan de tuning par exemple. L’image va combler un vide, donner une 
representation qui fera regie generale concemant les fans de tuning. Si l’image est presentee 
negativement, on en deduira automatiquement qu’ils sont tous ainsi (de plus, les arguments ne- 
gatifs sont mieux retenus, voir section politique). Quand on rencontrera en vrai le fan, on aura 
un a priori negatif, des prejuges qui bloqueront la rencontre. Si la vie de ce fan de tuning idiot 
etait presentee dans une fiction et qu’on venait a rencontrer un fan de tuning, on aura la curiosite 
de voir si le heros idiot ressemble a son pendant dans la realite, on cherchera une confirmation 
ou une infirmation, mais on n’aura pas pose le jugement d’emblee. 

Quand on a des representations negatives, donnees par la tele, il faut refaire un travail sur 
soi pour s’enlever les prejuges, contrairement a la fiction qui aura nettement mieux epargne le 
cerveau de ce poison. 

Des qu’on truque des representations sensees etre reelles cela a pour effet de pourrir notre 
cerveau de stereotypes, stereotypes contre lesquels on devra lutter si on veut etre un minimum 
tolerant et respectueux de l’autre. 

On pourrait penser que les jeux ne sont pas truques etant donne leur nature de jeu qui im- 
plique un minimum de regies strictes. Meme s’il y a mise en scene et montage, au moins les 
conditions du jeu seraient respectees pour tous les candidats, afin que le meilleur gagne, sans 
quoi ce ne serait plus « du jeu ». 

Pekin Express fut truque, au moins pour une saison, aucun autre renseignement ne nous 
pennet d’affirmer que la triche est toujours pratiquee. Certains candidats etaient preferes par la 
production, notamment parce qu’ils se donnaient davantage en spectacle et etaient done plus 
telegeniques : les habitants locaux etaient alors payes pour prendre en stop ces « chouchous », 
sans qu’ils soient au courant de la triche. La chance semblait leur sourire. Cependant, meme 
avec cette triche, les chouchous reussissent neanmoins a se faire eliminer, au grand desespoir 
de la production. Certains candidats ne sont pas dupes et commencent a se rebeller, et perdent 
toute chance au contraire d’autres candidats... Les nuits a la belle etoile ne sont que montage : 
l’equipe de tournage envoyait les candidats a l’hotel, un mensonge cette fois plus sympathique 
pour les candidats. 


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« Certaines emissions cherchent aussi a avantager certains participants. 
L’exemple des trois premieres saisons de « Pekin Express » revient souvent. 

Maya nous raconte : 

« Quand la production triche, je le vois tout de suite : il manque des images. 

II m’est arrive de recevoir une sequence avec un trou. 

Sur les demieres images, un binome ne trouve personne pour les prendre en 
stop, ils sont a la traine. Quand la camera se rallume, ils sont dans une voiture 
en tete de la course... » 

Source Rue 89 : http://rue89.nouvelobs.com/2014/02/14/telerealite-si-mon- 

tage-repete-cest-parce-etes-trop-betes-249679 

Cependant Bartherotte rappelle que la durete du jeu est bien reelle : il s’inquiete a de nom- 
breuses reprises pour les candidats les plus fragiles physiquement a qui la production fait faire 
des epreuves au-dela du difficile. Ils n’ont rien dans l’estomac et ils les font marcher pendant 
des heures sous un soleil de plomb, pour rien. Les vainqueurs etaient deja designes d’avance. 

Done... 

Parfois, il vaut mieux que l’equipe de toumage ne suive pas les regies du jeu : 

« Au cours d’une emission de telerealite, un homme est mort noye alors 
qu’il tentait de traverser un fleuve a la nage, sous les yeux des telespectateurs. 

Ce n’est pas la premiere fois qu’un homme meurt noye dans une emission de 
telerealite. Malheureusement, cela etait deja arrive au cours de l’emission, ver- 
sion bulgare, de « Survivor » en mai 2009. L’homme etait mort d’une crise car- 
diaque. Le 19 aout, autre telerealite a sensation et autre mort. C’est un homme 
de 32 ans, Saad Khan, pere de 4 enfants, qui participant a une emission de te- 
lerealite pakistanaise s’est noye alors qu’il tentait de traverser a la nage le lac 
de Bangkok, en Thailande, charge d’un sac de 7 kilos sur le dos. Ce drame est 
arrive alors que l’emission etait en plein toumage. 

Ainsi, Saad n’etait pas seul au moment du drame. Il y avait les autres parti- 
cipants a remission, l’equipe de toumage... Tous ont assiste a la noyade de cet 
homme. Selon les temoins, plusieurs candidats ont tente de sauver Saad, ainsi 
que des telespectateurs, mais ils n’auraient pas reussi a rejoindre la victime a 
temps. Certains accusent les producteurs de l’emission d’avoir continue a filmer 
le drame au lieu de porter secours au jeune homme. » 53 

Source : http://www.meltv.fr/un-mort-dans-une-emission-de-telerealite-ac- 

tu23422.html 

53 http://www.mcltv.fr/un-mort-dans-iinc-cmission-dc-tclcrcalitc-actu23422.html 


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Des lors qu’on joue avec la vie des personnes, ce n’est plus un jeu et il est eminemment 
sain que l’equipe de tournage, par empathie, aide a tricher, en donnant de la nourriture, un 
toit ou dormir, une main pour eviter la noyade. 

Done la question de la grosse triche ne se pose plus : tout jeu ne devrait pas jouer avec 
la vie des personnes, meme si elles ont donne leur accord. Pour la simple raison que ces 
personnes, n’ayant jamais vecu des situations extremes similaires a cedes que proposent le 
jeu, ne peuvent pas prendre conscience de ce que cela represente ni s’ils sont aptes a y sur- 
vivre sans dommages. De plus, une fois dans la mecanique du jeu, dire « non », abandonner 
est un defi aussi important que celui des sujets de l’experience de Milgram, meme s’il y a 
souffrance physique et mentale. 

Les jeux ne seront pas honnetes tant qu’ils seront trash, trash en ce sens ou c’est la souf- 
france le spectacle. 

La television repliquerait qu’il est impossible de faire marche arriere etant donne que 
ces programmes ramenent de l’audience, que les gens veulent du trash, veulent une compe- 
tition brutaliste. Or « Rendez-vous en terre inconnue » rassemble plus de sept millions de 
telespectateurs sans trash. 

L’emission est « truquee » elle aussi : les individus des tribus sont selectionnes, leur 
environnement est nettoye de tout ce qui pourrait rappeler notre monde, ils sont forces de 
porter leur tenue de fete tout le temps. Mais le mal est moindre parce que le « candidat » 
est un habitue du monde mediatique, done il sait gerer l’experience des cameras ; il n’y a pas 
d’ecrasement d’autrui ; il n’y a pas de competition entrainant colere, haine ; il y a juste un 
message naif et suranne du bon sauvage et de la dangereuse modernite. On est tres loin du 
programme ideal, mais ce genre de programme a le merite de ne pas etre malsain. 

Quitte a etre dupe sur la marchandise, autant choisir du « faux » d’emblee. La fiction est 
mille fois plus profitable, plus plaisante, plus distrayante, plus stimulatrice du cerveau que 
ces programmes de divertissements semblant reels. 

@Medias/divertissements/ses victimes, les 

CANDIDATS 

« Tele-realite : auparavant appelee « spectacle de monstres itinerants » ou 
« freak show », la tele-realite englobe toutes les emissions ou les pires produits 
de l’humanite sont exhibes aux yeux d’un public partage entre fascination et 
repulsion. 

Les associations de militants pour les droits et la dignite de l’homme s’etant 
elevees avec force contre l’exposition a la moquerie populaire des femmes a 
barbe, des freres siamois, des Tom Pouce ou des hommes-troncs, la societe se 


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devait de leur trouver des remplagants credibles. Loana, Moundir, Leo de « se- 
cret story » ou Marjolaine sont done apparus au debut des annees 2000, et c’est 
desormais virtuellement que le public leur jette des cailloux, des insultes ou des 
cacahuetes, en envoyant 1, 2 ou 3 au 3680. » Le dictionnaire injuste et borne de 
la television, Arnaud Demanche 

On l’a vu avec les emissions Tellement vrai, si le spectateur est dupe, le participant a, quant 
a lui, son image ruinee, detruite, pietinee... II est censure de l’intelligence dont il pourrait faire 
preuve, il est mis en boite et pousse a etre egocentrique, narcissique, dominateur, sadique. Sa 
betise est encouragee, mise sur un piedestal et enfin, plus il est retribue, reconnu et adule, plus il 
refrenera toute intelligence. Singe du zoo, il est admire uniquement pour sa betise, ses singeries 
qui permettent au telespectateur de se sentir superieur. « Non, mais alio, quoi ! » 

La star qu’il deviendra sera detestee au plus haut point ( http://www.linternaute.com/tele- 
vision/people/nabilla-personnalite-la-plus-detestee-en-2013.shtml ) et c’est aussi pour cette 
raison qu’elle sera populaire ( http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/12/17/sur-goo- 
gle-nabilla-devant-mandela_43 3 545 9_65 1865 .him!) . Cette nouvelle culture du bouc emissaire, 
de l’idiot du village heros connu de tous, mais neanmoins reconnu cornme idiot ou haissable est 
signe d’une grande souffrance. 

Si on a besoin d'un « idiot » sur lequel se moquer, c’est pour se rehausser soi-meme ou tisser 
du lien social avec ceux qui partagent ce meme jugement au sujet de l’idiot. 

Si Nabilla semblait s’en sortir plutot bien jusqu’a il y a peu, ce n’est pas le cas de tous les 
candidats de la telerealite. De nombreuses emissions trash sont traumatisantes, destructrices : la 
telerealite a de nombreux morts de candidats sur sa route 

— Depuis 1997, il y a eu 18 suicides a travers le monde d’ex-candidats : http:// 
www.lefigaro.fr/culture/2013/03/22/03004-20130322ARTFIG00670-koh-lanta-les- 

precedentes-victimes-de-la-tele-realite.php 

— 12 candidats sont morts en cours d’ emission : http://tvmag.lefigaro.fr/pro- 
gramme-tv/article/information/74624/telerealite-trois-morts-en-france.html 

— Un autre site recense les morts de la telerealite (il en comptabilise 26) : http:// 
www.hollvwoodreporter.com/gallery/dark-side-realitv-tv-25-432060#22 

Pourquoi tant de victimes ? Notre reponse est simple : certains programmes s’occupent de 
leurs candidats cornme le ferait une secte. Ils les detruisent psychiquement en les epuisant phy- 
siquement, en les plagant dans des situations qui les modifient, annihilent tout esprit critique, ce 
qui detruit la juste conscience des choses et empeche les comportements intelligents, reflechis. 


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Qu’ils soient forts ou faibles, ils seront affaiblis pour etre maniables a souhait. 

Pour etayer notre discours, nous allons nous appuyer sur ce qu’a revele Philipe Bartherotte 
des dessous de « file de la tentation ». 


■ CASTING 


« Quatre couples non maries et sans enfant doivent tester leur amour face a 
la tentation de vingt-deux beaux celibataires pendant un sejour de douze jours : 
les tentateurs(trices) ; des rendez-vous romantiques avec les celibataires ont lieu 
tous les jours. Chacun decouvre ensuite, par l’intermediaire du camescope, une 
selection de sequences concernant le sejour de son partenaire lors du rituel noc- 
turne quotidien dit du feu de camp. Au bout des douze jours, dans un ultime 
feu de camp, chaque couple doit alors decider s’il reste uni ou non a Tissue de 
remission. » 

Source Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%8Ele_de_la_ 

tentation 

Malgre l’appel aux candidats en fin d’ emission, file de la tentation ne recrutait que par cas- 
ting sauvage : vouloir faire de la television etait eliminatoire dans la selection. 

Abordes dans la rue, dans les boites de nuit, a la pompe a essence, les futurs candidats se 
voyaient proposer un casting pour TF1, sans precision autre. Cest une technique de low-ball 
qui permet d'obtenir une premiere acceptation de la personne. 

Une fois l’acception obtenue, le premier rendez-vous consistait a remplir un questionnaire : 
c'est le pied dans la porte, un premier acte dans la demarche d’acception de la participation au 
jeu. Puis les petites etapes se succedaient : des discussions, des rencontres avec les differents 
acteurs de la production, rappelant au futur candidat l’importance qu’il avait pour eux, le flat- 
tant, rcnforcant son importance, le fait qu’il soit indispensable (flatterie/etiquetage positif). 
Petit a petit, le candidat etait pris dans le filet, se sentant valorise puis de plus en plus engage 
dans la demarche. Dans les questionnaires, devant les ecrans de casting, face a la psychologue, 
une fois l’equipe chez lui pour le reportage d’ introduction, il etait amene a parler de lui sous 
toutes les coutures : l’equipe de production amassait alors un maximum de donnees sur lui, ils 
le connaissaient mieux qu’il ne se connaissait lui-meme. Ainsi, ils avaient alors tout pour les 
convaincre de s’engager dans l’experience. 

Exactement comine la scientologie ou n’importe quelle autre secte le ferait. 

Les candidats y croient, a cette experience (on ne leur parlait jamais d’ emission, mais d’ ex- 
perience), ils croient a tous ces compliments sans cesse repetes, ils croient egalement que c’est 
leur choix de s’etre engages dans cette aventure. Mais tout a ete fait pour prendre leur esprit au 
piege, pour les engager a se soumettre aux desirs de la production qui petit a petit a commence 
a les depouiller de leurs secrets et s’appuyant dessus pour les pousser encore plus a participer 
a l’emission. 


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■ LES INTERROGATORS 

Rappelez-vous que l’equipe de production a deja toutes les donnees privees possibles sur 
chacun des candidats. 

Durant remission, les interviews sont extremement nombreuses entre les evenements, les 
sorties, pour faire parler le candidat de ce qu’il a vecu. Mais l’objectif pour celui que Ton ne 
voit pas et qui mene 1’ interrogate ire (e’est le terme le plus approprie pour designer cet echange) 
est de manipuler le candidat. II s’agit soit de le pousser a oublier son copain ou copine et se 
« lacher » , soit le pousser a s’interroger sur ce qu’il a vu des images de son conjoint et le faire 
craquer, ou encore le remettre dans le cadre du jeu et l’empecher de briser la mecanique du jeu. 
Cela se deroule coniine une psychanalyse pour l’intervieweur : questions extremement ouvertes 
qui poussent a parler, un « e’est-a-dire ? » perpetuel appose a n’importe quel detail, mais aussi 
des questions qu’ils ne se posaient pas (par exemple, pour un candidat serein, lui demander 
comment il fait pour rester zen alors qu’il a vu sa copine faire ceci et cela ; puis insister lourde- 
ment pour qu’il change de position, se mette a douter puis a serieusement s’inquieter). 

Les interrogatoires peuvent durer des heures et les intervieweurs ne s’arretent que lors- 
qu’ils ont obtenus ce qu’ils souhaitaient du candidat, e’est-a-dire des confessions, des pleurs, 
une emotion, un doute. Si le candidat resiste trop, le cameraman fait semblant de ne plus avoir 
de batterie et de les changer pendant que l’intervieweur continue de questionner en soi disant 
« off » , mais qui evidemment est totalement « on ». 

Parfois, il n’y a meme plus de respect et l’interrogatoire est une suite d’insultes : 

« Est-ce tu te rends compte que t’es en train de passer pour une conne aux yeux de la France 
entiere ? C’est pourtant clair ! Il t’ a jamais aime ce mec ! Moi je peux te le dire. C’est flagrant ! 
Il n’en a rien a foutre de toi. . . Je sais, c’est difficile a admettre. Je te comprends ! » 

Alors, lasses, mis a mal par les questions, blesses par ce que l’intervieweur dit, influences et 
manipules, ils finissent tous par craquer et se ranger volontairement a ce qu’on leur dit. 

■ LES CONDITIONS DE JEU 

L’ile est tropicale. Qui n’est pas habitue a ce climat est rapidement epuise, ce qui est le cas 
des candidats, auxquels on rajoute un emploi du temps extremement charge. Ils ne sont jamais 
au courant de ce qui va se passer dans l’heure, ils sont a la merci de la production qui les pousse 
a faire la fete tard dans la nuit et se reveiller aux aurores. Chaleur, manque de sommeil. . . 

Rajoutez a cela pele-mele d’activites extremes et incitation a boire perpetuelle (champagne 
partout, des litres et des litres ; meme quand il y a refus, les serveurs rajoutent un peu d’alcool 
dans les jus de fruits) et vous obtenez des candidats totalement vides, prets a faire n’importe 
quoi, ayant perdu tout repere. 


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Cette technique de surmenage, de mise en condition d’epuisement et d’etat second perpe- 
tuel, est une technique utilisee par toutes les sectes. Elle prive l’individu de ses forces, done sa 
capacite a reflechir, a remettre en question ce qui lui arrive ou a prendre des decisions conve- 
nables. Ainsi le manipulates peut manipuler a sa guise. 

■ LA RESISTANCE... 

Un candidat a bien tente de resister a la mecanique du jeu : meneur, il a reussi a convaincre 
les autres homines de rester entre eux, de ne pas adresser la parole aux tentatrices, de les ignorer 
totalement. Par sa seule determination, il reussit a mettre en echec la mecanique du jeu pour 
quelques jours du cote des homines. 

Evidemment, son intervieweur a ete rappele a l’ordre : il fallait casser ce candidat pour bri- 
ser sa strategic. Ils ont pioche dans les donnees qu’ils connaissaient de lui pour commencer a le 
« travailler », notamment sur une peur qu’il avait de perdre sa copine. Telle une psychanalyse 
malsaine, Tintervieweur s’est attele a lui rappeler ses failles, a savoir cette peur le motivant a 
entrainer tout le groupe dans la resistance au jeu, aux tentatrices. L’insistance de Tintervieweur 
sur ce point a ete telle que le candidat a commence a mediter. Des le lendemain la production 
le fait sauter en parachute (un reve d’enfance du candidat), alors qu’il est toujours en pleine 
introspection. Le candidat dit alors avoir eu un declic. 

En plein feu de camp, il quitte les cameras et dit vouloir arreter le jeu. On envoie Tinter- 
vieweur lui parler et le convaincre de demander en mariage sa concubine. Finalement c’est un 
manage qui se fera sur Tile. 

La revolte aura ete etouffee ainsi, en rappelant le candidat a penser uniquement a lui, en 
derivant son attention sur sa personne, en titillant son esprit sur ses faiblesses, en couronnant 
T introspection d’emotions fortes (le saut en parachute), sans parler de la fatigue, Talcool et 
toute la mise en scene. . . 

Cette resistance et la fa$on dont elle a ete tuee dans l’oeuf sont tres interessantes : il suffit 
parfois de faire oublier le collectif, de centrer la personne sur elle-meme, de T aider personnelle- 
ment (lui faisant croire que c’est elle qui a un probleme) pour tuer tout mouvement contraire au 
cadre institue. La manipulation a visee de detournement de la resistance collective a egalement 
cette allure, celle de la bienveillance : le candidat sera a jamais reconnaissant de Tintervieweur, 
le serrant dans ses bras, parlant continuellement de son aide psychologique et vantant ses qua- 
lites a ses proches. 


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On verra plus tard avec la manipulation au travail que faire oublier le collectif au « resis- 
tant » pour le centrer sur lui-meme est une strategic tres employee, on pourrait meme dans cer- 
tains domaines l’appliquer a un phenomene de societe : s’occuper de son nombril ou l’inciter a 
s’occuper uniquement de sa personne, permet a la fois au resistant en herbe de faire un benefice 
de « bonheur » de le couper du travail de changement, du collectif, de l’activisme et done du 
possible changement d’institution. 


@Medias/divertissements/formatage 


L’impact des divertissements sur notre formatage est encore plus puissant que celui des 
actualites, de la publicity et de tout ce dont on a pu parler precedemment. Les premieres raisons 
sont tres simples, elles concernent notre etat d’esprit face au divertissement. 

■ LA NATURE DU DIVERTISSEMENT : NOUS DETOURNER 
DE L ESSENTIEL 

Quand on veut se divertir, c’est-a-dire se detourner, on coupe certaines resistances men- 
tales, parce qu’on veut etre ernmene ailleurs. On est presque en to tale ouverture, on se laisse 
recevoir l’histoire, le jeu, le programme ; on recoil et on veut etre « pris », « captive » par ce 
qu’on regarde. Le processus en soi n’est pas mauvais, car il permet de recharger ses batteries, 
de retrouver une bonne humeur, de partager une histoire et un sujet avec autrui. Cependant le 
divertissement televisuel n’est que reception : nous ne pouvons pas agir vis-a-vis de lui, excepte 
avec quelques tweets ou votes par SMS. Globalement, faction n’est pas de mise contrairement 
a un jeu (video ou non) ou l’on est actif. L’absence d’actions vis-a-vis du divertissement accroit 
encore plus notre etat de recepteur passif. 

En cvincant toutes questions culturelles, intellectuelles, toute reflexion des divertissements, 
on est pousse a rester ce recepteur passif, car rien ne stimule la reflexion contrairement a cer- 
tains films ou series qui jouent avec tous nos neurones. 

Seules sont suscitees les reactions, les emotions, c’est-a-dire des productions peu elaborees 
(en ce sens qu’elles sont immediates, instinctives, directement generees par nos lobes les plus 
ancestraux, sans passer par des traitements plus complexes lies aux capacites de raisonnement), 
presque automatiques. 

Le divertissement televisuel tend alors a nous hypnotiser et il y arrive tres bien. On pourrait 
dire que c’est done le divertissement absolu, qu’on n’a rien trouve de mieux pour fuir effica- 
cement ces questions dites « essentielles ». Que c’est un anesthesiant mental qui a le merite 
d’avoir moins de consequences sur le corps et l’esprit que l’heroine. Que c’est moins douloureux 


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que de s’assommer la tete contre un mur. Cependant, ce serait tres largement sous-estimer la 
puissance du cerveau : nous sommes avides de faire jouer nos neurones, merne quand il s’agit 
de se « detourner de l’essentiel ». Les jeux video en sont la preuve (nous en avons parle dans 
les pages precedentes). 

Le probleme du divertissement tele est qu’en effet, il reussit a nous detourner de l’essentiel. 
Au point de ressembler a une drogue : il apporte un bienfait immediat, rapide, qui en s’estom- 
pant laisse place au vide. Il ne nourrit pas, n’apporte rien de bon et, au passage, stimule des 
tendances pas franchement recommandees ni recommandables. 

Ce qui nous amene a nous demander pourquoi des personnes tout a fait saines d’esprit, 
pas deprimees, intelligentes et vives, s’attellent neanmoins a regarder ces divertissements alors 
qu’elles ont mille autres possibility d’actions plus palpitantes et plus interessantes a faire. 


■ LE DIVERTISSEMENT EST SOCIAL... 

Il y a un interet social a regarder la television : dans les cours de recreation, au travail, sur 
Internet, une grande majorite echange, discute autour des divertissements, rit de bon coeur de 
ces acteurs, se projette dans la suite du programme, se questionne sur l’attitude de tel candidat, 
s’imagine dans le jeu... Les autres medias (dont ceux sur internet) alimentent cet interet social 
en commentant les emissions et en appelant a commenter celle-ci. 

Certains telespectateurs s’excusent de ne pas etre a la page dans ces debats IRL ou en ligne 
(ici, le huffington post) « j’ai pas tout regarde, c’est long quand meme! » ( Top Chef), « J’ai deja 
fait un effort en me mettant a Pekin express, m’en demande pas trop! » (En reponse a quelqu’un 
qui demandait si elle avait vu telle emission) : suivre remission devient inconsciemment un 
devoir social afin de rester en phase avec le groupe. 

La meconnaissance d’un fait televisuel est accusee « quoi tu ne connais pas Nabilla, mais 
sur quelle planete tu vis ? » et celui qui ne regarde pas la television peut se sentir seul : il ne 
comprendra pas les references que fait le groupe, il ne pourra pas intervenir dans les debats 
parce qu’il ne connait pas ce monde, il sera exclu par les thematiques abordees et aura la crainte 
de poser des questions, car sa meconnaissance peut lui etre reprochee ou moquee. 

Ce qui genere done une pression sociale : pour celui qui veut s’inserer dans le groupe, par- 
ticiper au debat, il lui faut regarder la television. Cette pression sociale est d’autant plus forte 
chez les enfants et les adolescents qui ne peuvent et ne veulent pas prendre le moindre risque 
d'etre exclu du groupe. 

Elle est done ici, la reponse a notre question « pourquoi les gens s'abrutissent de divertis- 
sements ? » parce que la connaissance de ces divertissements pennet une meilleure insertion 


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dans un groupe. Le « qu’est ce que tu as regarde a la television hier soir ? » est un moyen de Her 
le contact, de partager avec l’autre des opinions communes, de lancer des debats sans grande 
consequence, de rire ensemble. 

En cela, il ne s’agit pas tant de se divertir, mais de cumuler de quoi nourrir une conversa- 
tion ou chacun sera sur un pied d’egalite, ou les opinions pourront etre partagees sans risque de 
rompre toute amitie (la ou le debat politique peut s’averer nettement moins joyeux). Le divertis- 
sement est un facilitateur social qui unit sans grande difficulty 

Cette composante sociale est un facteur determinant dans le succes de la television, et il est 
difficile de le recuser : comment pourrait-il etre mauvais que les gens s’unissent au travers de 
sujets communs ? Si les gens ne peuvent que s’unir via le biais d’emissions creuses, comment 
leur union pourrait etre prolifique ? Cest la tout le defi de ceux qui ont eteint leurs ecrans ou 
preferent l’ecran d’ordinateur : s’unir aux autres malgre les differences, s’ouvrir a des debats a 
des discussions sans pour autant avoir le meme vecu. Cela necessite une grande ouverture d’es- 
prit, de la curiosite et de la tolerance. Mais c’est prolifique a tout le monde sur le long tenne. 


■ MAIS CE DIVERTISSEMENT EST POLLUTION DU CER- 
VEAU 

Le divertissement nous seduit en exploitant certaines de nos failles, il s’agrippe a notre 
mode de vie en trouvant son repondant social dans la vraie vie. Entre temps, il s’est installe 
dans notre cerveau confortablement, en prenant des places vides cornme la representation d’une 
personne qui cherche la celebrite, d’un ch’ti plonge en terre de stars. Si consciemment, tout le 
monde s’accorde sur la non-importance des divertissements, le fait qu’il ne faille pas les prendre 
au serieux, le fait qu’ils soient cretins ou qu’on ne voie pas toute la realite, ce n’est pas le cas de 
notre inconscient. 

La pub, qu’on rejette, qu’on ne veut pas voir, pour laquelle on rale, arrive quand meme a 
imposer ses representations : la voiture = domination. Parce que meme sans volonte de voir, les 
precedes utilises, repetes, s’inscrivent neanmoins dans notre cerveau, forment des representa- 
tions actives (cf chapitre sur la publicite). 

Qu’en est-il quand le programme est regarde consciemment, regulierement, qu’on ne le 
rejette pas, meme si on l’accuse ? Qu’en est-il quand remission se vante en plus de montrer la 
realite d’un certain contexte ? Le cerveau code encore plus profondement et plus solidement les 
representations donnees et les prend pour vraies. 

On ne connaissait pas de personnes souhaitant devenir celebre a tout prix, c’est chose faite 
avec Tellement Vrai : on stocke alors l’image d’une jeune femme ecervelee sans talent. On 


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en deduira inconsciemment que toutes les personnes cherchant la celebrite sont des femmes, 
qu’elles sont idiotes et qu’elles n’ont pas de talent. Le stereotype est cree et s’activera au mo- 
ment de juger le monde, avec le recours d’autres representations piochees dans ce qu’on a vu 
le plus (cf heuristique de disponibilite pages precedentes). Or ce qu’on voit dans la realite est 
restreint : parce que les gens n’exhibent pas tous les aspects de leurs vies, parce qu’on ne cotoie 
pas tous les modes de vie possibles, parce qu’on ne discute pas de tout avec tout le monde et 
que les personnes ne repondraient pas a toutes nos questions. La television, les medias donnent 
l’illusion a notre cerveau de tout connaitre sur ces differentes vies : or les medias ne recherchent 
que le spectaculaire, l’atypique, le bizarre, le dramatique. Spectaculaire qui est en plus remanie, 
manipule pour l’etre encore plus. Au final, les representations stockees via la telerealite sont 
completement caduques, a des lieues d’une representation issue de la realite. 

Notre cerveau est alors dupe, nos opinions sont changees et notre representation du monde, 
des gens, de la societe est alors totalement faussee. Nous ne soinmes pas tous des recepteurs 
nalfs, nous combattons ces fausses representations, nous combattons nos automatismes intole- 
rants, mais cela necessite de retravailler continuellement tout ce qu’on a absorbe, de toujours 
remettre en question ce stock d’images. Cela peut s’averer fatigant, et cela revient a manger de 
la nourriture avariee (mais tres appetissante) puis la vomir, car on la sait nocive : on arrivera 
jamais a tout vomir, certains elements seront absorbes par 1’organisme. Autant alors manger de 
la nourriture saine des le depart. 

■ LE SYNDROME DU GRAND CRETIN MONDE 

Nous postulons que ces representations faussees du monde creent chez certains d’entre nous 
le « syndrome du grand cretin monde ». Ceci est une de nos hypotheses, elle n’a pas ete va- 
lidee par une experience. Cependant beaucoup de faits nous amenent a imaginer la realite de 
ce « syndrome ». Comine pour le syndrome du grand mechant monde, il s’agirait d'avoir une 
interpretation du monde faussee. 

Ici, le syndrome du grand cretin monde serait du a un cumul d’images montrant l'homme 
sous son aspect le plus stupide et un deficit d’images, de representations montrant 1'homme 
intelligent. 

Considerer a priori la societe peuplee d’idiots a des consequences negatives : le syndrome 
du grand cretin monde rend fataliste. 

A quoi bon essayer de discuter serieusement si la personne en face est certainement idiote ? 
A quoi bon essayer de monter des projets intelligents necessitant des neurones pour etre com- 
prise ? A quoi bon ecrire ou faire part d’idees complexes s'il n'y a personne pour lire ou chercher 
a comprendre ? 


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Le syndrome du grand cretin monde nous rend malfaisant envers autrui : si on considere a 
priori l’autre idiot, on se comportera mal envers lui, on l’infantilisera, on se moquera, on ne lui 
fera pas part de choses intelligentes, on lui apposera des paroles reduites, on ne cherchera pas a 
comprendre ce qu’d dit en profondeur, on ne lui posera pas de questions. Et cette attitude aura 
pour consequence de rendre effectivement l’autre idiot, car on restreint son champ comporte- 
mental avec ce prejuge. A contrario, meme si l’autre a fait preuve de betise, mais qu’on persiste 
a l'imaginer intelligent, on pourra l’amener a devenir intelligent grace a une attitude ouverte, 
respectueuse, non reduite par des prejuges. 

Cette fag on d’etiqueter negativement tout un groupe de personnes prend source dans des 
representations negatives que nous avons collectees puis generalises a toute la categorie en 
question : la television en effet pousse a ce biais, mais evidemment elle n’est pas la seule res- 
ponsable de ce syndrome du grand cretin monde. II existe evidemment des personnes qui ne 
sont pas intelligentes, qui se comportent de lac on aberrante et a qui il est tres difficile de faire 
entendre raison : ces personnes ont un comportement parfois exuberant au point d’occulter tous 
les autres membres du groupe, de polluer les representations que Ton a d’un groupe. Les per- 
sonnes pacifiques/intelligentes/cultivees/bienveillantes n’etant pas celles qui orient le plus, elles 
sont cedes dont on parle le moins (car elles ne sont pas spectaculaires), parce qu’elles ne posent 
pas de probleme, elles s’eflfacent a la memoire au profit des exuberants mal avises, elles sont 
contaminees par la representation qu’elle donne a voir. 

Dans un lycee, une equipe pedagogique composee de profs s’occupant d'une 
meme classe decide de laisser de cote certains apprentissages sous pretexte que 
la classe en est incapable. II est dit clairement a la classe que personne ne leur 
transmettra cet apprentissage, car ce serait trop difficile pour eux, ils n’y arri- 
veraient pas. En consequence, la classe se croit idiote et reagit en fonction de 
l’etiquetage negatif. 

Un nouveau prof arrive a la rentree et alors qu’d se met a leur apprendre ce 
que l’equipe pedagogique avait decide d’abandonner, les eleves lui signalent que 
personne ne les a introduits a ces connaissances, estimant qu’ils en etaient par- 
faitement incapables. 

Le prof refuse cette idee, explique aux eleves qu’d n’y aucune raison pour 
qu’ils ne puissent pas reussir a le faire cornme les autres. II temoigne sa confiance 
en eux et explique posement l’apprentissage. Les eleves, tiers qu’on leur accorde 
un brin de confiance, se sont surpasses, ont ete de plus en plus attentifs en classe 
et ont reussi a integrer et utiliser correctement cet apprentissage que les autres 
avaient suppose impossible pour eux. 

Temoignage recueilii IRL 


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Considerer le monde comme idiot le rend effectivement idiot, en cela le syndrome du 
« grand cretin monde » est la meilleure facon pour glisser vers une idiocratie, ce qui est un 
comble. L’adage « il ne faut pas prendre les gens pour des idiots, mais ne jamais oublier qu’ils 
le sont » devrait devenir « il ne faut pas prendre les gens pour des thesards, mais ne jamais ou- 
blier qu’ils ont les potentialites pour le devenir », ce serait plus prolifique et plus agreable pour 
tout le monde. 

■ LE SYNDROME DU GRAND MECHANT MONDE, ENCORE 

Pour continuer sur notre lancee, on pourrait exprimer ce syndrome par cet a priori « il ne 
faut pas prendre les gens pour des brutes violentes dangereuses, mais ne jamais oublier qu’ils le 
sont ». Il faudrait le transformer en « il ne faut jamais prendre les gens pour des saints, mais ne 
jamais oublier qu’ils peuvent le devenir ». 

Ce syndrome est egalement stimule par les divertissements : evidemment cela conceme 
tous les series policieres, les reportages sur l’insecurite et la violence, les enquetes, le focus 
sur les victimes, etc. Ces emissions consolident le syndrome en offrant d’autres points de vue, 
le renforcent en prouvant l’existence de l’horreur, en lui donnant de multiples images et his- 
toires. L’inverse est rarement vrai, pourtant l’existence de vies pacifiques, bienveillantes est 
bien reelle, mais n’offrant pas de spectacle, elles sont ignorees. 

Mais le syndrome du grand mechant monde est stimule par le cadre de remission. Il y a une 
enorme confusion qui est tres entretenue par les emissions : beaucoup de candidats des lofts, des 
Koh Lanta et autres telerealites nous apparaissent comme intolerants, mauvais envers autrui, 
egocentriques. Mais on a tendance a ignorer que le cadre de remission, c’est-a-dire ses regies, 
son contexte manipule, sont a l’origine de ces comportements. Prenons Pekin Express : c’est 
parfois a desesperer de voir a l’oeuvre un comportement proche du racisme envers les locaux. 
Certains candidats traitent de tous les noms les habitants du pays qu’ils traversent sous pretexte 
qu’ils ne comprennent pas d’emblee leurs volontes, qu’ils ne vont pas assez vite ou ne repondent 
pas a leurs attentes. Qu’est-ce qui a l’origine de ce comportement intolerant ? La course contre 
la montre imposee par remission. Le desir de gagner a tout prix qui est le moteur de remission. 

Les regies contraignantes de remission imposent aux candidats de pietiner tout sur leur pas- 
sage, de ne pas tenir compte de l’humain pour aller toujours plus vite pour remplir au mieux les 
objectifs de remission. Si le but n’avait ete que de donnir chez les locaux pour apprendre a les 
connaitre (on pense a J'irai dormir chez vous), ils auraient ete patients, respectueux, parce que 
la colere et l’enervement auraient ete totalement contraires aux objectifs du cadre de remission. 

Le cadre de remission pousse a l’agressivite et done a voir des candidats agressifs, en colere, 
sans patience, egocentrique. « C’est une arene, il n’en reste qu’un, il faut que ce soit moi. Cest 


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chacun pour sa gueule, il faut aller chercher sa victoire » (un candidat de Top Chef). Grande 
majorite des emissions posent ce cadre d’« arene », c’est-a-dire un monde hostile, ou tous sont 
ennemis, ou le danger regne, ou Ton joue sa vie, ou la collaboration n'est qu’une epreuve de 
plus. Le syndrome du grand mechant monde est done accru par la vision de ces candidats en 
lutte, il est accru en montrant que les seules cadres de reussite sont des arenes, des guerres, des 
combats contre l’autre. 

Ces emissions s’inspirent de la vie reelle, on pense evidemment au monde de l’entreprise, 
au benchmark des individus. Certains les disent representatives de notre societe, et en cela, 
leur « cadre » est excuse meme si on le rejette. Mais ce « cadre arene » n’est qu’une vision de 
1’ esprit qu’on a applique au reel, une vision qu’on a imposee au monde et qui se fait passer 
pour realite ineluctable. Etant donne qu’on a ici affaire a du divertissement, ce serait l’occasion 
de faire preuve de creativite et d’ inventer de nouveaux cadres inedits, de tester des contextes 
qui poussent l’humain a ne pas etre un guerrier, un sadique ou un egocentrique. Il y a un cruel 
manque d’ imagination et d’audace a reproduire sans cesse le schema de 1’ arene. 


■ NORMES SOCIALES DE LA SOCIETE DE CONSOMMATION 

On cherche tout le temps a se comparer, a avoir 1’ attitude convenable, a etre dans le monde 
avec les autres conformement a ce que le monde attend de nous. On se construit sans cesse en 
observant la vie, les comportements des autres, les differentes vies, ce qui est considere comme 
bien et ce qui est considere comme mal. On se cherche dans ce qu’on voit, on se cherche par re- 
actance ou par assentiment [plus d’infos sur la reactance : https://hackingsocialblog.wordpress. 
com/20 14/12/2 1/lhomme-est-un-mouton-ah-oui-vraiment/ ]. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on 
est enfant : c’est l’age du premier degre, ce qu’on voit est la realite, est a suivre, est un modele. 
A cet age, nous manquons d’esprit critique, de discemement. Si la pub dit que ce jouet est 
amusant et que les enfants qu’on voit dedans sont heureux, c’est que c’est la verite. Meme si on 
explique a un enfant que ce n’est pas vrai, il croira neanmoins a la pub : 

« Une experience a ete realisee pour tester l’effet des celebrites sur les envies 
d’achat des enfants. Des enfants et adolescents d’ages compris entre 8 et 14 ans 
regardaient une publicite pour des modeles reduits de voitures de course, au 
milieu d’un programme de dessins animes d’aventures. 

Dans une premiere version, la publicite etait presentee par un celebre pi- 
lote automobile, dans une seconde version elle etait presentee par une personne 
« anonyme ». Un total de 415 enfants ont ete soumis au visionnage, et les psy- 
chologues ont ensuite evalue leur envie de se procurer le modele reduit. Ils ont 
constate que ce desir etait bien superieur lorsqu’on faisait intervenir le pilote 
celebre dans la page de publicite. 


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En outre, les auteurs de T etude ont fait passer des questionnaires a ces en- 
fants et ont constate que ces derniers etaient persuades que le pilote etait un 
expert et connaissait tres bien le produit vante dans la publicite. Pour vendre une 
voiture-jouet, qui s’y connait mieux qu’un pilote ? 

Des questionnaires plus pousses ont revele que les enfants les plus jeunes (de 
8 a 11 ans) transferaient sur la voiture-jouet le charisme inherent au pilote. Ces 
enfants faisaient globalement davantage confiance a la celebrite que leurs aines 
d’ages compris entre 11 et 14 ans. 

Les psychologues ont ensuite insere des images de vraies courses automo- 
biles dans la publicite, et ont constate que les enfants voyaient le produit plus 
puissant et plus rapide. 

Ainsi, ils avaient tendance a focaliser sur le produit 1’ ensemble des impres- 
sions suscitees a la fois par les images de course et par le pilote celebre. 

Cette tendance enfantine est si forte que des seances de “debriefing”, ou Ton 
explique aux enfants que les publicitaires utilisent ces techniques de maniere 
cynique pour augmenter leur envie et les pousser a acheter, n’ont aucun efifet sur 
leur jugement et leur appreciation du produit. » 

Sebastien Bohler, 150 petites experiences de psychologie des medias, 

Dunod, 2008. 

Pour l’enfant, la television est une autorite qui dicte les conduites, les aspirations, les desirs, 
la lacon de vivre. Les parents doivent faire un travail supplemental pour enlever ces normes 
televisuelles et defaire les liens que la television tisse entre l’enfant et les produits. C’est pour- 
quoi la pub devrait etre interdite lors des programmes pour enfants. Les parents ne devraient 
jamais laisser la television allumee en pennanence ou les faire regarder des programmes qui ne 
sont pas prevus pour eux. Les consequences de la television sur ces cerveaux en formation sont 
dramatiques. Doter la television du role de nourrice, c’est les empecher de decouvrir le monde 
sensible, de faire des experiences physiques, c’est orienter leur imagination et mettre un firein 
a leur developpement. 

« Le SAT- Verbal est un test standardise de competence langagiere que 
passent la plupart des etudiants americains avant leur entree dans l’enseigne- 
ment superieur. Entre 1965 et 1980, les resultats obtenus a ce test s’effondrerent 
brutalement. Pour expliquer cet etrange phenomene, diverses hypotheses furent 
avancees : moindre financement du systeme scolaire, incompetence croissante 
des enseignants, arrivee en masse d’etudiants issus des minorites noires et his- 
paniques, complexification de l’epreuve, etc. Aucune de ces propositions ne se 
revela satisfaisante. En fait, il fallut attendre Marie Winn et la reedition recente 
de son ouvrage The Plug-in Drug [« La drogue a brancher »] pour entrevoir 


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une possible solution au probleme. Cet auteur observa que l’effondrement du 
SAT- Verbal reproduisait, a une necessaire periode d’incubation pres, la courbe 
de penetration de la television sur le territoire americain. » 54 

Michel Desmurget ,TV lobotomie, Max Milo, 2011. 

L’ado, en quete de lui-meme dans un monde qu’il cherche a decouvrir sous tous ses aspects 
n’est pas moins impermeable au formatage de la television. La pression sociale poussant a part- 
ager le divertissement est bien reelle. Pour ne pas etre exclu du groupe, il regardera le meme 
programme que les autres, il se forcera a y trouver un interet, meme si au fond ce n’est pas le 
cas. Les ados ont beau savoir que la telerealite n’est pas la realite, il n’en reste pas moins qu’ils 
se confonnent au systeme qui leur est presente : un simple coup d’oeil pennet de constater leur 
soumission aux codes notamment vestimentaires. Sur Facebook on peut rapidement constater 
qu’ils jouent le jeu de la telerealite et que la veneration qu’ils ont pour leurs possessions « mar- 
quees » est un comportement induit par les injonctions de la societe de consommation. 

Cela ne fait pas d’eux des idiots, de futurs candidats a ces jeux televises, mais de bons 
citoyens de la societe de consommation. L’ado (comme Tadulte) se soumet inconsciemment 
aux normes diffusees par la television, normes qui sont cultivees dans le reel. Il n’est pas igno- 
rant pour autant, il sait qu’il est arbitrage d’ avoir pour regie de porter un slim, mais il n’y dero- 
gera pas de peur d’etre rejete du groupe, de paraitre marginal, de ne pas reussir sa vie ou d’etre 
montre du doigt comme un monstre. 

Nous avons done mis en evidence quelques nonnes sociales qui sous-tendent les emissions, 
qui sont cultivees dans le reel et auxquelles on se soumet bon gre mal gre. « C’est comme ca 
que les choses doivent etre, c’est la verite. » Ado ou adulte, nous mettons parfois ces normes 
a distance, mais notre soumission reste identique. « C’est comme 9 a que la societe pense et 
con^oit les choses, je ne suis pas d’accord, mais je suis ces normes pour etre en accord avec les 
autres, rester dans la societe, ne pas etre rejete et tenter de m’en sortir, pour ne pas mourir so- 
cialement. » Ces nonnes servent uniquement la societe de consommation et nous rendent mal- 
heureux, confus. Elies nous empechent de nous emanciper, de nous construire et de construire 
un monde meilleur. 

— L ’apparence est reine : il faut etre bien habille, etre sexy, etre muscle ou mince. Il faut 
avoir une belle maison, une belle deco. 

Cette norme sert principalement : aux commerces de mode, c’est-a-dire les vetements, 
les bijoux, les chaussures. Elle sert aux fitness, aux marchands de regimes, aux magazines fe- 
minins et masculins. Elle sert aux vendeurs de produits de beaute, maquillage, soins corporels... 
Elle sert aux marchands pseudophannaceutiques vendant des produits « miracle » pour maigrir 
ou aller mieux dans sa peau. Elle sert aux coachs et aux charlatans. 

54 Michel Desmurget ,TV lobotomie. Max Milo, 2011. 


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Cette norme sociale nous dessert, car : elle pousse a l’anorexie (done a la boulimie), au 
mal-etre dans sa peau (car on n’est jamais assez parfait au vu des modeles presentes, au dysmor- 
phisme (mauvaise perception de son corps). Elle pousse a la comparaison sociale et comporte 
quantite de biais de jugement melangeant l’apparence et le fond de la personne (beau = bien ; 
moche = indigne d’interet) accroissant au passage cette norme sociale, elle pousse certain a 
deprimer, a ne jamais se sentir bien, elle nous fait perdre notre temps (en passant des heures a 
obtenir des muscles ou se preparer), elle nous fait vivre des deceptions et des moments de de- 
plaisir (les regimes sont durs et leurs resultats s’efifondrent apres quelques mois), elle entraine 
de la culpabilite (celle de ne pas avoir fait assez d’ effort pour bien paraitre, que ce soit par le re- 
gime), elle pousse les femmes dans un role sexuel uniquement dedie a 1’ excitation de l’homme, 
elle pousse l’homme au machisme. 

Emissions renfor^ant ou incitant a suivre cette norme sociale : 

• Belle toute nue : l’idee de depart est pourtant noble : aider une personne a se sentir 
mieux dans son corps, quels que soient ses kilos ou les defauts que la personne lui attri- 
bue. On y lutterait contre le dysmorphisme et justement contre cette nonne sociale de 
« l’apparence est reine ». Or, la solution proposee est le changement de look : done de 
trouver une apparence convenable, en correlation avec cette norme sociale. II faut avoir 
les bons vetements, le bon maquillage et tout change. La norme sociale est combattue 
par une adhesion a celle-ci, la solution est dans l’achat correct. Seul point positif du 
programme : il y a quelques exercices qui portent sur l’attitude, l’acceptation du corps 
sans etre des questions de look. 

• Toutes les emissions de relooking portent sur ce principe : pour aller mieux dans sa 
peau, il faut changer de look, de maquillage, de style. Seule la societe de consommation 
peut remedier au probleme d’ acceptation du corps. 

• Pour vivre mieux dans sa maison, pour se sentir bien dans ce lieu, e’est pareil : il faut 
relooker, done acheter, soigner les apparences. 

• Dans toutes les telerealites, femmes et homines passent leur temps a prendre soin de leur 
apparence, durant des heures parfois. C’est parfois leur activite primordiale. 

• Tous les metiers lies a l’apparence sont survalorises : mannequins, acteurs sont montres 
comine des modeles, leur vie est desirable, tout est fait pour designer leur mode de vie 
coniine un reve absolu, un ideal de vie. 

— L’intelligence, la culture, les questions politiques, les debats, les questions existentielles, 
les questions scientifiques, ne sont pas divertissantes, pas amusantes, n ’apportent pas de plai- 
sir, ne sont pas agreables. 

Pourquoi cette norme ? Parce que les divertissements sont vides de toute question de culture, 


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de questions intellectuelles, politiques ou de nature a debat. On en deduit done que pour prendre 
du bon temps, se divertir, il faut evincer ces questions ou on risque d’ennuyer autrui, de le 
contrarier a parler de questions qui stimulent les neurones. 

Cette norme sert principalement a : vendre du temps de cerveau disponible a coca. II 
sert la pub, en focalisant les themes du divertissement sur des questions futiles correlees a la 
publicite. 

II sert a gagner en audience en cvincant toute question qui pourrait diviser, ne pas etre par- 
tagee, ou pousser le telespectateur a changer de chaine. II sert la consommation en reduisant 
l’individu-candidat-modele a un jouisseur desinteresse des questions importantes, centre sur lui 
meme. 

Cette norme sociale nous dessert, car : elle cree ou accroit le syndrome du grand cretin 
monde (voir pages precedentes) ; elle nous empeche (ou du moins cree un blocage parfois dif- 
ficile a sunnonter) de partager avec autrui des questions qui seraient pourtant palpitantes et qui 
creeraient un vrai lien social, elle reduit notre perception du divertissement en le cantonnant a 
certains themes. 

— Pour obtenir de la reconnaissance, on doit se battre : contre les autres, contre ses amis, 
contre le temps, contre soi-meme. Le monde est une arene. 

Emissions renforcant ou incitant a suivre cette norme sociale : quasi toutes les telerealites 
sont congucs sur le mode de l’arene, de la guerre, quel que soit le theme : Top Chef, Pekin Ex- 
press, La nouvelle star, Koh Lanta... 

Cette norme sert involontairement : les entreprises au management guerrier, elles sti- 
mulent un mode de conduite soumission/domination, elle stimule l’egocentrisme, le narcis- 
sisme, l’irrespect d’autrui, notre penchant animal pour la defense du territoire (avec la particu- 
larity de l’individualisme). 

Cette norme sociale nous dessert, car : elle nous fait considerer le monde comine un 
champ de bataille ou il est bon d’ecraser tout le monde. Le narcissisme ne rend pas heureux, 
le malheur des autres non plus. Construire ses victoires sur le malheur des autres est un echec 
personnel qui coute, a moins d’etre devenu psychopathe. 

Cest egalement donner une image reductrice du monde : la majorite des entreprises hu- 
maines ne peut fonctionner que sur une collaboration reciproque. Le mode « arene » est un 
mode reducteur de la vie humaine, un mode qui n’apporte que de la souffrance, des problemes, 
du stress contre des plaisirs egocentriques fugaces similaires a des drogues (plaisir intense, 
manque, impossibilite de vivre sans, envie d’en avoir plus, impossibility de se construire et 
de construire un bonheur durable impermeable aux aleas de la vie). Cette norme est parfois 


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justifiee par l’invocation de Darwin et la loi du plus fort : or ce n’est pas darwinien, ce sont ses 
attaquants qui ont propage cette « loi ». Darwin a lourdement insiste sur le fait que la force des 
especes et leur « victoire » residaient justement dans la collaboration, l’entraide. 

— Sen Is les extravertis spectaculaires existent. L ’introversion, les vies calmes sont signe 
d’eviction. 

Emissions renfor^ant ou incitant a suivre cette nor me sociale : toutes. Aucune d’entre 
elles ne met en valeur les personnalites calmes, les non-exuberants, les sages, les reflechis, les 
introvertis. S’ils sont mis en valeur, c’est simplement pour rehausser les extravertis, leur donner 
un tremplin ou alors les observer cornme ayant un gros probleme a regler. 

Cette norme sert principalement a : faire monter l’audience avec le spectaculaire, couper 
court a tout sujet qui necessite du temps et de la reflexion. 

Cette norme sociale nous dessert, car : toutes les personnes calmes, reflechies ou intro- 
verties sont moquees, rejetees ou prises en pitie. La non-extraversion serait pathologique ou 
probleme social. Or ce calme est parfois signe de sagesse : la personne reflechit avant de parler 
ou de poser un jugement, elle prend la mesure des circonstances avant de se precipiter, etc. Ne 
faire exister que les extravertis, c’est mettre l’impulsivite au pinacle, ce qui peut mener bien 
des entreprises a l’echec, ce qui peut amener a rendre les projets superficiels et peu reflechis. 
L’introversion et l’extraversion sont complementaires. L’introversion n’est pas une pathologie, 
elle n’est pas forcement synonyme de timidite ou d’agoraphobie, c’est simplement une facon 
d’absorber et de renvoyer les choses dififeremment. 

— On est et on doit etre en lutte perpetuelle contre le temps. Etre rapide est signe d’efficaci- 
te. Etre deborde et ne pas avoir le temps est signe qu ’on a des activites tres importantes. Perdre 
du temps ou prendre du temps est signe de faineantise done d’echec. 

Emissions renfor^ant ou incitant a suivre cette norme sociale : toutes ont des contraintes 
de temps ou imposent, par leur cadre, des contraintes de temps. 

Cette norme sociale nous dessert, car : notre cerveau, pour fonctionner efificacement, a 
besoin de temps. Du temps pour observer longuement et s’impregner de toutes les stimulations 
recucs ; du temps pour absorber sous toutes les coutures les stimulus captes ; du temps pour les 
associer a toutes les possibility ; du temps pour reflechir, analyser convenablement ; du temps 
pour trouver des idees, pour que toutes nos capacites puissent etre mises en oeuvre. On ne fait 
les choses en profondeur et correctement qu’avec du temps. Etre deborde est le contraire de l’ef- 
ficacite : c’est signe d’une mauvaise gestion de ses activites (ou la caracteristique de quelqu’un 
qui veut faire croire a son importance). La rapidite d’execution peut etre certes le signe d’une 
grande experience permettant de realiser les taches rapidement et correctement. Mais on peut 


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aussi livrer un projet rapidement, parce qu’il a ete traite superficiellement. Le temps n’est pas 
une mesure convenable de l’efficacite. Perdre du temps, prendre du temps n’est pas une pa- 
resse : c’est une fa^on de faire les choses qui permet au cerveau de travailler avec soin, avec 
bonheur (car les sensations ne sont pas passees sous silence, mais longuement ressenties), done 
avec un plaisir qui se ressentira dans l’oeuvre accomplie. 

Penser rapidite tout le temps nous fait oublier le ressenti de la vie, des actions, des sensa- 
tions : c’est toute la difference entre le passager du TGV qui voit rapidement les paysages puis 
les oublient et le cycliste qui a ressenti les odeurs de la nature, qui a vu les animaux, qui s’est 
retrouve trempe, mais qui a fini par secher au soleil et qui vous contera une grande aventure 
tandis que le premier se sera ennuye dans la rapidite . 55 

Done... 

Excepte peut-etre l’aspect social du divertissement, cette « solitude partagee entre foules », 
il n’y a que des desavantages aux divertissements tele, que ce soit pour les candidats ou les 
spectateurs. 

Dans une societe comine la notre, on trouve mille et une autres facons de se divertir, cela 
ne devrait pas etre difficile de reussir ce sevrage. 

Quant a l’aspect social, cette pression ou exclusion que peuvent ressentir ceux qui ont cou- 
pe le cordon tele, on s’y adapte : avec de la curiosite, de la tolerance et de l’ouverture d’esprit, 
TVaddicts et AntiTV peuvent cohabiter profitablement, sans dommages. 

Si vous passez le cap, vous risquez d'etre surpris de decouvrir que de nombreuses personnes 
lambdas ont deja decroche de la television, sans pour autant le crier sur tous les to its : l’aban- 
don de la television n’est plus reserve aux milieux intellectuels/ecolos/marginaux, etc. Couper 
le cordon est devenu un geste naturel, logique, qui ne necessite meme pas d’etre engage : il y a 
tout simplement mieux ailleurs. 

55 [note : nous ne sommes pas anti-TGV, il s'agit la dune metaphore sans message cache] 


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@MEDIAS/CONCLUSION/POURQUOI UN TEL POU- 
VOIR? 


La television est 1’ opium du peuple. 

Certains passent tout leur temps libre devant elle ou la laissent accompagner toutes leurs 
activites connexes, en fond, s’agrippant a quelques vagues de leur conscience, mais prenant 
pied dans leur inconscient, hackant au passage l’attention, la concentration et la capacite de 
reflexion. 

La television est l’opium du peuple sans l’ombre d’un doute. Physiologiquement, elle agit 
cornme un anesthesiant, au meme titre que l’opium : elle abaisse le rythme cardiaque, detend, 
diminue les tensions... Cornme n’importe quelle drogue, elle pennet d’occuper le cerveau a 
autre chose que ses problemes. Elle occulte nos realites et ses problematiques, remplace notre 
imagerie personnelle par d’autres images. Elle remplace les voix de notre vie par celle de stars, 
elle nous extrait du rythme de la vie en nous coincant amorphe sur le canape. 

La tele offre une autre realite, sur une autre dimension. Mais a force d’etre vue, cette di- 
mension se confond a notre realite et nous modifie, nous formate. Ainsi arrivent le syndrome 
du grand mechant monde et du grand cretin monde. Au-dela de cela, elle modifie les normes 
societales, influe les mouvements politiques, dicte en discretion « ce qu’il faut faire, ce qu’il 
faut etre ». Par negatif, on y verra ce qu’il ne faut pas faire, ce qu’il ne faut pas etre. L’individu 
s’uniformise, les masses televisualisees partagent les memes references, les memes lois, les 
memes centres d’interet et les memes desinterets. 

La television, elle, ne s’interesse qu’a faire de l’audimat. Alors, elle s’abaisse aux instincts, 
a 1’ emotion directe. Elle escalade le mont de la cretinerie pour y retrouver le primitif : il faut du 
temps de cerveau disponible pour coca. Et 9 a ne peut aller qu’en s’empirant : l’humain s’habi- 
tue a tout, et si auparavant on s’ofifusquait de voir tant de violence dans les fictions, maintenant 
on trouve normal de jouer avec la vraie souflxance, celle d’humains non-comediens touches 
physiquement dans leur corps et leur ame, pour faire de la fiction avec leur vie reelle. Pour re- 
trouver le niveau du spectaculaire, du siderant, il faut aller toujours au-dela de l’habitude, c’est 
une escalade perpetuelle. Jusqu’ou ? 

Cornme n’importe quelle drogue, on peut devenir accro a la television et avoir besoin de sa 
dose pour vivre nonnalement. Par jour, 3 heures, 5 heures, voire plus... Evidemment, plus les 
problemes envahissent notre vie privee ou professionnelle, plus le besoin de fuir, de couper, de 
s’anesthesier est fort. C’est dans ces moments-la qu’on se laisse aller sur le canape et c’est dans 
ces moments qu’on s’accroche encore plus au poste. 

Manipule tout le temps libre de sa joumee, cerveau vide puis finalement appauvri de ses 
competences, de ses facultes de reflexion, ne laissant place qu’au cerveau primitif, formate 
selon un modele digne d’une idiocratie dont la seule aptitude exceptionnelle serait la soif de 
consommation. . . 


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Coupons la television en toute urgence. 

TV lobotomie de Michel Desmurget rassemble pele-mele d’ etudes prouvant que la televi- 
sion est directement en cause de la baisse du niveau scolaire de la population : des l’arrivee de 
la television, les resultats aux tests d’entree des facs aux USAn’ont cesse de chuter, directement 
correles aux nombres de postes de television. Un test a pu etre fait au Canada, entre des villes, 
qui, par leur placement, n’ont pas pu etre equipees de la television durant un long moment. Les 
resultats scolaires des CM2 etaient bien plus brillants que ceux de leurs voisins televises. II n’y 
a pas eu de difference significative quand la television a pu etre installee, mais un an apres, les 
resultats des CM2 ont chute drastiquement : la television avait commence son travail de sape. 

Quels que soient les themes que nous avons pu aborder dans ce chapitre, nous n’avons 
rien trouve a garder de la television (excepte le recyclage des techniques a des domaines ou 
causes plus utiles ou en hacking social). Les programmes interessants, les reportages qui valent 
la peine d’etre regardes sont disponibles sur le Net. Les news aussi, le divertissement encore 
plus. Pire encore, on la soupconnc d’etre responsable (sans pour autant que ce soit une volon- 
te) du disengagement politique de la population, de son abrutissement, de son obsession de 
l’apparence, de sa consommation a outrance, de son aveuglement et de son extremisme ou son 
racisme. Couper la television devait etre le premier acte de resistance, de rebellion de tout un 
chacun, ne serait-ce que pour se reapproprier le monde avec ses propres yeux, son propre vecu, 
puis se construire sans subir le battage inconscient des normes vehiculees par le petit ecran. 
Quel que soit son combat, son engagement, ses souhaits pour l’avenir, cela semble un prerequis 
a la liberte de penser, la television brouillant vos cablages internes quel que soit votre degre 
d’esprit critique devant elle. 

Ce chapitre a beau etre sombre, ecoeurant, enervant, notre conclusion s’avere extremement 
positive : le pouvoir de la television est enorme, mais il peut etre reduit a neant avec une faci- 
lity deconcertante, d’une simple pression de bouton, et cela rien perdre, mieux encore avec des 
gains tres appreciables. 


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FORMATAGE 
AU TRAVAIL 



L'homme formate Formatage au travail 


Manipulation et formatage au travail ? Mais quel travail ? 

Le sens du mot travail prend tellement de formes differentes qu’il nous faut d'abord clarifier 
ce point : le travail dont nous parlerons ici n’est pas le metier, la profession ou l'activite : c'est 
l'emploi et toutes les modalites modemes qu'on lui connait, a savoir son cadre juridique et admi- 
nistratif (le contrat), le fait qu'il soit remunere par de l’argent, qu’il concerne une certaine activi- 
ty qui n’est pas forcement un metier (l’emploi peut se reduire a empiler des cartons par exemple, 
ce qui n’est pas un metier) et que cette activity est generalement distinguee de la vie privee. 

Comine notre thematique est celle de la manipulation et du formatage, nous ne parlerons 
pas de tous les emplois, uniquement de ceux qui posent probleme en tenne de formatage. 

Nous fondons notre ideal de l’emploi sur une loi de reciprocity honnete : je te donne, tu me 
donnes en retour, chacune des parties s'echangeant de fag on egale force de travail contre salaire, 
et cela dans le respect mutuel des deux parties. C'est un ideal tres simple, loin d’une utopie pa- 
radisiaque, qui est suivi assez naturellement dans d’autres contextes, sans qu'il y ait besoin de 
forcer quiconque a ce respect : un ami vous aide a votre demenagement, vous l'aidez en retour 
pour le sien. 

Cependant, dans notre societe, la vraie reciprocity n’existe pas dans les entreprises : les 
dirigeants d’entreprise, font toujours une plue-value sur le travail fourni par leurs travailleurs : 
c'est l'exploitation, qui peut etre plus ou moins intense et abusive. 

Ce tenne « exploitation » peut apparaitre vieillot, digne des discours desuets d'extreme 
gauche luttant contre le patronat avec son armee d’ouvriers prete a tout pour etre payee plus et 
done etre moins exploitee. Et c'est vrai, les choses ont changees, le management a evolue, il 
semble que l’exploitation d’antan ne soit plus celle d’aujourd’hui. Les salaries ont, semble-t-il, 
plus de droits, moins de souffrances. Le contremaitre avait un baton et donnait rarement des 
carottes, la direction etait comine un pere autoritaire, parfois tyran. Le patron a maintenant un 
sweat-shirt, le manager a des conseils et il coache « a la cool ». Le baton n’a pas disparu, il s'est 
transfonne en baguette magique et la carotte est devenue immaterielle, brillant de mille feux 
dans le ciel. 

L'exploitation, c'est tirer a l'homme ses forces contre un benefice qui depasse de loin ce 
qu'on lui cede en retour. Cette exploitation n’a jamais cessee, elle s'est perfectionnee et se fait 
grace a la manipulation mentale qui est bien plus economique et bien plus efficace que la ca- 
rotte et le baton. A coup d’influence, de persuasion, de techniques d’engagement, on arrive a 
formater totalement l'individu, lui faire accepter n'importe quoi et qu'il soit satisfait d’etre ex- 
plode jusqu’a l’epuisement total, tout cela sans aucune contrepartie materielle tangible. Et si la 
situation devient problematique, le salarie s'en prendra a lui-meme, a son entourage proche, a 
ses collegues, a ses clients ou ses premiers superieurs, mais jamais au systeme de travail qui 
orchestre cette situation. Les techniques que nous verrons sont particulierement similaires a 
cedes des sectes et nous reviendrons sur toutes les techniques que nous avons pu voir aupara- 
vant, excepte qu'ici elles sont repetees quotidiennement, qu'il n'y a pas de bouton off, qu’il n'y a 
pas de « fin », mais toujours une continuity vers plus de formatage. 


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Formatage au travail L'homme formate 


Nous ne parlerons done pas ici des petites et moyennes entreprises : l'exploitation n'y est 
pas intense, done la manipulation y est souvent absente et le respect de l'humain assez present. 
Si le salarie y est heureux sans pour autant en faire une obsession, que sa vie privee, ses pas- 
sions, sont preservees, que l'emploi n’a pas d’impact excessivement nefaste, il est probable que 
son entreprise ne rentre pas dans le cadre de ce dossier et e'est tant mieux. Mais cela dit, meme 
des conditions apparemment normales de travail pourraient etre sujettes a discussions et il est 
probable qu'on en parle. 

Nous parlerons ici des grandes entreprises, dont les territoires sont nationaux, voire multi- 
nationaux, ou l’exploitation est maximale, autant sur les clients que sur les salaries, nous parle- 
rons d’entreprises ou les vrais decisionnaires sont les actionnaires. 

Cette exploitation ne se decrit pas seulement en terme d’argent pour le client et force de tra- 
vail pour le salarie : elle est mentale. C'est une ponction du mental, une modification de celui-ci 
afin que le client se fidelise au point de tomber amoureux de son portable et que le salarie soit 
formate en adepte pret a sacrifier sa vie sur l'autel de son dieu-entreprise. La manipulation men- 
tale est dans ce phenomene l'outil permettant de telles aberrations ; quant a la loi de reciprocity 
sous-tendant tous nos echanges, elle est pervertie et utilisee pour mieux potentialiser la manipu- 
lation mentale. Mais comment savoir si une entreprise rentre dans ces criteres efifayants ? Nous 
nous attellerons a chercher tous les indicateurs permettant d’identifier ces derives lors de ce der- 
nier chapitre, mais, d’ores et deja, on peut livrer quelques indices : la soufifance psychique des 
salaries, la destruction progressive de leur vie privee, leur engagement demesure pour leur en- 
treprise (sans contrepartie), l’obsession pour la « boite », les cas de harcelement, les suicides... 

Comment parler d'un sujet aussi vaste ? 

Il fut en effet extremement difficile d’etablir ce present plan tant les entreprises different par 
leurs methodes et leur domaine d’activite, tant les comportements et relations sont varies et si 
difficiles a synthetiser sans prendre le risque d’etre reducteur ou en porte-a-faux. 

Nous avons done decide de nous baser sur la question de l’exploitation et de la soumission. 
Autrement dit, du profit et du pouvoir, les plus grandes motivations poussant a employer des 
strategies manipulatoires de plus en plus profondes. Par un detail, un badge, la configuration 
d’un lieu, nous retrouvons l'expression de ces deux motivations et nous tenterons de decon- 
struire les codes qui y menent : il s'agit la de mieux comprendre et trouver des solutions pour 
empecher la souffrance, pour « hacker » les systemes sociaux non pour le profit d'un, mais pour 
tous. Ce dernier point nous est cher : il ne sert a rien de modifier quoi que ce soit si ce n’est que 
pour son seul interet ; d'autant plus que cette soif personnelle de pouvoir est parfaitement inte- 
gree a l'entreprise et exploitee egalement 

On distingue egalement differents types de manipulation a l’oeuvre : 

- cedes d’individus isoles : des manipulateurs autonomes qui le seraient dans d'autres 
contextes que celui de l’entreprise, parfois pervers narcissiques ou psychopathes. 


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- des manipulations institutionnelles, qui se retrouvent gravees dans les nonnes, les roles 
attribues, les processus imposes et plus globalement dans le cadre de l’entreprise. 

La manipulation mentale se retrouve egalement a tous les niveaux d’organigramme. Etant 
donnees les differences entre les entreprises, nous avons schematise et simplifie les statuts afin 
de clarifier nos propos et qu'ils puissent etre reconnaissables partout, dans tous les domaines 
d’activites : 

- le subordonne : il est assujetti a la tache ordonnee, il est l’executeur et celui qui est le 
plus aux prises avec la realite du travail. Il n’a pas de responsabilite, mais il est souvent pris en 
coupable et on lui reproche son manque de vision, or c'est lui qui a la vision la plus reelle de la 
tache. Selon les cas, il peut etre celui qui est le moins manipule et le moins manipulable etant 
donne que la realite le « reveille » tout le temps. C'est l’individu essentiel de l'activite etant don- 
ne que tous les niveaux hierarchiques pourraient disparaitre sauf lui, car sans lui, pas de travail 
effectue. Les subordonnes ont parfois des responsabilites, des libertes, de l'autonomie. Parfois 
ils sont nommes « chefs », « cadres », « collaborateurs » or dans les faits ils sont subordonnes, 
ce sont eux qui font l’activite et ils ne dirigent personne ou ne font que transmettre des ordres. 

- le manager : on aurait pu l’appeler a une autre epoque le contremaitre ou encore le cadre, 
le petit chef. Il doit faire suivre l'autorite du decideur et faire en sorte que les subordonnes ac- 
complissent leurs taches selon les decisions du haut. Selon les entreprises, il a plus ou moins 
d'autonomie, de responsabilite, de possibility, mais quoi qu'il en soit il y a toujours deux choix 
a sa disposition. Deux choix qu’on retrouve chez le sujet des experiences de Milgram : se sou- 
mettre a l'autorite et faire appliquer son protocole, ses decisions ; ou ne pas se soumettre en 
aidant prioritairement le subordonne pour que l’activite se fasse dans les meilleures conditions 
possibles et contrevenir done aux decisions. L'insoumission peut faire l’objet de negociations, 
etre ouvertement mise aux yeux de la direction quitte a ce que le manager en subisse les conse- 
quences ou etre discrete avec la complicity des subordonnes. Une autre alternative a ce poste 
et celui de la double manipulation : le manager manipule aussi bien les subordonnes que la 
direction afin d’obtenir des avantages, d’avoir le controle de la situation a son profit envers et 
contre tous. Done on a trois postures : l'une soumise aux cotes de la direction ; l’autre insoumise 
du cote de l’activite et des subordonnes ; la demiere ni soumise ni insoumise du cote de lui- 
meme. La gestion des subordonnes, de la direction ou de l’activite n’ etant que des moyens parmi 
d'autres pour obtenir ce que Ton veut. 

- le decideur : c'est parfois le grand directeur, parfois celui qui a fonde l’entreprise. Ce sont 
ceux qui prennent de vraies decisions qui vont impacter le vecu au travail, des decisions qui 
peuvent revolutionner la facon de travailler voire meme l'activite, ce sont les actionnaires aux- 
quels les directions sont soumises. Le decideur est aliene culturellement, meme s'il souhaite 
etre encore aux prises avec la realite, c'est impossible : le reel n’apparaitra pas en sa presence, 
les gens ne se comporteront pas de la meme facon. Il peut etre conscient ou non de cette alie- 
nation tres particuliere. Parfois il n’aura cure du reel et imposera ses decisions sans chercher a 
comprendre, preferant s'en remettre aux chififes ou son profit personnel. Certains veulent au 


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contraire savoir, mais les niveaux intermediaries et merne les subordonnes bloquent la vraie 
information, pour bien paraitre. D'autres encore seront totalement manipules par les niveaux in- 
ferieurs ou d'autres facteurs qui feront d’eux des pantins croyant avoir la puissance, mais l’ayant 
perdu depuis longtemps. On pourrait le comparer a l'invisible experimentateur de [’experience 
de Milgram, celui qui a instaure le protocole, mais notre decideur ne peut pas s’incarner dans 
1’ autorite presente : il n’est jamais aussi present dans la realite. 

Ces trois roles ont tous des biais de jugement, des « faiblesses », des lacunes particulieres 
etant donne leur niveau d’action, leur position et leur condition humaine. L'entreprise ou les 
manipulateurs vont exploiter ces biais ; on retrouve cette mecanique de la manipulation a tous 
les niveaux hierarchiques, dans les procedures et au trefonds de la mecanique de l’entreprise. 
Les buts, quelle que soit la nature de la manipulation sont relativement simples : un profit plus 
eleve, le maintien, la defense ou [’augmentation de son pouvoir. Ces buts peuvent etre institu- 
tionnalises afin que tous y travaillent pour quelques-uns, ils peuvent etre individuels pour que 
tous maintiennent les desirs de ces quelques individus. On dit souvent que pour chercher la 
verite, deceler les manipulations il faut suivre les questions d’argent, mais nous verrons par la 
suite que la quete de pouvoir ou le maintien de celui-ci n’est pas a ignorer non plus. 

Cette mecanique de la manipulation pour l'argent et le pouvoir tient bon et s'auto-alimente 
a cause de notre soumission naturelle : soit notre soumission est librement consentie, soit elle 
est refusee, mais ce refus l’est dans une quete de pouvoir. On dit non a la soumission pour etre 
au-dessus des autres ou a l'abri d’eux, done on saisit toutes les occasions d’avoir plus de pouvoir 
et on rentre par la meme dans la mecanique de ce systeme. Les vrais insoumis qui disent « non » 
parce qu'ils ont la volonte de changer vraiment des questions qui insupportent leur morale ne le 
font non pas pour etre au-dessus de la masse : ils sont generalement evinces en entreprise, mis 
en incapacity, voire detruits psychiquement par harcelement, parce qu'ils ne rentrent pas dans 
la mecanique du systeme en place, d'une lacon ou d’une autre. 

Le cercle est vicieux, quel que soit le chemin que l’on prenne, on y reste et rien n’evolue. 
Nous essayerons done de proposer des alternatives, des pistes de reflexion en chaque fin de 
section. Le probleme est loin d’etre evident, il est difficile a affronter et il demande un vrai he- 
ro'isme parfois, hero'isme qui s'affirte, se prepare, se travaille et demande des sacrifices. 

Nous esperons vivement que ces fins de chapitre proposant des alternatives, des pistes pour 
resoudre les problemes s'enrichissent de vos propres idees, de vos propres essais et experiences. 


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@TRAVAIL/ SOUMISSION 


L'homme a tendance a se soumettre face a l'autorite, meme quand celle-ci lui ordonne de 
faire des actes a l’encontre de ses valeurs ou le mettant lui-meme en danger : le harcelement, 
la torture, le meurtre, la destruction de son audition (cf chapitre milgram). Cette obeissance 
est mal vecue, le sujet chez Milgram traverse d’enormes conflits mentaux qui a deux resultats : 
l’obeissance totale sans plus de questions, car le sujet s'est mis en etat agentique (il a relegue 
sa responsabilite totale a l’autorite) ou la desobeissance, plus rare et plus difficile a mettre en 
oeuvre pour le sujet, mais vraie victoire dans le protocole de Milgram. 

Cette autorite peut etre de differente nature : televisuelle, scientifique, professionnelle... 
Mais le taux d’autorite le plus eleve de toutes les repliques du protocole de Milgram se retrouve 
en milieu professionnel, a l'hopital, chez les infinnieres : 92 % d’obeissance a un ordre qu'elles 
savaient meurtrier pour un patient. L'ordre etait en plus donne par telephone (en principe, plus 
l’autorite est eloignee physiquement, moins les sujets obeissent) par un medecin inconnu du 
service qui n’avait que pour justificatif d’autorite son titre auto-proclame de « docteur ». 

Nous avons commence cet ouvrage par Milgram pour une bonne raison : si la thematique de 
la soumission est moins « eclatante » dans les autres chapitres, elle est dans le cadre du travail, 
le terreau fertile de toutes les derives, avec sa soeur conceptuelle la « domination ». La mani- 
pulation mentale s'appuie sur la soumission et exploite la volonte de domination, parfaite pour 
justement soumettre toujours plus. Cette soumission manipulee pour ne pas paraitre soumission 
a des consequences aussi dramatiques que celle que Milgram imagine dans son protocole : en 
milieu professionnel, il y a torture, non pas par choc electrique, mais torture mentale et sociale. 
Le harcelement est une campagne de destruction de l’individu, qui le tue parfois. Les suicides 
lies a l'emploi sont de plus en plus nombreux, ils sont, entre autres, la consequence des manipu- 
lations mentales institutionnalisees, visant rejection d’employes ou leur exploitation (physique 
et mentale) au-dela de ce qu'un humain peut etre en mesure d’endurer. 

Au vu de l’experience de Milgram, on pourrait se dire qu'un chef d’entreprise n’a pas grand- 
chose a faire pour se faire obeir, meme sur des taches ethiquement bancales : il suffit de marquer 
l’autorite, que ce soit par le lieu, les statuts des personnes, leur habillement. Il faut un decorum 
qui domine et que le salarie se sente inferieur a l'autorite. Mais meme sans ce decor de theatre, 
on le sait par experience, par observation, les salaries font leur travail, obeissent avant meme 
qu’on leur en donne l’ordre. Ils accomplissent leur contrat sans que l'autorite soit necessairement 
presente, ils font le travail meme s'il est tres penible et qu'ils n’en peuvent plus, ils repetent leurs 
gestes et actions meme si l'activite n’a aucun interet intrinseque et ils peuvent meme realiser 
sans broncher des taches qui sont en disaccord avec leur fag on d’envisager le monde. Beaucoup 
de petites entreprises font compris et n’ont en consequence aucun systeme de surveillance, 
aucun manager ou surveillant, juste des salaries au travail, autonomes et responsables a qui ils 
font confiance. 


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Or dans d'autres entreprises, c’est tout l'inverse : bien que les gens soient naturellement 
obeissants, il y a une myriade de managers, de petits chefs, de sous-chefs dont l'activite consiste 
a faire obeir, a surveiller, a reprimander ou a coacher. De nombreux symboles ou actes sym- 
boliques sont mis en place pour accroitre la soumission et renforcer l’autorite et la domination. 

La question qui se pose alors n’est pas la soumission, mais l'activite en elle-meme : au debut 
de l’experience de Milgram, meme si beaucoup de sujets sont mal a l’aise, ils obeissent tous au 
debut. Quand Bob se met a crier et se plaindre, les desobeissants questionnent puis s'insurgent 
et enfin quittent le protocole. II y a desobeissance quand le sujet est trop gene, ne veut pas par- 
ticiper a cela, quand cela lui pose un trop gros probleme. On accroit done la soumission et la 
mesure de domination quand l'activite que Ton fait faire au salarie pose probleme : cela peut 
aller des simples conditions materielles (peu remunere, horaires deplaisants), a de vraies ar- 
naques a la loi de reciprocite, voire a des conflits moraux aussi intenses que ceux du protocole 
de Milgram. 

On en conclut done que plus l’entreprise demande a faire des actes qui sont injustifies, inu- 
tiles, nocifs, nuisibles ou simplement vides de sens, plus ces activites sont prejudiciables pour 
celui qui les effectue ou pour l’entourage humain, plus la loi de reciprocite est bafouee (un sa- 
laire minimum pour un travail extremement dangereux ; l'interdiction de prendre cinq minutes 
de pause apres des heures et des heures d’un travail epuisant ; etc.) plus il faut donner du poids a 
l'autorite, l’entourer de mythes. Plus il y aura des problemes avec le travail, plus son emballage 
symbolique, ses fictions, son autorite, seront rehaussees. 

Une activite normale suivie dans une relation reciproque ne necessite pas d’autorite : le su- 
bordonne fait son activite, parce qu'il sait qu'il y gagne a hauteur de ce qu'il perd (sa force), il 
n'y a pas de relation domination/soumission, mais un simple echange entre humains. Le subor- 
donne ne s'y sent pas inferieur, car l’obeissance est justifiable : l’activite le necessite tout cornme 
le superieur sait que le subordonne n’est pas inferieur, car l’activite depend de lui. 

Nous allons done explorer quelques indicateurs permettant de deceler en un clin d’oeil une 
entreprise arnaquant la loi de reciprocite, exploitant et accroissant la soumission, utilisant les 
subterfuges de la domination pour asservir, exploitant le desir de domination pour mieux sou- 
mettre. Et cela tient parfois a des details completement anodins auxquels personne ne prete 
attention... 

@TRAVAIL/ SOUMISSION/LIEUX 


On a vu dans le chapitre sur Milgram que le lieu est determinant dans la soumission des 
sujets : ils seront bien plus soumis dans une universite prestigieuse que dans les immeubles 
d'une zone tertiaire. 

Le lieu en lui meme est synonyme d’autorite et de prestige et, en entreprise, il peut etre 
plus ou moins impressionnant : la reputation de la marque, les a priori positifs ou negatifs, la 
popularity ou les stereotypes que l’entreprise porte, son domaine d’activite plus ou moins glo- 


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rieux, ce qu'en rapportent les medias, les legendes urbaines a son sujet... Les murs portent la 
legende, les plafonds et sols les informations et les fictions, le logo a lui seul tire une pelote de 
representations. 

Les murs ne sont rien, c'est ce qu'on leur attribue qui est agissant, c'est ce qu'on imagine et 
ce qu'on croit savoir qui donnera la premiere note de la partition du salarie, allant de la decep- 
tion a la surprise. Cette fiction d’entreprise, melange de mythes, d’infonnations objectives et 
de formatage marketing nous en parlerons plus tard, etant donne que le prestige n'est pas une 
question seulement materielle a proprement parler. Nous nous en tiendrons a l’objectif du lieu, 
c'est-a-dire ses caracteristiques physiques, ce que ses etroitesses et largesses permettent, ce que 
l’espace influence, ce qu'il bloque. 

■ LE NIVEAU ZERO D'ESPACE 

« En menage, fas pas de salle de pause : tu nettoies la salle de pause des 
autres. C'est logique, tu voyages de boite en boite, done ton seul repere a toi, 
c’est le cagibi a serpillieres. Parfois c'est un vieux stock, d’autres fois c'est un 
coin pres des toilettes, entre le lavabo et la cuve a chiotte. Et c'est sale, ironique, 
non ? Tu n’existes pas, meme quand fas une blouse couleur lavande petante, t' es 
un fantome, tu dois pas etre existant. Ton action sur le monde gene les autres, 
mais tu dois le faire. Le repos c'est chez toi ou sur tes trajets. Quand tu es dans 
l’equipe d'une boite et que, vu tes horaires, fas le droit de te poser, bah tu bois 
ton cafe devant la machine dans le couloir. Tu te meles pas aux autres employes, 
meme si ton salaire provient de la meme caisse. C'est cornme deux mondes dis- 
tincts. Personne ne le crie, mais tu sais que tu as pas le droit d’etre mele a eux. 

Toi ta place, c'est quand tu speedes pour vider leurs corbeilles alors qu'ils sont en 
reunion. Mais la aussi tu genes, mais t'es force de le faire a ce moment-la. Sans 
doute pour avoir un ceil sur toi, surveiller que tu trimes bien. Je crois que leur 
reve ca serait que le boulot soit fait a coup sur cornme dans leur reve les plus ma- 
niaques (on m’a deja reproche de pas avoir remis une corbeille a un centimetre 
de son endroit initial) sans que tu existes toi et ton putain d'aspirateur. » 

Source : Temoignage recueilli IRL 

Le local a menage, c'est le niveau zero accorde au subordonne dans le lieu de l’entreprise : il 
n'a aucune « place », aucun espace a lui. Son seul endroit n’est pas le sien, c'est celui du materiel 
et les endroits pour les salaries ne sont pas pour lui, ils sont une partie du travail a effectuer. 
Symboliquement, c'est done lui accorder la meme « importance » que ses outils, c'est lui retirer 
une fonne d’humanite commune avec les autres salaries de l’entreprise, c'est le distancier, l'ex- 
clure des relations sociales. 


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II ne s'agit pas d’accroitre volontairement la soumission, mais d'un phenomene d'inferiorisa- 
tion : on denie l'existence de l’agent d’entretien au sein de l’entreprise, qui n’existe pas au meme 
titre que les autres salaries. II n'est pas question de deconsideration, mais de refus d’existence 
au sein de l’entreprise, meme si l'agent d’entretien en connait souvent mieux que quiconque 
ses moindres recoins. C'est evidemment profondement blessant, d’autant plus s'il fait partie de 
l’entreprise. 

L'effet de cette inferiorisation est que les autres salaries de l’entreprise, si bas de l’echelle 
soient-ils, sont rehausses : ils sont servis par autrui, l’entreprise paye un service pour qu'ils 
evitent de se salir les mains, c'est done qu'ils sont mieux consideres, qu’ils ont plus d’importance 
que les agents d’entretien. L'inferiorite des uns fait la superiority des autres. 

« Quand tu bosses en restauration, generalement tu nettoies ton poste, ton 
lieu de travail apres le service. Tout le monde s'y met (pas les directeurs, faut 
pas rever! -rires-), parfois on a meme hate d'y arriver parce que le service a ete 
penible et que le menage, 9 a defoule et c'est signe de fin de boulot. Pourquoi les 
« bureautiers » ne nettoieraient pas leur bureau a la fin ? Ca leur ferait des econo- 
mies de salle de fitness. Pourquoi le directeur ne se taperait pas la serpilliere de 
temps en temps ? Ca ferait des economies a tout le monde et 9 a ferait perdre de 
la graisse a certains. La seule raison de faire des postes dedies aux sales taches 
uniquement, c’est une question d’orgueil, de vouloir etre superieur. En fait 9 a ne 
sert pas l’entreprise, 9 a sert les egos » 

Source : Temoignage recolte IRL 

Cependant on note differents rapports a ce niveau zero d’espace : 

« Ce dernier [l’espace] les influence [les comportements] et les encadre, for- 
mate les individus. Mais le rapport singulier que chacun entretient avec ce qui 
l’entoure, les ruses et les arrangements deployes, apporte quelques nuances. En 
cffct, tout depend de l’interpretation que l’individu fait de son environnement. 

[...] Chaque lieu genere des codes qu'on peut s’approprier ou au contraire trans- 
gresser. » 

Elisabeth Pelegrin-Genel, Des souris dans un labyrinthe, Les empecheurs 

de penser en rond, La Decouverte, 2010. 

Dans ce niveau d’inferiorite absolue, inferiority generee par bon nombre de symboles 
« abaissants » il y a paradoxalement une grande liberte : 

« Quand je bossais avec les salaries de l’entreprise, c'etait plus ou moins 
chiant selon les tetes, les situations. Mais la plupart des boites - ceux qui n’etaient 
pas trop idiots et pas flop parano - nous faisaient venir a la fin de la journee ou 
avant qu'elle commence. Le menage c’est toujours chiant, mais y a une sorte de 
jubilation a occuper tout un lieu vide qui provisoirement, n’appartient qu'a vous. 


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C'est grisant quand on est un peu reveur, qu'on a garde son ame de gosse. Tu 
es comine un fantome : tu n'as pas beaucoup de pouvoir, mais tu vois tout, tu 
devines tout des vies, des evenements qu’on traverse le lieu, tu devines les sensa- 
tions du patron sur le siege de son bureau... Et evidemment tu peux en jouer... » 

Source : Temoignage recolte IRL 

Et les salaries de l’entreprise peuvent aussi agir sur ces questions d’inferiorisation, en les 
supprimant totalement : 

« Je travaillais le matin, jusqu'a l'ouverture de l’entreprise. J'etais embau- 
chee par le biais d’une societe de service, mais certains salaries etaient super 
accueillants avec nous : non seulement ils nous parlaient nonnalement, mais ils 
nous accordaient beaucoup de droits. On pouvait rester dans le lieu, profiter des 
equipements cornme les clients, prendre le petit dejeuner. Certains y restaient 
toute la matinee parfois. La, 9a valait le coup de trimer quelques heures, au 
vu des avantages et de la consideration. Mais ils n’ etaient pas tous accueillants 
cornme 9a, 9a dependait vraiment des gens. Soit on etait traite en egal, reconnu 
et « soigne » cornme la clientele, soit on nous faisait comprendre qu'on etait de 
grosses bouses » 

Source : Temoignage recolte IRL 


■ SALLE DE PAUSE 

« Local de restauration 

Si au moins 25 salaries souhaitent prendre leur repas sur les lieux de travail, 
l’employeur doit leur mettre a disposition un local de restauration. 

Celui-ci doit etre dote des elements suivants : 

un moyen de conservation ou de refrigeration des aliments et des boissons, 

une installation permettant de rechauffer les plats, 

un robinet d’eau potable (fraiche et chaude) pour 10 personnes. 

Ce local doit etre pourvu de sieges et de tables en nombre suffisant. 

Emplacement permettant de se restaurer 

Si moins de 25 salaries souhaitent prendre leur repas sur les lieux de travail, 
l’employeur doit prevoir un emplacement permettant de se restaurer. 

L'employeur n'y est pas tenu de mettre a disposition des salaries les memes 
elements que pour un local de restauration. II doit cependant permettre a chaque 
salarie de s'y restaurer dans de bonnes conditions d’hygiene et de securite. 

Par derogation obtenue apres accord de l’inspecteur du travail, cet emplace- 
ment peut etre amenage dans les locaux affectes au travail si l'activite de ces lo- 
caux ne comporte pas l'emploi de substances ou de preparations dangereuses. » 


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Source : http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F173 1 .xhtml 

La salle ou le local de pause est assez revelateur de la consideration donnee au salarie : plus 
elle est exigue, mal equipee, sans soins, et cela malgre les benefices de l’entreprise, plus on peut 
en conclure la negligence des decideurs, le peu de consideration pour leurs salaries ou la pensee 
erronee qu’une salle de pause confortable sera nuisible au travail. Cela peut traduire aussi d'une 
volonte de faire des economies sur des « bouts de chandelles ». 

La salle de pause a souvent des normes implicites : elle est frappee d’inaccessibilite hors 
des temps de pause definis, sauf cas d’urgence, tout comme les vestiaires, les toilettes et tous les 
autres lieux de non-travail. Personne ne le dit explicitement, mais le salarie a presque automa- 
tiquement cette connaissance et n’ose pas rendre explicite le fait que ces lieux soient interdits 
ou non. 

« On etait 4 ou 5 interimaires a bosser dans une usine pour quelques mois. 

On bossait 8 a 9 heures par jour, parfois 6 jours sur 7, avec une pause d’une de- 
mi-heure dans la journee, au bout de 6 heures de travail. On est fixe a nos postes 
dans le froid a -10 degres, avec une odeur epouvantable de saumon, dans le bruit 
des machines, sans musique, sans pouvoir parler entre nous, evidemment en 
faisant des taches extremement repetitives. On avait une enorme horloge devant 
nous qui n’avancait pas. C’etait l’enfer. Au bout de quelques jours, on avait l’im- 
pression de devenir dingues en plus d'avoir le corps tout crispe par le manque 
de mouvements et le froid. Comme on n’en pouvait plus, on avait tous decide 
d’avoir des vessies extremement petites : toutes les deux heures, on demandait 
a aller aux toilettes, juste pour pouvoir marcher un peu, souffler, se passer les 
mains sous l’eau chaude, et finalement manger le mars qu’on avait planque dans 
sa chaussette, a l’abri des regards, dans les toilettes. L’autre technique, c’etait 
de se peter un gant : comme ?a on partait a l’autre bout de la piece en chercher 
d’autres. Ouais, 9a faisait assez pitie comme techniques de « rebellion », c’etait 
plutot des techniques desesperees pour ne pas se mettre a hurler ou se rouler par 
terre de folie. 

Et puis quelques semaines avant la fin de la mission, on a appris par les an- 
ciens qu’on avait le droit a une pause supplementaire... On avait fait des mois 
sans savoir 9a, sans que personne ne nous autorise a boire un cafe ! » 

Source : Temoignage recolte IRL 

C’est un exemple typique de l’exploitation de la soumission naturelle : on n’explique pas 
tout des droits des salaries, on profite de sa meconnaissance des regies du lieu afin que le salarie 
reste bloque dans un monde limite par son manque d’information. 


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■Toilettes 

Mais cette exploitation de la soumission n’est pas forcement une volonte de l’entreprise : 

« Je m’occupais d’une petite nouvelle, toute jeune. Je devais la former a un 
point de vente et les conditions etaient ideales. Du coup j'arretais pas de lui ex- 
pliquer plein de choses et on discutait de choses et d’autres. Mais elle etait toute 
rigide, pas a son aise, alors j'essayais de la rassurer sur les taches. Je me disais 
qu'un premier boulot a son jeune age, ca devait l’impressionner, peut-etre que je 
lui avais donne trop d’infos a la fois, bref je cherchais a ce qu’elle soit plus de- 
tendue. Et puis un moment, elle part vers la porte, toute pressee et me demande 
d’aller aux toilettes parce qu'elle tient plus. 

C'etait done ca, le probleme ! En fait, j 'avais meme pas pense a la prevenir 
qu'elle pouvait aller aux toilettes quand ca lui chantait, parce que ca me semblait 
tellement logique qu’elle y aille selon son bon vouloir ! Du coup, je fais gaffe 
a bien rappeler les droits aux nouveaux, je suis meme obligee de les forcer a 
prendre des pauses, sinon ils en prendraient pas ! » 

Source : Temoignage recolte IRL 

Meme dans des cadres tres « libres », l'employe peut mettre en jeu et imaginer en vigueur 
une soumission a l'autorite tres stricte, une autorite si rigide qu’elle mettrait les besoins elemen- 
taires du corps sous ses ordres et permissions. Pourquoi une telle soumission ? sans doute parce 
qu'elle existe ailleurs : 

Dans les centres d’appels, dans les supermarches, dans les restaurants rapides, a l'usine, il 
faut demand er la permission d’aller aux toilettes. L'activite est concuc de telle sorte que le su- 
bordonne ne puisse pas s’en extirper a loisir, il doit demander a etre remplace ou faire stopper 
temporairement le systeme qui le lie a l'activite. Dans les restaurants rapides, le poste peut etre 
« abandonne » temporairement, mais certains managers/directeurs refusent faeces aux toilettes 
ou au lavabo pour se laver les mains lors des rushs, pour maintenir une tres haute productivity 
et par mefiance envers le salarie. 

Frapper d’interdit les toilettes, en faire un saint Graal accessible uniquement en tant que 
recompense est une facon de dominer totalement le subordonne, d’avoir une main mise hu- 
miliante sur lui (le fait de devoir demander a aller aux toilettes est tres infantilisant et le refus 
humiliant). Laisser les salaries aller aux toilettes, c’est perdre en productivity alors certains 
employeurs osent prendre des mesures radicales : 

« L'affaire a fait la une des medias honduriens cette semaine : Kyungshin- 
Lear, une joint venture americano-coreenne installee au Honduras, oblige ses 
salaries a porter des couches pendant leur service. Motif : la pause-pipi nuirait 


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a leur productivite. Ce fabricant de pieces pour automobiles exporte sa produc- 
tion aux Etats-Unis, ou le scandale a ete repris par la presse. [...] Maria Galea- 
no, licenciee en avril apres 7 ans a Kyungshin-Lear, a confinne les accusations 
de Daniel Duron. Porter des couches etait « embarrassant » , se souvient-elle, 
mais necessaire faute de « permission d’aller aux toilettes)). D'autres allegations 
sont egalement stupefiantes. Selon certains employes, des cameras auraient ete 
placees dans les toilettes. Les femmes enceintes seraient contraintes de rester 
debout pendant des heures. » 

Source Le point : http://www.lepoint.fr/monde/honduras-des-emploves- 
contraints-de-porter-des-couches- 1 8-08-20 13-17 1 5046_24.php 

Ici, nous soinmes au-dela du cadre de la soumission/domination : humilier le salarie a ce 
point, lui retirer toute dignite, c'est le deshumaniser totalement, done le rendre esclave. 

■ Materiel au subordonne 

« Le matos c'etait, selon le grand grand directeur comme de beaux jouets 
qu'on nous offrait et que, comme des gosses, on les petait aussitot qu'on les 
avait eus. II suspectait aussi qu'on les vole, mais sincerement, une timeuse [eti- 
queteuse]... Y avait mieux a voler tout de meme ! Enfin du coup, on faisait sans 
le materiel convenable et par exemple y avait des equipiers qui avaient tout un 
horaire ou il devait ecrire a la main des dizaines d’ etiquettes de DLC. Je pourrais 
pas faire le calcul, mais je pense que multiplier en temps une activite revenait au 
final vachement plus cher que d’acheter cette satanee timeuse. On se faisait aussi 
engueuler parce qu'on respectait pas les normes or on n’avait pas le materiel 
pour les respecter... » 

Source : Temoignage recolte IRL 

On a ici un exemple de relation soumission/domination ou seul le pouvoir est en jeu : l'en- 
treprise perd de l’argent a laisser les subordonnes faire sans le materiel, pourtant elle persiste 
dans cette decision, ce qui lui permet d'asseoir une certaine fonne de pouvoir punitif, une fonne 
de pouvoir qui rehausse son ego, mais certainement pas les comptes de l’entreprise. 

L'absence de materiel adequat ou la presence de materiel defectueux peut signifier plusieurs 
choses : 

— L'entreprise fait des economies de bouts de chandelle. 


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— L'entreprise n'a pas conscience que ces problemes materiels induisent des problemes qui 
impactent sur la productivity Cela peut etre du a une retention d’information par les niveaux 
intennediaires. 

— L'entreprise fait du chantage au materiel pour asseoir son pouvoir, sa domination : elle 
transforme les necessites materielles en avantages, en privileges. 

Mais le jeu du materiel peut etre plus vicieux, plus sadique encore : 

A France Telecom- Orange, durant la fameuse « reorganisation », une seule 
clef 3G avait ete mise a disposition pour toute une equipe d’ingenieurs : celle-ci 
a ete confiee a un manager lui-meme nomine de facon relativement arbitraire. 

Chacun des membres de 1’ equipe devait demander l’autorisation d’utiliser la 
clef a ce manager. La clef 3G fut transformee en privilege necessitant la sou- 
mission au manager et, pour le manager, un moyen de favoriser certains et d’en 
ecraser d’autres et done de diviser pour mieux regner. 

Source : Vincent Talaouit avec Bernard Nicolas, I Is out failli me tuer, 

Flammarion, 2010. 

Get exemple du pouvoir qu’on peut loger dans le materiel est frappant, comment l’environ- 
nement materiel peut etre organise pour accroitre la soumission en creant des autorites factices 
qui n’ont pas lieu d’etre. 

Cette clef 3G aura tres bien pu etre laissee a la charge de 1’ equipe qui se serait organisee 
elle-meme, ou la direction aurait pu en foumir plus... Mais la n’etait pas le but. II s'agissait a 
l’epoque de faire passer les gens « par la porte ou par la fenetre » 56 et tous les moyens etaient 
bons pour seiner la zizanie, detruire les solidarites et faire craquer un maximum de non-licen- 
ciables. 

■ Open-space 

Les dirigeants, les decideurs ont toujours un bureau attitre, toujours mieux equipe et plus 
spacieux que les espaces attribues aux salaries. Leurs bureaux sont hermetiques, fennes, peu 
accessibles. Et quelles que soient les revolutions techniques, les evolutions de la societe, rien 
n'a change pour eux. Leur intimite est preservee, ils ont des conditions ideales de travail en 
solo, leur activite est cachee aux autres, leur lieu d’activite domine l’espace par sa taille et par 
les symboles, les privileges, les avantages qu'ils portent. Ils sont sans l’ombre d’un doute supe- 
rieur, et leur espace le crie, impossible de ne pas entendre cette domination, qu'on soit aveugle 
ou sourd. 

56 propos de Didier Lombard, a l'epoque PDG de France Telecom 


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Les economies de materiel, les restrictions budgetaires, les changements d'organisation, 
les remaniements en tout genre ne changent pas leur situation, contrairement aux subordonnes. 

Au fil des ans, les subordonnes de bureau voient leur espace se reduire, leurs murs dispa- 
raitre, leur confort devenir moindre et c'est finalement leur territoire qui disparait. Dans cer- 
taines entreprises privees et publiques, les possessions du salarie - essentielles a son activite - 
sont mobiles, stockees sur des casiers a roulettes. Le bureau attitre a tout simplement disparu 
au profit du bureau emprunte : 

« [Pole emploi] Nous n’avons pas de bureau fixe, nous changeons de bureau 
chaque demi-journee, jamais deux fois dans le meme bureau, pratique hein pour 
s’ organiser, pour avoir sous le coude un dossier important, et comment s’eton- 
ner des pertes de documents. . . » 

Source : http://rue89.nouvelobs.corn/2014/03/09/conseillere-pole-emploi- 

reve-passer-lapres-midi-250506 

« La plupart du temps, je suis chez les clients, mais quand je passe au bu- 
reau, je dois le planifier a l’avance. Sur 1’ intranet, je dois reserver le plus tot pos- 
sible un creneau horaire pour une planche en staff room, e’est-a-dire un bureau 
en open space, ou un isoloir si je veux etre au calme (ce que je n’obtiens que 
rarement, car ils sont monopolises par les associes et les reunions). Personne n’a 
de bureau attitre. [...] 

Le soir, en partant, nous avons 1’ obligation du clean desk, meme si la borne 
nous a alloue 1’ espace pour une periode de plusieurs jours : rien ne reste sur le 
bureau, quelqu’un d’autre peut s’y installer en notre absence. De toute fa$on, la 
politique est au zero papier, nous n’avons ni bibliotheque, ni archives documen- 
taires : on imprime le matin, et on jette le soir. 

En fait, tout est fait pour que le salarie, entre deux missions, reste chez lui. 

Ce qu’il fait, se reservant un espace au travail a la maison. La surface des locaux 
de l’entreprise peut ainsi etre encore reduite, et des economies realisees. » 

Source : http://voila-le-travail.fr/%C2%AB-i%E2%80%99ai-une-planche- 
en-staff-room-et-l%E2%80%99obligation-du-clean-desk-%C2%BB/ 

Quant a V open space, il est justifie par le fait de faire des economies et de faciliter la colla- 
boration. S’il fait efifectivement faire des economies, on a un doute quant a sa capacite a facili- 
ter la collaboration. Depuis quand les murs empechent la communication avec autrui ? 

Chargee de communication, Marion travaille en open space depuis un mois 
a peine : « C’est l’enfer ! Meme avec des boules quies, il est vraiment difficile 
de se concentrer. On est oblige de supporter les coups de fil, les discussions, les 


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rires des autres... Et toutes les deux minutes, quelqu’un vient te deranger. Par- 
fois, je n’ arrive plus a travailler tellement il y a de bruit. » 

Source : http://www.psvchologies.com/Travail/Souffrance-au-travail/ 
Stress-au-travail/Articles-et-Dossiers/SOS-open-space/4Bruit-et-Big-brother 

L 'open space nuit au travail necessitant un minimum d’effort mental : les bruits, l’ambiance 
sonore et quand le silence arrive a etre maintenu, le moindre effleurement de page resonne la 
aussi comme une nuisance. La proximite est source d’interruption permanente (directe ou indi- 
recte par les bruits), ce qui est un veritable poison pour le travail intellectuel, pour la concen- 
tration. 

On ne peut pas justifier la legitimite de 1 'open space par le besoin d'efficacite de l’entreprise : 
on travaille mieux isole, au calme, dans un bureau de decideur. 

La grande raison d'etre de cette organisation, inavouable, est la surveillance : 

« Sur le papier, l’open space est un amenagement du lieu de travail ou chacun 
possede son bureau personnel dans un espace ou tout le monde travaille en com- 
mun. L’idee est avant tout d’ameliorer la communication, d’allier les avantages 
du travail solitaire avec les avantages du travail collectif. Mais ne soyons pas 
dupe, l’open space garantit une maitrise et un controle total du travail des em- 
ployes. Voila ce qu’est la surveillance horizontale : tout le monde surveille, tout 
le monde est surveille. Tous les employes sont alors en concurrence, avec l’im- 
possibilite de se creer une sphere d’intimite. Tout est bon pour ecraser le mouton 
noir, celui qui dans Topen space ne joue pas le jeu. Nul besoin de cameras, le 
systeme de Topen space est autonome. Ajoutez en plus de cela un directeur qui 
dans son bureau de verre voit tout, et surtout affirme sa presence perpetuelle, et 
vous avez la un systeme parfait. Aucun epanouissement possible, aucune erreur 
acceptee, ce type d’amenagement motive les ambitieux et detruisent tous les 
autres (stress, depression, et dans les cas extremes suicide). 

L’open space est au travail au bureau ce que l’usine a la chaine est a la pro- 
duction. » 

Source : http://voxlemag.wordpress.com/numero-3-lultrasurveillance-auto- 
matisee/la-surveillance-banalisee/lemplove-de -verre/ 

« Souvent ce qui va se passer, c'est que les stagiaires vont etre en bordure 
de couloir et on va voir leurs ecrans. Et les plus seniors vont etre plus pres de la 
fenetre ou on voit pas leurs ecrans ; et le mieux c'est d'etre dos au mur pres de 
la fenetre parce que la on n’a personne qui peut arriver derriere nous et on est 
protege du regard de l'autre. Et ?a c'est tres important, y a une hierarchie geogra- 
phique de l'espace de travail. » 


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Source : extrait de remission Specimen sur le pouvoir, Alexandre Des 

Isnards, auteur de L ' open space m 'a tuer 

Mais l’humain en open space resiste : par chance, le salarie noue naturellement des relations 
avec les collegues proches de lui, ce qui a la capacite magique de faire s’effondrer tout ce sys- 
teme de surveillance, d’accroitre la solidarity et done de ne pas etre dans la mefiance de l’autre. 
Le cadre/salarie reussit done a se liberer de cette prison faussement ouverte par l’amitie. Qu’a 
cela ne tienne, les organisations savent comment retablir le systeme de surveillance cree par 
l’espace de V open-space : ils restructurent l’espace, le demenagent, le reamenagent. C’est le 
meme principe qu’emploient certains professeurs avec une salle de classe : il s’agit la de couper 
les cercles d’amis, les separer pour retrouver le controle par l’absence d’amitie, la mefiance de 
l’inconnu. Hormis qu’il ne s’agit pas ici d’enfants turbulents qui empechent la classe d’avancer, 
mais simplement de bons collegues qui s’entraident au lieu de se dechirer. 

Une telle organisation sert done la domination, certainement pas l’efficacite, le profit. Elle 
sert a rendre plus dominants les dominants, elle pousse les domines a etre plus soumis. Cepen- 
dant, comine tout est base sur la surveillance, alors le subordonne met la priorite a se donner 
une bonne apparence : c’est l’effet « Loft story », on joue le role du salarie tres actif, zele, mais 
il s’agit la parfois que de fard et cela vire au ridicule et a l’inutile pour tout le monde : 

Dans le livre L’open space m'a tuer de Alexandre Des Isnards et Thomas 
Zuber, on raconte cette fameuse habitude qui consiste a souhaiter bon apres-mi- 
di a celui qui ose partir a 1 8 heures : ceux qui finissent le travail a des horaires 
raisonnables sont moques. Alors les salaries font semblant de travailler jusqu’a 
tardivement (mais trainent sur Facebook, font les boutiques sur le web...), le 
signal etant le depart du manager. 

Quand on favorise la surveillance, on genere du presenteisme parfaitement inutile, on favo- 
rise l’emergence d’acteurs, de joueurs de role et le travail passe au second plan, l’important etant 
avant tout de jouer le spectacle attendu par les surveillants. 

■ LES ESPACES DE REVE 

Prenons l’exemple de Google qui a tout de l’apparence de l’entreprise-paradis : 

« Mais la vraie originalite du lieu [siege de Google a Paris] reside dans la ky- 
rielle de salles vouees au bien-etre des Googlers. Chaque etage est equipe d’une 
mini-cuisine, ou ils peuvent se servir en canettes, fruits ou confiseries : tout y est 
gratuit, comine a la cantine, ouverte des 8 h 30 pour le petit dejeuner. Certaines 


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L'homme formate Formatage au travail 


de ces cuisines font office de salles de jeux, ou Ton voit des salaries s'aflxonter 
au baby-foot ou sur un jeu video de football. Pour les (vrais) sportifs, une salle 
de fitness ouvre ses portes de 7 heures a 2 1 heures, en presence d'un coach. Un 
coup de barre ? Direction la salle de relaxation, ou des fits accueillent les em- 
ployes sous le coup du decalage horaire, ou la salle de massages, gratuits. Autre 
endroit ou evacuer la tension, la salle de musique, equipee de guitares, d'un pia- 
no, d’une batterie electrique et d’un ampli. « J’y vais quand je surchauffe » confie 
Benjamin Quesnel, assistant chef de produit et pianiste a ses heures perdues. 

A ces services gratuits s’ajoutent les prestations traditionnelles de conciergerie, 
payantes : cordonnerie, pressing, coiffeur.... » 

Source Le Parisien : http://www.leparisien.fr/magazine/grand-angle/econo- 

mie-la-vie-chez-google-28-06-2013-2936749.php 

La strategic est intelligente « la main qui donne est toujours plus haute que celle qui rcgoit » : 
en donnant beaucoup aux salaries, ceux-ci donneront beaucoup de leurs efforts, de leur temps, 
ils seront bien plus engages, plus productifs. Un tel environnement favorise la creativite et 
l’innovation. Ils n’auront plus la hate au ventre de rentrer chez eux pour se defouler, pouvant le 
faire sur place ; ils ne se depecheront pas d’en finir quand ils sont fatigues, puisqu’ils peuvent 
se reposer sur place ; ils ne couperont pas prematurement leur journee pour des questions de 
pressing, puisque c’est a disposition... Cette strategic (ainsi que la reputation de Google) attire 
egalement tous les plus grands talents, a un point tel que les meilleurs etudiants d’universites 
prestigieuses se voient sous-employes, travaillant a la moderation sur YouTube. 

II n’est plus question ici de domination et de soumission « a l’ancienne », la soumission ne 
se fait plus par le baton, mais par la baguette magique. Ce genre de lieu temoigne d’une volonte 
d' engager le salarie. Le risque est de devenir workalcoholic, de laisser en friche sa sphere privee 
et, a la longue, de perdre tout esprit critique vis-a-vis de son entreprise. 

Dans ce genre d’ entreprise, le defi est bien different : il ne s’agit plus de deceler la soumis- 
sion, la domination, de se liberer de la servitude ; il s’agit de garder les yeux ouverts sur les 
influences, de mettre une limite au travail, de conserver son identite et resister a toutes les stra- 
tegies d’ engagement qui peuvent etre bien plus elaborees que le « simple » decor de l’entreprise. 

En resume : 

— L’espace porte en lui des codes : les connaitre permet de les transgresser, d’en jouer et de 
connaitre les volontes de celui qui a commande cet espace. A partir de la, on peut developper 
des strategies efificaces de hack social, mais ces strategies sont impossibles a generaliser tant les 
lieux et leurs usages quotidiens peuvent differer. 


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— L'espace accorde ou non au salarie pennet de prendre la mesure de sa consideration : 
cependant on peut casser ces normes en faisant exister le salarie bride au meme titre que les 
autres. II s'agit la de casser les ghettos professionnels en montrant l'exemple, en favorisant la 
mixite sociale. Cette initiative sera mieux per?ue et appreciee si elle est prise par les subordon- 
nes eux-memes entre eux. 

— Dans des zones ou la surveillance est pregnante et horizontale (un environnement ou 
chacun se surveille l'un l'autre), la solidarity est la seule fa^on de s'en sortir. 

— Les lieux de reve, s'ils sont fort agreables, ne devraient pas faire oublier la realite : 
nous sornmes bien ici au travail et ces lieux ne sont pas un cadeau dont on doit etre redevable 
(cf loi de reciprocity). Ils sont con9us pour ameliorer la productivity. II faut maintenir un lien 
traditionnel a l’entreprise, c'est-a-dire reussir a s'y couper pour se reposer vraiment, garder une 
distance entre vie privee et vie publique. Le probleme est ici un phenomene d’engagement qui 
peut fonnater selon les autres strategies de l’entreprise. 

■ Done... Strategies d 1 experimentations discretes 

On peut difficilement briser les murs ou en aj outer, cependant on peut s’approprier l’espace 
et transformer les « obstacles » en allies. 

De I'avantage d'etre nouveau 

Intuitivement, le nouveau salarie imitera les autres dans leurs deplacements et habitudes, 
n'osera pas investir des chemins et lieux qu'il ne connait pas. II sera conformiste, de peur de 
mal faire, de peur de soulever indignations et interrogations remettant en cause sa legitimite. 
Or e'est pourtant le moment ou jamais d’experimenter, d’etre anticonformiste, d'avoir des depla- 
cements ou habitudes incongrues : on excusera au nouveau ses manieres, qu'on justifiera par la 
meconnaissance des us et coutumes du lieu de travail. 

Dans l'ideal, il faut reperer l'utilisation « conforme » de l’espace le plus rapidement possible 
(afin de paraitre, quand il le faut, « conforme ») et profiter de son statut d’inexperimente pour 
se perdre volontairement, tester des usages inedits de l’espace/du mobilier et trouver des zones 
d'ombres, c'est-a-dire des zones de non-surveillance, des zones libres, des zones sans regard. 
Attention, ce territoire de l’ombre peut etre public, peuple, mais n'attirant pas l'attention ou fai- 
sant penser a autrui que la personne est en plein travail. 

Le nouveau salarie a tout interet a reperer les personnes soumises a l'autorite et les insou- 
mis : leurs deplacements, habitudes seront fort interessants, riches d’enseignements ; ce n’est 
pas tant ce qu'ils ont a dire sur le travail qui fait la richesse de leurs connaissances, mais plutot 
leurs actions et tout ce dont ils ne parlent pas. 


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L'objectif n’est pas forcement de trouver des echappatoires dans l’espace pour ne pas tra- 
vailler, mais plutot d’ouvrir son esprit a tous les usages possibles de l’espace et connaitre ses 
limites sociales. II s'agit la de casser les limites fictionnelles liees a notre soumission ou celle 
des collegues : on pense qu'on ne peut pas rester la, qu'on ne peut pas changer telle disposition 
par intuition, parce que personne ne le fait. Or c'est peut-etre faux, et le statut du nouveau, qui 
pennet d’etre un peu bizarre sans consequence, permet de tester ces prejuges lies aux interdits 
de l’espace. 

Evidemment, il nous est impossible de donner des techniques precises, car aucune entre- 
prise ne se ressemble, cependant voici quelques idees pour nouveaux souhaitant tester l’espace : 

— Se perdre en rentrant de la pause, des toilettes ou apres toute activite ayant eloigne du 
lieu de travail. Cela pennet de faire une visite des lieux, voir ou notre presence attire l’oeil sus- 
pect, ou notre presence ne semble pas etrange ; s’avouer perdu au premier venu pennet ega- 
lement de faire des connaissances qu'on n’aurait pas faites autrement et cela de maniere assez 
sympathique. 

— Se tromper de service quand on a quelque chose a chercher ou a demander. La encore 
cela pennet de voir des lieux qu'on n'aurait pas vus autrement et rencontrer des personnes que 
Ton n’est pas sense connaitre. 

— Ne pas savoir imiter autrui et faire « comrne avant » ou coniine « on pensait qu’il fallait 
faire » : cela va d’une disposition du materiel/du bureau differente des autres a des habitudes 
singulieres, cornme prendre sa pause dans un endroit ou aucun collegue ne va par exemple. II 
s'agit de tester les reactions face a ces incongruites et tester les normes implicites, voir si on 
vous le reprochera, si on vous conseillera de faire autrement ou encore s’il n'y a qu'une reaction 
amusee. 

— Prendre des initiatives incongrues, c'est-a-dire se retrouver dans les lieux inopportuns a 
des moments inedits 

Attention ce travail de recherche, de test des nonnes implicites d’un lieu doit etre discret et 
subtil, alterne avec une attitude de conformisme. L'idee est d'etre subtilement pris pour un tete- 
en-l’air, un peu etrange parfois, mais sans qu'on soit directement etiquete « insoumis ». Jouer 
l’excentrique peut avoir du bon, tant pour les autres que pour soi, cependant cela peut parfois 
etre tres mal percu. C'est done un jeu qui se fait a pas de velours, dans la finesse, a petites etapes 
anticonformistes certes tres peu epiques, mais plus efficace a long tenne quand, ancien, on com- 
mence a envisager de changer totalement les normes implicites. 


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En open space 

L'open space est particulier en tant qu'espace, car il n’est que transparence pour les subor- 
donnes. Et la, avant de parler d'insoumission, il s'agit de trouver un moyen de pouvoir travailler, 
ce qui cornme on l'a vu, releve du defi tant les conditions imposees sont contraires aux condi- 
tions ideales pour travailler. 

Generalement les employes vont naturellement tenter de se faire une bulle afin de pouvoir 
se concentrer : ils vont utiliser des bouchons d’oreille, ecouter au casque de la musique, ils vont 
se faire des murs avec des plantes, des piles de documents/livres/magazines/casiers de range- 
ment, certains installeront des retroviseurs de bureaux, des fibres particuliers sur leurs ecrans 
(pour empecher d’en voir le contenu), d’autres accrocheront des panneaux « ne pas deranger » 
, etc. 

Toutes ces strategies sont parfaitement legitimes et ne devraient pas etre empechees ou 
jugees negativement. Certes, travailler en collaboration peut etre utile, mais il est strictement 
impossible de reflechir et d’avancer un travail un tant soit peu intellectuel si on est soumis au 
bruit humain continuellement, qu'on est interrompu tout le temps, qu’on sent les regards ou 
qu’on voit dans son champ de vision des dizaines d’allers-retours. 

Cependant cela ne resout rien a la situation : cela permet un temps de pouvoir travailler un 
peu, d' avoir quelques minutes un peu de paix ou de se sentir mo ins epie. 

L’autre idee est de vraiment collaborer, pas en cherchant tout le temps l’avis du collegue 
ou d’echanger ses idees au sujet du travail, mais en se soudant contre la transparence imposee, 
contre les nuisances. Il s'agit de passer des accords reciproques avec ses collegues, se preve- 
nir mutuellement des regards indiscrets, en se couvrant, en organisant ensemble sa bulle, en 
s’echangeant des services lies au non-travail (se couvrir mutuellement quand il est l’heure de 
faire ses achats sur le net par exemple). Tout le monde veut pouvoir avoir l’esprit tranquille, ne 
pas etre sous pression, cible de delation. Il est done possible de s’accorder via des echanges reci- 
proques si on se rappelle bien que l'ennemi n’est pas le collegue, mais la disposition de l’espace 
incitant a la surveillance. Ainsi la menace du champ de vision de l’autre peut devenir un champ 
de vision allie qui nous couvre. 

En open-space, la menace est egalement dans l’ordinateur, done si on souhaite mener 
d’autres activites, communiquer avec un collegue lointain ou mener tout sortes d’activites repre- 
hensibles, autant choisir un support horizontal : portable, tablette, feuille de papier et crayon... 
Une ecriture manuscrite type medecin est recommandee. Pour les plus audacieux, on peut ex- 
perimenter la prise de notes manuscrites (l’excuse legitime etant que l’ecriture manuscrite aide a 
mieux developper sa pensee et trouver des idees) sur ses genoux, face a la direction, non face a 
son ordinateur. Dans le meme ordre d’idee, on ne peut que conseiller d’installer un large miroir 
si son bureau est devant la direction : un surveillant sera moins tente de surveiller et de repri- 
mander s’il est face a son reflet. 


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Hacker I'espace 

Une fois les regies sociales de I’espace bien comprises, il s'agit de rendre plus opaque son 
lieu de travail (pour etre plus libre) ou de feindre la transparence tout en etant completement 
dans l'ombre. 

Imaginons I'espace de travail comine la carte d'un jeu d'infiltration : chaque mur et meuble 
peut proteger, chaque acteur a un champ de vision potentiellement mcnacant et un champ d’ac- 
tion qui se limite a certains endroits, selon une certaine routine, chaque objet peut servir de 
defense ou peut mettre en danger. Le but est de ne pas attirer l’attention ou d’avoir securise sa 
zone d’action quand Big Brother arrive. Si vous voulez un visuel de cette metaphore, voici un 
jeu qui ressemble a ce dont on parle : level 22 57 . 

Votre defense n'est pas simplement de devenir invisible. II s'agit de transformer la « me- 
nace » en alliance. Vos armes sont done la solidarity et l'experimentation. Concernant les « me- 
naces » qui peuvent avoir du mal a changer, la feinte de la bonne attitude a leur egard peut avoir 
son utilite. 

Sa propre defense n’est qu'une petite etape. Le franchissement de celle-ci doit rapidement 
servir a briser les effets de soumission : un open space ou les employes collaborant reellement 
(ne se surveillant plus mais se defendant fun l'autre) peuvent s'allier a des actions plus impor- 
tantes de « liberation » et changer durablement des cultures inutiles (celle du presenteisme par 
exemple, qui accuse celui qui part avant 20 heures). 

Cependant toutes les techniques liees a 1’experimentation discrete (evidemment applicables 
a d’autres domaines) demandent de savoir oser un minimum a sortir de notre soumission natu- 
relle : en testant, on se rend vite compte que les impossibility supposees et que la domination 
ecrasante sont parfois une construction de notre esprit. Meme dans les lieux les plus surveilles, 
les plus tayloriens, les plus tyranniques, on trouve toujours moyen de s'abstraire de la domina- 
tion : cependant cela demande de s'allier avec autrui. 

Ainsi, l’apparente insoumission a se retrouver dans un lieu qu'on imagine interdit a notre 
fonction peut s'averer ne pas en etre une : peut-etre que notre presence pourra soulever une sur- 
prise chez l’autre, mais a petits pas on peut faire accepter le changement. Ainsi de la bizarrerie 
d'un comportement, on pourra passer a une nouvelle habitude et ouvrir ainsi un nouveau champ 
de possibility a tous. D'ou l’importance de l’adjectif « discret », qui ne conceme pas unique- 
ment la nature des deplacements, mais la caracteristique de 1'experimentation. On experimente 
a petits pas, on ne peut pas accomplir de grands changements de fac^on epique, cela prend du 
temps, cela demande de la patience et une certaine « douceur » envers autrui, meme avec ses 
superieurs les plus tyranniques (c'est un defi, on vous l’accorde). 


57 http://store.steampowered.com/app/293300/?l=french 


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@TRAVAIL/ SOUMISSION/TENUE, BADGE... DES 

NORMES ARBITRAI RES POUR SOUMETTRE ET DO- 
MINER. 

La tenue donne ou non le ton de l'autorite (et done de soumission) meme dans des contextes 
ou la personne habillee en dominant/superieur n'a aucune legitimite a se faire obeir (l’expe- 
rience du pompier et de la boulangerie, precedemment). Nos jugements biaises par la puissance 
des symboles nous font percevoir les « bien habilles » coniine superieurs en tout et les « mal 
habilles » comine inferieurs. 

Distinguons d’abord la tenue arbitraire de la tenue qui a une reelle utilite : les uniformes des 
pompiers, des policiers sont necessaires dans l’exercice des fonctions ; la blouse du chercheur 
en laboratoire et celle du cuisinier sont bees a l'activite qu'ils exercent ; il est evident qu'un 
eboueur ou un ouvrier ne peuvent se mettre sur leur 3 1 etant donne que l'activite salit ; etc. 

Mais parfois la tenue est arbitraire (celle des vendeurs, des caissiers...) et entre en contra- 
diction avec l’activite menee par le salarie : 

A Carrefour, des tenues etaient imposees a ceux travaillant dans le stock ; or 
elles n’etaient pas portees par les employes, car trop chaudes dans un environ- 
nement deja etouffant (on peut se demander egalement la necessity d’etiqueter 
vestimentairement parlant l’employe dans un lieu ou il n’est pas en contact avec 
la clientele). La plupart du temps, la direction ne disait rien, mais parfois ce 
manquement a la regie arbitraire etait pretexte a reprimande. 

Source : Gregoire Philonenko et Veronique Guienne, Au carrefour de 

/'exploitation, Desclee DeBrouwer, 1997. 

La tenue, en plus d’empecher la bonne realisation de l’activite, sert d’excuse punitive si 
l’employe doit etre reprime, mais que les raisons sont arbitraires ou interdites (par exemple le 
fait que l’employe soit syndique, ce qui est un droit non une erreur a punir). 

Le badge a cette meme fonction non avouee : 

« En principe, on etait oblige de porter un badge avec notre prenom. Mais 
aucun equipier (il n’y avait qu’eux qui avaient cette obligation) ne le mettait, car 
sinon les clients chiants nous lachaient encore moins. Ce badge, e’etait leur don- 
ner un moyen de gueuler sur nous encore plus. Certains managers - la plupart - 
etaient d’accord avec nous, ils avaient bien conscience de la tension et du danger 
provenant de la clientele a certains moments, done ce n’etait pas eux qui nous 
forcaicnt a remettre le badge, au contraire. Mais parfois, sans qu’on comprenne 
bien pourquoi, le grand chef faisait du port de badge sa priorite, il fallait qu’on 
le mette a tout prix. 

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L'homme formate Formatage au travail 


A l’entendre ne pas avoir mis ce badge, c'etait comme avoir mis le feu au res- 
taurant volontairement. Alors on le remettait un jour, voire deux. Les managers, 
sous la pression du grand chef nous y poussaient. Puis on arretait. Et parfois le 
grand chef passait, voyait qu'on n’avait pas de badges et ne disait rien la dessus. 

A part pour certains, evidemment... » 

Source : temoignage recueilli IRL 

Faire porter un accessoire inutile a l'activite, voire prejudiciable, tolerer son absence, mais 
en faire parfois un crime grave est revelateur : l'objet - ici le badge - ne sert qu'a asseoir la do- 
mination, prouver son pouvoir, il n’est qu'un pretexte au rappel de la soumission qui est due a 
ce grand chef, soumission qui va au-dela des necessites de l'activite. 

« Cette histoire de badge, c'etait pareil avec toutes sortes de nonnes. Les 
masques en cuisine n’ etaient pas systematiquement obligato ires... a part pour 
certains equipiers. II y en avait certains qui n’en portaient jamais, qui avaient 
de la barbe et personne ne les engueulaient pour ne pas respecter la norme (ni 
manager, ni directeur, ni grand chef) ; par contre d’autres se faisaient incendier 
systematiquement ou etaient forces d’office a porter le masque (et ce n’ etait pas 
une question hygienique, leur haleine etait comme celles des autres, super seche 
parce qu’on etait souvent deshydrate en cuisine, vu qu’on nous empechait de 
boire). Et parfois, ca virait au grand n’importe quoi : la direction avait decide 
d’arreter d’acheter des pantalons pour les equipiers parce qu’ils voulaient faire 
des economies. Soit. Seulement la norme “tu dois porter absolument la tenue M* 
qui f est fournie et pas une tenue personnelle » etait toujours en vigueur. Les nou- 
veaux equipiers etaient dans l’impossibilite de respecter cette nonne, pourtant 
les managers les engueulaient comme du poisson pourri parce qu’ils venaient 
avec des pantalons perso... et ils ne voulaient pas entendre leurs justifications 
pourtant legitimes. II aurait fallu quoi, qu’ils tentent de voler des pantalons M* 
aux anciens ? Qu’ils cousent le grand M sur leur pantalon ? Et la direction n’a 
rien dit, les managers ne se sont pas excuses quand ils ont ete au courant. La 
nonne, c’est la norme, il faut la respecter et la faire respecter meme quand c’est 
totalement impossible. Cest la norme des nonnes, en quelque sorte. » 

Source : temoignage recueilli IRL 

Mais parfois la tenue arbitraire et ces nonnes ne servent pas la domination de l’entreprise sur 
le subordonne, mais celle du client sur le vendeur : 


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« Nom, prenom, bonnet, tour de poitrine. Telles sont toutes les informations 
que l’on peut desormais lire sur les badges arbores par les vendeuses de Change. 
Ainsi en a decide la direction de cette chaine de lingerie suedoise qui dit vouloir 
rendre service a sa clientele. 

II fallait y penser : en comparant leur poitrine a celle de la vendeuse, les 
femmes peuvent choisir plus facilement les tailles des modeles. Humiliant, 
dites-vous ? C’est egalement l’avis des employees, obligees - etonnamment - de 
faire face a l’afflux d’une toute nouvelle clientele masculine. “II y a des pervers 
qui trainent dans la boutique pour voir quelle taille je fais” , confie l’une des 
vendeuses au journal syndical Handelsnytt. “Les gars qui vendent des caleQons 
ne montrent pas leur taille”, fait remarquer une autre. Pour la Suede, souvent 
consideree comme championne de la parite, c’est effectivement un comble. . . » 
Source Elle : http://www.elle.fr/Societe/News/Suede-des-vendeuses-te- 

nues-d-afficher-leurs-mensurations- 14705 14 


« Les Prud’hommes (Arbetsdomstolen) ont juge ce mercredi 10 avril 2013 
que cette obligation etait discriminatoire et que la dignite de la vendeuse avait 
ete « violee ». [...jChange a ete condamne a une amende de 50.000 couronnes 
(environ 6.000 euros) et devra payer les firais de proces de la plaignante. » 

Source L'express : http ://www. lexpress.fr/ styles/mode/une-vendeuse- 
forcee-de-porter-un-badge-avec-sa-taille-de-soutien-gorge_ 1 23 93 1 8 ,ht- 

ml#6JRLCZWkd9HILY CT.99 


La tenue sert d'un cote a soumettre le subordonne par la direction. D'un autre cote, elle sert 
aussi a donner au client un statut superieur, par contraste. 

« Defile haute couture 

Vous etes coquette, vous detestez les uniformes ? Je suis dans le regret de 
vous rappeler que la caissiere, meme derriere sa caisse, doit pouvoir etre imrne- 
diatement identifiee par le client comme etant bien... une caissiere. Done, afin 
d'eviter toute confusion : tenue de travail obligatoire. Et puis sans elle, com- 
ment sentir que vous faites partie d'une grande famille, celle de l’enseigne pour 
laquelle vous travaillez ? Indispensable pour donner le meilleur de soi-meme. 

Decouvrez les collections variees printemps-ete-automne-hiver qui vous at- 
tendent. [...] 

Tenue dite “meme” 

Vous n'aviez rien pour descendre les poubelles ? Maintenant si, grace a ces 
magnifiques gilets et jupes ou pantalons a pinces noirs informes taille XXL. Et 


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L'homme formate Formatage au travail 


meme si vous n'avez que vingt ans, attention aux gerontophiles. Les clients de 
moms de soixante-dix ans, par contre, aucune chance. N’oubliez pas de sortir le 
tricot pour completer la panoplie. 

La ligne de caisse : le clan des memes. 

Tenue dite “fermiere” 

Blouse taille XXL (qui peut aller du bleu vichy au rose comine les petits 
cochons) avec boutons pression. Meme si ce n'est pas vrai, on aura l'impression 
que votre grossesse arrive a son huitieme mois (ou que vous etes obese si vous 
etes un garcon). Impermeable a toutes les taches, vous pourrez aussi sans souci 
l'utiliser en cas de pluie. 

Tenue dite “clown” 

Veste rouge petant + chemisier a grosses fleurs vert caca + pantalon bouffant 
d'une couleur indefinissable. II ne vous manque plus que le nez rouge pour amu- 
ser la galerie, comine Ronald chez Mac Do. Aucune chance que les clients vous 
loupent. Dissuadez par contre vos amis de venir vous voir. Vous risqueriez d’en 
entendre longtemps parler. [...] 

Pour achever ce defile, sachez aussi que vous n’etes pas a l'abri, si vous arrivez a un 
mauvais moment de l’annee, de devoir melanger les genres et de vous retrouver a porter 
une tenue Glamour-Clown, Meme-Fermiere, ou Clown-Meme... Irresistible. 

Dans tous les cas, evitez de vous regarder trop souvent dans les glaces de 
votre magasin si vous ne voulez pas sombrer dans la deprime ou etre oblige de 
refrener un fou rire devant chaque client. » 

Les tribulations d'une caissiere, Anna Sam 

Cet exemple nous renvoie au biais « ce qui est beau est bien/superieur » excepte qu’ici, et 
pour bon nombre d’emplois en condition mal « habille » , c’est le biais « ce qui est mal habille 
est inferieur » done ignorable, corveable, permettant un phenomene de comparaison sociale 
digne de « confessions intimes » chez le client et les autres subordonnes : cela provoque un 
schadeufreude, tenne allemand designant la joie provoquee par le malheur d’autrui. 

Changer la norme vestimentaire des subordonnes, mais pas la sienne, est une fa9on de mon- 
trer sa superiorite, sa difference, son pouvoir : en supermarche toujours, une chef de caissieres 
avait interdit de porter des pantalons, alors qu’elle, en portait... 58 . 

Ce genre de nonne differencial le superieur de l’inferieur est l’expression du pouvoir pour 
le pouvoir, d’une volonte de distinction ; c’est un ordre arbitraire qui n’a que d’utilite pour celui 
qui l’ordonne, pas pour l’activite ou l’entreprise. Est-ce un cas d’orgueil parmi tant d’autres ? 
Nous verrons que beaucoup de « petits » chefs prennent des mesures inutiles a l’activite, a l’en- 
treprise dans le seul but de faire exprimer leur pouvoir. Cest une fa?on de se convaincre de leur 
propre puissance, de prouver leur superiorite parce que justement elle n’existe que symbolique- 

58 Journal d'un medecin de travail , Dorothee Ramant 


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ment : une majorite de salaries, malgre les responsabilites qui leurs sont donnees, leur statut, 
leur titre, ne sont finalement que des subordonnes. 

Des subordonnes ++ qui sont souvent plus assujettis, plus asservis que la premiere ligne de 
subordonnes, de la meme facon que le sujet chez Milgram est plus soumis a l'autorite que Bob. 

Ces distinctions de tenues sont parfois de l'initiative de petits chefs, mais c’est souvent ins- 
titutionnalise : 

« [Dans un fast-food connu] il y a la tenue des equipiers, la tenue des forma- 
teurs, la tenue des managers et les niveaux superieurs n’ont pas de tenue M*, ils 
sont habilles coinme des cadres, sans la cravate. Mais le true, c'est qu'entre le 
boulot d’un fonnateur et celui d’un equipier, il n’y a presque pas de difference : 
le fonnateur est un equipier qui se coltine systematiquement les nouveaux, qui 
nous reprend si on ne respecte pas les nonnes, qui nous fait passer des evalu- 
ations de poste. Il a genre 30 centimes de plus par heure, c'est tout. Mais les 
equipiers se coltinent aussi la formation des nouveaux. Un jour un manager m’a 
meme engueule [il est equipier] parce que je n’engueulais pas les nouveaux qui 
ne faisaient rien : j’etais tenu de me comporter coinme lui ou un fonnateur. Du 
coup, etre fonnateur ressemblait plus a une distinction entre equipiers « moi je 
suis superieur, je suis une reference, regarde j’ai une tenue dififerente et des res- 
ponsabilites que tu n’as pas officiellement, mais qu’officieusement tu es oblige 
de faire » ; mais les formateurs se la ramenaient pas avec ca, hein, ils etaient 
sympas. Un jour, ils ont fait monter des equipiers en formateurs : ils ont ete les 
premiers surpris, car c’etait les plus desobeissants, les moins engages, les plus 
« mauvais eleves » : en fait il s’agissait de les mettre dans le rang, les forcer a 
la responsabilite en leur refilant quelques « privileges ». 

Quant aux differences entre tenues, c’etait assez flagrant : plus le statut etait 
haut, plus il y avait de poches a disposition ; les equipiers n’en avaient aucune, 
par peur de vol, par mefiance totale de la boite (on apprend aux managers a ne 
jamais faire confiance aux equipiers, cependant ils desobeissent, ce qui ameliore 
beaucoup le travail et l'ambiance). » 

Source : temoignage recueilli IRL 

Parfois l’apparence physique est normee arbitrairement a un tel point que cela en devient 
presque fou : 


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Un chef lit les instructions au sujet de la tenue aux futurs salaries en briefing, 
a Domino's Pizza : « les cheveux ne doivent pas descendre en dessous du haut 
du col de la chemise d’unifonne [...] les cheveux doivent etre bien peignes et 
soigneusement coupes, le cou degage. II n’est pas permis de relever les cheveux 
sous la casquette pour les homines [...] Les cheveux devant la casquette doivent 
etre a 1,5 centimetre de l'oeil. [...] 

les coiffures qui sortent de l’ordinaire ne seront pas tolerees, comprende ? [il 
s'adresse a un salarie aux cheveux frises arrivant a la nuque ] toi c'est clair, il va 
falloir que qa degage [fait un bruit de claque de fa$on humoristique] sinon c’est 
clair tu pourras pas te presenter a un client avec des cheveux comme ca. On vous 
donnera quelques jours pour vous adapter. 

— et si on veut pas ? 

— on est inflexible, si tu veux pas suivre la norme, vaut mieux qu'on arrete 
parce que c'est pas les employes qui vont changer les nonnes. On est 50 000 per- 
sonnes tous les vendredis qui travaillent pour Domino's, c'est clair que la nonne 
ont peut pas la changer. C'est a toi de changer a la norme. Sinon tu pourras pas 
travailler avec nous. C'est malheureusement comme ca, tu vois. C’est pas moi 
qui fait la norme, elle est la, tout le monde la respecte. De toute fa$on c'est pour 
le bien-etre de tout le monde. C'est pour justement qu'on ait une certaine... c'est 
pour qu'un livreur a Strasbourg soit le meme a Paris [...] Tout le monde est pareil, 
on est tous egaux, moi je respecte la norme, toi tu la respecte et tout le monde 
est bien. [sic] » 

Documentaire Attention danger travail de Pierre Carles, Christophe Coello 

et Stephane Goxe. 

La tenue et l’apparence physique nonnee au centimetre pres est une uniformisation : tous se 
ressemblent, on supprime les differences individuelles, on clone l’idee de l’employe modele. Ici 
le manager parle d’egalite et d’une norme qui serait ineluctable. 

Or la couleur d'un tee-shirt ou la firange longue n’a aucune incidence sur l’activite : cela 
n’influencera en rien le client, ce n'est pas une question d’hygiene. Ces details nonnes sont to- 
talement arbitraires. 

La nonne n’est pas ineluctable : les decideurs pourraient la supprimer (ce qui serait un gain 
de temps pour les fonnateurs, done une possibility de s'atteler a expliquer des choses plus im- 
portantes ; cela ferait des employes plus vite prets a travailler) ; mais les chefs pourraient ne pas 
la faire suivre, sachant que son apprentissage et sa surveillance sont une perte de temps. 

On a avec cet exemple extreme un tres fort indicateur de volonte de fonnatage du salarie : 
au-dela des notions de soumission/domination, on a la une entreprise qui, par ses nonnes ar- 
bitraires sur chaque detail physique de l’employe, recrute des individus qu’elle veut modeler 
totalement afin de former une armee de clones. 


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Resumons : 

— Les normes en entreprise se font passer comme ineluctable « c'est pas toi qui va changer 
a la norme, c'est toi qui dois changer a la norme [sic] »(Documentaire Attention danger travail 
de Pierre Carles) ; or on peut tout changer en entreprise, excepte les nonnes liees a l'activite 
elle-meme : par exemple la norme interdisant aux demenageurs de jeter a terre violemment 
les cartons etiquetes « fragiles » ne peut etre abrogee, car l'activite en patirait. Mais la norme 
etablissant la longueur de frange pourrait etre abrogee etant donne qu'elle n’a pas d’impact sur 
le travail. 

— Les normes vestimentaires sont souvent arbitraires et n’ont aucun impact sur l'activite 
(excepte pour des questions d’hygiene, par exemple le masque dans une salle d’operation) ; 
l'impact est souvent de l’ordre de la domination/soumission. 

— Parfois ces normes vestimentaires sont en contradiction avec le bon deroulement de 
l'activite. Mais elles servent a asseoir la puissance de certains contre la soumission des autres. 
Elies servent d’excuse punitive. 

— La presence de ces normes arbitraires ne peut pas etre justifiee uniquement par l'igno- 
rance, la meconnaissance du reel par ceux qui les ont decides (meme si c'est parfois le cas) : 
parce que les effets de domination/soumission sont utilises par les chefs sciemment. 

— En observant les effets sur le terrain, du respect de ces normes, on constate qu’elles 
accroissent la domination sur les subordonnes, renforcent l’idee d’inferiorite et done de soumis- 
sion due a l’entreprise chez celui qui est force de suivre ces nonnes. Elles ne servent souvent 
qu'a ?a. 

— L'observation des exigences arbitraires est un excellent moyen de deceler les volontes 
de domination, le renforcement de la soumission. Cela denote chez les decideurs de ces nonnes 
arbitraires la peur de la perte de controle, la peur du pouvoir du subordonne, la peur de perdre 
son propre pouvoir, un complexe d’inferiorite, la volonte de maintenir son pouvoir a tout prix. 


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Done... La strategic « Faire campagne » 


II est important de connaitre la loi avant toute chose : 

Article L1121-1 

Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertes individuelles et 
collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiees par la nature de la tache a 
accomplir ni proportionnees au but recherche. 

Cette loi evince en principe toutes les normes arbitraires, mais l'employeur peut justifier 
la norme arbitraire par des pretextes assez fallacieux tels que « pour vendre efficacement, le 
vendeur doit laisser son nom au client », « pour representer convenablement l’entreprise, etre 
identifiable, le salarie doit porter cette tenue [totalement inesthetique] ». L'affaire « Bermuda » 
est un exemple assez explicite : 

« Reprenons succinctement les faits. Cedric Monribot etait venu travailler 
en bermuda (en roccurrence, un elegant short beige avec ceinture) un jour ou la 
temperature etait excessive dans l’etablissement dans lequel il excrcait son ac- 
tivity d’ agent technique des methodes. (Les representants du personnel avaient 
a plusieurs reprises alerte la direction de l’etablissement sur la penibilite des 
conditions de travail en cas de forte de chaleur). 

Le chef du personnel lui ayant demande de bien vouloir respecter une tenue 
« conforme au reglement interieur » de la Sagem, Cedric Monribot adressait 
un courrier electronique a cinq membres de la hierarchie soulignant qu’aucune 
disposition du reglement interieur n’interdisait le port du bermuda, que sa tenue 
etait tout a fait correcte et que son activite professionnelle donnait toute satis- 
faction. Cedric Monribot s’est alors vu notifier un licenciement pour perte de 
confiance, pour avoir manifeste a l’egard de sa hierarchie « une opposition forte 
et persistante a l’application d’une consigne simple (port d’un pantalon pour les 
homines sur les lieux de travail et pour “avoir marque publiquement son refus 
d’ adhesion aux valeurs fondamentales de (la) societe” . » 

Source : http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php7articlel08 

L'affaire a ete envoyee en justice et la Cour de cassation en a conclu que : 

« la liberte de se vetir a sa guise au temps et au lieu du travail n’entre pas 
dans la categorie des libertes fondamentales » 

Done que l'article cite page precedente s'invalide, pour ce cas... 


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II est important de connaitre la loi, les regies, cependant il faut savoir qu'en entreprise le 
parcours pour les faire respecter est tres long et parfois infructueux cornme le demontre l'affaire 
bermuda. II va done falloir faire preuve d’imagination, d’astuce pour ne plus etre force a etre 
soumis a ces normes arbitraires. 

— « [Cedric a ete licencie pour] avoir marque publiquement son refus d’ ad- 
hesion aux valeurs fondamentales de (la) societe . » 

Ce n’est pas tant pour la tenue que Cedric a ete licencie : l’entreprise devait en faire un 
pretexte parce que son attitude ne leur convenait pas, quelle que soit la qualite du travail effec- 
tue. L’idee est done de feindre la bonne attitude pour reussir a desobeir en toute quietude aux 
normes arbitraires : meme le travail en lui-meme ne compte pas tant que ca, tout est question 
d’apparence et de comportement vis-a-vis du decideur tatillon sur ces normes inutiles. Cette 
volonte de domination cache une peur, une crainte de perdre son pouvoir, une inquietude vis- 
a-vis de l’incontrolable chez les subordonnes, la peur de l’insubordination parce que Ton a peur 
de perdre son autorite, son pouvoir. II faut done, des que possible, rassurer constamment son 
chef en parlant cornme si Ton etait le chef de soi-meme, avec assurance, professionnalisme et un 
brin d’imitation du chef auquel on s'adresse. II faut qu'a long terme, il vous percoivc cornme un 
egal et cela n’a strictement rien a voir avec le travail effectue : le zele sera tres mal percu, signe 
de haute soumission, done la caracteristique du subordonne qui le sera toute sa vie (et signe 
d'economie aussi pour l’entreprise) ; le faux zele (faire semblant d’etre deborde tout le temps 
par exemple) peut etre facilement mis a jour egalement. Il faut jouer le subordonne responsable, 
lointain de lui-meme, parlant de son activite cornme un fait exterieur. Ce role totalement fictif 
est grandement efficace a long tenne : il peut permettre la reciprocity, il peut pennettre de s'abs- 
traire des normes arbitraires sans que cela se termine en cour de cassation, etc. On y reviendra 
tres souvent dans nos « done » car ce jeu d’acteur est extremement liberateur, aussi bien de la 
soumission, des contraintes au travail, que du conflit qui est alors tue dans l’oeuf. 

— Quand personne n’obeit plus, mais que cela est parfois utilise cornme pretexte punitif 
(cornme la blouse de l'exemple de Carrefour ), il faut faire campagne, non pas en tant que cam- 
pagne de guerre, mais en tant que campagne « politique » : il faut repeter le probleme a tous ses 
superieurs possibles, verifier qu’ils ont bien compris ce qu'on leur a dit en demandant confirma- 
tion par des questions a choix ferine (penses tu que cette blouse est un probleme ou est-ce que 
ce n’est pas un probleme ?) afin de forcer la prise d’opinion. Il faut en parler avec un langage 
rationnel (« ma productivity baisse quand je mets cette blouse, c'est indeniable »). Il faut faire 
des joumees obeissantes commentees et confirmees par les superieurs (arriver tout rouge pres 
d’un point d’eau et affirmer haut et fort « j’ai chaud, je dois me deshy drater, cela me fait perdre 
du temps. Et toi, tu ne penses pas que j’aurais ete plus rapide sans cette blouse ? »). S’il propose 
d’enlever la blouse, il faut rappeler les punitions encourues et encore forcer le positionnement 
(« penses-tu que le port de blouse rend plus productif ou moins productif ? Est-ce qu’il est plus 


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important d’etre productif ou est-ce qu'il est plus important d'avoir un signe distinctif de son 
statut et etre moins productif? »). II faut enoncer les questions sans cynisme, sans ironie, avec 
un reel interet pour la reponse : il ne faut surtout pas entrer en guerre. Si le chef est orgueilleux, 
il faut le lisser dans le sens de son pouvoir et etre dans la quete de ses reponses superieures, de 
son avis determinant : l'important est de l'amener a se positionner sur ces questions. 

— Si l’infonnation et cette « campagne » ne remontent pas, qu'il y a blocage, il ne faut pas 
hesiter a faire cette campagne a plus haut place, voire a des echelons auxquels on n’a pas ac- 
ces. Souvent, les niveaux intermediaries bloquent l’infonnation pour conserver leurs pouvoirs 
ou mentent a certains sujets. Il est possible que l’afifaire puisse etre resolue plus facilement en 
s'adressant a plus haut. Mais l’inverse est aussi parfois vrai : dans ce cas, il faut s'associer a ces 
niveaux qui collaborent pour faire campagne. 

— Il faut defendre les autres salaries meme si on n’est absolument pas conceme par leurs 
soucis : qu'importe la difference d’activite, de statut, de service, face a une injustice les « etrang- 
ers » non concernes ont souvent une voix qui se fait mieux entendre : un homine qui soutient 
la cause feministe est pris plus au serieux, un heterosexuel qui defend le mariage gay est plus 
entendu, etc. 

« Le pouvoir gagne en puissance lorsqu'il donne l’impression de ne pas ser- 
vir l'interet de celui qui l’exerce » 

Laurent Auzoult, Psychologie du pouvoir, Dunod, 2013. 

Walster, Aronson et Abrahams (1996) : les sujets ont dififerents articles a 
lire et doivent, apres lecture, dire leur opinion. Il s'agit de voir quelle influence, 
quel poids aura un texte selon la source attribute et le fond. 

L'article est soit un argumentaire sur la facilite d’echapper a la sanction lors 
d'affaires juridiques, soit il soulignait l’inutilite du passage par la prison qui ne 
faisait que renforcer la criminalite. La source de ces textes etait soit un presti- 
gieux procureur, soit un prisonnier. 

Quand l'article sur l’inutilite de la prison est attribue au procureur, il a beau- 
coup d’influence sur les sujets ; mais le prisonnier a autant d’influence que le 
procureur sur les sujets quand il defend les pouvoirs de la cour, done qu'il va a 
l’encontre de ces interets. 

Il est done primordial de defendre des causes ne nous concemant a priori pas, tout sim- 
plement parce qu'on aura plus de chance de reussir a remedier au probleme que ceux qui sont 
concernes. On gagnera en influence, en puissance, si on defend des causes qui semblent pour- 
tant contraires a nos interets (par exemple, quand on est chef, defendre un subordonne qui a 
desobei alors que le chef est suppose ne pas aimer la desobeissance ). 


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— Si les decideurs refusent d’entendre raison, il ne faut surtout pas « faire avec » et se sur- 
passer malgre les contraintes liees a la norme arbitraire : ce zele est une soumission destructrice 
pour soi, pour les autres et pour les futurs salaries. II faut done rester dans une loi de recipro- 
city : j’ai trop chaud a cause de cette blouse, done je perds en productivity en travaillant mo ins 
vite, en buvant de l’eau tout le temps, etc. ; les clients m’embetent avec mon badge, je ne fuis 
pas en travaillant encore plus, mais je parle de l'evenement embetant avec le superieur, avec 
details des que c'est possible ; il faut que la reciprocity soit maintenue, c'est-a-dire qu'on n’en 
fait pas plus pour lutter contre le probleme, mais laisser le probleme affecter le travail concrete- 
ment et en montrer clairement les consequences. Dans la loi de reciprocite, on doit se respecter 
avec justesse : ce n'est pas prendre le moindre pretexte pour ne rien faire, mais a probleme egal, 
consequence egale. 

— Resoudre une bonne fois pour toutes une norme arbitraire necessite de ne pas etre seul : 
quand on travaille en groupe, c'est meme primordial. Pour convaincre les collegues de suivre 
cette campagne, il ne faut pas y aller frontalement avec l’esprit guerrier. Il faut faire valeur 
d'exemple, prendre en compte les envies de pouvoir de chacun (le fameux zele et la soumission 
absolue dans la croyance que cela les fera monter en grade), les peurs de chacun (du chomage 
notamment), et faire campagne avec douceur, humour, solidarity, ecoute. Evidemment, ce n’est 
pas evident et cela prend parfois beaucoup de temps. 


Done... Stop Biais d'apparences 

On l’a deja vu precedemment, on a une tendance a la discrimination qui a son utilite dans les 
bases de la perception (distinguer les elements entre eux, sans quoi on aurait bien du mal a agir) 
mais cette tendance poursuit son travail dans le jugement d’autrui, ce qui a l'extreme provoque 
du racisme, des jugements errones, ce qui facilite la manipulation. Il semble done essentiel 
d'apprendre, de s'entrainer et travailler continuellement a inhiber ce processus. C’est-a-dire qu'il 
faut s'en tenir a la constatation visuelle (« cette personne a un costard ») et ne pas laisser les 
automatismes (« je reponds a son ordre » ou « je dois la respecter plus ») prendre le relais. Le 
respect devrait etre le meme pour tous, ni plus ni moins, et ne se baser que sur des faits et des 
circonstances. On n’a pas a se sentir « oblige » (soumis), on n’a pas a se sentir « dominant » (et 
se pennettre de donner des ordres) dans les interactions sociales, on peut favoriser l’echange 
reciproque, et cela quel que soit le deguisement social de l’autre. 

Inversement, se sentir superieur ou inferieur dans une tenue est un probleme egalement : 
cette sensation nous pousse a nous comporter en « inferieur » ou « superieur » et cela nuit a 
autrui et a nous-memes, car cela cultive la discrimination. Il ne s'agit pas la de nier l'effet du de- 
guisement, bien au contraire, mais il faut prendre conscience des symboles et les ramener a leur 
place : ils sont des symboles, ils ne sont pas nous a l’instant ou nous les portons. Ne cedons pas 


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a la tentation du transfert symbolique : nous ne sommes pas nos tenues et encore moms quand 
elles nous sont imposees. Cette prise de conscience ouvre la voie au hack social, car elle permet 
d'adopter des attitudes contraires aux symboles : paraitre puissant en tenue d’agent d’entretien, 
etre humble dans un costard... et cela peut etre une piste pour essay er de changer l'attitude de 
nos interlocuteurs, de suspendre leur traitement discriminant automatique. Du moins, cela reste 
une petite piste d’experimentation. 


@TRAVAIL/ SOUMISSION/LA DOMINATION PAR LA 
RATIONALISATION TOTALITAIRE DE L ACTIVITE 


Nous avons vu quelques normes arbitraires dans les pages precedentes ; les normes en 
entreprise sont systematisees, c’est-a-dire mises dans le cadre de l’entreprise : dans Milgram, 
on n’ordonne pas au sujet a chaque fois de dire les questions a Bob, on ne lui ordonne pas de 
mettre une decharge a chaque fois. Le cadre a ete pose et expose au prealable, et c’est le cadre, 
cette facon de faire les choses qui est suivie. L’autorite n’est la que pour pousser a le suivre. 

Les nonnes ont tendance a ne pas etre percucs cornme des injonctions venant de l’autorite, 
elles sont rationalisees et systematisees (« on fait cela parce que ceci »), elles sont aussi imper- 
sonnelles que les regies d’unjeu de societe, mais ce sont elles qui font le « jeu ». Les normes 
font loi sur le lieu de travail, mais on a tendance a oublier qu’elles pourraient etre radicalement 
differentes, qu’elles pourraient etre changees du tout au tout, qu’elles ont ete decidees par des 
dirigeants et qu’elles ne sont maintenues que parce que tout le monde consent a les suivre. 

Ces normes ne sont pas toutes arbitraires, certaines ont des raisons legitimes qui servent 
l'activite, les acteurs de l’entreprise ou le profit : 

— les nonnes de securite : par exemple, porter un casque sur un chantier dangereux. Cette 
nonne sert le subordonne en lui evitant des accidents ; cette norme sert les managers parce qu’il 
est difficile de s’organiser et de maintenir l’activite si toutes les semaines il y a des absents pour 
cause d’accident de travail ; cette nonne sert les decideurs et leur profit, parce qu’une equipe 
en bonne sante, de facon durable, aura une meilleure productivity done il y aura une meilleure 
qualite, rapidite et un bon profit. Les normes de securite peuvent avoir ete decidees par l’entre- 
prise, notamment en ce qui concerne des risques mineurs (le port de surchaussures lorsque le 
sol est un peu glissant) et par des autorites exterieures representant l’Etat (et done l’irrespect des 
nonnes de securite peut etre puni par la justice). 

— les normes d’hygiene : par exemple se laver les mains avant de realiser l’activite. Cette 
nonne tient au sens commun et permet a chacun de se proteger des microbes de l’autre. En 
restauration, dans l’agroalimentaire elle est essentielle pour ne pas contaminer les consom- 
mateurs. Cependant, l’entreprise peut valoriser cette norme (en considerant le lavage de main 


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comme une bonne activity du salarie), la renforcer par des indications plus strictes (se laver les 
mains toutes les heures) ou la denigrer, la mettre au second plan, l’ignorer. La encore, toutes 
les normes d’hygiene proviennent d’autorites exterieures a l’entreprise, notamment la medecine, 
mais l’entreprise peut ou non en faire une affaire personnelle. 

— les normes comportementales : par exemple, sourire au client dans toutes les situations. 
II y a une part de bon sens dans cette norme qui provient de notre societe. En effet, on n’ob- 
tient rien de quelqu'un si Ton est desagreable avec lui. II n'y a ici pas d’autorite exterieure ayant 
decide que le sourire devait etre obligatoire, cependant l’agreabilite peut etre une norme cultu- 
relle notamment dans d'autres pays. Et, les nonnes comportementales peuvent etre bien plus 
directives, allant jusqu'a determiner quels mots, phrases doivent etre dites au client, avec quelle 
intonation, avec quel debit, etc. En cela, ces normes comportementales peuvent etre totalement 
tyranniques avec le subordonne qui devient alors un produit standardise impossible a distinguer 
d’un autre subordonne dans ses actions. Le naturel du subordonne, sa personnalite sont de for- 
mes ; on tue tout espace de liberte dans son attitude, ses relations sociales et son comportement. 
On peut avoir ici une domination par rationalisation totalitaire de l’activite. Ces normes servent 
a priori le profit, mais cela n’est pas le cas dans bon nombre de situations. On remarquera que 
ces normes servent surtout le pouvoir des dominants, pas l’entreprise elle-meme. 

— les normes de productivity : par exemple, servir tel nombre de clients ou faire tel nombre 
d'actions en tel temps donne. Elies peuvent faire l’enfer du subordonne coniine sa motivation : 
les normes de productivity peuvent etre pergues comme un jeu auquel il faut obtenir un bon 
score. Mais evidemment, elles servent avant tout le profit de l’entreprise. 

Nous incluons dans ces nonnes la decomposition du travail en sous-taches : ce sont des 
normes qui visent a optimiser la production. Certaines de ces normes sont liees aux machines 
qui donnent le tempo, qui forcent a un seul type d’activite. 

Qu'est ce que nous entendons par rationalisation de l’activite ? II s'agit d’une organisation 
du travail type tayloriste, ou chaque detail de l’activite a ete prealablement analyse de fag on 
rigoureuse, ou Ton a etabli des processus pour chaque activity, processus qui serait la meilleure 
fagon et surtout la plus productive maniere de realiser les activites. Quoiqu'en disent les livres 
de management, ce type d’organisation ultra-rationnelle est toujours d’ actuality et ne conceme 
pas que les usines : cette rationalisation touche les comportements que le subordonne doit avoir, 
ce qu'il doit dire, comment il doit se comporter avec les clients, etc. Elle concerne aussi parfois 
les cadres superieurs. 

Cette organisation peut devenir totalitaire et ne plus laisser une seule place au fibre arbitre, 
a l’initiative ou a l'autonomie du subordonne et de ces chefs. Le subordonne est done force 
d'etre soumis, son initiative - meme en faveur de l’activite - pouvant etre source de reprimande, 
il lui est quasi-impossible de changer quoi que ce soit, de dire non. L'asservissement est dans 


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le systeme, par les normes, ce qui le rend encore plus tyrannique et difficilement combattable. 
Parfois, le systeme de l’entreprise est relativement flexible, mais ce sont les individus qui l'hy- 
per-rationnalisent et le rendent tyrannique. 

■ HYGIENE ET SECURITE 

Ces normes sont souvent bafouees ; on aurait meme pu les mettre hors de cette categorie de 
la rationalite de l’organisation : en effet, l'hygiene et la securite ne sont pas des domaines direc- 
tement lies a la productivite ; du moins l’entreprise peut les penser hors du champ de leur profit. 
Ces normes proviennent en partie du monde exterieur, d’autorites plus importantes a l’entreprise 
(l’Etat) : c'est la tout le probleme, les decideurs et managers peuvent avoir du mal a se plier 
a des regies qui proviennent d’ailleurs, surtout quand ils sont totalement enivres de pouvoir. 
L'hygiene et la securite sont done parfois negligees, voire totalement ignorees pour augmenter 
la productivite et cela a tout niveau de la hierarchie : 

— par les subordonnes : sur ordre ; par volonte de paraitre plus efficace que les autres done 
de montrer sa superiorite en tenne de productivite. 

— par les managers : 

• sur ordre ; 

• par difficulte, voir par impossibility de remplir les quotas de production autre- 
ment qu'en bafouant les normes d’hygiene et securite ; 

• par volonte de domination du subordonne (par exemple, le manager va consi- 
derer que l’employe qui se lave les mains prend une pause ; quand l’employe 
ne fera qu’obeir a la norme d’hygiene en se lavant les mains, le manager va le 
reprimanded lui adresser des reproches, le punir, etc. ; et cela afin de conserver 
son pouvoir total sur le subordonne). 

• Par volonte de paraitre plus efficace que les autres done de montrer sa superio- 
rite ; 

• et quand les inspections s'en melent, en accusant les niveaux inferieurs d’avoir 
cache les defaillances materielles ou que l’hygiene est le probleme d'un subor- 
donne. 

— par les decideurs : en fermant les yeux sur ces pratiques ou les problemes a regler ; en 
incitant a bafouer ces regies en ordonnant une productivite impossible a tenir sans les bafouer ; 
par volonte de domination (faire que le materiel en bon etat de marche soit une recompense qui 
se doit d’etre meritee) et quand les inspections s'en melent, en accusant les niveaux inferieurs 
d'avoir cache les defaillances materielles ou que l'hygiene est un probleme d'un subordonne. 

Cependant les entreprises intelligentes savent qu'elles ont tout interet, a long tenne, a ne 
pas faire d’economies en oubliant l’hygiene et la securite, a cause des inspections, de la publici- 


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te negative qu'engendrerait la decouverte de probleme hygienique, des consequences directes 
des manquements a ces nonnes (accident de travail, consommateurs malades, voir deces des 
clients/des salaries). 

■ NORMES DE QUALITE ET DE PRODUCTIVITE 

A cette premiere couche elementaire de nonnes de securite et d’hygiene s'ajoute parfois une 
autre couche de nonnes, liees a la qualite du produit, a ce qu'on veut livrer au client et comment 
l’entreprise prends soin du subordonne. Ces nonnes liees a la qualite sont parfois discutables : 

« J'ai eu la chance -ou plutot le cauchemar- d'etre formee par un grand grand 
chef au poste a frites. Je savais gerer le poste, mais ce directeur voulait des 
« frite-man », des experts de la frite. « Grace » a lui, j’ai appris qu'il ne fallait 
pas saler les frites en zigzag coniine on peut le faire assez naturellement chez 
soi, mais en M comine notre logo ...(pas en piques le M, hein!) J'ai appris aussi 
a ne pas deplier les emballages ou sont mises les frites pour mal les remplir et 
aller plus rapidement (en gros ca fait l'equivalent d’une moyenne frite pour une 
grande ; une petite pour une moyenne) [ce qui est une norme de productivity a 
Vencontre de la logique materielle mise en place par 1 'entreprise]. J'ai appris a 
porter les frites le pouce sur le M de l’emballage. Un jour, alors que je rangeais 
les gateaux en vitrine j'ai eu la folle idee de les placer de fa^on « jolie », non-ali- 
gnee en files similaires. On m'a tout de suite reprise et fait remettre les gateaux 
selon la sainte nonne. II faut savoir qu'on etait evalue sur notre autonomie et 
notre prise d’initiative. Mais en fait 9a voulait dire « obeir a toutes les nonnes 
meme celles arbitraires sans que personne n’en donne l’ordre et engueuler les 
autres s'il ne suivait pas la norme ». 

Source : temoignage recueilli IRL 

La rationalisation des gestes, du comportement est pousse a une telle extremite qu'elle en 
devient follement ridicule, qu’elle a un impact sur la productivite et la qualite qui tient de la 
meme croyance magique ritualisee que celle des TOC ; excepte que les personnes atteintes de 
trouble obsessionnel compulsif sont parfaitement conscientes du ridicule de leurs rituels. 

La encore, coniine la nonne est arbitraire (la fa9on de saler les frites selon une fonne deter- 
minee et pas une autre), on peut se poser la question de domination, la volonte de pouvoir de 
celui qui impose cette regie. 


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« Comme il y avait des normes pour tout et n’importe quoi, forcement les 
equipiers se faisaient continuellement reprendre tout le temps, meme ceux qui 
avaient plusieurs annees d’experience a un meme poste. Les managers les moins 
bons, les plus sadiques s’en donnaient a coeur joie. Si on les contrariait pour le 
moindre true ou qu'une tete ne leur revenait pas, ils s'achamaient en utilisant 
ces normes pour continuellement engueuler la personne. Ceux qui etaient bien 
aimes, par contre, pouvaient bafouer les normes en toute quietude, meme les 
normes importantes. Par exemple le chouchou pouvait faire un Big Mac vio- 
lemment en jetant les trois quarts de la salade partout ; par contre celui qui etait 
la cible se faisait laminer s'il etait surpris pendant un quart de seconde sans tra- 
vailler (il etait interdit d'etre inactif meme une minute et meme s'il n'y avait pas 
de travail) » 

Source : temoignage recueilli IRL 

Toutes les nonnes peuvent etre utilisees a l’encontre de la personne pour assurer sa domina- 
tion. Cependant certaines normes pointilleuses a l’exces peuvent aussi trahir un trouble obses- 
sionnel compulsif applique a l'entreprise. On peut assez bien faire la difference entre une nonne 
pointilleuse utilisee pour la domination et une nonne relevant presque du champ pathologique : 
dans le cas de la domination, la nonne sera utilisee contre l'individu, dans le but de le repri- 
mander, mais pas a d’autres individus « chouchous » ; dans le cas du TOC, le non-respect de la 
nonne pointilleuse mettra mal a l'aise le superviseur et il rappellera T importance de la nonne 
a tous, sans distinction, sans forcement reprimander la personne en faute. Il sera egalement 
soulage de voir la nonne remplie et la remplira lui-meme dans certains contextes, car elle est 
vraiment essentielle a ces yeux ; contrairement au dominant qui trouvera plus de plaisir a voir 
l’obeissance, mais se fichera au fond de la nonne en question, pourra la bafouer. Ce qui compte 
c'est la soumission de l'autre a son pouvoir. 

■ NORMES COMPORTEMENTALES 

La encore, on pourrait diviser les normes comportementales en deux couches : la premiere 
tient au sens cornmun, a la civilite. Si on veut vendre un produit a quelqu'un, on ne l'insulte pas ; 
si on s'occupe d’enfants, on ne crie pas des obscenites. Ce sont des normes que personne n’a pas, 
a priori, pas besoin de rappeler, car elles sont de Tordre du bon sens. 

La deuxieme couche de nonnes comportementales concerne des normes comportemen- 
tales imposees par l’entreprise ou l’emploi et qui ont pour visee de controler l'employe ou son 
interlocuteur par l’entremise des normes imposees : 


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Elsa Fayner, journaliste, s'est immergee dans le monde du travail precaire a 
Lille pendant 3 mois. En premiere mission, elle rejoint un centre d’appel. Tout 
est rationalise, dirige : le timbre de la voix, les respirations, les intonations, l’ar- 
ticulation, le rythme, le debut, le volume, les pauses, les silences et le sourire. 

Rien n’est laisse au hasard : « un vrai lavage de cerveau. II ne s'agit pas seule- 
ment de discuter, il faut en plus peser ces mots, y mettre le ton, endormir l’inter- 
locuteur pour qu'il consente, dans un etat de quasi-somnambulisme a ouvrir son 
porte-monnaie, a dire oui, a tout accepter. » On apprend aux salaries a user de 
techniques de manipulation (en utilisant des arguments d'autorite, l’influence so- 
ciale...) a des moments precis : toutes les situations sont scriptees, le salarie n’a 
qu'a se plier au schema et aux ordres. « dans les centres d’appels telephoniques, 
ce n’est plus le geste de l’ouvrier, mais la pensee de l’employe qui est rationali- 
see, taylorisee, pour mieux vendre » 

Source : Et pourtant je me suis levee tot, Elsa Fayner 

Si le geste repete, dans le monde ouvrier, a pour consequence des pathologies physiques 
tres particulieres, dans le cas d’un formatage, c'est le psychisme qui s'abime et qui se restreint 
l’exemple a suivre est un veritable formatage, c'est-a-dire une orientation ferine du psychisme 
de l’employe, qui ferine certain champ de possibility : 

En 1978, une enquete a ete realisee aupres des telephonistes 59 , dont les mo- 
des de travail ressemblent a ceux des centres d’appels actuels « II faut parler PTT, 
aucun ecart n’est autorise ni dans le vocabulaire ni dans le nombre de phrases, 
ni dans le temps imparti pour les prononcer. II faut que l’operatrice reprime ses 
propres intentions, ses propres initiatives, son propre langage, en d’autres tennes 
sa personnalite. C’est a chaque instant s'interdire d’etre soi. » 

Ces normes comportementales sont sous haute surveillance : dans les centres d’appels mo- 
demes, l’ordinateur enregistre et transmet tout au manager qui peut ecouter n'importe quelle 
conversation telephonique a tous moments. II n'y aucune zone de non-surveillance. Pour les 
telephonistes, la crainte du controle etait egalement permanente, done les salaries s'auto-sur- 
veillaient tout le temps pour prevenir les reprimandes. Le resultat, chez les telephonistes, est la 
nevrose : 


« On peut dire qu’il n’est pas une seule telephoniste qui ne ressente cette 
fatigue, a des degres divers bien entendu, il s’agit d’une impression de lassitude 
profonde, de veritable « aneantissement » survenant a la fin du travail. Pendant 
la vacation, les standardistes sont soutenues par le rythme meme de leur travail, 

59 La nevrose des telephonistes, Louis Le Guillant 


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elles sont « sur les nerfs » disent-elles. Mais, aussitot sorties, elles eprouvent 
une sensation d’abattement profond. Elles ont « la tete vide ». Elles ne peuvent 
lier aucune conversation, ne supportent pas qu’on leur adresse la parole. II leur 
arrive d’oublier leurs objets personnels, de prendre le metro dans la direction 
opposee et de ne s’en apercevoir qu’au tenninus de la ligne.... Cette asthenie 
profonde devient chez certaines un etat permanent en dehors du travail. Elles 
disent ne plus savoir organiser leur activite a la maison, « aller et venir sans rien 
faire », se desinteresser completement des travaux domestiques, « laisser tout en 
desordre »... Presque toutes se plaignent d’une baisse importante de leurs facul- 
tes intellectuelles ; elles ont des trous de memo ire et de 1’ attention, enormement 
de peine a suivre une conversation ; elles ne trouvent plus d’ arguments dans les 
discussions, n’ont plus aucune repartie, doivent chercher les noms, les dates et 
meme les mots les plus courants. Elles ont l’impression de ne plus rien savoir, 
de n’avoir jamais rien appris. 

Frequemment, la lecture est difficile, celle d’un roman souvent impossible ; 
elles se limitent aux illustres ou meme aux histoires d’enfants, plus faciles ; 
d’autres doivent renoncer completement a la lecture... » 

La nevrose des telephonistes, Louis Le Guillant 

■ Consequences sur le subordonnes 

— Etant completement assujettis a la tache, les gestes du subordonne et tout ce qui compose 
son attitude et ses comportements sont diriges par l’entreprise. II est depossede de lui-meme, il 
est aliene. 

— La tache est videe de son sens, car souvent decomposee en sous-taches repetitives, en- 
nuyeuses ou penibles, contrairement a l’activite qui pourrait avoir du sens : c’est toute la dif- 
ference entre preparer des repas pour des clients, activite qui a du sens ; et par exemple, ap- 
puyer continuellement sur une machine pour chauffer un aliment, activite qui est a Legal d’une 
punition. 

— Comine tout ce qu’il pourrait entreprendre est dirige par l’entreprise, il est dans l’im- 
possibilite de prendre des initiatives meme favorables a l’activite, il lui est impossible de faire 
preuve d’autonomie, il ne peut pas etre desobeissant (et pourtant la desobeissance peut etre fort 
profitable a l’entreprise, on en parlera au dernier « done » de la partie travail). 

— Il est empeche de faire bien son travail : tout travail necessite des adaptations en fonc- 
tions des situations rencontrees, tout particulierement lorsque l’humain intervient. Cette adapta- 
tion necessite de faire fi des normes, or c’est impossible dans des systemes hyper-rationnalises 
totalitaires. Done le salarie est force de mal travailler, ce qui engendre des conflits mentaux, des 
conflits moraux. 


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— II est progressivement detruit par l’activite hyper rationnalisee que ce soit dans son corps 
ou son psychisme. II perd sa force physique et mentale, il developpe des pathologies mentales 
et physiques. Le ratio gains/pertes est totalement en defaveur du subordonne, car souvent, les 
metiers les plus durs physiquement ou psychiquement sont souvent les moins payes. 

■ Consequences sur l’activite 

— L'apprentissage des nonnes fait perdre en temps de formation : le salarie n’est pas pret 
rapidement, il mobilise l’attention du formateur et des autres salaries. 

— Le salarie perd toute autonomie : il n’osera plus prendre d’initiatives, sachant qu'il pour- 
rait contrevenir aux nonnes sans le savoir. Un salarie qui n'est pas autonome ne saura pas 
s'adapter a des evenements imprevus, complexifiera une situation qui aurait pu rester benigne 
et fera perdre de l’argent. 

— Le subordonne, une fois conditionne, apparait comine un robot, ce qui a le don d’exas- 
perer les clients, de les pousser a avoir des comportements agressifs (parce que recevoir un 
discours standardise est considere comine un affront, un manque de respect, une insulte ; c'est 
prendre l'autre en tant qu'objet), de faire couper court a la discussion, de les pousser a se re- 
beller et faire « marcher » les subordonnes pour les sortir d’un role robotique. Cela entraine de 
nombreux couts en terme de temps, de productivite (le subordonne est moins efficace quand il 
essuie des insultes a longueur de journee). 

— Le subordonne conditionne ne restera pas dans l’entreprise : le turn-over sera important, 
ce qui entrainera des couts de fonnation. 

— Trop de nonnes tuent le respect des nonnes : le subordonne par lassitude, par ignorance 
ou par rebellion sera pousse a ne pas les respecter, pouvant porter atteinte a la qualite du pro- 
duit/service. 

— Le subordonne, pris dans un etau de regies, fera tout et n'importe quoi pour conquerir un 
brin de liberte et se venger : il pourra voler le materiel, les produits, il pouna volontairement 
mal faire le travail ou au contraire devenir bureaucratique en respectant les nonnes avec une 
demesure nefaste... Dans les cas extremes, l’employe, excede, pouna devenir violent verbale- 
ment et/ou physiquement avec sa hierarchie. 

— Les arrets maladies seront nombreux, les conflits permanents. 


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■ Consequences sur l’organisation 

Imposer des regies, des normes pour chaque detail rend rigide l’organisation, la rend rigide 
aux changements, l’empeche d’evoluer. Les decideurs n'etant pas au contact de la realite (et ne 
pouvant pas l’etre, surtout dans une grande pyramide hierarchique), les regies seront inadaptees, 
ce qui aura pour consequence : 

— De faire s’ecrouler l’entreprise : a force de dysfonctionnement, de problemes de qualite 
du service ou produit, a force de refus de voir la realite ou de ne pas vouloir ecouter et ne pas 
prendre en compte ceux qui la percoivcnt, l’entreprise ne pourra jamais faire face a la concur- 
rence ou s’adapter aux changements. 

— Une organisation schizophrene, a base de paradoxes, peut prendre la releve : on aura 
d’un cote le mode « nonnes », ou les nonnes les plus stupides sont respectees (meme si elles 
entravent le travail). Un mode qui sera parfois suivi lors des visites de superieurs, directeurs, 
decideurs. Et de l’autre cote le mode « haute productivite » qui est contraire au mode precedent, 
car avoir une haute productivite signifie de bafouer quantites de normes inutiles. II sera deman- 
ds au subordonne une haute productivite tout en respectant toutes les normes, ce qui est souvent 
totalement impossible. Les injonctions deviennent paradoxales, generant une sorte de folie du 
quotidien, facilitant le harcelement, les reprimandes continuelles. Cependant, l’hyper-rationa- 
lisation transformee en systeme schizophrene sert de faire valoir en cas de probleme « ce n’est 
pas dans nos regies, c’est le subordonne, le manager qui a faute, pas l'organisation que nous 
avons mise en place ». 

Au vu de ces consequences, il semble aberrant que les entreprises restent tayloriennes (ou 
neo-tayloriennes), parce que cela va l’encontre du profit. Mais pas du pouvoir... En effet, le pou- 
voir est clairement conserve dans les niveaux hierarchiques superieurs, les subordonnes etant 
prives de possibility d’initiative. Qu’importe le profit, du moment que ceux qui ont le pouvoir le 
gardent et maintiennent soumis les autres. 


Done... Etre autonome malgre tout 

Meme dans les organisations ou Ton est completement aliene, qu’on ne peut decider d’au- 
cun de ses gestes, de ses mots, de son attitude et de ses comportements, on peut tout de meme 
se construire une forme d’autonomie hors de l’organisation : il s’agit de construire ses propres 
regies et de les rendre prioritaires aux ordres. Cela peut aller de ne jamais obeir a une injonction 
qui serait deplaisante pour un autre individu, a une conscience de l’hygiene et de la securite et 
de ses consequences en refusant de se mettre en danger ou de mettre en danger autrui. 


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On doit se donner le pouvoir de refuser un ordre immoral : etre subordonne n’est pas une ex- 
cuse valable, la responsabilite incombe toujours a celui qui commet l'acte, done il est essentiel 
pour soi, pour autrui, de savoir dire non a des ordres. Et cela, quoi qu’en dise le droit du travail, 
en cas de litige, l’employeur dira d’un ordre immoral que l’employe a pris une initiative, il 
n’avouera pas que c’etait un ordre. 

Evidemment, dans une organisation taylorienne, neo-taylorienne ou « schizo-taylorienne », 
cela amene a desobeir regulierement : beaucoup de salaries feingent l'obeissance, disant « oui » 
a l'injonction deplaisante (par exemple, remettre en vente le reste d'une boisson laissee par 
un client) et font heureusement le contraire. C'est deja une bonne chose, mais cela ne fait 
pas avancer l’organisation. Dire non ouvertement est toujours plus difficile (cf E experience de 
Milgram), cependant cela semble la seule fag on de changer les choses durablement. Pour que 
ce soit plus facile, on peut s'associer aux collegues s’engager a parler d’une seule voix pour un 
refus quelconque. Nul besoin d’en faire une bataille : il s'agit juste de poser en toute clarte un 
« non » determine, le tout avec respect de l’autre, ouverture a la negociation et echange d’idees. 
Si cela ne suflfit pas, il faut faire campagne. 

Done... Mettre la clarte au gout du jour 

Dans les organisations schizophreniques ou les injonctions paradoxales sont legions (« fais 
ceci et fais cela, mais si tu fais ceci tu ne pourras pas faire cela, done je te reprimanderais 
quoique tu fasses »), il faut chasser les sous entendus en posant des questions, en reformulant 
les ordres, en cherchant un feed-back clair. Attention a ne pas renforcer la folie de l’organisation 
en usant soi-meme de cynisme, d’ironie dans ces feed-back. L'idee est de rester neutre, mais 
par les questions, faire dire a la personne le vrai ordre qu'elle souhaite qu'on execute et ainsi 
neutraliser par avance la reprimande, voire lui faire changer d’avis sur l’ordre. 


@TRAVAIL/ SOUMISSION/ DES ROLES ET ACTIVITES 
SUPERIEURES ET DES ROLES ET ACTIVITES INFE^ 
RIEURS 

Les moeurs, les habitudes, les cultures, les organisations et le langage en entreprise ont beau 
avoir evolue, s'etre apparemment metamorphoses, il n’en reste pas moins que la structure hie- 
rarchique autour de l’activite est toujours la meme, et cela depuis des decennies : 

— Le niveau inferieur des subordonnes : peu de pouvoir sur l’organisation (voire aucun) ; 
pas de responsabilites ; avec des activites considerees comine inferieures (car penibles, repe- 
titives, peu intellectuelles, peu creatives, peu interessantes, peu desirables, etc.) ; avec peu de 
privileges (salaire bas, pas d’interessement aux benefices, pas d'acces au repos, peu de liberte, 
peu de reconnaissance). 


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— Le niveau intermediate des managers, c'est-a-dire mi-superieur, mi-inferieur. 

— Le niveau superieur des decideurs : beaucoup de pouvoir sur ['organisation, beaucoup 
de responsabilites, des activites considerees comrne superieures, beaucoup de privileges (haut 
salaire, liberte d’action totale) ; beaucoup de reconnaissance. 

Ce schema semble ineluctable, excepte pour les activites professionnelles independantes. 
Des qu’il y a groupe important, cette structure hierarchique est mise en place et on peut remar- 
quer qu’il en est de meme avec la politique. Excepte que pour l’Etat il y a election des dirigeants 
par le bas (meme si on pourrait discuter longtemps de cette question), alors qu’en entreprise, 
c’est le haut qui decide de nornmer ses chefs sur des criteres dits meritocratiques, mais qui 
s’averent plus arbitraires ou strategiques dans la realite. Et les decideurs semblent a l’abri de 
toute eviction s’ils satisfont les actionnaires. 

Nous sornmes tellement impregnes de cette logique en pyramide que nous n’en voyons 
plus les effets et que nous n’arrivons plus a imaginer d’autres modes de fonctionnement : c’est 
ainsi qu’une organisation humaine se doit d’etre, avec des niveaux « inferieurs » sous la sur- 
veillance, le guidage et la domination des niveaux superieurs, avec peu de retribution pour les 
subordonnes et des responsables fortement retribues, tant en privileges qu’en monnaie sonnante 
et trebuchante. 

Et cela cree des biais de jugement tres importants : ainsi le seul port du costume ou des 
accessoires symboliques du pouvoir nous fera nous comporter differemment ; on sera permis- 
sif, soumis a cette autorite symbolique meme hors contexte. On aura tendance a confondre la 
fonction et la personne : la superiorite de la fonction, le pouvoir que la personne a entre les 
mains sera confondue avec elle-meme ; on pensera que la personne est superieure a soi, or ce 
n’est que la fonction, le role qui est superieur. On pensera que le subordonne est une personne 
inferieure, or c’est son role qui est considere comine inferieur. En resulte des comportements 
inegaux face aux personnes : 

« Quand on avait un probleme en caisse avec un client - et c’etait courant- 
qu’il ne voulait pas entendre raison, qu’il ne voulait pas nous croire - qu’on 
n’avait pas tel type de sandwich - et qu’il commencait a nous insulter et etre 
tres en colere, on faisait appel a un manager. Parfois on demandait a un hote 
qui n’etait pas forcement plus grade que nous, mais qui etait bien mieux habille 
(chemise). Le changement etait radical : le client qui hurlait une minute avant en 
nous traitant pire que des chiens, parlait tout calmement a l’hote et l’hote n’avait 
qu’a ecouter et faire oui de la tete pour que la crise de nerfs cesse. » 

Source : temoignage recueilli IRL 


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« [Travail dans une petite boutique dans un centre] Souvent les gens ve- 
naient me voir pour me prevenir que tel true etait sale. Ils ne me demandaient 
pas de nettoyer, mais de prevenir « la femme de menage ». Or « 1’homme de me- 
nage » etait dans leur champ de vision, avec une blouse tres tres reconnaissable. 

Je n’etais en rien leur superieur, c’etait une equipe exterieure, independante (qui 
ne nettoyait d’ailleurs pas ma boutique), mais les gens pensaient sans doute qu’en 
tant que vendeuse j’avais mon mot a leur dire... ca me desolait, parce que le 
respect dont les clients faisaient preuve a mon egard, il n’en faisait pas a l’agent 
d’entretien, ils l’ignoraient totalement ou l’evitaient du regard. » 

Source : temoignage recueilli IRL 

Le management participatif dit avoir change la donne : les subordonnes sont appeles « col- 
laborateurs », ils ne sont pas des inferieurs, on est a leur ecoute et il s’agirait plus de les faire 
avancer a coup de carottes ou de batons. Le subordonne serait considere et tout le monde, main 
dans la main, ferait avancer l’entreprise en apportant sa vision particuliere et riche quelles que 
soient les fonctions. 

Mais les salaires disent le contraire : quelle que soit la reussite de l’entreprise, les subor- 
donnes ne beneficient pas de cette reussite, done ils ne sont pas des collaborateurs quoi que les 
entreprises puissent en dire. Quant aux echecs de l’entreprise, qu’ils soient partie prenante ou 
pas du tout, ils les payent de licenciements ; c’est parfois meme c'est dans la reussite qu’ils sont 
licencies. 

Les superieurs restent les superieurs de par leurs avantages materiels ; les inferieurs restent 
tout aussi inferieurs au vu de leur retribution et de ce qu’on leur accorde. La seule difference, 
c’est qu’on engage le subordonne, qu’on le fait avancer a coup de persuasion et de manipulation 
mentale. Avant, le subordonne etait conscient de sa condition et n’hesitait pas a entrer en guerre 
avec le patronat ; a present, il est manipule pour etre her de sa condition, meme si celle-ci est 
encore plus penible qu’avant. Attention, nous ne disons pas qu’avant c'etait mieux, loin de la, 
cependant les choses avaient le merite d'etre sans faux-semblants et illusions, meme si elles 
etaient catastrophiquement inegalitaires. 

Le terme de « collaborates » est a ce titre une technique d’etiquetage positif : on donne au 
subordonne une importance par son titre afin de l’engager encore plus dans l’entreprise et done 
l’amener a s'investir plus en echange de rien de plus. 

C'est une pure manipulation linguistique, car s'il collabore effectivement, l’entreprise ne 
collabore pas systematiquement avec lui : la loi de reciprocity n’est pas appliquee dans les 
gains (salaire non proportionnel a l'effort) ni dans les actions. Par exemple, un manager pourra 
s'abstraire a loisir de l'activite pour faire ce qui lui chante, un « collaborates » n'aura que peu 
de manoeuvres de liberte, meme dans la fag on de travailler, il sera force d’etre continuellement 
dans le travail sous peine d’etre reprimande. Meme la loi le rappelle : 


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« La duree du travail effectif est le temps pendant lequel le salarie est a la 
disposition de l’employeur et doit se conformer a ses directives sans pouvoir 
vaquer librement a des occupations personnelles. » 60 

Ni le subordonne, ni le manager ne pourront changer ces processus, seul le decideur aura ce 
pouvoir, meme si paradoxalement il n’est jamais confronts a ces processus. Comme le dit la loi, 
le salarie est a la disposition de l'employeur, il n’a aucun pouvoir meme si son savoir peut etre 
bien plus grand en matiere de processus, de details du reel inaccessibles aux decideurs. 

Pour en terminer avec le terme collaborateur, nuancons : si le terme est faux, qu’il est un 
etiquetage positif en vue d’accroitre l’engagement, il a peut-etre neanmoins une utilite. Peut-etre 
qu’en l'utilisant, les superieurs se poussent a mieux considerer leurs subordonnes. Cependant, le 
respect ne passe pas par le mensonge et la manipulation. 

Cette hierarchie tres verticale cree des inegalites, accroit le sentiment d'injustice, nous fait 
oublier que nous sommes tous des humains, ni inferieur ni superieur a un autre humain : ce 
mode hierarchique pousse a chercher a se distinguer, a etre considere comme plus superieur 
afin de gagner un peu de liberte, un peu d’interet au travail, des taches moins penibles, un peu 
d'avantages, un peu plus de salaires, plus de responsabilites. Le serpent se mord alors la queue, 
cloturant le systeme : les subordonnes cherchent a s’elever, a etre superieurs et c’est exactement 
cette attitude qui sera exploitee pour les soumettre plus, pour tirer plus de leur force, pour em- 
pecher la desobeissance. 

Cependant malgre l’injustice du systeme, on l’estime necessaire a l’organisation de l’activite, 
d’autant plus si elle est grande : on hierarchise pour ordonner l'activite, pour mieux la gerer sous 
tous ses angles, pour qu’elle soit efficace, pour qu’elle aille dans la bonne direction, pour qu’elle 
perdure. Et d’apres cette etude, les franc^ais ne veulent pas d'un pouvoir plus horizontal, plus 
egalitaire, plus reparti : 

On distingue deux grandes tendances vis-a-vis de nos attentes du pouvoir : 

— une distance au pouvoir, faible : on souhaite des relations profession- 
nelles egalitaires basees sur la negociation et des pouvoirs delegues aux salaries. 

On supporte mal les inegalites, que ce soit les ecarts de salaires, les privileges, 
les symboles de pouvoir. Le pouvoir y est souvent considere comme au service 
des autres. Le collectif prevaut. C’est le cas de la Finlande par exemple. 

— une distance au pouvoir forte : on prefere les relations professionnelles 
autoritaires, on attend et on valorise les inegalites de salaires, de privileges. Le 
pouvoir est considere comme au service de ses interets personnels. L’individu 
prevaut. C’est le cas de la France par exemple... 

Source : La psychologie du pourvoir, Laurent Auzoult 

60 http://www.legifrance. gouv.fr/affichCodeArticle. do:isessionid=7AD7DlEB3FA4A07FE89B675281E8B03F.tpd- 

io04v_3?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000006647763&dateTexte=201403 17&categorie- 

Lien=id#LEGIARTI000006647763 


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Ces resultats sont surprenants pour le peuple de raleurs que nous sommes, mais ils se com- 
prennent assez aisement : nous ralons contre les inegalites parce que nous voulons etre a la 
place du puissant et jouir de sa position, de ses privileges. Nous ne souhaitons pas un pouvoir 
dilue dans le collectif ce qui serait plus egalitaire, mais nous souhaitons etre distingues ce qui 
paradoxalement alimente les inegalites que nous decrions. Mais nous reviendrons sur ces ques- 
tions plus tard. 

Quelle que soit notre position, nous sommes animes par le desir de profit pour soi (meilleur 
salaire, meilleures conditions de travail, activites plus plaisantes ou plus reconnues, plus de 
liberte, mo ins de contraintes...) et par soif de pouvoir. Ces attentes peuvent paraitre legitimes 
quand elles proviennent des niveaux les plus prives de profit et de pouvoir, mais c'est cependant 
cette double soif qui permet de maintenir la soumission, maintenir les puissants a leur place, 
maintenir les inegalites et le systeme qui le pennet. Cette quete du profit et du pouvoir ne s'ef- 
fectue plus par la violence, mais par la persuasion, la manipulation mentale et des manoeuvres 
pobtiques voire des combines illegales. Cela se retrouve a tous les niveaux de la hierarchie 
etant donne que la soif de pouvoir peut n’avoir aucune limite, meme si elle semble comblee. 

Nous sommes done dans un jeu d’echec ou les pions revent de devenir roi, ou les rois veu- 
lent coute que coute maintenir leur statut de roi done de maintenir leur pouvoir sur toutes les 
autres pieces. Tout le monde se sent important, se distingue des autres pieces, cependant tout le 
monde est sacrifiable au profit du roi, ce qu'on a tendance a oublier quand on se voit acquerir 
un beau statut. 

Avec une telle hierarchisation, une telle distance entre les individus, il est evident que les 
inegalites perdureront, que les abus de pouvoir persisteront, que les mauvaises decisions conti- 
nueront de detruire et vider totalement les subordonnes et leurs managers ; il est evident qu'avec 
une telle fa$on de s'organiser, 1 % de la population s'accaparera toute la part du gateau contre 
les 99 %. 


Done... En pre-requis, ne pas se sentir inferieur ou superieur, 
se sentir bien 

Quels que soient les symboles que Ton supporte au travail, le jugement social de nos activi- 
tes, il s'agit d'abord de ne pas se laisser contaminer par ces symboles : nous ne sommes pas une 
personne inferieure parce que nous passons le balai, nous ne sommes pas une personne supe- 
rieure parce que nous travaillons dans un grand bureau. C'est une fonction ponctuelle qui nous 
amene a realiser une activite certes plaisante ou deplaisante, dans un environnement plaisant ou 
deplaisant, mais nous ne sommes pas l’activite, nous ne sommes pas l'environnement, nous ne 
sommes pas la fonction. Parce que l'activite, l’environnement, la fonction, sont changeants et 
que meme si ces facteurs ont pu nous transfonner physiquement ou mentalement, ils ne disent 
rien de notre comportement lors de ces activites et hors de ces activites : on peut etre doctorant 


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disert et agent d’entretien taiseux, on peut etre manager autoritaire et papa poule a la merci 
de ses enfants, on peut avoir un bureau impressionnant et etre humble, on peut etre en bas de 
l'echelle et etre tyrannique, etc. 

Se laisser imbiber par les symboles (c'est-a-dire s'empecher de donner une directive quand 
on est subordonne ou refuser d’entendre et prendre en compte l’avis d’un subordonne quand on 
est manager) est le meilleur moyen de laisser agir negativement les symboles, d’obeir aux ste- 
reotypes et d’en subir les consequences. Si notre action ou notre attitude est contaminee par les 
symboles, alors les interlocuteurs auront des reponses stereotypees. 

Mieux vaut ne pas se laisser impregner par les symboles et essayer de se sentir bien, quels 
que soient le deguisement, le statut, l’activite. On peut y parvenir de differentes manieres : 

- en levant certaines inhibitions liees aux stereotypes : le subordonne se doit d’etre obeissant 
(stereotype) > done je ne dots pas alien aux toilettes tant que je ne suis pas en pause/que Von ne 
m’a pas permis > done je me retiens, e'est penibie, ga me mine le moral > je me sens inferieur, 
j'ai envie de me venger, etc. Avec la levee de l’inhibition on a : le subordonne se doit d'etre 
obeissant (constatation du stereotype) > j’ai envie d'aller aux toilettes, cela n'a strictement 
rien a voir avec le fait que je sois subordonne > je previens de mon absence et j'y vais. Conse- 
quence : je suis pcrcu comme quelqu’un d’autonome, ce qui contribue au fait qu’on me respecte. 

- En inhibant certains comportements, autrement dit en faisant preuve de self-control : je 
suis superieur, je dois donner des ordres > le subordonne n 'obeit pas > je le punis/je lui donne 
une mauvaise note iors de son evaiuation/je le reprimande et j'envoie un autre faire son travail 
car je suis superieur done on doit m 'obeir. (action stereotypee) ; avec l’inhibition de ce com- 
portement on a : je suis superieur, je donne un ordre > ie subordonne n' obeit pas > j'ecoute ses 
arguments/je cherche a comprendre son refus/on negocie > resuitat, j'ai appris quelque chose 
sur 1 'organisation, j'ai reajuste mes methodes,j'ai compris le point de vue du saiarie et tout cela 
me fait evoluer, fait evoluer 1 'organisation. 

- En se donnant d’autres roles et fonctions que ceux exiges par l’emploi, tout aussi priori- 
taires que le travail (voire plus, selon les circonstances). Quelques idees : liberer ses collegues 
du zele qui leur nuit, creer la meilleure ambiance possible, agir contre le presenteisme, rendre 
les personnes autour de soi autonomes, faire campagne (pages precedentes), faire en sorte de 
diminuer les souffrances, changer l’organisation de facon discrete mais profonde, restaurer ou 
cultiver la solidarite... Ce sont des missions que l’on se donne soi-meme. Et si le travail dicte ce 
genre de mission comme « communiquer librement », e’est un probleme et cela peut vite virer 
a la tyrannie. Autrement dit, les valeurs qui sous-tendent les missions que l’on se donne ne 
doivent pas etre dictees, sinon on vire au dogmatisme, a l’ideologie rigide et peu humaine. Nos 
missions sont liees au contexte changeant, liees aux personnes, en cela elles peuvent changer 
du tout au tout. 


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Se « sentir bien » n’est pas se resigner, ce n’est pas une acceptation triste de la realite : 
c'est prendre en compte la realite, prendre en compte les symboles, mais ne pas se plier aux 
stereotypes et aux fictions. C'est inventer, mettre la richesse de sa personnalite et de ses idees 
au service du « se sentir bien, ici et maintenant, avec tout le monde » ou travailler a ce que se 
« sentir bien » soit possible dans le futur. C'est un travail supplemental sur soi, dans ses ac- 
tions, c'est une construction. Et cela devient clairement un travail palpitant, quels que soient le 
lieu, le metier, le statut et les dilficultes. 

Done... Reflechir vraiment au sens de cette promotion convoi- 
tee 

On dit souvent vouloir evoluer en entreprise sans y reflechir vraiment. On quitte un emploi 
parce qu'on « y evoluera jamais », on rejoint une autre entreprise parce que la « il y a des pos- 
sibility devolution » . Or, est-ce que les activites de ce poste « superieur » sont vraiment si 
palpitantes ? Est-ce que l'augmentation de salaire sera vraiment un benefice ? Est-ce que le vecu 
a ce poste sera profitable pour nous ou juste pour notre CV ? N’est-ce pas la juste une volonte 
de briller en societe ? Est-ce qu'on a besoin d’une promotion pour evoluer ou peut-on le faire 
par d’autres moyens ? 

N’attendons pas une promotion ou un statut superieur pour etre « puissant » : il ne s'agit pas 
de faire le chef avant qu'on nous nomine chef, mais d'agir selon les propres missions que Ton 
s'est donne (cf point precedent) sans attendre l’officialisation d’un statut ou d’une situation. 
Les ecrivains n’attendent pas de signer un contrat avec un editeur pour commencer a ecrire leur 
roman, tout cornme les musiciens n’attendent pas qu'une salle de concert accepte de les accueil- 
lir pour partager leur musique avec autrui. On peut exercer son art, ses competences hors des 
circuits officiels et pour des causes que l’on s’est choisi : l’editeur ne commande pas de la SF 
a l’ecrivain, c'est l’ecrivain qui a du gout pour la SF et qui cherchera l’editeur correspondant a 
ses gouts. 

Souvent, quand on s’est donne des missions soi-meme, missions independantes de l'activite, 
la vie au travail est non seulement plus passionnante, mais le desir de promotion retrouve une 
place plus raisonnable : soit on abandonne totalement l’idee, soit on vise plus juste ou different, 
par exemple dans un domaine qui est plus coherent avec ce que Ton aime, nos convictions ; 
d'ailleurs, on peut viser un domaine qui n’est pas considere cornme « superieur », cornme ces 
cadres qui changent totalement de domaine d’activite et s’orientent vers des metiers ne necessi- 
tant pas un niveau de diplomes eleve. 

Done.... « le pouvoir pour le pouvoir » une idee a bannir 

On aime a se sentir superieur, puissant. Qu’importe la nature de la puissance, du pouvoir, 
l’humain peut-etre fou et avide de celui-ci. On s’imagine au-dessus de la masse, distingue panni 
des centaines et evidemment beneficiant des a-cotes : argent, passe-droit, possibility de faire 


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n’importe quoi de soi et des autres. Mais pour quoi faire ? Est-ce la « profiter » de la vie ? Avoir 
du pouvoir mais pour vivre quoi? Avoir du pouvoir pour l'ivresse de celui-ci ? 

Ce serait des questions que devraient se poser ces dizaines de futurs entrepreneurs qui 
veulent monter une entreprise, mais qu’importe la nature de son activite. C'est l'activite, au 
contraire, qui devrait motiver a ce qu'on veuille la gerer, parce qu'elle exerce une attraction sur 
nous. On ne quete pas un pouvoir pour le pouvoir : un futur musicien ne se dit pas « Je veux 
devenir une star, done je vais commencer a apprendre la guitare ». C'est le fait d’avoir joue et 
d’aimer passionnement jouer de cet instrument, puis adorer composer qui menera le guitariste 
a vouloir faire carriere dans la musique. On voit dans cet exemple certes eloigne de notre sujet, 
que les personnes prennent a revere leur carriere : elles se donnent un but, puis font en sorte de 
remplir les conditions pour le remplir. Et souvent elles se rendent compte qu'elles s’ennuient 
dans le metier, qu'elles ont consacre beaucoup d’efforts pour un resultat qui ne les rendent pas 
heureuses. Le premier souci est done la passion de l'activite, elle devrait etre prioritaire sur 
tout le reste, car quand on est passionne on se contrefiche du pouvoir, du statut, tout ce qui 
compte c'est de realiser cette passion. C'est le meilleur antidote contre l’idee du « pouvoir pour 
le pouvoir » et ses consequences negatives. Un passionne au pouvoir sera guide par sa passion 
et non par le pouvoir en lui meme, il sera guide, cornme ses subordonnes, par l’activite en 
elle-meme, par les necessites de l'activite et non par le pouvoir. Alors pour eviter d’etre dans 
cette quete du « pouvoir pour le pouvoir », soit on change de carriere, soit on se donne d’autres 
missions au travail qui nous passionnent. Mais attention, ne faites pas d'une loi generale du 
« puissant passionne = societe bien dirigee », ce serait une erreur. La passion pour l'activite ne 
protege pas des derives, de la mediocrite ou des problemes. Cependant cela reste une bonne 
piste pour etre coherent avec la vie au travail que Eon imagine. 

II y a egalement un enorme probleme a cette aspiration au pouvoir « vide » : non seulement 
elle ne sera jamais satisfaite (on voudra toujours plus de pouvoir et forcement cela bloquera 
a un moment) mais aussi cet etat d’esprit incitera a manipuler les personnes, les exploiter et 
maintenir les autres pouvoirs en place. Si une personne est guidee par son envie de promotion, 
elle ne changera rien au systeme qui permet cette promotion, il est meme probable qu'elle soit 
aveuglee et ne percoivc pas les problemes du systeme (meme si elle les subit de plein fouet) ; 
une personne qui est guidee par son envie de « pouvoir pour le pouvoir » est controlable, ses 
actions sont anticipables, les puissants en place peuvent done jouer avec elle comme bon leur 
semble. 

A l’inverse, celui qui n’a pas cette aspiration est libre dans son « obscurite » (on n’arrive pas 
a percevoir ses motivations reelles, il est difficilement calculable), il a une vision plus claire de 
la realite et, paradoxalement, il a plus de pouvoir sur la situation. 


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@TRAVAIL/EXPLOITATION 


Pourquoi se soumet-on au travail ? Pour vivre. II en est de meme pour l’exploitation : on 
accepte d’etre exploite pour vivre, pour « gagner » sa vie, tant pis si on est largement perdant 
en comparaison des exploiteurs. On « travaille pour vivre » et cela se transfonne souvent en 
« on vit pour travailler ». Le paradoxe atteint son comble dans les metiers ou le travail detruit 
le corps, le mental ou les deux ; il est complet quand on n’a presque plus de temps pour vivre, 
celui-ci ne servant qu'a recuperer des forces pour travailler. Le paradoxe est total quand l'acti- 
vite realisee est inutile, absurde, insensee, voire qu'elle nuit a la societe, au monde, a la planete. 
La maxime se transfonne alors en « on travaille pour vivre, le travail detruit les possibility de 
vivre, done on travaille pour se detruire » ou « on travaille pour vivre, le travail detruit la vie, 
done on travaille pour detruire le monde. » 

Evidemment l’acceptation d'un tel mode de vie ne va pas de soi. Pierre Rabhi, dans son ou- 
vrage « vers la sobriete heureuse » raconte que lorsque les industriels sont arrives au Maroc, la 
population a mis un certain temps avant de comprendre cette logique : les personnes venaient 
travailler un mois, puis disparaissaient un mois et revenaient a l'usine. En reponse aux patrons 
qui s'oflfusquaient de cette attitude, ils disaient qu'ils n’avaient pas depense l’argent re9u, done 
ils ne voyaient pas pourquoi il aurait fallu travailler continuellement. Et c'est on ne peut plus 
logique de leur part : on travaille pour vivre, si on peut vivre, pourquoi travailler ? On mange 
pour avoir des forces, si on a des forces, pourquoi manger ? Il y a de la raison dans cette vision 
du travail, raison que nos societes semblent avoir totalement oubliee. En effet, on travaille pour 
obtenir a manger, avoir un toit et quelques conforts. On travaille pour faire evoluer notre monde 
sous tous ses aspects, avec nos competences, avec notre creativite, notre imagination, notre in- 
telligence. Or le travail ne va pas souvent dans ce dernier sens, il peut etre totalement aberrant, 
voire nocif a nous-memes, aux autres, au monde. Par contre, il a toujours une realite : il profite 
a la vie de certains. 1 % contre 99 %. Certains s'enrichissent en des proportions dementielles 
sur le dos de centaines de salaries, sur le dos de centaines de clients eux aussi explodes et toute 
cette activite inutile nuit a la planete. 

L'exploitation n’est certainement pas un concept suranne : bien au contraire il n'a jamais 
atteint de tels sommets destructeurs. Ce qui a change, c'est l’habilite a manipuler les esprits pour 
faire accepter des modes de vie insenses. Ce qui a change, c’est l’intensite du fonnatage qui 
nous paralyse, nous aveugle et nous empeche d’imaginer et d’agir differemment. C'est de cette 
exploitation mentale dont nous parlerons. 

Dans l’ideologie du travail, la pyramide de Maslow est souvent invoquee pour expliquer a 
quel point le travail comble tous nos besoins, a quel point il est essentiel, a quel point il peut 
avoir des proprietes presque divines sur nos vies. Elle est egalement tres utilisee en marketing 
pour cibler, trouver les failles a creuser chez le client. La pyramide de Maslow est en effet 


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un outil interessant pour cemer nos besoins et nous l’utiliserons egalement, excepte que nous 
adopterons un autre point de vue : nous pensons que certaines entreprises ne comblent pas les 
besoins des personnes, mais exploitent ces besoins pour mieux profiter de ses employes les per- 
sonnes, comme le marketing vis-a-vis de sa clientele. Cela n'est pas si complique que cela en a 
Fair, cependant oui, la logique est vicieuse et tordue, coniine c'est bien souvent le cas lorsque 
Ton parle de manipulation mentale. 


@TRAVAIL/EXPLOITATION/BESOINS PHYSIOLO^ 
GIQUES 

■ LA PEUR DU CADDIE VIDE 

Tout le monde s'accorde pour dire que le travail permet effectivement de resoudre nos be- 
soins physiologiques. C'est la plus elementaire des motivations : manger, se loger. Le salaire 
obtenu par le travail pennet a priori de resoudre ces deux questions de survie. 

A priori. 

Selon les contrats, la localisation du travail, certains salaries ne gagnent pas assez d’argent 
pour manger convenablement tout le mois ou se loger. Ces situations sont de plus en plus cou- 
rantes et il y a des statuts legaux qui pennettent a l’employeur d’avoir du personnel gratuit : 
on pense aux stagiaires qui travaillent souvent au meme titre que les autres et qui n’ont au- 
cune retribution. On pense aux dernieres mesures du Pole emploi permettant de faire travailler 
quelques jours des personnes contre rien. 

On pense a ceux vivant a Paris ou le SMIC ne suffit pas a payer un loyer et manger a la fois. 

On pense aux petits contrats pris faute de mieux qui ont parfois un rendement nul pour le 
salarie, l’argent gagne partant principalement en frais lies au travail (le transport, notamment). 

Ces situations sont aberrantes, parfaitement injustes, mais soit, avancons dans notre raison- 
nement. La motivation d’aller travailler a pour base notre subsistance : la faim, l'absence de to it 
sont des questions de survie inscrites en nous profondement, elles sont done sources de peurs, 
de craintes, d’angoisses et cela des le premier signe qui permettrait de suspecter l’avenement 
d'une telle situation. 

La seule crainte de manquer de nourriture peut nous pousser a des concessions extremes qui 
bafouent nos valeurs, notre conscience morale. Une telle menace bloque notre esprit critique, 
fait fi de nos reflexions plus elaborees. 

Cette peur de la « galere » est vivace, tout particulierement en temps de crise, qu'on ait 
connu la faim ou non, qu'on risque ou non de perdre son logement. Cette peur est entretenue par 
les actualites, les medias, par ce que dit la societe de la pauvrete et comment elle la considere. 
Cette peur est definitivement associee a la perte d’emploi ou l'impossibilite d’en trouver. Le 
chomage serait done le premier pas dans la chute menant a la faim, a la rue. 


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Cette peur est exploitable et exploitee. Par les politiques pour vendre leurs programmes les 
plus intolerables et auxquels seule la peur peut « permettre » d'adherer ; par les medias, pour 
pomper l'attention des telespectateurs ; par certaines entreprises, pour des questions de profit et 
de pouvoir. 

II est tres facile de reconnaitre ces entreprises qui exploitent cette peur : les menaces de li- 
cenciements y sont courantes, on rappelle au salarie qu'il est remplacablc a souhait, la moindre 
baisse de productivity, meme legitime, sert a rappeler que des « meilleurs » pourraient etre 
engages. 

L'entreprise se fait complice de la crise et se donne par la meme un pouvoir tout puissant : 
« je te donne de quoi survivre, tu dois tout me donner en retour sinon je te prive de tes moyens 
de survie en te jetant sans vergogne dans la fosse de chomeurs. » 

On reconnait aussi l’exploitation de cette peur dans l’image que l’entreprise donne du cho- 
mage et de son envers, le travail : elle noircit le tableau du non-emploi, en fait un enfer financier 
et social, etiquette les chomeurs de stereotypes et prejuges negatifs. A contrario, elle rappelle 
la « chance » que le salarie a d’avoir un emploi, glorifie le CDI, rappelle que c'est un privilege 
d'avoir un emploi. 

Cette peur est entretenue pour que le salarie se demene, souvent au-dela de ce que le contrat 
prevoit, qu'il accepte sans broncher des conditions de travail pourtant inacceptables, qu'il ac- 
cepte d’etre asservi, qu'il ferine les yeux sur les derives de l’entreprise, qu'il accepte de faire des 
actions a l’encontre de ses valeurs, qu'il n'essaye pas de s'opposer aux decisions de l’entreprise, 
qu'il se mette en concurrence avec ses collegues... 

On a vu precedemment que la peur a des effets nefastes sur nos capacites intellectuelles : 
on a tendance a etre davantage credule, a perdre l’esprit critique, a ne plus voir la situation sous 
tous ses aspects. Faire peur, notamment cette peur 6 combien puissante de ne plus pouvoir re- 
pondre a ses besoins elementaires et a ceux de sa famille est un moyen efficace pour asservir 
son prochain, le soumettre, le dominer, en tirer tout et n’importe quoi. 

Evidemment la crise, les medias, les idees re^es, les prejuges vehicules par la population 
favorisent grandement cette exploitation par la peur. 

Done.... 

il faut mettre fin a cette peur. Qu’importe le contexte social, le veritable ennemi est la peur. 

— II faut done se renseigner concretement, par ses propres moyens sur le chomage et elimi- 
ner tout prejuge. II faut clarifier les informations au sujet du chomage et aller chercher sa realite 
concrete, pas des opinions a son sujet. Les peurs se resolvent en se confrontant a l’objet qui fait 
peur : il faut aller se renseigner sur le montant des allocations possible en cas de licenciements, 
de demissions ou autre cas ; il faut faire des simulations de CAF, imaginer le RSA posement. Il 
faut faire le tri entre la realite et nos fictions : la realite du chomage, c'est beaucoup de temps et 
peu d’ argent ; ce n’est pas la depression, l’inactivite et le rejet des autres : le chomage n’est pas 


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un metier dans lequel on serait forcement mal dans sa peau et faineant, c'est uniquement plus de 
temps et moins d’argent, il appartient a chacun de rentrer ou non dans le stereotype. 

Plus d’idees ici : http://hacking-social.com/2014/01/30/chomage-solution-crise/ 

— II faut se donner les moyens de ne plus avoir peur : il faut clarifier ses comptes, eviter 
comme la peste les credits, mettre de cote et se demontrer qu'on peut vivre heureux avec peu. 
La sobriete n’est pas une punition, n’empeche pas de « profiter », ce n’est pas masochiste. Au 
contraire, c'est prendre son independance avec la societe de consommation, trouver son bon- 
heur durable et non perissable. 

— Une fois les constats fait, que le chomage n’est pas si infernal qu'il n’en avait fair, et 
qu'on peut vivre heureux sans avoir beaucoup, le changement economique ne devrait plus faire 
autant peur. Done les menaces de l'entreprise n’auront plus de prise et le vecu au travail risque 
d'etre moins penible : l’autre ne sera plus pcrcu comme un concurrent a depasser pour rester sur 
le champ de bataille ; on pourra voir vraiment ce qui se deroule sur le lieu de travail ; on pourra 
alors aider les autres a se liberer de la peur et des menaces. 

— Notons que l’avancee du chomage reduit l’impact de toutes ces menaces : tous les jeunes 
ont connu le chomage, tout le monde a des amis chomeurs, on sait tous ce qu'est le Pole emploi, 
on est bien informe. Le chomage ne fait plus si peur et il est meme integre dans des projets pro- 
fessionnels, entre deux CDD, pour reprendre son souffle. Il est parfois un choix volontaire ou le 
travail est facultatif, la vie pour certains etant plus active hors circuit professionnel. Done, dans 
quelques annees il est probable que les menaces ne fonctionnent plus du tout, tout le monde 
etant parfaitement rode a vivre en mode « chomage » (a moins d’un changement drastique ne- 
faste en terme de politique). 

■ LA PRISE EN OTAGE DES VESSIES 

Les besoins physiologiques, que le travail dit combler, sont parfois pris en otage par l’entre- 
prise. On avait aborde le sujet precedemment : empechement d’aller aux toilettes, de boire, de 
se reposer, de manger.... Le salarie est a la disposition de l’employeur, ses besoins sont autorises 
a etre comble uniquement si l’employeur donne son accord. 

Prendre en otage les besoins physiologiques est extremement efficace pour manipuler les 
personnes, aussi bien mentalement que dans leur activite. 

« On devait demander la permission pour tout : pour aller faire tel travail ne- 
cessaire, pour changer de poste, pour se laver les mains, pour boire, pour pisser. 

En cuisine, on etait pieds et poings lies a la production, done parfois c'est les 
caissiers (avec l’autorisation des chefs) ou les chefs qui venaient nous donner un 


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verre d’eau. Bah on etait super content, c’etait un vrai soulagement de voir ces 
miserables verres d’eau, on pouvait qu'etre reconnaissant et apprecier que les 
chefs pensent a nous. Mais c'est vrai, c'est totalement paradoxal. C'est [’organi- 
sation mise en place qui nous empechait de boire de l’eau a notre convenance. 

Dans d’autres boites, tu peux boire ton eau a volonte, tu peux trimballer ta bou- 
teille, c'est meme ordonne par les chefs quand tu travailles a plus de 30 degres. » 

Source : temoignage recueilli IRL 

Quand nos besoins physiologiques sont resolus, on est satisfait, il ne peut en etre autrement. 
On a ici une technique du « bon flic, mauvais flic ». Le bon policier est le chef qui resoudra 
les besoins physiologiques, pennettra d’aller aux toilettes, de boire... Le mauvais policier est 
institutionnalise par les interdits poses dans l’organisation. 

Cette prise en otage permet aussi a l'institution d’occulter la mise en perspective du salarie : 
quand on a soif, on ne pense qu'au moment ou on pourra boire, on n’interroge pas le systeme, on 
ne reflechit pas aux causes, aux origines, on n’arrive pas a clarifier sa pensee. Seule la resolution 
des besoins physiologiques est a l’ordre du moment, notre pensee est bloquee par la manifesta- 
tion de notre corps. C’est pourquoi la technique du bon et mauvais flic peut faire paraitre le pri- 
sonnier idiot : on peut se demander pourquoi il ne se rend pas compte que la situation est sous 
la maitrise totale des policiers. Cette inconscience est due au fait que ses besoins prennent toute 
la place et que leur resolution est forcement un soulagement pour lequel il sera reconnaissant. 

La encore, pour les entreprises ayant recours a cette prise d’otage des besoins, il ne s’agit pas 
de profit : un salarie bien hydrate sera plus eflficace qu'un salarie deshydrate ; il s'agit de pouvoir 
sur autrui, d’ avoir un controle total de l’individu. Meme de sa vessie... 

Done... faire appel a la loi 

Toutes les techniques decrites dans nos chapitres sur la soumission peuvent etre mises en 
application pour faire cesser ce mode de fonctionnement intolerable. La loi est egalement de 
votre cote : 


« Article R4225-2 

L'employeur met a la disposition des travailleurs de l’eau potable et fraiche 
pour la boisson. » 

et la loi dont nous avons deja parle : 

« Article LI 121-1 

Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertes individuelles et 
collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiees par la nature de la tache 
a accomplir ni proportionnees au but recherche. » 


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II faut aussi jeter un regard dans les conventions collectives a ce sujet. 

Quel que soit votre choix d’action, il semble essentiel de faire preuve d’exemplarite (en don- 
nant de l’eau a ses collegues, en leur proposant de les remplacer pour qu’ils aillent aux toilettes) 
independamment des ordres ou des habitudes. II ne faut pas accepter qu'on refuse la resolution 
de ce genre de besoin chez soi ou autrui. 

■ LE DENI DU CORPS 

L'exploitation du corps du salarie, c'est la premiere des exploitations : du temps des es- 
claves, puis des serfs, il s'agissait surtout pour les maitres de ne pas travailler eux-memes et de 
jouir de la production avec plus ou moins d’ostentation. 

A present, l'exploitation du corps des salaries se fait avec une retribution et quelques obli- 
gations imposees par loi (mais pas forcement suivies par l’entreprise) : il s'agit de tirer la force 
du salarie, d’en faire de l'argent qui pennet de perpetuer l’activite et surtout d’en faire profiter 
ceux qui ont le pouvoir. Ainsi le maitre dirigeant peut se permettre de ne pas travailler, jouir des 
richesses, exercer un grand pouvoir. Celui qui exploite est ainsi protege de l'usure de son propre 
corps et celui qui est exploite, cherchant a « gagner » sa vie, la perd dans l'usure acceleree de 
son corps. On est bien loin de la loi de reciprocity, mais la n’est pas notre question. 

Le corps est clairement exploite et Ton peut difficilement douter de cette absorption de la 
force vitale des salaries par l’entreprise. Cela pour un profit dont ils ne verront que peu la cou- 
leur. Mais cela va plus loin : ce corps est egalement denie. 

En etfiet, le salarie est considere cornme une « ressource » humaine. Une ressource bien 
moins precieuse et moins rare que le petrole. On peut distinguer deux strategies vis-a-vis de 
cette ressource : 

— Une strategic « durable » : on exploite l'humain en douceur, avec respect et soin afin qu'il 
se regenere, perdure, garde sa qualite, voire augmente sa qualite. 

— une strategic de « pollueur » : on exploite l'humain au maximum, sans respect, on tire son 
jus jusqu'a ce qu'il soit inutilisable, sans respect. Si la ressource a le moindre defaut, on la jette, 
on la remplace, on va chercher ailleurs une ressource plus fraiche, moins chere, plus malleable, 
avec moins de restriction concernant son exploitation. 

Dans cette strategic de pollueur, le corps est nie, le subordonne doit etre sans faille c'est-a- 
dire sans maladie, sans accident, sans fatigue, sans besoins, il doit tout donner de ses forces a 
l’activite, que l'activite le requiert ou non. Sinon il est jete. 

La encore, il est assez facile de reperer cette logique d'ultra-consommation de la ressource 
humaine : la maladie sera reprimandee, reprochee et consideree cornme un mensonge ; en cas 


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d'accident, l’entreprise pensera que le salarie a fait expres de se faire du mal ; tout le materiel 
lie a la securite ou fhygiene et le materiel de soins de secours seront negliges, voire ignores ; la 
salle de pause sera peu soignee ou sous etroite surveillance ; l’entreprise ne respectera pas les 
horaires, les pauses des salaries ; l’entreprise sera intolerante a l’inactivite du salarie meme s'il 
n'y a aucune activite a realiser ; l’entreprise tendra a mettre les records de productivite en tant 
que norme a suivre et s'insurgera que les salaries ne les realisent pas quotidiennement en chaque 
moment, quelles que soient les circonstances. 

La loi du plus fort est done en vigueur dans ces entreprises. Le fort etant ici celui qui est 
hyper productif, qui ne montre aucun signe de faiblesse tant du corps que du psychisme, qui ne 
demande jamais de repos, qui en fait toujours plus que tout le monde. Ce fort, c'est la ressource 
hyper exploitable que l’entreprise va eriger en modele, en « employe du mois », en vantant ses 
merites, en les recompensant afin que les autres s'en inspirent. Evidemment, c'est une loi du plus 
fort artificielle : elle devrait s'appeler la loi du plus exploitable, la loi du plus grand asservisse- 
ment a la productivite, ce qui est bien loin d’une quelconque force. 

Les indicateurs precedemment cites vont done formater les salaries a cette loi du plus fort 
corrompue, discretement, jusqu'a ce que cette nonne devienne leur et qu’ils la maintiennent en 
vigueur par eux-meme : au lieu de refuser la loi du plus fort, de s'allier entre eux pour defendre 
leur droit a ne pas etre vides comine des citrons comme cela pouvait etre le cas avant le mana- 
gement modeme, ils vont etre manipule pour defendre leur exploitation et la maintenir chez les 
rebelles ou les nouveaux arrivants. 

[Journal d’un medecin de travail, Dorothee Ramaut (en supermarche)] les 
propos de ce medecin du travail rendent tres bien compte de la strategic de pol- 
lueur employe par la direction pour gerer ses ressources humaines. D'un cote, 
les preuves affluent concernant le peu de respect pour l’humain « vous n'etes 
pas content ? Mais partez, personne ne vous retient, des « comme vous », il y 
en a 300 qui attendent votre place » ; et on retrouve ce deni du corps : les ab- 
sents ne sont pas remplaces, done les presents ont une surcharge de travail. La 
probable maladie n’est pas prise en compte dans le systeme et on denie egale- 
ment la penibilite de la surcharge de travail chez les presents. La raison en est 
assez simple : le profit. Un meme travail avec moins de monde fait gagner plus 
d’argent. Cependant, le systeme est tellement rode, les employes tant formates, 
que le coupable designe de cette exploitation intense sera l’absent : il sera rejete 
du groupe, les presents se vengeront de lui, le prendront en coupable. L'arret ma- 
ladie sera considere comme des vacances. Ainsi, une grande partie des salaries 
de ce supermarche semblaient avoir oublie que l’entreprise etait responsable de 
l’organisation du travail, que les chefs auraient pu se donner le pouvoir de mettre 


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des rcmplacants ou prevoir une organisation differente en cas d’absence comine 
c'est le cas dans bon nombre d’entreprises respectueuses a strategic « durable ». 

Cet oubli est clairement le signe d’un formatage ou d’un epuisement profession- 
nel si intense qu’il en a denature les capacites a prendre en compte tout l'horizon 
et non l’instant immediatement visible. 

Parfois, le deni du corps est dramatiquement litteral : 

Un employe etait mort sur son lieu de travail (pour causes naturelles), dans 
un stock ou il y avait beaucoup de passage (on y preparait des livraisons pour les 
camions). Le corps ne pouvait pas etre deplace tant que les autorites ne venaient 
pas constater le deces. II a ete ordonne aux autres employes de continuer a tra- 
vailler. L’equipe s’est retrouvee a devoir enjamber le corps du collegue decede, 
continuer le travail cornme si de rien n’ etait, car selon les propos du chef, « les 
camions n’attendent pas ». 

Source : Journal d'un medecin de travail, Dorothee Ramaut 

Le manque d’empathie pour la « ressource » humaine peut done etre total, en plus d’etre 
totalement aberrant en ce qui concerne la productivity future : comment les employes pourront 
travailler nonnalement et efficacement apres qu'on leur ait impose un tel comportement ? 

Le deni du corps peut etre dramatiquement imbecile : 

« Ca m’est arrive d’etre malade sur le terrain. Une fois je savais que j'allais 
vomir, ca n’allait pas du tout, mais j'ai du insister cornme pas deux pour sortir du 
comptoir. Et le manager est arrive dans les vestiaires juste au moment ou j'avais 
fini de vomir. Je suis certaine qu'il ecoutait pour verifier que je ne mentais pas... 

C'etait rare les managers qui croyaient quand on etait malade, meme quand on 
etait blanc cornme des linges. Mais bon c'est loin d’etre le pire... Dans un autre 
M* de notre ville, il y avait une equipiere diabetique, elle avait une sorte de 
pompe sur elle dont elle ne pouvait pas se debarrasser. Du coup, il y avait un 
petit tuyau qui sortait de sa chemise. Le manager, visiblement a fond sur les 
nonnes, lui a ordonne de cacher ce tuyau parce que c'etait pas esthetique. Elle 
a obei. Elle est tombee dans le coma, longtemps, plusieurs mois, a cause de ca. 

M* en a profite pour la licencier pendant son coma... » 

Source : temoignage recueilli IRL 

Parfois aussi, cette loi du surhomme sans corps, cornme la soumission a l’autorite, nous 


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guide sans pour autant que l’entreprise soit responsable (aucune presence des indicateurs dont 
nous avons parle precedemment). La peur de perdre son emploi au vu du contexte de la socie- 
ty, la crainte de mettre ses collegues dans l'embarras, la crainte de ne pas etre a la hauteur de 
la tache, le besoin de reconnaissance, les problemes dans la sphere du prive, les croyances au 
sujet du travail peuvent prendre le pas sur les reelles conditions et attentes du travail et peuvent 
pousser au presenteisme : 

Claire travaille par missions, dans la publicite. Quand elle doit repondre a 
un appel d’offres un vendredi soir ou se remettre a l’ouvrage un dimanche, elle 
a droit a des jours de recuperation. Et pourtant : 

« Je repousse le moment de les prendre, me disant qu’il faut que je termine 
les projets commences, pensant que je vais tenir, et j’ arrive a un moment ou je 
n’en peux plus physiquement, mais surtout mentalement. Je n’ai plus envie de 
rien. Et j’ai du mal a me motiver pour bosser, je deviens lente, deprimee, et j’ai 
du mal a repartir. » 

Source : http://rue89.nouvelobs.com/rue89-eco/2012/12/06/pire-que-lab- 
senteisme-le-presenteisme-des-salaries-malades-23 7 556 

[« Docteurmilie », medecin generaliste, raconte a quel point elle doit se battre avec 
ses patients pour leur mettre des arrets maladie.] 

« — Mine B. est gardienne, elle avait une tendinite du coude, elle a refuse a 
de nombreuses reprises mes arrets que pourtant j’avais rediges et lui avais don- 
nes. Elle ne veut pas s’arreter, son travail e’est toute sa vie, elle est hyperactive. 

Elle a tenu le coup jusqu’a ce que le tendon se dechire et maintenant cela fait 
plus d’un mois qu’elle est en arret. 

— Mr C. [sic] est chaulfeur-livreur, il a une forte douleur d’epaule, j’ai reus- 
si a l’arreter deux jours quand vraiment il ne pouvait plus bouger, mais pas plus. 

Sa raison: il ne peut pas laisser ses collegues dans l’embarras. . . 

— Mine S. est ATSEM [Agent territorial specialise des ecoles maternelles], 
elle a des lombalgies. Cette fois-ci j’ai reussi a l’arreter, car vraiment elle etait 
bloquee, mais la plupart du temps, elle refuse, pour ses collegues, pour les en- 
fants...en depit du fait qu’elle soit fonctionnaire et qu’elle n’ait pas de jour de 
carence. 

— Melle B. est serveuse, elle a un virus pour lequel on ne peut rien faire, 
mais n’est pas bien du tout, elle n’accepte pas l’arret parce qu’il n’y a personne 
pour la remplacer et que son patron lui met la pression. . . 

Je m’arrete la, mais je pourrais continuer des heures. Si les patients qui pro- 
fitent du systeme sont tres occasionnels, je vois ceux-ci en une demi-journee, 
tous les jours, tout le temps ...» 

Source : http://www.docteurmilie.ff/wordpress/?p=265 


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Ce presenteisme est egalement du a des problemes financiers : 

« — Mine R. est deprimee, sa fille de 16 ans a ete violee recemment , elle 
a besoin de la presence de sa mere et Mine R. est epuisee physiquement et 
moralement. . . en plus, elle a une angine. Je ne peux rien pour sa peine, mais je 
pense que quelques jours de repos lui seraient benefiques. Elle refuse... finan- 
cierement, elle ne peut pas. 

— Mr A. doit se faire operer du genou depuis 2 ans, il attend toujours, car 
cela implique un arret de travail de plusieurs semaines que financierement il ne 
peut pas se pennettre. » 

Source : http://www.docteurmilie.fr/wordpress/?p=265 

Dans tous ces exemples on voit un probleme dont l’explication peut etre double : cette 
crainte de mettre dans l’embarras les collegues de travail peut traduire a la fois d’un sentiment 
d’etre indispensable (et cela peut etre vrai ou non) ou etre un vrai probleme organisationnel 
(l’entreprise n’a une structure souple pouvant s’adapter aux absences). 

Si l'absence d’un salarie est si problematique, c’est que de toute evidence, rien n’a ete pre- 
vu pour faire face a des changements dans l’equipe, mais les salaries prennent pour eux cette 
responsabilite. 

Quant au probleme financier que represente le fait d’etre arrete, la aussi on se pose la ques- 
tion de la responsabilite de l’entreprise : les arrets ne sont pas remuneres s’ils durent moins de 
trois jours ; or, trois jours de salaire ne represented pas beaucoup d' argent, c’est done que les 
personnes qui craignent l'arret sont tres peu payees, elles ne peuvent pas vivre avec un ecart 
si petit soit-il. Quant aux arrets plus longs, ils sont remuneres a hauteur de 75 %, la baisse 
de salaire ne devrait pas etre si problematique, or elle Test : e’est done que le salaire pose un 
vrai probleme, qu’il ne pennet pas de parer aux evenements pourtant courants de la vie. On 
retrouve ces memes problematiques avec les conges matemite et paternite : meme si l’envie, le 
besoin est la, les personnes le refuseront pour des raisons financieres. Soit on a une addiction 
au travail, une mauvaise gestion de ses finances, soit le salaire est effectivement bien trop bas 
pour permettre de vivre avec une baisse de celui-ci. 

Les entreprises intelligentes savent pertinemment que ce presenteisme flirtant avec l’ad- 
diction au travail est un probleme a combattre : entre les virus qui se propagent par les malades 
au travail, la perte de productivity et de qualite due a la fatigue, le malade present ne rapporte 
rien et coute finalement plus cher que l’absent. De plus, les presenteistes sont les absents de 
demain : les pathologies non soignees, l’absence de repos, de soins, finissent par empirer l’etat 
general et developper des pathologies de longues durees. L’abus de travail n’est pas a prendre 
a la legere, il peut meme tuer de jeunes salaries : 


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Un etudiant allemand a ete retrouve mort a son domicile. Stagiaire dans une des grandes 
banques de la City, il aurait enchaine des journees de travail de plus de 16 heures les trois jours 
avant son deces. Sans attendre les resultats de l'autopsie, certains ont d’ores et deja pointe l’epui- 
sement comme cause possible de la mort. 

Source Le Figaro : http ://sante .lefigaro ,fr/ actualite/20 1 3/08/22/2 1 1 3 9-trop- 

travailler-peut-conduire-mort 

Une redactrice indonesienne travaillant pour l’agence de publicity Young & 
Rubicam Indonesia, est morte peu de temps apres avoir poste un tweet le 14 de- 
cembre dernier disant qu'elle travaillait depuis 30 heures consecutives. 

Source Huffington Post : http://www.huffingtonpost.fr/20 13/12/1 8/redac- 
trice-meurt-30-heures-trop-travailler_n_446407 1 .html 

Quels que soient les problemes de ces jeunes gens et 1' absence d'ordre de l’entreprise les 
poussant a ce rythme, il est anormal que l’entreprise ait permis qu’ils se tuent a la tache, qu’ils 
ne disent rien pour les stopper, que personne ne les incitent a s’arreter et se reposer. 

Ce deni du corps n’est pas qu’un probleme de subordonne, chez certains managers denier 
son corps semble une norme a suivre de par son role : 

« Pour nous, managers, qui prenons en charge quelque chose de complet, eh 
bien, il est normal de ne pas dejeuner ou de ne pas diner ou alors c’est pour dire 
qu’on reste encore humain et qu’on est oblige de... qu’on a un corps et qu’on a des 
faiblesses, quoi... et qu’on est bien oblige de le faire. Mais sinon, ne pas donnir, 
ne pas manger, c’est normal. On est hors de son corps quand on est dans la boite. 

On est devoue a la boite et c’est le critere numero un pour etre manager, pour etre 
un des leaders de la boite. » 

Nicole aubert et Vincent de Gaulejac, Le cout de I'excellence, Seuil, 2007 

Manger et donnir se transformed en « faiblesse », il y a une obligation a etre un surhomme, 
a ne pas avoir de corps. Bien qu’etre un surhomme soit impossible, c’est la seule fa$on d’etre 
un leader, done il faut faire comme si le corps n’existe pas. On est la dans une pensee magique 
assez dramatique qui reviendra souvent et qui decoule du monde imaginaire de l’entreprise dont 
nous parlerons souvent. 


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Done... se respecter 

II faut apprendre a se respecter soi-meme, corps et esprit : se comporter en surhomme ne 
peut durer qu'un temps et se payera tres cher, au point de garder pour toute une vie des patholo- 
gies lourdes, de developper une depression durable ou de mourir de trop de travail. 

Se respecter soi-meme, e’est respecter les autres : a tirer la productivity vers des sommets 
inegales, on fait placer la barre plus haute pour tous. Le sentiment de fierte, de « superiority » 
ne durera qu'un temps et tout le groupe sera force de se tuer a la tache pour suivre la nouvelle 
norme. En se depassant, on se tue a la tache et on force le groupe a se tuer a la tache. Le non-res- 
pect de soi-meme deviendra alors une norme obligatoire. 

De plus, les gains a se comporter en surhomme sont nuls en comparaison de l’epuisement 
engendre : certains ne seront meme pas remercies par l’entreprise, il n'y aura pas de vraie 
promotion (ou une promotion vers un poste ou les forces sont encore plus tirees), le niveau 
de stress sera encore plus grand par la suite (parce qu'il faut toujours se depasser), les primes 
seront plutot attribuees a ceux qui ont besoin de motivation, pas ceux qui sont deja zeles, on ne 
donnera pas de responsabilite au zele, car on ne donne pas une equipe a gerer a quelqu'un qui 
ne sait pas gerer ses propres limites. 

II est done bien plus profitable pour tout le monde de connaitre et respecter les propres 
limites de son corps. Cependant cette addiction au travail, cette fuite dans la productivity de- 
raisonnable, a des causes toujours plus profondes. II faut les inspecter : pourquoi a-t-on besoin 
de tant prouver sa valeur a autrui ? Pourquoi prefere-t-on etre au travail plutot que chez soi ? 
Pourquoi se punit-on ainsi ? Fuir dans le travail ne resoudra rien aux problemes, il est fortement 
probable qu'il les empire, coinme toute fuite addictive. 

— Si la barre est deja placee trop haut, qu'il est deja dans la norme de se tuer a la tache, il 
faut desobeir en douceur, progressivement, en faisant moins, en creant des nouveaux rituels de 
pause pour soi et les autres. C'est un travail qui se fait collectivement. 

— Si on semble dans l'impossibilite de desobeir (quand le rythme est impose par une ma- 
chine) il faut quand meme desobeir : tant pis si l’activite coule, il faut rappeler que l'homme est 
maitre de la machine, que la machine n’est pas la pour tuer l'homme, mais pour faciliter la tache, 
pas faire son enfer. La aussi, c’est un travail collectif. 

— Il semble essentiel d’etre solidaire : meme si on n’est nullement conceme, on devrait se 
sentir responsable de l'autre des lors qu'on partage un espace-temps avec lui. Rappelons-nous le 
cas de Catherine Genovese : il faut intervenir quand on voit quelqu'un mal dans sa peau, en dif- 
ficulty, en souffrance, car il est probable que personne ne le fasse sinon. Qu'on soit de statut dif- 
ferent, de secteur different, voire qu'on soit client non employe, on devrait se sentir responsable 
et intervenir pour aider la personne. On peut tous quelque chose pour aider l’autre, ne serait-ce 


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qu'en reconnaissant sa souffrance a haute voix. Concernant celui qui viendrait s'interposer au 
comportement d'aide, qui reprimanderait cette forme d’empathie en action, il ne merite pas son 
autorite, done on n'a pas a lui obeir. 

<®TRAVAIL/EXPLOITATION/BESOINS DE SECU- 
RITE 

On a besoin de se sentir en securite, c'est-a-dire que l’environnement dans lequel on evo- 
lue soit stable, qu'on puisse predire le lendemain, que tout ne puisse pas etre perdu en chaque 
instant, qu'on ne risque pas sa vie tout le temps, qu'on puisse trouver un espace-temps de sere- 
nite. C'est un besoin lie a la survie, profondement ancre en nous au meme titre que les besoins 
physiologiques : apres la cueillette et la chasse, il nous faut trouver l’abri qui nous protegera 
des intemperies, des betes sauvages et dans lequel on pourra relacher la tension. Mais au-dela 
de l’abri, la securite concerne aussi l’assurance de trouver de la nourriture sans trop de danger, 
et qu'il y ait de la nourriture suffisamment abondante pour nourrir tout le monde. Le besoin de 
securite est entremele aux besoins physiologiques. 

Les ideologues du travail estiment que le travail peut combler ces besoins : le salaire peut 
pennettre la serenite, peut aider a construire un environnement stable, peut annihiler la peur du 
lendemain et done pennettre au salarie de se projeter dans l'avenir. 

Or: 

— Certains salaires sont tellement bas qu'ils ne parviennent pas a repondre aux besoins 
physiologiques, done il est impossible qu’ils repondent aux besoins de securite. 

— La majorite des contrats n'assurent qu'une securite de courte duree ou partielle, done sont 
anxiogenes : l’individu doit tout le temps se readapter a des situations radicalement differentes 
sans pouvoir s'habituer a quoi que ce soit, done il ne peut pas se sentir en securite. 

— Les entreprises, delocalisant, licenciant massivement, qu'elles soient prosperes ou non, 
detruisent tout sentiment de securite ou meme espoir de securite chez les citoyens. 

— La vie au travail peut etre totalement insecurisante : surveillance pennanente, organisa- 
tion changeant perpetuellement, nombreuses crises, situations inquietantes, stress, injunctions 
paradoxales, manque de clarte de ce qui est demande, comportements pathologiques et patho- 
logisants.... 

Les ideologues du travail pourraient repliquer que l’entreprise tend vers l'assurance de la 
securite, mais que les circonstances, la crise, le marche ne leur facilitent pas la tache. Nous 
pensons pour notre part que beaucoup d’entreprises n’ont pour premier objectif que le profit et 


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le pouvoir ; les besoins de securite des salaries sont bien negligeables au regard du profit ; en 
revanche, elles s'appuient sur ces besoins de securite pour exploiter d’autant plus le salarie, pour 
le profit et le pouvoir personnel des exploiteurs. 

■ PEUR DU CHOMAGE 

Nous rejoignons ici le point explicite precedemment : les menaces de licenciements et le 
noircissement du tableau du chomage sont egalement une facon d’exploiter le besoin de secu- 
rite. Le salarie, par peur de perdre son GDI dans un monde en crise, acceptera bien plus d’ex- 
ploitation qu'un individu qui n’a pas peur ; il acceptera bien plus de perdre des avantages, des 
libertes ou de perdre son autonomie quitte a devenir un automate servile pret a s'autodetruire. 

■ PROMESSE D'EMBAUCHE 

C'est surtout avant le GDI que l’exploitation du besoin de securite est la plus intense, notam- 
ment avec les stagiaires. Ceux-ci cherchent a apprendre le metier, developper une experience, 
mais a l'heure actuelle il s'agit surtout d’essayer de se faire embaucher. Done meme les per- 
sonnes deja competentes et experimentees font des stages dans l'espoir de se faire embaucher 
durablement. Dans cet objectif, les personnes seront plus zelees, plus obeissantes, plus forma- 
tables, moins a meme de se soulever pour faire respecter leurs droits. 

Dans L’open space m'a tuer, d’Alexandre Des Isnards, il est raconte com- 
ment une entreprise gere ses stagiaires : ils les surchargent de travail, les font 
passer pour des chefs de projets aupres des clients et ceux-ci doivent reellement 
jouer ce role avec toutes les responsabilites qui incombent au metier. Puis la fin 
du stage arrive. L'entreprise dit au stagiaire qu'elle n'a pas d’argent pour l’embau- 
cher. Le stagiaire a alors une nouvelle tache : il fonne son rcmplacant, stagiaire 
egalement... Le cycle se perpetue ainsi tous les six mois sans qu'il n’y ait jamais 
d’embauche. 

L'exploitation est maximale, car : 

— Le stagiaire n'est pas retribue et il produit neanmoins de la valeur. C'est un double bene- 
fice pour l’entreprise : pas de salaire a payer, mais de la productivity quand meme. 

— Le stagiaire se donne encore plus a la tache par espoir, par volonte de s'inserer dans la 
societe, de montrer ses competences, etc. 

— Le stagiaire est a peine fonne et directement mis au travail, il n'y done pas de profit perdu 
a mobiliser un fonnateur ou des plages horaires de formation. 


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— Comme il est servile, les entreprises en profitent pour bafouer tous ses droits. 

L'etat est complice de cette exploitation en foumissant par le biais de Pole emploi cette 
main-d’ oeuvre gratuite : les chomeurs conservent leurs allocations et ne percoivcnt aucun sa- 
laire. Leurs forces sont exploitees contre rien, si ce n’est la perte de leurs droits alors qu’ils tra- 
vaillent et, par la meme, l’entreprise participe a la dette de l’Unedic en faisant remunerer leurs 
salaries par l’Unedic. 


« Un Leclerc Drive a ouvert ses portes le 20 aout a Auxerre. Je devais y tra- 
vailler six semaines, sans que cela ne coute un centime a Leclerc. J’ai tenu six 
jours. 

Tout a commence lorsque j’ai repondu a une offre sur le site de Pole emploi. 
La semaine suivante, je decroche un entretien dans leurs locaux, avec un de leurs 
conseillers et une personne de chez E. Leclerc. 

C’est la qu’on m’explique qu’avant d’etre embauche, je dois faire six se- 
maines de formation. Je demande quelle sera la remuneration. Le conseiller me 
repond que je continuerai a percevoir mes indemnites, en Allocation de solidari- 
ty specifique, soit 477 euros ce mois-ci. Mis a part cela, je ne pourrai pretendre 
qu’a des indemnites de firais de repas : 6 euros par jour ! Leclerc me promet un 
GDI a Tissue de ces six semaines de formation. 

Leclerc me donne rendez-vous le lundi suivant a 14 heures. Ce jour-la, nous 
sornmes quatre nouveaux. Je commence, on me met en formation avec une fille, 
arrivee la semaine precedente - et done elle-meme theoriquement encore en 
formation. 

En un quart d’heure tout est explique, je prepare quelques commandes avec 
elle. Une heure plus tard, munie de ma « scannette », je prepare deja seul mes 
commandes. 

Tout aussi rapidement, je suis aussi forme a la livraison client, cette fois avec 
une employee qui a bien signe le fameux GDI. 

Une fonnation de six semaines pour etre preparateur de commande ? Elle ne 
prendra en realite pas plus d’une heure. En une semaine, un nouveau fait aussi 
bien que les autres. [...] 

Nous n’avons qu’un jour de repos par semaine, le dimanche. Nous travaillons 
6 heures par jour sauf le vendredi, 6 h 15, et le samedi, 6 h 30. Soit 36h45 par 
semaine. 

Une collegue m’explique que nous ne serons payes que 35 heures. Ce temps 
de travail en plus correspond a notre temps de pause, 18 minutes par jour, non 
paye. 


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Des le debut, je trouve l’ambiance pesante. Peu de sourires, peu de bavar- 
dages. Une semaine apres mon arrivee, je discutais unpeu avec un collegue, tout 
en preparant une commande. Un autre collegue me dit qu’il ne vaut mieux pas 
trop discuter, notre « scannette » est un mouchard qui detaille nos statistiques a 
notre chef. 

Tres vite, je sais que je ne vais pas rester dans cette enseigne. C’est definitif 
pour moi quand les deux responsables du « drive » attendent samedi 20 heures 
pour faire un sermon a l’ensemble de l’equipe. 

Un produit surgele a ete retrouve en frigo. On nous explique que c’est tres 
grave, que si on ne s’en rend pas compte, un client peut etre intoxique. C’est 
vrai. 

On nous dit aussi que nous sommes trop lents : les preparateurs d’autres 
« drives » toument a 200 articles par heure, nous seulement a 120. On nous dit 
que cinq personnes recemment formees n’ont pas ete gardees, car elles n’etaient 
pas assez efficaces : a nous de faire nos preuves ! Et pas question de relacher les 
efforts le jour ou nous serons embauches : si nous ne donnons plus satisfaction 
au « drive », on nous menace de finir au magasin. Ou les conditions sont bien 
plus dures, precise le chef. 

II est 20 h 20 quand je quitte le « drive ». Vingt minutes de reunion, en de- 
hors du temps de travail ! C’en est trop. J’y retournerai le lundi, une demiere 
fois, pour recuperer mes affaires dans mon easier. » 

Source Rue 89 : http://rue89.nouvelobs.com/2013/10/05/travailler-six-se- 

maines-gratos-leclerc-jai-craque-246275 

Le Pole emploi propose de nombreux contrats avantageux pour les entreprises et qui main- 
tiennent, entretiennent la sphere infernale de la precarite, qui bouleversent la loi de reciprocity 

« J'etais en CDD dans l’entreprise. Y avaitpas de probleme avec mon contrat, 
la boite avait toujours ete honnete avec moi, elle l'etait avec les autres aussi. 

Mais un jour, avant une periode de grosse activite, on a vu debarquer une bonne 
dizaine de nouveaux, qu'on devait former et faire travailler avec nous. Jusque- 
la, pas de probleme, e'etait comme nous quand on etait nouveaux, on avait des 
CDD avec une grosse partie de formation pendant une periode calme, ce qui 
etait l’ideal pour le boulot. Or eux, ils n’etaient pas payes, et 9 a pendant des 
jours ! J'avais du mal a y croire parce que la boite est vraiment tres honnete, je 
ne comprenais pas pourquoi ils auraient vire mal ainsi. 

J'ai appris par la suite que e'etait « grace» au Pole emploi, que e'etait tout a 
fait legal, que e'etait un accord. Soit... Les nouveaux que j’avais en charge, je les 
ai formes. Par contre, sans que les chefs le remarquent, je les ai pas fait travailler 


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et ils sont rentres chez eux tous plus tot que prevu, parce que legal ou pas, c'est 
irrespectueux de faire travailler des gens non payes. » 

Source : temoignage recueilli IRL 

Ce genre d’accord brise la loi de reciprocite « je travaille > tu me donnes un salaire » et 
corrompt les valeurs en transfonnant en atout le fait d'etre accepte dans l’entreprise, en une 
chance de travailler meme sans salaire. On a done « l’entreprise fait grace d’offrir un poste a un 
chomeur - il travaille - l’entreprise ne donne pas de salaire ni de contrat securisant pennettant 
un futur salaire ». Le tout avec la benediction de l'Etat... Ainsi l’entreprise peut perpetuer son 
absence d'embauche honnete tout en prosperant avec de la main-d’oeuvre gratuite, renforcant au 
passage le besoin de securite de la population, sa soumission, son acceptation de l’exploitation 
etant donne que la securite (le GDI) est de plus en plus inaccessible. La boucle est bouclee, pour 
le pire. 

II en est de meme avec les contrats precaires moins « aidant » pour l'entreprise : l’entreprise 
accroitra la soumission, l’exploitation, la concurrence entre collegues avec la promesse du GDI. 
II s'agit d’une vulgaire technique de la carotte et du baton, excepte que la carotte s'appuie sur les 
peurs, les angoisses, la precarite et fait passer un simple contrat cornme une recompense pour 
la quelle il faudrait se battre. Or le CDI ne devrait pas etre un privilege : c'est un contrat entre 
personnes, un echange codifie. Il n’y a pas de cadeau la dedans, qu'importe le contexte social. 


Done... Solidarity 

Celui qui subit cette exploitation est pieds et poings lies au contrat, a sa galere, a son besoin 
de plein emploi : c'est aux autres de prendre conscience des abus et d’essayer de reequilibrer 
la situation. Generalement, il n’est pas crie sur tous les toits qu'untel a un contrat sans remune- 
ration, que tel autre est stagiaire. Il faut done se renseigner, s’interroger ; puis faire tout pour 
retablir la balance, e'est-a-dire que les stagiaires soient reellement formes, que les salaries non 
remuneres ne soient pas presses cornme des citrons. Cornme c'est parfois de leur initiative que 
vient ce presenteisme abusif, il faut egalement leur donner des limites, done il est parfois neces- 
saire de leur ordonner de se reposer, d’arreter de travailler ou d’aller chez eux. 


Done... Mediatisation 

Le monde de l’entreprise est opaque et souhaite rester opaque. On entend les abus uni- 
quement quand ils deviennent dramatiques. Or cela pourrait en etre autrement : on peut tous 
mediatiser les soucis, et on devrait le faire ne serait-ce que pour les futurs employes et ceux 
presents, qui par crainte, n’osent rien dire. Cette mediatisation passe par le fait de parler a tout 
le monde de sa mauvaise experience, de donner le maximum d’informations sur le travail aux 
futurs employes forces de joindre l'exploitant (cela peut leur pennettre d’etre moins explodes), 


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de tout dire sur le Net en passant soit par des relais, soit en bloguant ou en communiquant, mais 
de facon anonyme (sans donner d’infonnation personnelle, en utilisant Tor/VPN/Proxy, etc.). 

Mais le probleme appartient a l'etat, done la solution ne peut provenir que de lui. 

Ne nous leurrons pas : on aura beau aider les autres, etre insoumis, mener des combats, me- 
diatiser les abus, tant que la forme des contrats permettra d’embaucher des personnes sans les 
payer, il y aura toujours des problemes. Pole emploi, a l’heure actuelle, est un facilitateur d'ex- 
ploitation qui sert les entreprises abusives et encourage les entreprises honnetes a le devenir : 
il est integralement a repenser ainsi que tout ce qu’il propose, qui n’aide ni les entreprises a se 
comporter honnetement, ni les chomeurs a s'en sortir. 

L'entreprise a pour but le profit, elle ne fait pas dans le social et il ne faut pas attendre d’elle 
qu'elle fasse dans le social. Meme si quelques jeunes entreprises et entrepreneurs ont une vision 
plus ethique des affaires, qu'ils ont une deontologie, ils sont loin d’etre majoritaires, done on ne 
peut pas elaborer des mesures a partir de ce postulat d’honnetete. Done, si l’entreprise a pour 
unique but le profit et si on leur fait des faveurs, elles les prendront et feront du profit avec elles 
sans donner quelque chose en retour que ce soit a ses salaries ou a l’etat. On n’incite pas une 
entreprise a quoi que ce soit, il faut etablir un contrat clair avec elle : « je te donne, tu donnes ca 
en retour sans quoi je ne te donnerais rien ou je reprendrais ce que je t'ai donne, les penalties en 
plus » sans quoi elle n’embauchera pas plus, n’augmentera pas les salaires, etc. 


@TRAVAIL/EXPLOITATION/BESOINS D'APPARTE- 
NANCE 

En tant qu’animaux sociaux nous avons des besoins relationnels : on aime a vivre ensemble, 
on apprecie aimer et etre aime, on aime se sentir partie prenante d’un groupe qu'on soutient et 
qui nous soutient. 

Le travail permet de combler ce besoin : en travaillant ensemble, on cree des liens notam- 
ment avec des gens qu'on n’aurait pas connus autrement. Ces liens sont speciaux, car nous 
agissons ensemble avec des buts a priori communs, avec un partage des joies et galeres quoti- 
diennes, sur de longues plages horaires. Ces liens se font naturellement, l’entreprise ne les deter- 
mine pas : elle ne fait que mettre la structure en place et embaucher des personnes en fonction 
de l’activite, les liens qui se fonnent ne sont pas de son ressort, mais du ressort des personnes. 

C'est sans doute sur ce point que nous ne sommes pas d’accord avec les ideologues du tra- 
vail : ils pensent que l’entreprise est creatrice de liens, nous pensons pour notre part qu’en effet, 
le travail pennet de nouer des liens, mais qu'il n’est pas responsable ni createur de ceux-ci. 


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Attention nous parlerons bien ici de liens lies a l'affect, de sympathie ; non de liens crees 
par la structure elle-meme, cornme une relation entre un serveur et un cuisinier qui doivent 
communiquer pour effectuer le travail. Les liens sociaux necessaires au travail, au fonctionne- 
ment de l’entreprise peuvent generer tout aussi bien de la sympathie (le serveur plaisante avec 
le cuistot quand il vient chercher ses plats) comine de la haine (le serveur peut voir le cuistot 
en ennemi). Si l’entreprise cree effectivement, le lien social - le serveur doit echanger avec le 
cuisinier pour son travail - elle n'est pas forcement responsable de l’amitie ou de la haine que 
genere cette collaboration. 

Cependant, l’entreprise peut favoriser, defavoriser, detruire, orienter ou ignorer ces liens. Et 
elle a tout a gagner de ne pas empecher la construction de ces liens : 

Elton Mayo 1927/1933. Mayo decide d’etudier un groupe d’ouvrieres dans 
une usine. Pour cela, il reserve une piece a part ou elles travailleront entre elles. 

La premiere difference de travail est done de se souder en petit groupe puis 
d’avoir le droit de parler contrairement au reste de l'usine. Les experimentateurs 
changeaient regulierement leurs conditions de travail pour en voir l'impact sur 
leur rendement et cela parfois en fonction des requetes des ouvrieres. Ainsi le 
rendement fut ameliore en instaurant des pauses, puis en proposant des colla- 
tions gratuites, puis en rcmplacant deux ouvrieres que le groupe deconsiderait 
(elles ne les trouvaient pas assez collaboratives), en les faisant commencer le 
travail plus tot. Le rendement s'ameliora egalement quand ils supprimerent tous 
ces avantages et qu’ils revinrent aux conditions initiales. 

La vraie hausse du rendement s'explique par la cohesion toute particuliere 
qui s'est instauree dans ce groupe : elles pouvaient nouer des liens forts parce 
qu'elles etaient un petit groupe ayant le droit de parler, parce qu’elles se sentaient 
privilegiees (avantages que les autres n'avaient pas), parce qu'elles se sentaient 
reconnues (les experimentateurs ecoutaient leurs requetes et y repondaient en 
changeant les conditions de travail selon leurs souhaits), parce qu'elles travail- 
laient done en parfaite collaboration. 

L'experience est ancienne, et pourtant dans certains emplois on interdit encore aux per- 
sonnes de parler meme quand le contexte le permet... Or la productivity serait bien meilleure 
si les personnes pouvaient nouer des liens. Done si l’entreprise place des interdits qui sont 
contre-productifs, c'est soit par ignorance (ce dont on doute) soit par volonte de puissance sur 
autrui. Il s'agit done de maintenir sous sa poigne les salaries afin de maintenir ou etendre son 
pouvoir, mais il n’est pas question de profit pour l’entreprise la-dedans. 


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Toutes les mesures interdisant, restreignant le lien social alors que l’activite pourrait le per- 
mettre sont d’excellents indicateurs pour reperer une problematique du pouvoir. 

Ces mesures peuvent prendre d’autres apparences que l’interdiction officielle : nous don- 
nions precedemment l'exemple de V open-space, qui etait regulierement reamenage, notamment 
des que les voisins avaient noue des liens amicaux solidaires. Cette solidarite cassait le systeme 
d'autosurveillance - ici, semble-t-il prioritaire - entre collegues se meconnaissant et se mefiant 
Tun de l'autre. 

Cest la strategic « diviser pour mieux regner » qui n’a strictement rien a voir avec des ques- 
tions de profit, ni meme de rapport a l’entreprise, mais uniquement une question de pouvoir qui 
percoit la menace d’une solidarite qu’il ne peut maitriser autrement que par la division. 

Le « puissant » peut operer une division en creant des rumeurs et prejuges pour proteger son 
pouvoir qui cible ceux qui sont pcrcus cornme une menace au pouvoir (personne trop coinpe- 
tente, trop intelligente, qui connait des faits genants, qui ne sont pas manipulables, personnes 
solidaires et ayant du leadership...) et a l’inverse peut flatter, lisser et accorder une promotion 
aux personnes influencablcs, facilement soumises qui seront de bons soldats. Ce « diviser pour 
mieux regner » peut etre cornmis par des individus isoles comme etre une operation d’une plus 
grande envergure. Celle-ci peut etre soit ponctuelle (a cause de changement dans l’entreprise) 
soit institutionnalise. Quand on detruit le lien social de facon repetee, ciblee, c’est du harcele- 
ment, il y a clairement un but de « suppression » . Nous en reparlerons dans une section qui y 
sera consacree. 

Beaucoup d’entreprises, sachant que le lien social est primordial pour leurs futurs benefices, 
vont faire en sorte de le favoriser, en olfrant des activites exterieures communes aux salaries, 
et pennettant dans leur espace la facilitation de la communication, du travail en groupe dans 
des univers ludiques. Ce sont des initiatives qui aident parfois le lien social, d’autres fois non. 
Comme nous l’avons vu, l’entreprise ne peut pas creer le lien social : elle ne peut qu’apporter 
les conditions favorables, comme un environnement convivial et meme cela pourrait ne pas 
marcher, car seuls les individus peuvent le creer. Par contre, elle peut le detruire en n’assu- 
rant aucune securite de l’emploi (changements perpetuels, licenciements arbitraires, benchmark 
entre employes...) et cela meme si elle a mis en place un environnement chaleureux et des tas 
d’evenements sociaux. 

Mais l’exploitation du besoin d'appartenance n’a que peu de rapport avec tout ce dont nous 
avons parle precedemment : que l’entreprise favorise ou non l’emergence du lien social entre 
les individus qui la composent est juste un facteur d’influence, pas une exploitation. Quant a la 
destruction du sentiment d’appartenance, il s’agit des premices du harcelement. 

Pour revenir sur l’experience de Mayo, sachez que ses conclusions sont utilisees, mais pas 
franchement en faveur de l’amelioration des conditions de travail, au contraire : l’entreprise va 
etre aux petits soins avec ses nouveaux employes, puis une fois qu’ils sont bien dans l’equipe, 
dans l’entreprise, qu’ils peuvent percevoir comme paradisiaque, on leur retire tout les avantages. 


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Done, ne nous faisons pas berner par un job ou les debuts sont parfait, e'est peut-etre juste un 
amorcagc pour nous faire accepter le pire ensuite. 

■ LE CHANTAGE AFFECTIF 

Au plus simple de cette exploitation, on a le chantage affectif : le lien entre les salaries et 
les chefs est la, il est entretenu, melange a l’amitie parfois tres sincere. Cependant cette amitie 
peut etre exploitee. Un chef qui a laisse une distance avec son salarie, pourra lui demander 
classiquement de faire des heures supplementaires, le salarie comprendra que ces heures seront 
comptees, et si ce n’est pas le cas, il pourra rentrer plus tot un autre jour. Un chef qui a tisse 
volontairement, a but d’exploitation, une relation amicale avec son salarie ne demandera pas de 
faires des heures supplementaires, il demandera au salarie-ami de « lui filer un coup de main 
qui le depannerait bien ». Entre amis, on ne parle pas d’argent, on s’entraide sans contrat et il 
n’est pas question de droits ou conditions a respecter. Alors le salarie-ami peut etre beme dans 
cette amitie : le chef ne payera pas ses heures supplementaires, lui demandera de prendre des 
responsabilites qui sont hors de son contrat et lui font prendre de serieux risques, il pourra lui 
demander de mentir... Il est toujours plus facile de demander a un ami de faire fi de la loi, de la 
legalite, qu’a un salarie. Quant au salarie-ami, il aura d’autant plus de mal a s’opposer, car e’est 
prendre le risque de perdre une amitie, de transformer l’ambiance au travail en enfer. 

Si le salarie-ami n’obeit pas a cette logique, que ce soit en se plaignant des heures non 
payees, en refusant de faire quelque chose qui est hors-contrat, le chef exploitant l’amitie peut 
y repondre par cette phrase type « C’est comine ca que tu me remercies, apres tout ce que j’ai 
fait pour toi ? » et l’ami devient ennemi... 

« Le loup leur a jete de la poudre aux yeux. Tout le monde s’autorise a Tad- 
mirer un peu, meme moi. Il est Tassocie principal et probablement millionnaire. 

Il est calculateur mais sort du cornmun des mortels. Il veut tout savoir, pour tout 
controler et la plupart d’ entre nous, meme les stagiaires, trouvons cela nonnal 
de travailler un jour ferie. Il nous manipule avec classe et intelligence. 

Un conseiller s’ est epris d’une des stagiaires qui, comine moi, est arrivee il 
y a peu. Leur amour est simple et veritable, sans artifice aucun. 

Pourtant, lorsqu’il s’est confie a quelques personnes du cabinet, il ne s’at- 
tendait pas a se voir contraint d’en parler au tout-puissant. Dans son bureau, 
apres Tavoir ignore pendant deux jours, celui-ci lui avoue qu’il est decu d’etre 
le seul ignorant la situation au sein du cabinet, et qu’il aurait souhaite, « en tant 
qu’ami » , etre prevenu en premier. 

Il le culpabilise, lui dit qu’ils sont amis et que ce genre de chose s’avoue 
entre amis. Il insiste sur le terme « ami » et mon referent a les yeux brillants, 
se sent important, alors qu’en realite, il faut Tassumer, il est completement ma- 
nipule. » 


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Source Rue 89 : http://rue89.nouvelobs.com/2014/05/30/suis-stagiaire- 

tombee-milieu-requins-252552 

Toutes les amities ne sont pas exploitees de la sorte, fort heureusement ; l’indicateur signale 
que cet abus affectif est facile a reperer : le salarie est perdant en temps et en argent, est mis dans 
des situations tres delicates, le chef exploiteur de cette amitie est souvent tres flatteur (meme 
pour des choses qui ne valent pas de compliment) et reconnaissant. En quelque sorte, il paye en 
« amour » le surplus de travail du salarie, mais cet amour peut vite se transformer en haine si le 
salarie ose se respecter et ne repond pas aux sollicitations abusives. 


Done... mettre au clair 

— Un ami ne se sert pas de l'autre pour ses propres interets ; si tel est le cas, ce n’est pas un 
ami. 


— L’ amitie entre subordonnes et superieurs peut exister, mais e’est un equilibre delicat qui 
impose une certaine distance au travail, une separation nette entre la liaison amicale et la liaison 
professionnelle. C’est autant difficile pour le chef que pour le subordonne, mais dans de petites 
structures sans grande equipe cela peut fonctionner si chacun respecte des distances. 

— L’amitie entre subordonne et superieur peut etre utilisee pour exploiter le subordonne, 
mais aussi le superieur : le superieur exploitant fera du chantage affectif pour faire faire au su- 
bordonne des taches non prevues, pour qu’il travaille plus, pour qu’il fenne les yeux sur certains 
problemes, etc. ; le subordonne exploiteur abusera de son amitie avec le chef pour travailler 
moins que les autres, avoir des avantages que les autres n’ont pas, etc... Ces relations sont pro- 
blematiques pour les collegues, elles creent de l’injustice, done cassent la solidarity. Les amis 
devraient faire en sorte que les avantages acquis le soient pour tous ou renoncer a les queter. 
Quand on est en dehors de cette relation, on peut s’harmoniser avec le privilegie (si possible en 
groupe) et se donner les meme droits que lui. Avec naturel, sans colere ni haine, sans la moindre 
once de ressentiment, cette imitation sera soit acceptee soit remise en cause : quoi qu’il en soit 
cela clarifiera les choses pour tout le monde, remettra tout le monde au meme niveau. 

— Se sentir flatte que le superieur joue l’amitie avec nous est un probleme. Car la flatterie 
est un etat d’esprit qui nous pousse a livrer des confidences, des informations que Ton n’a pas 
a donner et qui seront utilisees contre nous, contre nos collegues ou qui renforceront la domi- 
nation du superieur. L’ideal est de rester neutre face a ces feintes de l’amitie et de maintenir les 
memes distances. 


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■ LE laisser-faire oriente 

« J'ai fait des boulots durs, mais certains etaient nettement plus plaisants que 
d’autres. La difference, en fait, c'etaient les gens. Et la possibility de nouer des 
liens qui faisaient toute la difference. 

Dans un boulot, impossible de parler. En plus on etait que des nouveaux done 
on ne se connaissait pas et 9a changeait tout le temps. Dans l’autre, quelques 
anciens tres marrants qui mettaient une super ambiance, un poste de radio et 
pennission de parler tout le temps. Voila la difference. Tu peux faire n’importe 
quel boulot de merde, mais avoir presque envie d'y aller si l’ambiance est la, si 
tu aimes les gens avec qui tu travailles » 

Source : temoignage recueilli IRL 

Si l'entreprise est intelligente, elle laissera faire ce lien, le permettra et n'interviendra pas. 
En resultera que le salarie peut alors etre capable de faire n'importe quel travail penible ou 
mal remunere : le sentiment d’appartenance, la joie sociale primera sur le vecu du salarie. A 
long terme, il en resultera des comportements de presenteisme, par sentiment d’appartenance, 
d’amour des collegues, qui masquera les failles de 1’organisation. L'exploitation de l’apparte- 
nance est invisible, car, elle ne consiste pas, pour l’entreprise, a prendre des mesures, mais plu- 
tot a ne pas en prendre : le groupe de salaries est tant soude qu’il parera de lui meme aux failles 
de l'organisation, que ce soit le manque de moyens tant en materiel qu'en personnel. Et si le 
salarie est absent et que cela se passe mal durant son absence, il s'en voudra ou les autres lui en 
voudront, coinme on a pu le voir avec l'exemple en supermarche vu precedemment. L'entreprise 
exploitant ce sentiment n’aura qu'a souligner les manquements de certains ou l'heroisme des 
autres. En d' autres situations, elle rappellera l’importance des liens entres les salaries, utilisera 
des metaphores familiales ou amicales : elle masquera ainsi ces manquements, son pouvoir non 
utilise pour ameliorer la situation et poussera le groupe a se surpasser. 


Done... mettre au clair 

— Il ne faut pas oublier que ce sont les decideurs qui detiennent le pouvoir : ils peuvent 
pallier aux circonstances, ils peuvent faire remplacer ou ameliorer les conditions de travail. On 
devrait pouvoir etre absent sans que cela pour autant nuise au travail du groupe et ce sont les 
decideurs qui auraient du prevoir ce cas de figure. 

— A partir de ce constat, on ne devrait pas avoir de culpabilite vis-a-vis de son groupe 
quand intervient un probleme : la vraie « appartenance » (collegues, comme le reste de l’entre- 
prise) pardonne, excuse, fait en sorte de ne pas etre chavire par le moindre changement. Bien au 
contraire, il y a du soutien dans les periodes de difficultes. C'est la toute la difference entre les 
entreprises dites « familiales » qui le sont vraiment, tant par la taille que par l’humanite des rap- 


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ports ; et celles qui se dotent d'une vision familiale. La premiere comprendra les difficultes, les 
salaries comme les chefs se soutiendront mutuellement, s’excuseront, tenteront de tout mettre 
en oeuvre ensemble pour que cela se passe bien. Dans la seconde, il y a aura de la rancune vis- 
a-vis du subordonne, meme pour des problemes qui lui sont parfaitement legitimes. Les deci- 
deurs ne feront rien pour resoudre les situations et designeront celui qui a un probleme comme 
le probleme. Or le probleme est souvent le leur, car lie a l’organisation qu’ils ont mise en place. 

— Ne confondons pas l’environnement social dans lequel nous pouvons nous sentir bien et 
l’entreprise : cette confusion nous fait tout melanger et l’entreprise peut exploiter ce melange 
pour ne pas arranger des problemes organisationnels. 


@Travail/exploitation/besoins d'estime 


On aime etre reconnu, que l’autre ou soi-meme estime positivement ce que Ton fait et ce 
que Ton est. On aime que nos actions soient estimees a leur juste valeur. On aime faire des ac- 
tions qui sont estimees, appreciees par les autres. Cette question d’estime et de reconnaissance 
recouvre de nombreux domaines au travail : 

— On aime que l’energie physique et mentale mise a la realisation d’une action, d’un projet 
soit appreciee et reconnue positivement et cela en fonction de nos competences, en fonction des 
difficultes particulieres, des conditions et circonstances bees a faction ou au projet en question. 

— Meme si Ton est interchangeable en entreprise, on aime que sa valeur en tant que per- 
sonne, avec sa sociability, ses caracteristiques humaines, sa personnalite soit reconnue comme 
ayant de l’importance sur le lieu de travail. 

— On aime que son travail, son entreprise, ses actions professionnelles soient reconnus par 
la societe : tant par l’utilite au monde, que par l’image positive de l’entreprise, que par le pouvoir 
que nous confere le travail. Cependant, on peut avoir un metier essentiel au monde et ne pas etre 
du tout reconnu (les eboueurs par exemple) ; comme on peut avoir un metier inutile, plus ou 
moins nocif a la societe et etre reconnu (les bullshit jobs 61 , servant uniquement les entreprises, 
les aidant a contourner la loi par exemple. Ils donnent un bon statut, sont bien payes, mais ils 
ne servent a rien). 

Cette notion d'estime, de reconnaissance tres subjective, depend de beaucoup de para- 
metres : selon les individus, l'estime de soi sera plus ou moins elevee, demandant plus ou moins 
de reconnaissance. Chez certains, plus egocentriques que d'autres, la demande de reconnais- 
sance sera tres elevee, au point de nier le travail du groupe, de s'accaparer toutes les victoires 
faites a plusieurs ; chez d’autres, l’humilite plus realiste poussera a refuser les compliments/ 

61 http://www.lagrottedubarbu.com/2013/08/20/emplois-foin'eux-biillshit-iobs-par-david-graeber/ 


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recompenses individuelles, etant donne que le travail accompli est juge comme etant le fait du 
groupe, non de la personne en elle-meme. Or, on le verra souvent, l'egocentrisme est favorise 
en entreprise, elle est parfois meme un critere de selection. Les entreprises, comme la societe 
tout entiere, valorisent les individus dits « internes » c’est-a-dire qui attribuent les causes des 
evenements a eux-memes ou, quand ils jugent quelqu'un, le pense systematiquement respon- 
sable des actes qu'il realise sans prendre en compte la situation. C'est un biais de jugement qu'en 
psychologie on nomine explicitement « l’erreur fondamentale d’attribution ». 

Mais sans aller jusqu'a regocentrisme, nous avons soif de reconnaissance, parce que la 
reconnaissance est une validation par autrui de ce qu'on a fait, de ce qu'on est : l’autre recon- 
nait notre investissement mental et physique, il reconnait les benefices de notre etre, de notre 
presence singuliere en tant qu’individu different d’un autre, done il reconnait en quelque sorte 
notre existence positive dans le contexte, ici et maintenant. Etre reconnu, c'est d’abord exister 
dans le monde, dans le regard de l’autre, dans un certain contexte. C'est voir le reflet, l'echo de 
nos actions, le feed-back du reel en quelque sorte : je fais > je vois faction avec mes propres 
yeux, mon propre jugement > l'autre me fait comprendre qu'il a vu faction, ou que faction a 
eu un impact sur lui > je me sens exister. Mais une meme action peut etre consideree de milles 
et une maniere : pour le cuisinier faire cuire des pates n’aura rien d’exceptionnel et recevoir 
une reconnaissance enonne (remerciements appuyes, soupirs de joie a la vision de la casserole 
remplie, encouragements, etc.) pourra etre meme etre perguc comme une volonte de se moquer 
de lui. Pour le cuisinier egocentrique, imbu de lui meme, la reconnaissance appuyee sera une 
nouvelle preuve de son extraordinaire talent : meme sa cuisson banale de pates impressionne, 
c'est done qu'il est un etre exceptionnel. Un enfant qui cuit des pates pour la premiere fois aura 
besoin de cette reconnaissance, car c’est pour lui un evenement, il cherche dans les yeux des 
parents une reconnaissance de l'evenement (et pas forcement de son action). Une absence de 
reconnaissance (par exemple la personne passe devant la casserole sans reagir ni dire quoi que 
ce soit) sera consideree comme normale par le cuisinier non egocentrique, comme une insulte 
pour le cuisinier egocentrique qui verra du dedain, de la jalousie sur celui qui ignore son acti- 
vity, comme un desamour pour f enfant (« je fais une activite d’adulte pour la premiere fois et 
personne ne le remarque, c'est qu'on ne m'aime pas »). La reconnaissance est done correlee avec 
les attentes de la personne et la reaction d’autrui et elle produit des effets divers sur la personne. 

Au travail, f absence de reconnaissance peut desinvestir la personne, lui faire penser que son 
travail n’a pas d’importance ou qu’il est mediocre, elle peut transformer le salarie en fantome, lui 
retirer son existence au sein de l'entreprise. Cependant, certaines personnes preferent une ab- 
sence de reconnaissance, notamment quand la reconnaissance ne porte que sur les defaillances 
supposees par les superieurs « tu n’as pas fait ceci ou cela », « tu n’es pas assez ceci et cela ». 


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A l'inverse, la reconnaissance en entreprise permet de motiver le salarie, lui donner un 
« boost » mental, le recompenser, valider ses efforts et done provoquer une certaine serenite. 
Et cela meme quand cette reconnaissance n’est pas sincere : cela en fait un instrument de ma- 
nipulation facile a mettre en oeuvre qui permet d’orienter le salarie, de le fonnater. Cela marche 
d'autant mieux s'il y a egocentrisme chez le salarie, c'est pour cela que les entreprises cherchent 
des gens dits « internes », car ils sont maniables a souhait. S’ils ne sont que peu internes, l’en- 
treprise manipulatrice se chargera de les fonnater pour qu'ils le deviennent, qu'ils aient ainsi 
une soif aberrante de reconnaissance, soif qui les amenera a se tuer au travail pour n’en gagner 
que des miettes. 

Les ideologues du travail vantent done l’entreprise capable d’apporter ce besoin de recon- 
naissance aux individus. Nous estimons pour notre part que l’entreprise joue avec ce besoin, 
l'instrumentalise, le detourne de la realite, le fait devenir cancer mental. C'est a un point ou la 
notion meme de reconnaissance n’existe plus que sous contrat professionnel : n’est reconnu par 
la societe que le travailleur sous contrat. Toutes les autres activites humaines sont deniees : 
l’existence dans la societe ne passe que par le fait de se livrer au monde economique. La notion 
de reconnaissance a ete pervertie, elle n’est plus reconnaissance sincere de l'autre et de ce qu'il 
fait, elle n’est qu'un instrument qui a finalement tue la vraie reconnaissance et qui finalement, 
rend toute la population frustree de ne jamais pouvoir la ressentir. 

Cette question de la reconnaissance nous semble primordiale, car elle sous-tend les ques- 
tions de justice sociale et d’injustice, les questions de merite, d’egalite et d’inegalite. 


■ LES INDICATEURS DE LA RECONNAISSANCE 

— De facon generate, on se sent reconnu quand l’autre evalue positivement nos actions, nos 
facons de les mener, notre facon d’etre a faction. L'appreciation prend en compte les difficultes, 
les efforts, l’investissement, les circonstances, ce que l’on peut etre. C'est cette prise en compte 
qui est determinante, qui la distingue de la flatterie manipulatoire. C'est toute la difference 
qu'il y a dans nos exemples precedents : la reconnaissance est valide dans le cas de l’enfant qui 
cuit des pates, car c'est le fait qu'il soit enfant et qu'il n’ait jamais fait 9a jusqu’alors qui rend la 
reconnaissance tellement importante autant pour le reconnu que pour celui qui reconnait. La 
reconnaissance est invalide dans le cas du cuisinier et on peut imaginer que celui qui se fait 
ainsi flatteur pour une action ne le meritant pas a quelque chose a demander au cuisinier, ou 
attend une attitude favorable par la suite : ici, seul l'ego du cuisinier fera la distinction. S’il est 
egocentrique, qu'il en oublie la realite de ses actions, il pensera meriter cette reconnaissance, ne 
percevra pas les intentions manipulatoires du flatteur ; s'il ne l’est pas, cette flatterie soulevera 
surement une interrogation. Done notre ego nous fait confondre la flatterie de la vraie recon- 
naissance, notre ego masque la realite des faits et paradoxalement, meme si l’on « se fait avoir » 


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avec cette fausse reconnaissance, notre besoin de reconnaissance ne se comble pas pour autant, 
ce qui cree a long tenne de gros problemes. 

— En entreprise, la reconnaissance s'exprime egalement sur un versant materiel : le supe- 
rieur peut demontrer la verite de sa reconnaissance en augmentant le salaire, en versant des 
primes, en donnant des avantages (plus de repos, plus de conges, meilleures conditions de 
travail). C'est si ancre dans le langage cornmun que vouloir « etre plus reconnu » est souvent 
synonyme de meilleur salaire ; en effet, le fait pour l'entreprise, de ne jamais augmenter les sa- 
laries, ne jamais ameliorer les conditions de travail, ne jamais donner une part des benefices au 
salarie (meme quand l’entreprise fait beaucoup de profit) est tres clairement un signe d’absence 
totale de reconnaissance. 

Mais l’inverse est egalement vrai : certaines entreprises ofifent ces « preuves de reconnais- 
sance » non pas pour recompenser, reconnaitre, mais pour pousser a plus de productivity, pour 
faire accepter certains faits tres douteux, pour engager plus le salarie, pour le soumettre encore 
plus, pour qu'il plonge avec joie dans une alienation encore plus forte. Cependant, on pensera 
que la prime, l’avantage acquis sont une reconnaissance de sa qualite propre, qu'on est plus me- 
ritant que celui qui ne l’a pas eu, qu’on est plus meritant que ceux qui gagnent moins et qui n’ont 
pas eu ces preuves de reconnaissance. Encore une fois, parce que la majeure partie d’entre nous 
a un raisonnement interne (« c'est grace a moi, mes qualites, s'il m’arrive de bonnes choses »). 

— L'entreprise peut offrir, par reconnaissance, plus de pouvoir au salarie, par la promotion : 
ce serait la le signe d’une confiance, car le travail precedent et la personne qui l'exerqait sont 
apprecies, reconnus. On considere cela cornme une reconnaissance sans doute a cause de notre 
enfance : petit a petit, nos parents nous confiaient des responsabilites, ce qui nous donnait de 
la fierte, c'etait la preuve qu'on avait grandi, qu'on etait devenu capable. Or cela n’a rien a voir 
en entreprise : une promotion, excepte qu'elle apporte souvent plus d'argent, ne devrait pas etre 
consideree cornme un honneur. On est simplement a un poste different, on a un contrat diffe- 
rent qui suppose d'autres actions. Mais on a tendance a y voir un signe de superiority, parce 
qu'on designe par « superieur » le chef, parce que l’organigramme est une pyramide, parce 
qu'on confond pouvoir et personne. Or les pouvoirs ne sont pas la personne, la superiority d’une 
fonction n’est pas la superiorite d’une personne. Ce sont des possibility, des domaines d’actions 
differents. En cela, difficile d'y voir une reconnaissance : certains parleront de cadeaux em- 
poisonnes, tant certaines promotions cachent des mutations vers des postes, qui certes mieux 
retribues, sont vecus cornme un enfer. Cette perception « promotion = reconnaissance » tend 
a ne plus fonctionner chez certains salaries (aussi bien dans les petits jobs que chez les cadres 
superieurs) tant la promotion peut etre synonyme d’alienation encore plus forte. 

— L'entreprise peut montrer sa reconnaissance par des « honneurs » : c'est, par exemple, la 
pratique de l’employe du mois. Ces honneurs, ce sont tous ces evenements ou le salarie se voit 


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decerner un titre honorifique devant temoins, ou il est expose et presente comme exemplaire. 
En cela les classements typiques du benchmark (comparaison des performances) sont une nor- 
malisation de ces honneurs : c'est l'obligation de surpasser tout le monde tout le temps, et cela 
contre rien ou pas grand-chose, si ce n’est l'etiquette de « winner ». Les honneurs ne rapportent 
rien de concret, si ce n'est le boost des egos qui pousse dans l’engagement pour l’entreprise, 
done qui aliene encore plus. Ces honneurs, notamment dans le cas du benchmark , humilient et 
stressent ceux qui sont en bas de classement, les fait se sentir menacer de l’eviction ; pour eux, 
on en revient done a l’exploitation de la peur liee aux besoins physiologiques et de securite. Ces 
honneurs distinguent, done divisent, permettant d'assurer un regne bien controle du pouvoir en 
creant une classe superieure de « winner » et une classe inferieure de « looser ». 

On a ici une sorte de feodalite de l’entreprise, tres cadree par une rationalisation de l'activite 
(mais pas pour autant realiste), guidee par un dieu capitaliste dont il faut satisfaire les envies 
boulimiques de profit, et cela avec la meme foi sacrificielle qu'au moyen age (parce que les 
honneurs ne sont pas retribues, ou tres peu en comparaison des profits effectifs et qu’ils de- 
mandent un auto-sacrifice de soi-meme pour ce profit). Ces honneurs ne sont pour nous que des 
techniques de manipulation basees sur l’engagement, sur des visions du monde qui pennettent 
d'exploiter les personnes au maximum. Quant au benchmark, nous le considerons comme nui- 
sible, dangereux autant pour les salaries, les superieurs et les clients que pour l’organisation. Il 
est un rapport au monde destructeur et psychopathe. Nous y reviendrons plus tard. 


■ LA RECONNAISSANCE EXISTE-T-ELLE EN ENTREPRISE ? 

A voir les indicateurs precedents, on devine que la vraie reconnaissance ne peut provenir de 
l’entreprise : on a plus de chance de la ressentir chez celui qui beneficie du travail en question, 
c'est-a-dire le client, l'usager, le patient, l'utilisateur... C'est le client qui, apres avoir explicite- 
ment et sans se forcer, savoure son repas, prend deux minutes de son temps, spontanement, pour 
remercier avec grande chaleur les cuisiniers, et cela meme s'il est totalement introverti, qu'il 
n’a rien en retour et qu’imaginons, il est en plus presse par le temps. C'est l'usager, arrive rouge 
de colere, les mains tremblantes de stress et l’insulte au bord des levres qui, apres le travail de 
l'agent eprouve un soulagement visible et part avec « merci » qui n’a rien de fonnel ; la est la 
vraie appreciation du travail parce que le client, l'usager, celui qui beneficie du travail sent toute 
la valeur du travail, en ressent ses bienfaits et le fait percevoir. Meme sans remerciement expli- 
cite, il suffit de voir le client face au travail pour se sentir reconnu dans la tache effectuee pour 
lui : neurologiquement, notre cerveau mime celui de l’autre, done lorsqu'on se sait responsable 
du bien-etre de l'autre, de sa satisfaction, le plaisir est decuple. 

Or bon nombre d’emplois ne pennettent pas de voir les efifets de notre travail, parce que le 
travail est decompose en sous-taches (personne ne s'extasie devant le boulon bien visse d’un 


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appareil, mais plutot devant l'utilite de tout l'appareil), parce que Ton ne peut voir ni le client ni 
le moment de sa satisfaction effective, parce que le travail etant l’oeuvre d’une multitude de per- 
sonnes, tous ne peuvent assister au contentement du client (ce n’est que le vendeur de voitures 
qui verra la satisfaction, pas les ouvriers qui les ont assemblies), parce que la tache est en lien 
avec une forme de repression done que le beneficiaire n’est pas identifiable (les inspecteurs, la 
police, la justice...), parce qu’il est impossible de faire son travail correctement (on pense aux 
agents administrates empeches par fadministration d’etre efficaces, on pense a Pole emploi qui 
ne peut donner d’emplois, etc.), parce que l’organisation du travail impose une relation conflic- 
tuelle avec le client (certains agents bancaires sont surnommes les « commandos » et forcent 
l’adoption de credits, d’assurances), parce que le travail est nocif, nuisible pour les clients (tele- 
vendeurs, demarcheurs, vendeurs), etc. 

On en ressort generalement frustre de reconnaissance, avec le sentiment que son travail est 
inutile, nuisible, qu’on se fatigue pour rien. Ou encore on developpe une animosite envers le 
client, ce qui rend le travail d’autant plus penible. Done on recherche la reconnaissance dans 
l’entreprise, car nous avons besoin d’un miroir humain afin d’etre assures que nos actions, notre 
attitude soient utiles, correctes, sensees, voire bonnes. 

La reconnaissance de son « etre » et de son « faire » peut se faire par les pairs, les collegues 
de travail, les personnes qui partagent avec nous la vie au travail : si l’autre aime travailler avec 
nous, e’est qu’il reconnait notre « etre » et notre « faire ». Generalement les deux vont de pair, 
car des salaries peuvent difificilement s’apprecier si fun ne considere pas le travail de l’autre 
comme bon, cependant il peut y avoir des exceptions, l’« etre » prenant generalement le dessus 
sur la qualite du travail. 

Cette reconnaissance des pairs, nous en avons deja parle : e’est le sentiment d’appartenance 
qui est la preuve, s’exprimant par de bons moments sociaux souhaites par tous. On est apprecie 
tel que Ton est et souvent on apprecie en retour les autres tels qu’ils sont, l’etre et le faire sont 
admires des deux points de vue et la vie au travail n’en est que meilleure. Mais la aussi, ce sen- 
timent d’appartenance base sur une double reconnaissance de l’autre peut etre difficile d’acces : 
on peut travailler seul, on peut etre mis en concurrence fun l’autre ( benchmark ), il peut y avoir 
des enjeux de pouvoir s’interposant dans les echanges (les envies de promotion, les dififerents 
statuts, diverses injustices, des connaissances differentes donnant des pouvoirs dififerents...) et 
ces enjeux faussent toute notion d’egalite entre les individus, rendant impossible la reconnais- 
sance de l’autre. Quand la volonte de pouvoir est prioritaire, l’autre n’est qu’un objet dont on use 
ou qu’on jette pour s’assurer une meilleure place. 

Attention, nous ne demons pas la reconnaissance materielle faite par l’entreprise (primes, 
hausse du salaire...), bien au contraire : une reconnaissance sincere peut exister lors de l’attri- 
bution d’une prime. Cest le manager qui a reellement constate, apprecie le travail, vu que les 


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beneficiaires etaient satisfaits, vu que les collegues de travail appreciaient egalement le prime 
et donne done avec plaisir la prime, sans arriere-pensee strategique autre que la seule recom- 
pense bien meritee. Ce que nous demons, e'est que ces marques de reconnaissance ne soient pas 
utilisees pour appuyer la sincerity d'une reconnaissance, mais pour obtenir des comportements 
sur les individus, e’est-a-dire de les manipuler. Cela brouille les pistes de la reconnaissance (la 
personne se mefie si on la recompense), cela bafoue le principe de realite (le salarie apprend 
rapidement que travailler mieux n’est pas la bonne strategic pour avoir des primes), cela encou- 
rage a etre soi-meme un manipulateur plutot que de travailler mieux, cela cree des injustices 
et done du ressentiment (l’employe s'insurgera qu'un autre travaillant mo ins bien soit felicite). 

La reconnaissance materielle a aussi des racines liees a l’argent : un secteur d'activite qui 
fait beaucoup d’argent retribuera bien mieux ces salaries, les reconnaitra bien mieux ; or ce 
n'est pas la ou l'argent coule a flot que ce sont les metiers les plus utiles au monde (lie a l’edu- 
cation, la sante, le social, la nourriture saine), ce qui generera un fort sentiment d’injustice, de 
non-reconnaissance ; les statuts superieurs seront egalement injustement plus reconnus que 
les subordonnes, avec de meilleures primes (voire aucune prime pour les subordonnes), alors 
qu'ils n’ont qu'un role bien eloigne de l’activite, que leur poste pourrait etre supprime sans que 
l’activite n’en patisse : le salarie se sent done non reconnu et percoit la une profonde injustice. 


Done... Cherchons la reconnaissance ou elle se trouve 

Reclamer plus de reconnaissance de la part de l’entreprise est risque : on risque d’encoura- 
ger l’employeur a fonder son management sur des strategies de manipulation (strategies qu'on 
decrira plus tard) ; Soyons clair dans nos requetes : mieux vaut demander une hausse de salaire 
en fonction de la penibilite/des diplomes/du travail, plutot que d’employer le tenne « reconnais- 
sance ». 

On demande souvent plus de reconnaissance, parce que les regards des superieurs sont me- 
prisants : leur demander reconnaissance n'y changera rien, tout comine l’injonction « soit gen- 
til » ne fonctionne pas. Pour changer une attitude, il faut changer le systeme, l’environnement, 
l'organisation qui incite a cette attitude : forganigramme doit par exemple devenir plus plat, 
plus horizontal, avec des pouvoirs partages collaborant plutot que des liens de subordination. 
On peut ainsi eviter l’emergence des attitudes de mepris et faciliter la reconnaissance via la 
collaboration instauree. 

Cependant la vraie reconnaissance, on la trouve dans l’observation, la communication avec 
ses clients, ses patients, ses usagers ; e’est lorsque Ton voit les effets positifs de son travail 
a l’oeuvre dans l’environnement. Ne restons pas la tete dans le guidon ou ne laissons pas les 
mauvaises experiences prendre le devant de la scene (notre fameuse tendance a voir le defaut, 


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le probleme, l’insatisfait et occulter tout le reste, pourtant bon), prenons le temps d’observer 
les consequences positives de nos actions et n’attendons pas que ce soit quelqu'un d’autre qui 
vienne nous le signaler. Mais il est vrai que bon nombre d’emploi ne pennettent pas ce feed- 
back rassurant, en ce cas il faudra le trouver pour d’autres activites, pour d'autres missions que 
Ton s'est donnees. 

■ LES INDICATEURS DUNE ABSENCE DE RECONNAIS- 
SANCE 

Ces indicateurs sont generalement bien connus des salaries ayant « roule leur bosse », ce- 
pendant il semble essentiel de les rappeler. En effet, beaucoup de superieurs semblent mecon- 
naitre cette notion de reconnaissance, au point que les livres, articles de management se doivent 
d'expliquer ces tenants et aboutissants, doivent « vendre » rationnellement cette notion comine 
s'il s'agissait d’une innovation managerial . 

Mais ces livres oublient generalement de preciser ce qui exacerbe le sentiment de non-re- 
connaissance qu’il est primordial d’eliminer avant d’envisager toute reconnaissance ; ce sont 
egalement des indicateurs d’un manque de confiance, d’une mefiance du subordonne et de ce 
qu'il pourrait faire : 

La surveillance 

On surveille les enfants parce qu'ils ne sont pas autonomes, parce qu’ils peuvent se mettre 
en danger. On surveille les prisonniers parce qu'ils ont ete dangereux un jour et qu’ils peuvent 
l’etre encore. On surveille les malades a l'hopital parce qu'ils sont en mauvaise sante et qu’ils 
ont besoin d’attention. Ce sont des exemples de surveillance legitime, parce qu’on protege ainsi 
la personne. Surveiller ses salaries, c'est les mettre dans une position d’enfants non autonomes, 
de potentiels delinquants ou en position de faiblesse. C'est supposer qu’ils vont mal travailler, 
n’en faire qu'a leur tete, c'est les considerer comine des ennemis de l'organisation. Un salarie 
ne se sentira jamais reconnu s'il est surveille, il ne s'engagera pas dans l’entreprise sachant qu’il 
n'y est pas considere comine un adulte de bonne foi. Surveiller, c'est inciter le salarie a mettre 
la priorite sur sa representation, non sur son travail. Surveiller, c'est inciter le salarie a se corn- 
porter comine un enfant, un delinquant ou un flemmard quand la surveillance s'estompe. La 
surveillance ne sert strictement a rien, car on l'a vu et revu, on est naturellement soumis done 
surveiller ne donne pas de meilleurs resultats. 

La surveillance peut prendre des formes plus ou moins franches : 

— Par les cameras (souvent sous pretexte de proteger le salarie) ou les webcams sur les 
postes infonnatiques. 


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— Par les organisations en open-space. 

— Par des traceurs sur les vehicules utilises par les employes. 

— Par tout appareil de mesure numerique : les donnees collectees permettent des conclu- 
sions sur le travail d’une personne (heure de travail, temps pour l’accomplir...). Evidemment, les 
ordinateurs, les telephones sont encore plus precis et enregistrent tout. 

— Par des keyloggers sur les ordinateurs ; ce qui est d'ailleurs parfaitement illegal. 

— Par des boitiers directement attaches aux salaries : ces boitiers etaient utilises par les 
vigiles pour leur security, il geolocalise la personne et declenche une alanne si la personne est 
allongee, done en mauvaise posture. Or ces boitiers sont parfois utilises pour des employes 
lambda afin de suivre leurs mouvements et de traquer leurs moments d’inactivite : le boitier 
sonne si l’employe ne bouge pas. L’ employe n’est done plus libre de ces mouvements. Une 
des entreprises {My chef) qui utilisait ces boitiers a heureusement ete contrainte d’arreter cette 
pratique . 62 

— Par des infiltres : des employes apparemment lambda travaillent avec les autres, excep- 
te qu'en realite ils viennent d'une society exterieure et ils sont charges de collecter toutes les 
donnees possibles sur l’ambiance au travail, les personnes, leur attitude, etc. Ces infiltres vont 
jusqu’a tenter de pousser a la faute et proposant de faire des vols dans l’entreprise. Conforama, 
Systeme U, Auchan, Chronopost, H&M, Decathlon, Fnac, La Redoute, Leroy Merlin, Leclerc, 
Champion auraient fait appel a des services d’infiltres . 63 

Persister a surveiller ses salaries revele plusieurs choses chez la direction : 

— Probleme lie a l’activite et son organisation : l’activite est penible, ininteressante, repous- 
sante, les conditions de travail sont catastrophiques et le salarie est en plus mal paye ou est tres 
peu considere. La gestion humaine de l’activite etant inadaptee (mais possiblement rentable), 
elle provoque un fort mecontentement, de la colere, done la direction empeche les rebellions 
par la surveillance. En ce cas, toute l’organisation et la gestion de l’activite sont a revoir. Mais 
de peur de perdre leur pouvoir et leurs profits, les superieurs n’en prennent pas le risque. 

— Probleme lie a la question du pouvoir : la direction se sent menacee dans son pouvoir, 
veut le maintenir, veut le prouver en ayant la main-mise sur les subordonnes ; cela peut trahir 
une peur du salarie, une peur de l’absence de visibility sur l'activite. 

— Absence d’autonomie : fortement correlee a la surveillance, l’absence d’autonomie se 
caracterise par une impossibility pour le salarie de decider, de regir ses actions : il ne peut pas 
initier les mouvements qu’il veut, il ne peut pas dire ce qu’il veut aux clients, il lui est interdit 

62 emission Capital du 02/06/13 


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de prendre des initiatives, il lui est interdit d’experimenter des nouveaux processus, il est sou- 
mis a quantite de processus qu'il ne peut pas adapter a lui-meme, il est soumis a quantite de 
regies, nonnes parfois arbitraires, il ne peut rien apporter d’ autre que son obeissance aveugle. 
L'employe est done considere coniine un robot et puni s'il ne Test pas. L'intelligence, le sou- 
ci du travail bien fait, l’adaptabilite, la debrouillardise, l’astuce, la sociability sont denies et 
reprimandes. S’il est considere comrne un robot et puni s'il fait preuve de qualites humaines, 
comment l’employe pourrait-il se sentir reconnu ? Laisser les personnes faire preuve d’auto- 
nomie, c'est reconnaitre leurs qualites pour travailler a un poste. Dans les environnements ou 
l’employe est robotise, souvent on percoit des differences d’autonomie chez les subordonnes : 
un manager laissera plus d'autonomie a certains et moins a d'autres, parfois pour des raisons 
legitimes d’experience du subordonne, d’autres fois pour des raisons amicales ou encore pour 
maintenir son pouvoir (en privant d’autonomie les subordonnes qu'il percoit comme une me- 
nace). Le probleme n’est pas l'experience qui differencie, le probleme n'est pas le manager, le 
probleme est organisationnel : tout le monde devrait pouvoir travailler de maniere autonome, 
les salaries etant adultes. 

Les salaries autonomes sentent quand on a confiance en eux done se sentent plus investis 
dans leur travail et sont plus productifs, ils sont plus soucieux de la qualite du travail. Le travail 
devient leur travail. 

Mieux encore, ils n’ont pas besoin de chefs, ils n’ont pas besoin d’etre surveilles, ce qui 
represente une sacree source d’economie. 

Persister a priver d’autonomie les salaries trahit exactement les memes problemes que pre- 
cedemment : un souci de pouvoir ou un probleme d’organisation a repenser. 

— La non-prise en compte du vecu du salarie : par vecu nous entendons tout ce que tra- 
verse le salarie au travail, c'est-a-dire l’organisation qu’il subit, ses conditions de travail, les 
circonstances particulieres qu’il subit. Cette non-prise en compte s'exprime par les reproches 
adresses au salarie, remettant en doute ses competences, sa motivation, son « etre » comme 
son « faire ». 

Ces reproches attribuent au salarie toutes les fautes qui sont pourtant dues a des circons- 
tances exterieures. C’est par exemple reprocher a un vendeur de ne pas sourire assez a un client 
alors qu'il a travaille 7 heures durant, pendant une periode d'affluence continue, alors qu'il etait 
seul a gerer un rayon au lieu de trois employes. C'est reprocher un manque de productivity a 
un ouvrier alors qu'il a cumule plus de 40 heures de travail, que la machine dont il demande 
le remplacement depuis des mois est sans cesse en panne. C'est reprocher a un salarie son 
chiffre d'affaires a un poste alors qu'il n’a jamais eu l’occasion de prendre de l’experience a 
ce poste parce qu'on l’a toujours mis ailleurs. C'est reprocher a un vendeur son peu de ventes 


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compare aux autres alors qu'il a le rayon le moins plebiscite du magasin, etc... Toutes ces si- 
tuations denient la realite, les circonstances exterieures au salarie et accusent le salarie d’etre 
l’unique responsable. Elies se basent sur des indicateurs faillibles (chiffres, statistiques, obser- 
vation enlevee de son contexte...). Non seulement le jugement est errone, mais il ne sert a rien. 
Le reproche enervera le salarie et cela ne changera rien au probleme qui se repetera meme si le 
salarie se « defonce ». 

A l’inverse, dans le meme aveuglement, les salaries qui paraissent bien au bon moment, qui 
savent se representer a l’instant ou le directeur passe, mais sans pour autant etre impliques le 
reste du temps seront felicites, promus. Les manipulateurs ont done plus de chance d’obtenir 
une reconnaissance qu'ils ne devraient pas avoir. Les salaries y voient a juste titre une injustice 
et en concluent done que travailler ne paye pas, qu’il faut faire semblant de travailler au bon 
moment pour etre reconnu. Ce qui est un enonne paradoxe. 

Cette non-prise en compte du vecu du salarie trahit plusieurs points : 

— Une problematique du pouvoir : le superieur croit pouvoir apprecier, juger un travail 
en fonction des elements qu'il a a sa disposition, e'est-a-dire quelques rares observations du 
travail totalement faussees parce que les salaries ne se comportent pas de la meme facon quand 
le superieur est la, e'est-a-dire qu'ils font semblant ou sont bien plus stresses ; ou il se base sur 
les chiffres, qui sont aussi faux : ils ne represented pas la realite, ne disent rien des dififerents 
contextes traverses. C’est une problematique du pouvoir, parce que si l’alienation culturelle est 
en principe bien connue des superieurs, certains pensent au contraire que leur jugement est bon, 
justifie, parce qu'ils sont superieurs. 

On a la une sorte de fantasme d’omniscience et d’omnipotence qui trahit d'une confusion 
entre leur fonction superieure et leur etre : je suis superieur, je vois tout, je peux tout penser, 
tout juger. Or la fonction de superieur a ses limites intrinseques, comine les autres fonctions : 
cette limite, c’est faeces a la realite et ils ne peuvent que « faire avec ». En cela, leur jugement 
ne peut etre correct. 

Cette confusion egocentrique entre fonction et « etre superieur » a aussi d’autres conse- 
quences : les superieurs hierarchiques peuvent se sentir seuls maitres a bord et oublier que beau- 
coup ont tout interet a les manipuler, que ce soit par soif de pouvoir, par profit personnel ou pour 
avoir la paix. Cependant, ces acteurs savent jouer le role que souhaite le superieur egocentrique, 
ce qui aura pour consequence de les primer, les recompenser. En fait, le superieur egocentrique 
promeut ainsi ses meilleurs ennemis, ce qui est un comble, en plus de defavoriser et deprimer 
les salaries non-manipulateurs. 

Mais pour les superieurs moins imbus de leur personne, on peut trouver une explication 
que nous avons tous tendance a partager : l’erreur fondamentale d’attribution. Nous avons tous 


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tendance, quand nous jugeons autrui, de trouver les raisons de son comportement en lui. Si Ton 
apercoit quelqu'un qui pleure, on se dira qu'il est peut-etre deprime (explication interne a la 
personne) ; or, il vient peut-etre de subir un evenement tres douloureux (explication exteme a 
la personne). Si quelqu'un est promu, on se dira qu'il doit avoir certainement les qualites pour 
ce nouveau poste (raison interne) ; or, c'est peut-etre parce qu'apres plusieurs departs, c'etait 
le seul salarie qui avait suffisamment de connaissances pour etre promu (raison externe). On 
cherche toujours dans la personne les raisons des evenements, des comportements, or c'est bien 
souvent une erreur, car ce sont les situations, les contextes qui poussent souvent a avoir tel ou 
tel comportement. Ne pas prendre en compte la situation exterieure a la personne est une erreur 
assez systematique dans nos cultures, c'est meme un biais valorise... Done cette non-prise en 
compte du vecu peut etre due a cette erreur fondamentale d'attribution. 

Le mepris 

Le mepris se repere des que l'un considere l’autre comine inferieur, done qu'il peut se per- 
mettre d’opter sans vergogne pour des attitudes meprisantes a son egard : 

— II le tutoiera alors que lui le vouvoie. 

— II ne l'appellera pas par son nom, mais par sa fonction, voire un surnom pejoratif. 

— II n'usera pas de politesse avec lui : par de bonjour, merci, s'il te plait, etc... Mais il s'of- 
fusquera si l'interlocuteur en fait de meme. 

— Il ignorera la presence de l’interlocuteur. 

— Il ne fera pas l’effort d'etre clair dans ses propos. 

— Il ne fera pas l’effort d’ecouter l'autre. 

— Il ira meme parfois jusqu'a refuser de voir l'autre de par l’inferiorite qu'il lui attribue : 

[Thierry, ouvrier a la chaine] « le PDG est la de temps en temps, mais on 
n’a pas le droit de le voir parce qu'il nous aime pas, parce qu'on est pas de son 
monde, on est dans l'atelier, done on est pas des gens qualifies. Ah oui, il nous 
l'a dit, les gens des bureaux, il faut pas qu'ils se melent avec nous parce qu'on 
est pas du meme monde. Le patron c'est un pourri. C'est la direction qui veut ca 
[...]» 63 

— Il parlera a l’autre coniine un petit enfant. 

— Il se moquera sans gene, sera insultant. 


63 « injustices, l'experience des inegalites au travail®, Francois Dubet. 


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Ce mepris fait baisser l’estime de soi du salarie et le renvoie a ce biais subordonne = etre 
inferieur, biais completement faux. Nous ne sommes pas notre fonction. Cette humiliation est 
unproductive parce qu'evidemment, les salaries s'en vengeront d'une maniere ou d’une autre. 
Mais quand le mepris est la, on peut considerer que le dirigeant qui en fait preuve est malade 
de son pouvoir. II pense que ses fonctions superieures font de lui un etre superieur, il est dans 
la meme illusion que le roi sur son trone, il oublie totalement l’entreprise pour n’etre preoccupe 
que par son pouvoir. 

Dans ce cas de figure, seuls les manipulateurs s'en sortiront. En effet, un tel « egotrip » 
laisse le champ libre aux manipulateurs : le « roi » se sentant si superieur, il ne peut imaginer 
que son pouvoir peut lui etre repris, done il ne verra pas les menaces venir. Il ne verra pas non 
plus les vrais problemes de son entreprise, done une telle attitude dirige vers la faillite si aucun 
contre pouvoir ne s'interpose. 

Dans une entreprise ou le mepris est le mode de communication, il ne faut pas esperer la 
moindre reconnaissance sincere. 


Done... V emergence du besoin de reconnaissance estsynonyme 
de la necessite de changer d 'organisation 

Ces indicateurs d’absence de reconnaissance sont des indicateurs de la volonte d’une rela- 
tion soumission/domination et trahissent les problematiques du pouvoir. En cela on peut tenter 
d'y remedier de la meme maniere qu’aborde dans nos sections sur la soumission : 

— En se sentant bien, ni inferieur, ni superieur (vu egalement dans les pages precedentes) : 
ce sera la meilleure parade au mepris. Mepriser le meprisant lui fait confirmer ses hypotheses, 
done legitime son mepris, e'est done un comportement a proscrire car inefficace. En se sentant 
bien, on peut alors mettre en oeuvre des strategies de clarte, en decrivant ce qui se passe : « vous 
ne me dites pas bonjour, dois-je en cone lure quelque chose ? » On tutoiera celui qui nous tutoie, 
on demandera des feed-back « je viens d'exprimer telle idee, que dites-vous de cette idee? » ; 
meme pour les insultes la neutralite claire est plus efficace : « vous venez de dire que j’etais un 
incapable, quel fait precis vous amene a cette conclusion ? ». Si on vous parle coniine a un en- 
fant, repondez en adulte. Cela doit se faire avec le plus de calme, le plus de neutralite possible, 
du respect, pas de colere ni de ressentiment. Evidemment, e'est un exercice excessivement diffi- 
cile qui demande un grand self-control : pour se faciliter le travail, repondez par des phrases les 
plus courtes possible, faites en sorte d’avoir des soutiens autour de vous (des gens de confiance) 
ou un miroir ou une fenetre qui capte bien les reflets derriere vous (une personne qui se voit 
sera moins agressive) 


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— En etant autonome malgre tout. 

— En mettant la clarte au gout du jour. 

— En renon^ant au pouvoir pour le pouvoir. 

— Avec des strategies d’ experimentations discretes. 

— En mettant la solidarity au gout du jour, et pas seulement une solidarity communauta- 
riste/de clan (c'est-a-dire une solidarity ou le chef peut defendre un subordonne, comme le su- 
bordonne peut defendre un chef ; des personnes de services differents peuvent s'entraider selon 
les situations, meme si ce n'est pas prevu, etc...) 

— En faisant campagne. 


■ Exploiter le besoin de reconnaissance par la 

MANIPULATION. 

On a vu precedemment bon nombre de cas de figure ou l’entreprise raye par son attitude 
toute possibility de reconnaissance. C'est une erreur de taille pour l’entreprise, souvent guidee 
par des questions de pouvoir personnel et d’interpretations completement erronees de la realite. 
C'est une erreur magistrale, car la reconnaissance ne coute rien et peut rapporter des millions. 
On n’exagere rien quand on parle de millions. Nous verrons que, par le biais de quelques mani- 
pulations tres simples et peu couteuses s'appuyant sur le besoin de reconnaissance, l'entreprise 
peut exploiter le salarie pour le faire rapporter des millions. Et cela sans meme offrir une prime, 
une promotion et que tout le monde soit apparemment satisfait.... 

« Loin d’etre un outil bisounours, la reconnaissance au travail est un nouveau 
paradigme managerial et constitue de facto un puissant levier pour rebooster le 
moral en beme des equipes profondement demotivees ». Christophe Laval in- 
siste et precise meme que « nous sommes tres loin de la psychologie et en plein 
cceur de preoccupations du business ». 64 

Cet extrait est explicite : le terme « levier » est souvent utilise pour les questions de mani- 
pulations, ce sont en quelque sorte les « points faibles » sur lesquels on peut s’appuyer pour 
declencher des comportements, des attitudes. La franchise de preciser « nous sommes loin de la 
psychologie » en dit long sur la facon dont peut etre instrumentalisee la reconnaissance... 


64 http://lecei'cle.lesechos.fi'/cercle/livres/ci'itiqiies/221172897/i'econnaissance-travail-cle-decisive-sortir-crises -econo- 

mique-et-so 


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■ FEINDRE la reconnaissance 

Exploiter le besoin de reconnaissance est tres simple : il s'agit de feindre continuellement la 
reconnaissance. On « booste » le salarie par des felicitations explicites, on admire ses prouesses, 
on applaudit ses efforts, on encense la productivity des qu'elle augmente. Certaines entreprises 
en font meme leur moteur : on pense par exemple a certains centres d’appel ou le manager, 
extremement present viens congratuler la moindre formulation de phrases positive, ou on ap- 
plaudit chaque vente. Le ton est enjoue perpetuellement, les petites remontrances et leurs cor- 
rections par les salaries provoquent chez le manager un enthousiasme digne d’un parent voyant 
son enfant empiler un cube pour la premiere fois. La reconnaissance verbale est permanente : si 
le manager change d’attitude, c'est la catastrophe, car les employes sont dresses a ne juger leur 
travail que par la gratitude expressive du chef. Selon le niveau de reconnaissance, ce channant 
tableau peut virer au ridicule : les applaudissements, le niveau d’enthousiasme pour des actes 
mineurs rend tous signes de reconnaissance caducs, voire fatiguants, d’autant plus si la realite du 
travail n’a rien d’exceptionnel, qu’elle est penible et que les salaries sont parfaitement conscients 
qu’ils sont obliges de faire ce qu’ils font, que cette soumission n’a rien de quelque chose qui peut 
etre applaudit. Mais oui en effet, le travail de televendeur doit etre applaudi par les superieurs, 
parce qu’il ne sert finalement qu’eux, le metier etant dur, les clients etant soit genes ou en colere 
soit pris au piege : le besoin de reconnaissance sera partiellement cache par l’enthousiasme du 
manager. Mais la realite sait se rappeler a l’ordre. Le metier n’est pas reconnu par la societe a 
juste titre, il n’est pas reconnu par ses beneficiaires a juste titre, il n’est pas souhaitable pour le 
salarie, il ne sert qu’au profit chez certains. 

Mais la feinte de la reconnaissance peut etre plus subtile, utilisee avec parcimonie et stra- 
tegiquement. Elle peut etre utilisee avec un etiquetage, des pieds dans la porte, des leurres, des 
transferts symboliques... 

On peut egalement considerer la reconnaissance verbale comine un amorcage : le superieur 
reconnait un travail donne, la personne se sent flattee, cet etat de flatterie endort son esprit 
critique et le superieur peut alors faire passer des ordres sans qu’ils ne paraissent des ordres, 
faire passer en douceur des critiques virulentes, orienter la personne vers une attitude qu’il veut 
qu’elle ait, qu'elle integre comme une qualite propre a elle-meme, etc... 

C'est cette seconde etape qui differe d’une reconnaissance sincere : la reconnaissance sin- 
cere n’attend rien en retour, n'utilise pas l’etat du flatte pour l’orienter. Elle rend compte de ce 
qu’il s’est passe de positif parce qu'elle apprecie les actions de la personne et c'est tout. En cela, 
meme pour le superieur qui est sincere, il peut etre tres dur de montrer la sincerity de sa recon- 
naissance, car le superieur a toujours quelque chose a demander au salarie a un moment ou a un 
autre. Et c’est en cela qu'on reconnait cette reconnaissance sincere : elle demande un effort de 
formulation de la part de celui qui l'exprime, elle signe la fin d’une action et pas le debut espere 
d’une autre et surtout, elle repond a une certaine realite. 


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Notons que la reconnaissance verbale sert egalement a remplacer la reconnaissance mate- 
rielle : distribuee avec parcimonie, subtilite et intelligence emotionnelle, elle permettra « d’en- 
donnir » le salarie sur ses lauriers et lui faire oublier sa non-augmentation, ses non-primes, son 
SMIC, ses mauvaises conditions de travail... 


Done... Etre realiste 

La seule fag on de ne pas se laisser entrainer dans un systeme de management qui feint la 
reconnaissance est d'etre realiste : il s'agit de voir en face le travail qu'on accomplit, ses conse- 
quences sur le monde, sur la societe, son utilite, ses benefices ; il faut egalement prendre en 
consideration le contrat : si on est felicite a tout va, est-ce que ce contentement est exprime dans 
le salaire ? 

Le travail n'est pas et n’a pas a etre un boosteur d’estime de soi : e'est un contrat, travail 
contre salaire, nous n’avons pas a etre payes en compliments. S'il y a une vraie satisfaction de 
l’employeur, elle doit s'exprimer concretement, parce qu'un travail exceptionnel rapporte plus 
d'argent a l’entreprise, done elle peut se permettre de le recompenser materiellement. Cepen- 
dant, n’allons pas non plus nous demener pour esperer une reconnaissance materielle, il faut 
savoir respecter une certaine reciprocite, pour soi et les autres. L'idee est ici de ne pas prendre 
les compliments, l’estime, en tant que remuneration. 

■ LA RECONNAISSANCE MATERIELLE 

On est generalement content d’avoir une prime, une hausse de salaire, un bonus quelconque. 
On en est fier, on estime l’avoir amplement merite et si ce n'est pas le superieur qui donne les 
raisons a l’obtention de la prime, on en trouvera des tas. 

Cette reconnaissance pecuniaire nous fera nous sentir reconnus, nous motivera. On ne se 
dira jamais qu’elle est due au hasard, qu'on ne la merite pas, que la direction a un mauvais juge- 
ment ou que l’on a obtenue par chance. Non, si l’on a eu une prime ou autre bonus individuel, 
e'est qu’on le merite. 

Or, on sera loin de la verite : ce type de consideration « j’ai eu une prime, car je suis compe- 
tent/bon travailleur/,etc. » est ce qu'on appelle une erreur fondamentale d’ attribution. Cette er- 
reur e'est d'expliquer ce qui nous arrive par nos facteurs internes. Prenons un exemple extreme 
de cette erreur d’ attribution : « Il fait beau aujourd’hui, e'est parce que je suis un etre bon qui 
merite du soleil ». Cette erreur, e'est de faire appel uniquement a nos facteurs internes, e’est- 
a-dire nos qualites, notre personne, pour expliquer un fait, alors que des dizaines de facteurs 
externes influent sur la situation, parfois plus que nous meme. 


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Rappelez vous « on est ce que l'autre dit que Ton est », et c'est exactement ce que va faire 
la prime : elle va dire qui l’on est, et parce qu'on a tendance a faire cette erreur fondamentale 
d'attribution, on va prendre au pied de la lettre son message, sans penser a inspecter les facteurs 
externes qui ont mene les decideurs a nous attribuer cette prime. Done, si on reflechit bien, il 
est evident pour des dirigeants qu'il ne faut pas octroyer de prime a ceux qui sont bons, mais a 
ceux qui ne le sont pas encore afin qu’ils le deviennent.... 


« Les strategies pour les primes etaient vraiment grossieres [dans un fast- 
food connu]. En fait, tous les nouveaux avaient leurs primes, pourtant les evaf 
etaient forcement mediocres, puisse qu’il etait impossible d’etre « bon » au bout 
de quelques mois : aucun nouveau ne pouvait faire les memes chiffres que les 
anciens, ou alors ils se gouraient avec les milliers de normes, et ils ne connais- 
saient pas tous les postes... Cetait absolument normal, d’ailleurs, nous on leur 
en voulait pas, enfin pas tous. Done la prime, meme si personne ne leur disait 
9a, c’etait pour les motiver pour les pousser a devenir comme les anciens. Mais 
les anciens n’ avaient pas leurs primes... Pourtant les anciens faisaient parfois 
des boulots de superieurs, de formateurs ; ils faisaient des chiffres de tares, arri- 
vaient a etre performant meme en condition extreme (quand y avait plein d’ab- 
sents, des ruptures de stock, des trues en pannes...) et non, ils n’avaient rien. Des 
que je suis devenue performante, j’ai moi aussi cesse d’avoir des primes. Je me 
rappelle ne pas avoir eu de primes pendant plusieurs fois parce qu’une fois, le 
grand directeur avait aper?u une tache sur ma chemise... On bosse en restaura- 
tion ! Rapide ! Tout le monde se tachait, il aurait fallu ne pas bien travailler, etre 
improductif pour rester propre. Meme les managers etaient genes de me dire que 
j’avais pas ma prime pour 9a, tellement c’etait une raison ridicule. Enfin ce qui 
etait bien, c’est qu’une grande partie des equipiers n’ etaient pas dupes, les strate- 
gies etaient trop grossieres, done pas de jalousie entre nous, on savait que c’etait 
pas une question de perfonnance ou de quoi que ce soit d’autre. 

Puis il s’est passe quelque chose de bizarre vers la fin. J’ai eu mes deux primes 
d’afifilee, les maximales en plus. Cetait louche. La premiere interpretation qu’on 
pourrait faire c’etait que c’etait un manager ami qui m’avait fait 1 ’evaluation. On 
s’entendait a merveille, on bossait super bien ensemble, on se faisait confiance. 
Du coup on pourrait penser qu’il avait honnetement attribue cette prime, surtout 
que 9a ne faisait pas longtemps qu’il avait ete promu manager, done on aurait 
pu imaginer qu’il avait fait les choses bien, sincerement, sans strategic derriere. 
Mais c’etait pas 9a. Il etait evident qu’il n’etait pas le seul decisionnaire, car le 
grand directeur pouvait decider de me sucrer des primes pour une tache pendant 


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des mois. Vu la fa^on dont le manager m'a parle, m’a fait 1'evaluation, je pense 
qu'il croyait que c'etait sa decision, ma prime. On avait laisse croire que c'etait 
sa decision, mais ma prime etait strategique pour ceux d’en haut. Pourquoi ? 

Parce que j’etais en couple avec un autre equipier qui etait syndicalist, qui avait 
un fort leadership. Une vraie menace pour le pouvoir d’en haut. Lui n’ avait pas 
de prime, evidemment, meme s'il se tuait au travail coinme nous tous et evi- 
demment, il etait la cible numero 1 de la haute direction. Tu comprends ? M* 
voulait me ramener dans son camp, me faire oublier les histoires syndicales, 
faire baisser l’influence qu'il supposait de mon copain sur moi. Mais c’etait une 
interpretation erronee de la situation ! Done forcement ca n'a pas marche. » 

Source : temoignage recueilli IRL 

A l'inverse, l'absence de primes ne signifie pas forcement l'incompetence ou n’est pas une 
manoeuvre strategique : 

[ L’open space m'a tuer, d’ Alexandre Des Isnards] un evaluateur n’a pas eu 
de budget pour les primes. II recherche alors un point faible de l’evalue pour 
justifier l'absence de prime : il se rappelle alors d'une anecdote ou il s'est bra- 
que sur un point. Devaluation se deroule, l’evalue devant s'evaluer lui-meme et 
l’evaluateur amene ainsi la justification : 

« - OK, je partage ta vision. Mais j’ai eu des remontees sur ta tendance re- 
currente a te braquer. 

- Me braquer ! Comment 9 a ? 

- Oui, tu n’etablis pas toujours une bonne connexion emotionnelle avec des 
interlocuteurs. Il faudrait que tu sois plus a l’ecoute des arguments des autres et 
ouverts a la critique. J’ai eu des feed-back. » 

Il en est de meme pour tous les autres types de reconnaissance materielle : elles peuvent 
etre utilisees coinme carottes (pour augmenter la productivite ou l’efficacite), coinme strategic 
de manipulation pour diviser les rangs, coinme strategic d’etiquetage. Quant a leur absence, 
elles peuvent etre une simple question de budget, mais la manipulation consistera a trouver 
un defaut pour a la fois masquer le vrai probleme (le budget) et pour que 1 ’evaluation serve a 
quelque chose. 

L'absence de reconnaissance materielle peut etre utilisee coniine baton (pour augmenter la 
productivite ou l’efficacite), mais egalement etre juste une forme de dedain, de differenciation 
volontaire (toujours une question de pouvoir), coinme c'est parfois le cas quand les avantages 
pleuvent pour les classes considerees coinme superieures et que les classes considerees coinme 
inferieures n’ont rien. 


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Done... reconnoitre le collectif 

Une prime individuelle pour un travail qui depend du collectif est en soi un probleme qui 
creera forcement des inegalites, des problemes de jugement dans 1’evaluation et des injustices. 
Rares sont les metiers ou Ton travaille seul sans dependance aucune : meme un vendeur depend 
de toutes les personnes qui ont concues le produit, de leurs politiques, leurs affaires. La parti- 
cipation aux benefices semble deja plus juste, si elle est concue en se basant sur des indicateurs 
justes. 

Cependant, nous aimons nos privileges individuels, nous aimons nous distinguer et e'est 
exactement cet attrait qui motive les organisations a persister a distribuer des recompenses per- 
mettant la manipulation. II nous faut done cesser cette conquete individuelle : il ne s'agit pas de 
deprecier les primes, mais de les regarder avec distance et neutrality, et ne pas transferer leur 
pouvoir symbolique a notre etre. 

Dans la mesure du possible, l’ideal est de pouvoir echanger en tout respect, sans jugement, 
avec ses collegues toute infonnation concernant les primes afin de tenter de comprendre les 
strategies de ceux qui les attribuent. Apposer une reflexion collective a des decisions qui vou- 
drait orienter individuellement les salaries peut suffire a contrer les strategies : les salaries in- 
formes et solidaires ne seront plus dupes. 

Rappelons neanmoins que la reconnaissance materielle, telle que l'augmentation de salaire 
ou l'interessement aux benefices, est la seule reconnaissance sensee et verifiee de l’entreprise : 
il est evidemment primordial de se « battre » pour l’obtenir, mais elle doit concemer le collectif, 
pas son seul cas ou le seul cas de son clan. 

■ LA RECONNAISSANCE PAR LES HONNEURS 

Soyons clairs quitte a etre vexant : on est abreuve de success-story, de TV, d’histoires de 
gloire et de celebrite, de contes de fees ou la reconnaissance est absolue. Le heros, par excel- 
lence, est la figure de celui qui est reconnu, tant par son faire que par son etre. Excepte qu'au- 
jourd’hui, ceux dont on parle le plus, qui sont sur le devant de la scene, ceux qui sont connus de 
tous, le sont non pas par leur faire, ni par leur etre, mais par leur paraitre : ce sont toutes les star- 
lettes de tele-realite, les acteurs, les chanteurs tres mediocres et tous ceux qui arrivent a fournir 
du spectaculaire sans pour autant delivrer de la qualite dans leur « faire ». De la decoule un 
sentiment d’injustice, des idees qu'on meriterait d'etre plus reconnus qu'eux, une jalousie, etc. 

La TV et ses archetypes creent un deficit de reconnaissance. Meme si on denie leur effet sur 
nous, notre inconscient et les foules d’images qu'il a stockees de ces injustes reconnaissances en 
deduisent que notre vie est une vie non reconnue, qu’on manque de reconnaissance. On desire 
sans se l’avouer etre reconnu pour etre reconnu, parce que la reconnaissance semble etre un 
aboutissement en soi. 


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On peut considerer le probleme exactement comme la soif de pouvoir : l'objet qui sous-tend 
la reconnaissance ou le pouvoir n’a plus d’importance, du moment que le pouvoir ou la recon- 
naissance est la. La TV n’est pas la seule responsable, et comme pour le pouvoir, on pourrait 
trouver des interpretations a cette soif qui n’ont pas d'age : la peur de la mort, le desir de mar- 
quer sa vie dans l’histoire, dans les esprits, l’esprit de conquete, ici la conquete de l'amour/la 
fascination d’autrui pour soi... 

[Claire, maitre de conferences] « l’universite est une institution qui me de- 
plait parce que les gens passent leur vie a rechercher le pouvoir, parce qu'il n’y 
a pas de reel pouvoir... A la fac c'est flou, il n'y a pas de reelle hierarchie, je ne 
rends de comptes a personne, ce n’est pas une entreprise, je n’ai pas de comptes 
et de chiffre d’affaires. Alors le probleme, c’est la reconnaissance, les gens tra- 
vaillent parce qu'ils cherchent la reconnaissance. Et, a l'universite, qu'est ce que 
9a veut dire, la reconnaissance ? Ca peut etre aupres des etudiants. Tu le sens 
bien, mais ce n’est jamais sur et tu n’es pas valorise en ce cas. Tu es valorise 
pour tes qualites de chercheur, mais la 9a devient flou. Tu as des gens ici qui 
sont ebahis par la renommee intemationale de je ne sais qui, le professeur un- 
tel. Mais si on ramene les choses a une echelle plus large, le professeur untel, 
il est lu par quinze clampins. C'est 9a la renommee intemationale ? Et moi, je 
crois que le probleme, c'est qu’on n’a pas la reconnaissance par l’argent - 9a 
arrangerait les choses. Alors, il ne faut pas mal l'interpreter, je ne fais pas ce 
metier pour l'argent. Mais c'est quoi la reconnaissance ? On est dans un milieu 
ou des homines a fort caractere, c'etaient tous des premiers de la classe, sont tres 
elitistes, ils se pensent beaucoup plus intelligents que les autres et ont besoin 
de reconnaissance... Alors ils recherchent le pouvoir parce qu'ils ont tous des 
problemes pour aflirmer leur reconnaissance. Toute leur vie, ils cherchent la 
reconnaissance. » 

Fran9ois Dubet, Injustices, Vexperience des inegalites au travail, Seuil, 

2006. 

Tout comme avoir le pouvoir pour le pouvoir, chercher la reconnaissance pour la reconnais- 
sance est ridicule. C’est une quete, qui, non seulement, ne finira jamais, mais n’apportera que 
des shoots de bonheurs aussi puissants que passagers. Cependant, le reve est la, et la societe 
de consommation l’entretient tres largement. Et les reussites de cette quete s'expriment par les 
honneurs : medailles, prix, titres honorifiques... Le tout decerne avec un large public consentant 
a cet honneur, applaudissant le heros, le rendant unique dans la foule. 


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C'est le reve individualiste par excellence, pourtant il a des contradictions enonnes : 

— On ne reussit pas ses exploits seuls : l’acteur prime a eu la chance qu'on l'ait choisi pour 
ce role dans ce film. Or on a rarement vu des prix decemes pour des acteurs excellents dans des 
films terriblement mediocres. II en est de meme pour l'employe du mois : il n’a pas choisi d’avoir 
tant d’annees d’experience, d' avoir travaille tous les jours permettant des exploits, d' avoir ete 
entoure de personnes competentes aux moments de ses exploits. 

— Les vrais heros meritant les honneurs, c’est-a-dire les personnes qui prennent des risques 
demesures pour sauver l’autre ne recherchent jamais les honneurs. Ils agissent en fonction des 
circonstances, spontanement, sans reflechir, parce que l'urgence et leur moralite au qui-vive 
commandent instantanement de sauver l’autre. En fait, ils se sont totalement oublies dans l’ac- 
tion, ils etaient a l’oppose d’une quete de reconnaissance. Il en est de meme pour les artistes, 
les ecrivains, certains sportifs accomplissant des exploits. Ils sont dans ce qu’on appelle le flow, 
c’est-a-dire une immersion passionnee dans faction, dans leur activite, sans penser a l’apres. Ils 
sont dans l’activite, et c’est cet etre totalement dissolu dans l’activite qui les motive par-dessus 
tout, la reconnaissance n’etant qu’un plus sympathique (voire pas du tout pour certains) arrivant 
apres coup. Done, chercher la reconnaissance en cherchant a gagner les honneurs est le meil- 
leur moyen de rater tout l’interet d’une activite quelconque. Or, en entreprise, l’honneur est une 
carotte a productivity et cela inverse le processus : on rend une activite interessante en offrant a 
la clef de son aboutissement un honneur. 

L’entreprise exploite done ce besoin de reconnaissance pour la reconnaissance par les 
honneurs, mettant en heros le plus grand vendeur, applaudissant celui qui a engendre le plus 
d’argent, mettant done en valeur celui qui s’est le plus sacrifie a l’entreprise. Qu’on ne s’y trompe 
pas : cette exploitation tres particuliere ne se fonde que sur notre ego, notre volonte de paraitre 
superieur aux autres et d’etre reconnu superieur, notre individualisme aux oeilleres etonnam- 
ment grandes (he oui, on n’est jamais seul responsable d’une reussite). Mais concretement, ces 
honneurs ne signifient qu’une chose : notre sacrifice a l’entreprise, notre soumission, et dans 
certains cas, un simple concours de circonstance favorable a nos performances. 


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■ UN CAS DE RECONNAISSANCE PAR LES HONNEURS VIA 
UNE STRATEGIE D'ENGAGEMENT : 


[vous pouvez retrouver cet exemple en article ici : https://hackinssocialblos.wordpress.com/2Q14/Q4/Q2/ 
idclic-de-france-telecom-oranse-un-exemple-de-manipulation-mentale-par-lensasement/] 


« Exploiter la creativite des salaries, quels que soient leur niveau hierar- 
chique et leur metier, c’est ce que font de plus en plus d’entreprises. Et elles ont 
raison : ouvriers, techniciens, cadres, tous debordent d’idees... dont certaines 
peuvent rapporter gros » 

Magazine Management, mars 2014 

Apres la vague de suicide de France Telecom, l’entreprise a mis en place une boite a idees 
IdClic Personne n’est oblige d’y contribuer, mais elle est accessible a tous d’un clic, sans aval 
necessaire. Les salaries y deposent leurs idees dans tous les domaines concemant l’entreprise 
et les idees sont etudiees avec un suivi tres clair et encourageant. 


« 122 000 idees sont deposees en sept ans, 12 000 ont ete mises en oeuvre en- 
gendrant 450 millions d’economies ou de gain et peut-etre pres de 600 millions 
au total pour l’entreprise. » 

Magazine Management, mars 2014 

Les salaries sont tres engages en temps et en effort pour faire jaillir cette creativite : 

« Ingenieur radio, Julien Leroy optimise la couverture du reseau mobile. Et 
il sait comment fonctionne une antenne, meme s’il n’intervient pas directement 
dessus. « Quand le siege nous a demande de deployer le reseau 4G, je me suis 
demande s’il fallait vraiment changer les antennes existantes. » II se plonge 
alors dans les manuels d’exploitation, compare les donnees des constructeurs 
avec le cahier des charges d 'Orange et decouvre qu’il est possible d’adapter 
certaines d’entre elles. La hierarchie decide de tester son idee en fevrier 2013. 
Celle-ci est homologuee le mois suivant, peu avant le deployment reel, pendant 
l’ete. Economic estimee par Orange : 34 millions d’euros. [...] Pour Julien, ni 
promotion ni prime « mais j’ai rencontre monN+5, ce qui n’etait jamais arrive » 
« La derniere idee de Jerome Rivenez a bluffe son manager. Ce respon- 
sable de projet equipement a developpe un logiciel qui permet grace a des al- 
gorithmes, de simuler le deploiement de la fibre optique. [...] Orange s’attend 
a une economic d’au moins 1 million d’euros par an pendant les dix ans prevus 
pour installer la fibre. » 

Magazine Management, mars 2014 


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L'homme formate Formatage au travail 


Malgre le benefice enorme de ces idees, il n’y a pour ainsi dire aucune retribution. Meme le 
journaliste de Management s’en offusque discretement : 

« Seul bemol [avec IdClic ] : la reconnaissance. L’ auteur d’une idee validee 
cumule... des points cadeaux et repart au mieux avec un ecran plat “mais il 
gagne de la visibility en interne”, nuance Stephane Richard, le PDG d’ Orange. » 

« management : certaines idees rapportent des millions d’ euros. En retri- 
buez-vous les auteurs ? 

Stephane Richard (PDG actuel de France Telecom Orange ) : les salaries 
sont mis en valeur lors d’ operations cornme le marc he aux idees, et recompenses 
par des prix et des cadeaux. Cela peut sembler derisoire par rapport aux gains 
parfois considerables pour l’entreprise. Mais il ne faut pas denaturer l’idee 
meme du dispositif en instaurant une dimension financiere. [...]» 

Magazine Management, mars 2014 


Ce « dispositif », est sans conteste une tactique d’engagement, car il repond a tous les cri- 
teres definissant les manipulations via l’engagement : liberte ou non de faire facte, acte au cout 
eleve (ici beaucoup d’effort pour concevoir l’idee), pas de justification externe (il n'y a pas de 
punition ni de recompense a proposer une idee), mise en relief de facte (les « honneurs » d'etre 
convie au marche des idees). On a done la un bel exemple d’exploitation de la reconnaissance, 
via une manipulation de f engagement, rapportant des millions a f entreprise et rien a f employe. 


Done... Chercher le flow plutot que les honneurs 


[vous pouvez retrouver en article cette notion, plus developpee ici : https .//hcickingsocialblog.wordpress. 
com/201 5/03/03/le-bonheur-nest-pas-celui-quon-nous-vend-la-preuve-par-le-ftow/J 

Queter les honneurs, e’est se tromper de motivation : si le plaisir peut etre grand a les rece- 
voir, ce plaisir n'est que de courte duree, ils ne devraient pas etre notre visee parce que e’est le 
meilleur moyen de n’ etre jamais satisfait de sa vie, de ne jamais jouir du present. 

La motivation supreme a mener une activite est f activite elle-meme : e’est le flow qui devrait 
determiner notre choix d’ activite, nos objectifs. Le flow designe un etat mental tres specifique, 
qui genere plenitude et satisfaction a son issu. L’etat de flow en lui-meme a ses caracteristiques : 

— On est hyperconcentre sur factivite, sans pour autant ressentir f effort de cette concen- 
tration. 


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— On perd la conscience de soi durant l'activite, on sort de l’ego, il y a une disparition de la 
distance entre le sujet et l'objet. Concretement, on s’oublie, on ne pense pas a ses problemes ni 
a l'image qu’on renvoie, on est totalement en fusion avec l’activite. 

— Notre perception du temps est distordue, on ne voit pas le temps passer et inversement 
certaines phases de l’activite peuvent sembler ralenties (un efifet de la haute concentration). 

— Les reussites et les difificultes durant l’activite sont immediatement reperees et le com- 
portement ajuste en fonction. 

— On a un sentiment de controle de l’environnement et de soi important, qui se verifie dans 
l'activite, dans les actions realisees. 

Mais pour atteindre cet etat de flow, il faut certaines conditions : 

— L'activite est consideree en soi comine une source de satisfaction, elle n’est pas percuc 
coniine une corvee. C'est la difference entre le coureur professionnel qui sentira le flow et le 
non-sportif qui court pour maigrir qui ne sentira pas le flow, du mo ins a ses premieres courses. 

— On connait les regies de l'activite, ses objectifs, son cadre et on a des competences pour 
celles-ci. C'est la difference entre un aspirant ecrivain qui se dit « je vais ecrire» mais qui ne 
sait pas quelle direction il va prendre ni comment faire (pas de flow possible) et l’ecrivain qui, 
meme s'il debute son roman sait pertinemment quel chemin prendre, quelles directions eviter 
et comment cadrer son travail (le flow est alors possible ; l'ecrivain guide son activite selon les 
propres regies qu’il s'est fixees, comine on guide un flux d’eau). 

— L'activite n’est ni trop facile, ni trop difficile selon nos competences. Les jeux video, par 
exemple, sont assez explicites en la matiere : un joueur experiment s'ennuiera fennement dans 
un jeu trop facile, tout comine le joueur inexperimente se decouragera si le jeu est trop difficile. 
Il faut un juste equilibre, c'est-a-dire un deli tout de meme important en fonction des compe- 
tences, sans quoi il n'y a pas de plaisir a realiser l'activite. 

Le flow est une recompense en soi, pouvant aller jusqu'a l’extase, l’impression d’etre hors 
de la realite ou au contraire l'impression d’etre totalement en fusion avec la realite. Nous ne 
versons pas dans l’esoterisme, bon nombre de personnes ressentent ce flow : artistes, musiciens, 
ecrivains, professeurs, sportifs... On peut trouver le flow dans des activites qui paraissent ba- 
nales, mais a la fa^on dont les personnes s’investissent, la fa^on dont elles transfonnent l'activi- 
te, en font une veritable aventure, en font quelque chose de passionnant, marquant, benefique, 
apportant une vraie serenite et un accord parfait avec le moment present. 


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L'activite generant le flow, pour qu'elle nous entraine, n’a pas besoin d'etre desirable pour 
des raisons sociales : le social y est merne hors de propos, on se fiche de l’image qu'elle donne 
de nous, on se fiche de l’admiration d’autrui a son propos, on ne le fait pas pour gagner de l’in- 
fluence sociale. On le fait pour le flow. En cela, les recompenses qui en decoulent ou non n’ont 
aucune importance : on ne fait pas ses activites a flow pour le gain materiel (salaire, recom- 
pense, prix...), le gain est ce que l'activite procure en elle-meme. 

Cependant, ce flow, on peut le construire autour d’une activite pour laquelle on n'avait pas 
d'attrait particulier : en changeant les conditions de l'activite elle-meme, en se donnant des defis, 
en imaginant puis en appli quant des nouvelles methodes, etc. Cette capacite a rendre n'importe 
quelle activite passionnante est le propre de ce que Csikszentmihalyi nomine les personnalites 
autoteliques, et il nous cite l'exemple de Joe, un soudeur travaillant dans un atelier d’assemblage 
de voiture de chemins de fer : 

« II travaille la depuis plus de trente ans et n’a jamais accepte d'etre contre- 
maitre, meme si cette promotion lui a ete offerte a plusieurs reprises. [...] meme 
s'il est demeure au bas de l'echelle, tout le monde connait Joe et tout le monde 
reconnait qu'il est probablement la personne la plus utile et la plus importante 
dans toute l'usine. [...] La raison de sa reputation est simple : Joe connait toutes 
les phases du processus, maitrise toutes les operations et peut remplacer n’im- 
porte-qui au pied leve. [...] Ce qui surprend ses collegues n’est pas seulement 
sa capacite a tout faire, mais sa disponibilite et le plaisir qu’il prend a le faire. 

Quand on lui demande comment - sans entrainement formel - il a appris a repa- 
rer toutes ces machines complexes, sa reponse est desarmante : « j’ai toujours 
aime voir comment fonctionnent les choses. Quand le grille-pain de ma mere se 
brisait, je me demandais : si j’etais ce grille-pain qu'est ce que j’aimerais qu'on 
me fasse ? ». Alors, il demontait l’appareil, trouvait le defaut et le remontait. 

Depuis lors, il a toujours utilise cette approche « empathique » pour aborder des 
systemes plus complexes. [...] Joe n’est pas pour autant un fanatique. S’il a trans- 
forme un travail exigeant et routinier en une activite generatrice d'experiences 
optimales [flow], il a fait quelque chose d'aussi remarquable chez lui, dans son 
modeste bungalow de la banlieue. Au cours des annees, il a achete les deux lots 
vacants de chaque cote de la maison et a fait des jardins avec des terrasses rem- 
plies de milliers de fleurs et d’arbustes. Il a installe un systeme d'arrosage dans 
la terre en ajoutant des goupillons de sa fabrication qui arrosent en faisant une 
bruine tres fine et produisent des arcs en ciel au soleil. Cependant, Joe a un pro- 
bleme avec son jardin d’eden ; quand il arrive a la maison, le soleil est souvent 
trop bas pour eclairer son jardin. Comine solution, il s'est fabrique des projec- 
teurs qui font - en pleine soiree - un jardin enchante plein d’arc en ciel, suscitant 
l’admiration des voisins et passants. 


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Joe est un exemple parfait et rare de personnalite autotelique : il a une atti- 
tude lui permettant de creer une experience positive intense dans des conditions 
de travail quasi-inhumaines ou dans un environnement urbain peu propice. » 

Mihaly Csikszentmihalyi, Vivre : La psychologie du bonheur. Pocket, 2006 

Beaucoup d’entreprises ne pennettent pas l’exercice du flow (cf chapitre sur la soumission), 
brident les personnalites autoteliques en leur empechant d'experimenter des methodes, en les 
empechant de sortir des normes arbitraires, en empechant toute forme, meme minime, d’au- 
tonomie. Elies n’imaginent pas la perte immense qu'elles font alors, en se privant d’individus 
aussi passionnes, aussi competents, donnant tant de chaleur a leur environnement de travail. La 
seule voie de passion qu'ils donnent a leurs salaries autoteliques est l’opposition, la resistance, 
le changement via des techniques de hacking, de sabotage, ou la demission, parce qu'ils cher- 
cheront a faire tout simplement de leur travail quelque chose de meilleur et que cela passe par 
la levee de tout ce qui empeche ce « meilleur », d’une facon ou d’une autre. 

A l’inverse, comrne nous le verrons a la toute fin de cet ouvrage, certaines entreprises ont 
parfaitement compris que le client, la direction, les salaries et les produits ou services ont 
besoin qu'on mette en place une forme de liberte dans l’organisation permettant et facilitant 
1 ’emergence du flow : ce n’est que benefice, a tous points de vue et 9 a marche. 

Cependant la notion peut amener a se poser des questions : on a tous en tete des passionnes 
de leur activite, totalement dans le « flow », mais dont l’activite est nuisible, mauvaise, sans 
deontologie, sans nulle trace d’empathie ou de conscience de ses actes. En efifet, le flow ne ga- 
rantit pas d’agir en toute moralite : on peut denier certains aspects de l'activite (pour la peche on 
peut ressentir le flow, mais ne pas s’appesantir sur le fait qu’on tue des poissons pour le plaisir), 
on peut les reinterpreter (les poissons sont idiots, ce n’est pas grave de les tuer/de tout temps on 
a tue pour se nourrir/c'est quelque chose de naturel,etc...), on peut trouver des faits attenuants 
(la peche en haut-fond c’est bien grave, le pecheur du dimanche n'a pas d’impact sur l’environ- 
nement, etc.) 65 . 

Encore une fois, le flow ne devrait pas occulter le fait de prendre conscience de tous les as- 
pects et repercussions de nos actes : certaines activites sont intrinsequement passionnantes, cer- 
taines activites sont idealement organisees, certaines entreprises offrent un veritable paradis a 
leurs salaries, on ne peut que se sentir devore de passion et en redemander et cela quelle que soit 
la finalite de celles-ci. II en est de meme pour les jeux ou pour des activites de consommation : 
ils peuvent etre prenants, passionnants et pourtant servir une cause a laquelle vous ne voulez 
pas servir (par exemple, livrer toute votre intimite a Google, la NSA, et toutes les personnes 

65 On n'a rien contre les pecheurs, il s'agissait la de trouver un exemple simple d'activite generant un certain flow, mais 
dont on occulte generalement tous les aspects parce qu'ils sont genants d'une fa9on ou d'une autre. 


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qui souhaiteraient vous espionner, comme votre patron, votre ex malveillant, etc...). Il s'agit de 
prendre conscience avant toute chose, et de ne pas confondre son flow avec quelque chose qui 
serait le bienvenu parce qu’il genere du flow. 


<®TRAVAIL/EXPLOITATION/ BESOIN DE REALISA- 
TION DE SOI 

Selon Maslow, le besoin de realisation de soi est le besoin d’accomplissement de notre po- 
tentiel unique. II s'agit de devenir ce que nous sornmes, d'affirmer son caractere unique, realiser 
toutes nos potentialites. L'expression « realisation de soi », que ce soit dans le sens commun 
ou ailleurs, apparait necessairement floue : en effet, il y a un inconnu dans cette proposition, le 
« soi » et cela nous renvoie a une question on ne peut plus complexe « qui suis-je ? ». 

Etant donne l'orientation de cet ouvrage, on trouve une reponse generale assez rapidement : 
« je suis ce que l’autre dit que je suis », done la realisation de soi serait done 1’aboutissement de 
ce que l’autre a decide qu’on devrait etre. Le paradoxe est total, cela parait caricatural, mais on 
verra que ce n’est pas si faux. 

En admettant que nous soyons libres de nous determiner, la realisation de soi devrait done 
prendre des formes tres diverses et variees, sans modeles ni schemas communs, vu qu'il s'agit 
de realiser un potentiel unique, done non similaire a un autre. La realisation de soi pourrait 
done etre de vivre dans un tonneau a la maniere de Diogene, pour une autre personne d’aller 
dans l'espace, pour une autre d’etre un musicien de genie. Mais la egalement on discerne en- 
core un autre probleme de logique : le soi et sa realisation seraient-il done immuables ? Cela 
voudrait dire que notre souhait d’etre pompier a quatre ans serait toujours aussi actif a 40 ans, 
et cela meme si on a developpe une phobie du feu ou qu'on a des problemes de sante ? Cela 
voudrait done dire que notre vie est fichue des lors que le « soi » est contrarie dans son idee de 
realisation ? Fort heureusement, notre « soi » est modelable, on s'adapte, on change, on fait la 
revolution dans ses idees, on sait composer avec les circonstances. Mais si on change, comment 
pourrait-on definir une realisation de soi valable ? Ce concept est definitivement problematique 
des lors qu’on creuse un peu. 

Revenons au travail. Qu'est-ce que la realisation de soi au travail ? Certainement pas d’etre 
un robot interchangeable. Est-ce pouvoir fabriquer un objet parfait ? Est-ce arriver a rayonner 
de bonheur meme si on passe plusieurs heures de sa journee a casser des choux-fleurs ? Est-ce 
d’etre extremement populaire et demande avec admiration alors qu’on porte l'horrible blouse 
des agents d’entretien ? Le sens commun crierait non, cela ne peut pas etre la realisation de soi. 
Pourtant, dans la fabrication de l’objet, il y a un « soi » realise en meme temps que l’objet, un 
soi qui met toute son attention, son energie pour atteindre ce resultat parfait. Il y a un « soi » 
eminemment fort dans le bonheur d’un ouvrier qui semble ne plus etre atteint par la robotisa- 


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tion des gestes penibles ; il y a un « soi » qui se realise envers et contre tous les symboles, chez 
l'agent d’entretien qui est devenu une star. Alors pourquoi le sens commun dit qu’il ne s’agit 
pas la de realisation de soi ? Parce qu’on a une vision fonnatee de la realisation de soi, parce 
qu'on est plonge dans un bain ideologique qui nous donne une certaine idee schematique de la 
realisation de soi, qui la cantonne a certains ideaux particulars. Pourtant n'est-ce pas merveil- 
leux qu'un « soi » puisse se realiser en vivant dans un tonneau et oser ainsi dire « ote-toi de 
mon soleil » a l’empereur Alexandre venu specialement le voir ? N’est-ce pas fonnidable pour 
tout le monde que l’agent d’entretien devenu star puisse etre la personne la plus interessante de 
tout un espace humain ? N’est-ce pas extraordinaire qu'un ouvrier puisse rendre heureux tous 
ses collegues malgre un travail penible et inutile ? N’est-ce pas fou qu'un homme pour se sentir 
realise, ressente le besoin de posseder 50 voitures et un avion uniquement dedie a ses besoins ? 

Pour ce chapitre, nous nous baserons done sur la vision ideologique de la realisation de soi, 
qui est evidemment correlee a la societe de consommation, au capitalisme et au liberalisme. 
On essayera de sortir la tete de l’eau dans nos « done ». Cependant, vous comine nous, avons 
malgre les efforts que nous puissions faire, le corps immerge dans ce bain d’ideologies. II ne 
faut pas le denier. « Done » on essayera, en esperant n'etre qu'une amorce a votre imagination. 

■ LA REALISATION DE SOI SELON LE FORMATAGE DES 
IDEOLOGIES DOMINANTES 

Droite ou gauche, le discours est le meme concemant le travail : il permet aux individus de 
se realiser. Il donne done un sens a la vie, on s'y realise notamment parce que le travail nous 
donne une place importante dans la communaute, la societe, le monde, la vie. La « valeur » 
travail est la valeur ultime, celle qui permet tout, certains y voient une noble caracteristique 
humaine, oubliant que les founnis, les abeilles travaillent egalement d’arrache-pied. 

Concretement, quand on interroge le sens commun au sujet de la realisation de soi au tra- 
vail, on obtient une definition plus precise de ce qu'est la realisation de soi au travail : 

— il s'agit de pouvoir prendre des initiatives et des risques, 

— de vivre des experiences variees et enrichissantes, 

— d’etre promu au merite, 

— d’etre autonome, 

— de se fonner et continuer son propre developpement, 

— d’etre consulte et ecoute, de pouvoir donner son avis sur le travail, 

— de traiter des disaccords, 

— de pouvoir etre creatif, 

— de travailler en accord avec ses valeurs. 

Toujours selon le sens commun, le « realise » se repererait a ses possessions (il a resolu ses 
besoins physiologiques), a son emploi aux responsabilites de niveau forcement superieur et en 
GDI (il a resolu ses besoins de securite), a sa famille, a son groupe d'amis fideles (il a resolu ses 


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besoins d’appartenance), a sa popularity, a sa reputation, a la reconnaissance qu’il a (il a resolu 
ses besoins d’estime). Et, forcement, il est done heureux. 

Comine on peut le voir selon cette definition de la realisation de soi, le subordonne, le 
pauvre, le chomeur, le celibataire, le solitaire, le discret, l’anonyme, l’humble, le marginal, l’ori- 
ginal, le singulier, l’artiste ne peuvent done pas se realiser... Et celui qui repond aux definitions 
precedentes n’a pas le droit d’etre malheureux. Non seulement nous pensons que c’est un pietre 
carcan peu enviable de l’idee de la realisation de soi - il faudrait qu’on soit tous cadres supe- 
rieurs ayant deux enfants dans une belle demeure, le tout sous l’admiration de 150 amis Face- 
book et sous la fascination de nos subordonnes, prenant une pointe de culture, de formation 
pour continuer la brillante evolution - mais egalement que ce modele est profondement faux : 
on peut se « realiser » sans resoudre aucun de ces besoins (en menant une vie d’aventurier ou de 
moine par exemple), tous les signes de realisation de soi au travail peuvent se faire hors travail 
egalement et ces signes peuvent egalement etre source de malheur, d’alienation. Cest un modele 
que certains peuvent aimer pour quelque temps, pour quelques aspects, cependant reduire le but 
d'une vie a ceci, c’est courir a la catastrophe. 

Cependant, regardons les choses en face, ce modele que nous execrons, car il tue toute fan- 
taisie et toutes les merveilleuses singularites des vies, a une utilite sociale : 

— Il sert a merveille la societe de consommation, car il est individualiste. L’objectif est soi, 
quand on pense a soi, on depense. Egocentrisme et achats sont lies. 

— Cela permet de maintenir les pouvoirs en place : si notre objectif est de nous realiser tel 
que le modele le decrit, on admirera les superieurs, les patrons et tous ceux qui ont du pouvoir. 
On revera d’etre a leur place, done on ne les contestera pas ou si on s’oppose a eux c’est pour 
piquer leur place. Done le systeme hierarchique et toutes les inegalites qui en decoulent sont 
acceptes parce qu’on se reve puissant. Ainsi, aucun changement veritable n’est possible tant que 
les gens se revent puissants a la place des puissants. 

— Ce reve de devenir superieur aux autres est le meilleur moyen de manipuler les gens, de 
les formater. 

— Ce modele etant restreint, il permet de predire facilement les comportements, les aspi- 
rations des personnes, leurs contradictions. Done cela facilite encore leur manipulation, leur 
usage en tant que pions. 

Pour resumer, schematiser la realisation de soi et lui donner une direction, c’est l’empecher. 
La realisation de soi, c’est aussi fictif que le paradis promis aux serfs du moyen-age en echange 
de leur sacrifice a l’Eglise ou leur maitre. On ne l’atteint jamais, bien heureusement, car cela 
reviendrait a devenir une statue de marbre sans vie. 


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■ LA REALISATION DE SOI AU TRAVAIL, SIGNE D UN TRIPLE 
FORMATAGE ? 

La notion de realisation, sa valeur si superieure a tout objectif qu'on pourrait se donner dans 
la vie, est un formatage ideologique : dans d'autres cultures, le bonheur est dans fharmonie 
avec les autres, le monde, le « soi » n’etant limite qu'a un concept pour se designer et l’ego une 
illusion dont il faut se debarrasser. « Se realiser » n’a done, pour ces cultures, aucun sens. 

Vouloir se realiser, voir cette realisation comine une quete ultime est un premier forma- 
tage : il suffit de lire quelques textes d’autres cultures, se confronter a des modes de vie et des 
conceptions du monde radicalement diffcrents pour voir a quel point nous sornmes « moules » 
(attention nous ne disons pas que les autres conceptions du monde sont meilleures. Elies sont 
pour certaines, d’autres moules, avec d’autres consequences). 

Le deuxieme formatage concerne le contenu commun et restreint associe a cette notion de 
realisation de soi, qui serait synonyme de bonheur. On part en quete d’un job a responsabilites, 
pensant qu’il s'agit la de nos aspirations profondes ; on se confronte a la realite, qui est plus ou 
moins apte a repondre a cette quete, et c’est la que le fonnatage peut etre remis en cause, mais ce 
n'est pas forcement rapide et ce n'est pas systematique : tout depend a quoi on a ete confronte. 

Le troisieme formatage est celui du travail lui-meme, formant, rcnforcant ou manipulant 
cette idee de la realisation de soi pour exploiter le salarie : dans le pire des cas, le salarie sera to- 
talement obnubile par son travail, donnera tout son temps, ses forces, son mental, abandonnera 
progressivement sa vie privee et ses interets passes pour se consacrer uniquement a sa carriere. 
La soif de monter les echelons pour se realiser le poussera a etre toujours plus ambitieux, il ne 
trouvera que sa passion dans sa reussite signee par les promotions et les honneurs. Sa personna- 
lite changera, il deviendra un vrai « winner », un combattant, un loup alpha.... Quant au travail 
lui-meme, il pourrait etre interchangeable : manager d’un restaurant, d’un supermarche, d’une 
boite informatique, d’une marque de vetement, d’une association, d’un fabricant de pesticides... 
qu'importe, on lui a deja donne des valeurs qui singeront l’interet, valeurs tellement integrees 
qu'il y croit, qu'il pense avoir reflechi par lui-meme. Et c'est dans la chute que le salarie se rend 
compte : quand l’entreprise decide de le licencier pour des raisons plus ou moins valables, 
quand elle se met a le harceler, quand il prend conscience par autrui des actes de son travail, 
quand le corps se charge d’arreter plus ou moins violemment ce cirque... On verra de nombreux 
temoignages de ce « reveil » tres violent de la conscience. Mais ce qui est etonnant c'est que 
tous ces ex- winners se donnent la responsabilite de leur formatage « je ne peux m’en prendre 
qu'a moi-meme ». Et dans les faits, oui, en effet, il est difficile de trouver des elements qui les 
contredisent : pas de tyrannie a l’oeuvre, pas de traces... Est-ce done de leur unique faute ? C'est 
toute l’intelligence des systemes manipulators efficaces : reposant sur l’engagement, l'inter- 
nalisation, la personne se rendra toujours responsable. Non seulement ces systemes rendent les 
personnes plus efficaces (sur le court terme), leur font faire des actes qu’elles n’auraient jamais 


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faits autrement, de subir des conditions qui leurs nuisent, mais egalement protegent l’entreprise 
en cas de probleme, la personne prenant sur elle toutes les responsabilites de ce qu'elle a accep- 
ts de subir ou faire subir. Les rebellions sont egalement tuees dans l'oeuf, l’engagement evincant 
toute idee meme qu'il faille se rebeller. 

Les strategies d’engagement sont puissantes, mais elles le sont encore plus quand elles sont 
entretenues, repetees dans le temps : elles realisent, fabriquent un « soi » qui n'etait pas soi ; ce 
nouveau soi, dans l’engagement, n’est pas necessairement mauvais, il n'y a pas forcement une 
perte de l’identite. De nombreuses recherches en psychologie utilisent les strategies d’engage- 
ment pour pousser les personnes a adopter des comportements benefiques : prevention sida, 
ecologie, prevention des accidents du travail.... Mais nous soinmes ici en entreprise, ou le but 
est le profit et le pouvoir, le respect de l'humain etant tres secondaire etant donne qu’il ne s’agit 
que d’une « ressource ». Done les strategies d’engagement y peuvent s’averer nocives pour l’in- 
dividu qui les subit, nocives pour ses subordonnes ou collegues, nocives pour les clients... mais 
bonnes pour le profit. 

■ UN PETIT RAPPEL SUR L ENGAGEMENT. 

L’engagement est un lien qui lie une personne a ses actes. En manipulation, on peut retour- 
ner la proposition : un acte peut lier une personne a un engagement qu’on a decide pour elle, 
mais qu'elle croit personnel. 

Une personne engagee est une personne qui fait un certain type d’action en correlation avec 
des idees qu’elle a faites siennes : je suis courageux done je saute de ce pont pour sauver cette 
personne de la noyade ; je suis soucieux de l’environnement done je ramasse ce detritus dans la 
rue pour le mettre a la poubelle. II y a une coherence entre le monde interne et les actions. Or, 
qu'est-ce qui determine ce monde interne ? Qu'est-ce qui a fait, qu'un jour, la personne a pris 
l’engagement d’etre respectueux de l’environnement, d'etre courageux ? 

La reponse peut-etre vaste comine tres courte. On peut avoir pris un engagement apres de 
longues reflexions, apres avoir eu certaines experiences, on a pu heriter cet engagement dans 
notre education, il s'agit peut-etre d’une adaptation a un environnement qui aurait ete insuppor- 
table a vivre sans qu'on prenne cet engagement, etc. L'engagement decrit precedemment est in- 
terne, il a pousse dans le terreau de notre vie, sous l'impulsion de dizaines de facteurs differents. 

L'autre reponse, courte, est que l’engagement est exteme : nous avons ete influences a 
prendre cet engagement, nous le pensons interne or, e'est faux, e'est quelqu'un qui a fait en sorte 
que nous le prenions, puis nous avons ensuite cultive cet engagement. 

Les strategies pour engager autrui dans une voie qu'on a decidee pour lui sont terriblement 
simples et peu couteuses : 

L’ experience se deroule dans un centre de formation pour chomeurs de 
longue duree. Le taux de placement, e’est-a-dire le nombre de chomeurs ayant 


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un emploi a Tissue de la formation et dans les trois mois la suivant est relative- 
ment stable et bas : 30 %. On teste deux conditions pour cette formation : 

— une condition controle, ou aucune strategic particuliere n’est mise en 
place. Les fonnateurs font exactement coinme a leur habitude. Ils accueillent 
les chomeurs, presentent la formation puis terminent cette presentation par cette 
phrase : « vous connaissez a present le deroulement de ce stage et son objectif. 
II y a des regies strictes que nous tenons a faire observer, pour que les stages 
se passent au mieux et pour obtenir les meilleurs resultats. Je vous rappelle que 
les presences sont controlees. Je ferais done circuler tous les jours les feuilles 
de presence. Je vous rappelle aussi que toute absence injustifiee donne lieu a 
une retenue sur votre salaire mensuel, conformement a la legislation du travail. 
J’insiste done sur le caractere obligato ire de votre presence. » 

— une condition experimentale, ou la strategic d’ engagement est mise en 
oeuvre uniquement a la fin de la presentation, en modifiant le discours du for- 
mateur : « vous connaissez a present le deroulement de ce stage et son objectif. 
Je suis nonnalement tenu a un controle des presences, puisque, vous le savez, 
chaque absence injustifiee donne nonnalement lieu a une retenue de salaire. 
Mais personnellement, je pense que les stages se passent mieux et que Ton ob- 
tient de meilleurs resultats si les participants sont des gens reellement motives 
plutot que s’ils suivent la fonnation par obligation. Aussi c’est simple, je ne fe- 
rais pas d’appel et il n’y aura done de retenue de salaire pour personne. Je prends 
sur moi de ne pas observer le reglement sur ce point. C’est a vous de voir si vous 
souhaitez ou non tirer profit de cette formation. 

La formation est strictement et rigoureusement la meme dans les deux condi- 
tions, seuls le discours et le « flicage » en condition controle different. Les sujets 
dans les groupes n’ont pas de particularite intrinseque les distinguant des autres 
groupes. Et pourtant les resultats sont surprenants : 

— le taux d’absenteisme est pared dans les deux conditions :15 %. Qu’on 
« flique » ou pas, cela ne fait strictement pas de difference, si ce n’est qu’en 
condition experimentale, les sujets s’excusaient par avance de leurs absences, 
contrairement au groupe controle. Ce n’est pas anodin. Cela nous apprend ega- 
lement Tinutilite de la surveillance : non seulement elle ne change rien a Tab- 
senteisme, mais elle desengage. 


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— Pour la condition controle, les resultats furent les memes qu’habituelle- 
ment : 25 % des sujets trouverent un emploi a Tissue de la formation ; 35 % en 
trouverent un dans les trois mois suivants. 

— Pour la condition experimental, avec cette petite manipulation de Tenga- 
gement, 56 % trouverent un emploi a Tissue de la fonnation et 69 % apres trois 
mois. Les formateurs n’avaient jamais vu ca, d’autant plus qu’aucun changement 
n’avait ete apporte a la formation en elle-meme, seulement sa presentation et la 
suppression de l’appel. 

Les formateurs ont vu T engagement a T oeuvre : durant la formation, les cho- 
meurs etaient plus volontaires pour realiser les actions prevues, ils posaient plus 
de questions, ils se sont donnes beaucoup plus de chances de trouver un emploi 
(plus d’assiduite dans les demarches personnelles). 66 

Tout comine la technique du « vous etes libre de... », poser un contexte de liberte amorce 
l’engagement de facon etonnamment eflficace. 

On pourrait retorquer qu'ici, c'est parce que les chomeurs percoivcnt les benefices de l’en- 
gagement. Que se passe-t-il done quand l’engagement externe va a l’encontre des valeurs de la 
personne ou de ce qu'elle voudrait ? Nous avons deja aborde le probleme en partie : il s'agit du 
leurre, du low ball. Meme si les conditions de la proposition changent, transformant quelque 
chose d’agreable en penible, l’engagement pris persiste et la personne se fait avoir. Mais on 
pourrait retorquer que l'engagement etait seduisant au depart ou peu couteux, comine c'est aussi 
le cas dans toute les experiences de pied dans la porte (qui sont les phases preliminaires a l’enga- 
gement, des amorces solides et efficaces) ; et qu’en cela, c’est un peu de la « triche » . 

Brehm et Cohen (1959) l’experience se deroule dans un contexte bien par- 
ticular : la police etait intervenue violemment sur un campus universitaire de 
New Haven. Nul doute que les etudiants avaient un avis tres pejoratif sur cette 
intervention qui les avait directement vises. Cohen demande alors a ces etudiants 
d’ecrire un texte en faveur de faction de la police (c'est un acte engageant) contre 
une remuneration. Certains recevaient 0.5 $, 1 $, 5 $, ou 10 $ (ce qui est une 
somine tres interessante pour un etudiant a cette epoque). 

Ecrire un texte qui va a l’encontre de ses pensees contre une remuneration 
miserable est situation de forte dissonance cognitive, ou, pour le dire autrement, 
une incoherence engendrant un conflit mental. La situation 10 $ est coherente, car 
la redaction est justifiee par le gain : les etudiants bien payes, a la suite du texte, 

66 Jean-Leon Beauvois et Robert- Vincent Joule, experience tiree de l’ouvrage, La soumission librement consentie. 


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n’avaient pas change d’ opinion au sujet de la police, ils consideraient toujours 
mal leur intervention. 

Les mal remuneres ont par contre considerablement change leurs opinions, 
trouvant Taction de la police justifiee. 

On Ta deja vu, mais l’effet etonne toujours : face a une situation incoherente, dissonante, 
plutot que de changer la situation (arreter d’ecrire la redaction sachant qu'on sera paye misera- 
blement) ou avouer que ce qu'on a accepte de faire nous a ete penible pour des gains qui n’en 
valaient pas la peine, on change ses opinions... Des lors, il est tres facile de changer Topinion 
d'une personne, il suffit de la mettre dans une situation dissonante, puis entretenir la nouvelle 
opinion. En clair, pour que quelqu’un pense par exemple que tourner une cheville de bois est 
une activite passionnante, il suffit de lui laisser faire Tactivite librement (done il la fera) et tres 
mal le payer pour 9a, voire pas du tout 67 . Evidemment, ce comportement explique pourquoi tant 
de gens acceptent les pires conditions de travail et que les superieurs minimisent autant que 
possible les preuves materielles de reconnaissance... 

On peut egalement accroitre Tengagement exteme pour transfonner Tengage en militant 
fervent defenseur de la cause qu'on a suscite chez lui : 

Kiesler (1971) des etudiantes sont sollicitees sur leur campus par un militant 
(en fait experimentateur) en faveur de Tinstauration d’une information sur le 
controle des naissances dans la communaute. Il s'agissait de signer une petition, 
ce qui est un acte engageant, mais non problematique etant donne que les etu- 
diantes etaient a priori en faveur de cette idee. 

Le lendemain, la moitie d’entre elles trouvent sous leur porte un tract qui 
s'eleve avec vigueur contre cette information sur le controle des naissances. 

L'experience se tenninait avec la visite d’un chercheur qui les questionnait 
sur leurs opinions et leur volonte ou non de s'investir dans des activites mili- 
tantes. 

Resultat : 

— Cedes qui ont signes uniquement la petition sont favorables et plus en- 
clines a s'investir dans Taction militante que cedes n’ayant eu ni tract ni petition. 

— Cedes qui ont signes la petition et qui ont eu le tract sont encore plus fa- 
vorables et plus motivees a milder. C'est ce qu'on nomine l'effet boomerang, et 
sur Internet les trolls intelligents exploitent cet efifet a foison. 

67 Reference a l'experience de Festinger et Carlsmith (1959) du paradigme de la soumission induite. 


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— Celles qui n’ont eu que le tract sont celles qui sont le moins disposees a 
faire des actes militants (le tract a reussi a les influencer, car elles ne s'etaient pas 
engagees via la petition). 

Jean-Leon Beauvois, qui expose cette experience et qui a lui-meme realise de nombreuses 
experiences liees a l’engagement, ajoute ce commentaire : 

« Nous avons de bonnes raisons de penser qu'une argumentation anti-raciste, 
par exemple, a pour effet de rendre une personne raciste, pour peu qu'elle soit 
engagee dans un acte raciste, encore plus raciste ! » 

Jean-Leon Beauvois, La soumission librement consentie, Presses 

Universitaires de France, 1998 


Cette experience appelle a des reflexions politiques et on peut se demander en quoi l’en- 
treprise est concernee. Mais ce serait oublier que la multinationale a aussi son ideologic, ses 
convictions, son moule de pensees : on distingue une facette commerciale, seduisant clients 
et salaries, par exemple, « nous positivons le monde » ; une facette operationnelle : « nous 
positivons le monde grace a nos produits peu chers » ; facette operationnelle dont la realite est 
parfois a l’oppose de la facette commerciale, « nous avons des produits peu chers en tyrannisant 
nos fournisseurs qui sont alors obliges de tyranniser a leur tour leurs salaries ou de trouver des 
techniques pour rendre moins chere la fabrication, ce qui fait des produits peu fiables, pas tres 
sains, de mauvaise qualite ; nous avons des produits peu chers en economisant sur nos res- 
sources humaines, c’est-a-dire en faisant travailler un employe comine quatre, en le pressant 
comine un citron et cela contre une miserable remuneration qui ne lui pennettra que de consom- 
mer des produits peu chers, mauvais, malsains ou peu fiables. » Cependant la « positivite » du 
monde vaut tous les sacrifices, n’est-ce pas, meme celui du monde... 

Ce genre d’ideologie doit devenir celle du salarie, l’entreprise doit l’engager dans cette voie 
pour pouvoir tirer tout le jus du salarie a moindre cout. Done il s'agit en grande partie de chan- 
ger ses idees. 

Resumons. Pour faire un engagement externe, e'est-a-dire d’engager une personne a son 
insu, mais qu'elle pense que e'est elle et uniquement elle qui a decide de son sort, le manipula- 
tes ou l'institution manipulatrice doit : 

— Poser un contexte de liberte. C’est la fa^on la plus eflficace pour qu'un individu se sou- 
mette, meme si cela parait totalement paradoxal. 


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— Lui faire produire un acte engageant : signer une petition, faire coller un autocollant sur 
sa voiture, ecrire un texte ; cet acte doit avoir un caractere public et ne pas etre remunere ou fait 
contre une recompense quelconque. Au travail, facte engageant est partout, cependant il faut le 
distinguer du travail lui meme. Le travail etant fait contre une remuneration, il n’est pas force- 
ment engageant. Prenons deux exemples : l’acte non-engageant sera par exemple qu'un caissier 
passe les articles d’un client avec un SB AM (Sourire-Bonjour-Au revoir-Merci). Il obeit a ce 
qu’on lui a appris de la fa?on de gerer son poste. 

Acte engageant : fentreprise propose d’offrir des bons de reduction aux clients pour Noel, 
accompagnes oralement des meilleurs voeux du magasin « Les supermarches SuperMachin, 
vous souhaitent d’excellentes fetes ! » rcmplacant l’au revoir traditionnel. Les caissiers sont 
libres ou non de participer a cette operation, personne ne sera recompense ou puni pour l’avoir 
fait ou non. C'est a leur convenance. Le faire est un acte engageant 

— L'acte engageant sera rallie a une qualite interne de la personne l’ayant realise. Dans 
notre exemple, le caissier ayant participe a f operation entendra sans doute dans la bouche des 
superieurs, dans le cadre d’une evaluation ou un entretien une phrase de ce genre « Tu as vrai- 
ment a coeur le bon relationnel client, tu hisses vraiment l’image du magasin grace a ton attitude 
exemplaire ! ». Ainsi, le caissier fera un cheval de bataille a defendre l’image du supermarche, 
car il en va de sa personne. Peut-etre meme avec le temps, il defendra cette image dans sa 
sphere privee, meme si les conditions de travail ont change en sa defaveur. 

— On peut renforcer l’engagement en lui opposant un ennemi, ce qui aura pour conse- 
quence d'extremiser l’engagement de f engage. En entreprise, f ennemi sera le « mauvais » sa- 
larie (celui qui est syndique, celui qui remet en cause le systeme de fentreprise, celui qui porte 
un contre-pouvoir...), le foumisseur, le concurrent voire meme le client. 

■ Ce qui, en nous, facilite l'exploitation de la re- 
alisation DE SOI, DONC L'ENGAGEMENT EXTERNE. 

— L'erreur fondamentale d’attribution : on donne prioritairement des raisons internes a ce 
qui nous arrive, done on nie les influences exterieures (l’environnement, les autres, le hasard...). 
Par exemple, si on reussit un examen, on dira qu'on a reussi parce qu’on a beaucoup travaille, 
que c'est notre domaine d'excellence, qu'on avait la bonne condition physique et mentale neces- 
saire a la reussite. On s'avouera moins qu'on a eu la chance de tomber sur un sujet tres facile, 
ou que l’examinateur a ete tres conciliant. Si on est pris suite a un entretien d’embauche, on 
dira que c'est grace a nos competences, a notre bonne attitude durant l'entretien. Or il est fort 
vraisemblable que des dizaines d'autres candidats avaient les memes competences et la meme 
« bonne » attitude et que le recruteur se soit base sur les signes astrologiques pour faire son 
choix (c'est une pratique qui se fait vraiment, cf DRH, le livre noir Jcan-Francois Amadieu). 


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Quand on cherche a expliquer le comportement d'autrui, on donne aussi la priorite a des 
raisons internes : face a la reussite d’une personne dans le domaine professionnel (haut statut, 
domaine d’activite attirant comine la television, le cinema...) on expliquera sa reussite par ses 
competences, sa creativite, sa personnalite, son travail... Or peut-etre que cette personne est a 
ce poste uniquement par piston. 

Cette erreur fondamentale d'attribution est un cadeau fait aux manipulateurs, car il suffit de 
pousser discretement la personne a faire quelque chose et elle se trouvera des raisons internes 
pour l'avoir fait, quitte a long terme, a s’inventer une nouvelle personnalite. Et cela marche aussi 
pour autrui si on voit que quelqu'un a mis sur son mur Facebook qu’il aime tel produit, on en 
deduira que ce produit lui apporte vraiment quelque chose, car sinon il n’aurait pas affiche un 
tel amour. On pourrait meme dire que l’influence sociale repose sur ces bases : on constate qu'un 
film affiche un tres fort nombre d’entrees, c’est done que les personnes ont aime ce film, done 
on y va confiant en la qualite du film. Or il s'agit de l’effet d’un marketing reussi et le film est 
mediocre, or cornme beaucoup de gens y sont alles, on a une dissonance partagee et on dit que 
le film etait bien. 

— La culture occidentale. L'erreur fondamentale d’attribution en fait partie, etant donne 
que notre culture nous pousse a nous considerer fibres, responsables, independants de toute 
influence. Rajoutons a cela tout ce qu'on a vu precedemment et on a la les parfaites condi- 
tions pour etre sans cesse influences et le denier ce qui renforce notre « capacite » a nous faire 
influencer. 

— L'idee de certains qu'ils sont naturellement superieurs ; se croire superieur aux autres va 
permettre aux entreprises d’exploiter cette ambition pour en faire des chefs soumis se croyant 
pourtant fibres. 

— L'absence de sens apparent a la vie, le besoin qu'autrui donne un sens a sa propre vie 
faute de pouvoir reussir a en donner soi-meme. La liberte fait peur, les differents possibles sont 
vecus cornme dangereux chaos pour certains. Ils vont done se raccrocher a des dogmes qui les 
cadrent et leur offrent une « destinee ». 

— En lien avec le precedent point : le manque d’engagement interne. Les personnes peuvent 
ne pas avoir construit d’idees, de convictions ou n’avoir jamais mis en acte ces idees/convictions 
ou encore faire le contraire de ce qu'ils disent. 

— La souffrance. Une personne qui a souffert ou qui souffre cherchera une bouee de sauve- 
tage. On parle souvent de « faiblesse », mais c’est une erreur, il s'agit la d’un reflexe de survie. 
Cependant toutes les personnes qui souffrent ou qui ont souffert ne sont pas pour autant mani- 
pulables. 


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— L'inconscience : ne jamais faire attention a ce qui nous arrive, laisser les choses passer 
sans les voir, sans les questionner, denier les conflits mentaux ou tout ce qui pourrait etre de- 
rangeant. La aussi, la culture occidentale joue : on retrouve hisse en mode de vie heureux cette 
inconscience, c'est-a-dire de ne se preoccuper que de son petit jardin personnel, sa famille, son 
petit cercle restreint de bonheur et eviter avec soin toutes les questions qui pourraient nous 
agiter (politique, societe). L'inconscience, c'est la magie du songe, de l'illusion et du deni, c’est 
le monde avec la pilule bleue cornme dans Matrix, c’est le refus de prendre la pilule rouge qui 
amene pourtant a voir la realite. 

■ ECOLES 

Avant d’entrer dans le debat, soyons clairs : l’education et l'ecole sont indispensables, cer- 
tains professeurs la rendent exceptionnelle, les enseignements peuvent etre liberateurs, le savoir 
et les bases donnees pour etre en mesure de l’acquerir par soi-meme, le critiquer, sont indispen- 
sables. Que les diplomes ne donnent plus d’emplois est certes, une injustice, mais cela ne veut 
pas dire qu’ils ne donnent rien : un bon enseignement rend veritablement autonome et donne des 
outils utiles en toutes circonstances. 

Cependant, ne nions pas pour autant que dans les programmes ordonnes par l’education 
nationale et les manuels qui detaillent ces programmes, il y a des orientations ideologiques : 
absence de certaines questions embetantes pour l'image de la nation en histoire, orientation 
religieuse en philosophic, vision du travail toujours positive, societe de consommation vantee 
ou peu critiquee en economic... 

Mais tout le monde finit par mettre au placard ses cours de college/lycee. Soit. Mais c’est 
oublier que nos structures de reflexion de l’histoire, de la philosophic, des questions politiques 
ont ete fondees en partie sur ces enseignements ; on pense avoir oublie, mais nos structures in- 
conscientes ont garde quelques fondements : si la question du travail n’est apprise que cornme 
une bonne chose pour l’humanite, quelle que soit la nature du travail, qu'on se doit de travailler 
coute que coute pour etre considere cornme un humain, il est certain que l'ex-lyceen - bien qu'il 
ait oublie ces enseignements - se sentira au 36e dessous quand il se retrouvera au c homage, 
qu'il aura l’impression d'etre un poids pour la societe. Ce n’est pas tant l’entourage qui fera peser 
sur lui cette culpabilite que ses propres idees inconscientes, dont certaines ont ete modelees, en 
partie par des enseignements trop orientes. 

Nous n’entrons pas dans le detail des enseignements fonnatant du college/lycee, pour la 
bonne raison qu’ils sont tres loin d'etre tous fonnatant : quelle que soit la nature des programmes, 
que ceux-ci soient cloisonnant ou orientes, ils ne detenninent absolument pas les cours eux- 
memes : les professeurs sont critiques, savent apprendre a devenir critique et savent pour beau- 
coup ouvrir le champ des possibles, en parlant de ce qui est ignore des manuels et programmes. 
De plus, les circonstances de l’enseignement peuvent changer du tout au tout l'impact d’un 


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enseignement : que le prof soit excellent ou non, il sera impossible d’apprendre quoique ce soit 
a une classe de 50 collegiens. Done ne considerons pas que l'ecole soit formatage, notamment 
grace a la diversity et la bonne pedagogie des professeurs, cependant elle peut le devenir dans 
certains cas, et la politique peut faire en sorte d’en faire une arme ideologique (par exemple 
en supprimant ou en oubliant 68 toutes les matieres qui aident a developper un esprit critique, 
comme l’histoire, la philosophic...)- II faut rester vigilant. 

Ce qui nous preoccupe davantage conceme les grandes ecoles : 

« Jamais au cours de notre formation, 1’ accent n’a ete mis sur notre future 
responsabilite en tant que managers au-dela de la logique de profit. 

En finance, nos professeurs nous apprenaient a contoumer certaines regies 
comptables et nous apprenaient les ficelles de la magouille borderline, nos cours 
de fiscalites etaient egalement dans cette optique. 

Le seul cours qui nous apportait une certaine vision humaine etait celui qui 
traitait de ressources humaines. Notre professeur nous avait projete par exemple 
un documentaire sur l’experience de Milgram, mais pour etre honnete, une ma- 
jorite des eleves considerait ce cours comme totalement inutile, la prof etant une 
hippie sur le retour qui n’avait rien a faire dans une ecole de commerce [sic]. 

Mes (ex)amis qui ont fait HEC sont presque tous devenus des petits cons 
imbus de leur personne, pedants et ont passe plusieurs annees a Londres a bosser 
dans la finance. Dommage, ils etaient plutot de bons gars a la base... 

Jamais au cours de notre scolarite le concept d’ethique n’a ete aborde, par- 
ler de syndicats, de responsabilite sociale ou du bien-etre des travailleurs etait 
totalement hors sujet, moque par la majorite qui entre soirees de beuverie et de 
defonce ne pensait qu’a faire la fete avant d’integrer le marche du travail pour le 
plus grand profit de l’entreprise. Tout le monde se foutait de la politique, a part 
une minorite consciente, le reste se contentait de se preparer a profiter le plus 
possible du systeme. » 

Source Rue 89 : http://rue89.nouvelobs.com/2009/09/29/ancien-dhec-je- 

ne-suis-pas-un-killer-decomplexe 

On y apprend deja a chercher la puissance, le profit et ignorer le reste. Les eleves sont 
moules a se sentir superieur, a devenir des « killers », des « winners » et cela qu'importe les 
consequences du moment que les chiflfes partent a la hausse. 

Heureusement tous ne deviennent pas a l’image de ce stereotype de killer sans aucune mo- 
rale : 

68 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/06/21/01016-20150621ARTFIG00146-l-education-nationale-oublie-la- 

philo-et-l-histoire-geo-dans-les-nouveaux-horaires-du-lycee.php 


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« Nous sommes quelques un [sic] a avoir fini dans l’associatif ou l’huma- 
nitaire. Les ONG recherchent activement des profils de managers, et les ecoles 
fournissent une grande partie des admins des ONG fran 9 aises, mais 9 a reste 
marginal et beaucoup preferent le systeme bancaire, l’audit et le conseil. Vendre 
du vent est sans doute plus remunerateur. » 

Source Rue 89 : http://rue89.nouvelobs.com/2009/09/29/ancien-dhec-je- 

ne-suis-pas-un-killer-decomplexe 

Les etudiants ne foncent pas tous droit dans le formatage et tentent de se preserver : 

« J’ai fait une grande ecole et, apres un MBA aux Etats-Unis. Faire une 
grande ecole, 9 a m'a toujours paru evident. Dans mon milieu familial, e'etait en 
quelque sorte moral, e'est-a-dire que, pour gagner la place qu'on avait dans la 
societe, il fallait donner un peu de soi et, par consequent, passer par les grandes 
ecoles. J'y ai mis une condition personnelle : ne pas m'y perdre. J'ai connu des 
amis qui se sont perdus en route. Je crois qu'il faut etre un peu conventionnel : 
ils oublient leur cote createur, personnel... J'ai deliberement evite de travailler 
au-dela d’un certain degre. J'aurais eu l’impression de m'y perdre. » 

Nicole aubert et Vincent de Gaulejac, Le cout de fexcellence, Seuil, 2007. 

On voit dans ce temoignage l’importance de l’idee de destinee, de necessity de suivre un 
parcours « superieur ». L'elitisme est ici deja present, et cette voie est justifiee comme « don- 
nant donnant » je paye beaucoup (monetairement et en effort) pour gagner ma superiorite. Et 
cette idee de superiorite se retrouve plus tard, alors que M.X travaille depuis quelque temps : 

« Pour simplifier, je dirais que ce qui m'apparait actuellement, a l’epoque 9 a 
m’aurait paru impossible de le dire, mais il me semble que j'ai toujours voulu etre 
Dieu le pere. Je voulais toujours etre le maximum. Ca me paraissait evident. » 

Nicole aubert et Vincent de Gaulejac, Le cout de I'excellence, Seuil, 2007. 

Ainsi, on peut vraisemblablement se demander si le parcours dans les grandes ecoles n’a pas 
fortement influence cette tendance a se prendre pour Dieu, en plus d’une education familiale ou, 
semble-t-il, il se devait d’acquerir du pouvoir. 

La realisation de soi dans les grandes ecoles, est a des lieues de la modestie, de l'humilite, 
de la solidarite : l'autre est ressource a utiliser pour son profit ou ennemi a combattre. 


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« On n’y apprend pas a se remettre en cause, explique-t-elle. On en sort 
gonfle du sentiment de sa propre importance, obnubile par la seule reussite eco- 
nomique. » 

Source Rue89 : Florence Noiville http://rue89.nouvelobs.com/2009/09/13/ 

les-grands-ecoles-fabriquent-elles-des-tueurs 

Les critiques pleuvent sur les grandes ecoles. 

— Elies sont cheres, done communautaristes : 

« Souvent issus de vieilles families bourgeoises, les etudiants des ecoles de 
commerce vehiculent les valeurs reactionnaires qui prevalent dans leur milieu. 

Au cours de ma scolarite, j’ai entendu un nombre incalculable de reflexions 
sexistes, racistes et homophobes sans parler du mepris de classe dont font preuve 
certains etudiants de l’ecole.» 

Source Rue89 : http://rue89.nouvelobs.com/2Q12/01/23/excellentes-les- 

ecoles-de-commerce-mon-oeil-228648 

— Les cours y sont loin d’etre excellents. 

— Elies n’assurent pas forcement l’emploi comme promis : ce qui compte pour le recrute- 
ment, e'est avant tout le reseau (e’est-a-dire le piston...), et le reseau, e'est souvent les plus aises 
qui font d’emblee... 

— Elies assurent la reproduction sociale, e'est-a-dire qu’elles creent des rcmplagants pour 
les dififerents systemes : 

« Apprendre a oser », clame-t-elle, cette ecole [HEC]. Encore une trom- 
perie. « Apprendre a ne pas oser », e'est surtout ce qu'on nous y enseigne. Se 
conformer au moule du systeme, en profiter au maximum, se faire un maximum 
de fric et le faire savoir, mais surtout ne pas oser changer les choses. A ce niveau, 
ce n’est meme pas « ne pas apprendre a oser », ce qui serait encore excusable, 
mais e'est bien « apprendre a ne pas oser », tout faire pour que les etudiants qui 
sortent de cette institution, s'ils n’ont pas encore ete formates par les annees de 
prepa, le concours et la fameuse vie etudiante du campus de Jouy-en-Josas, tout 
faire pour que ces etudiants ne soient pas refractaires a l'ordre etabli, mais le 
defendent pour defendre leurs hauts salaires, la renommee de l'institution qui 
les a tant pompes, et surtout, pour defendre leur caractere « d'elite de la nation ». 

Source : http://connaitrehec.over-blog.com/article-32459390.htmi 


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Et la, on voit poindre le plus grand danger, qui est que les grandes ecoles entretiennent un 
systeme qui finalement nous nuit a tous, que ce soit les individus qui y sont formates, la fag on 
dont ils travailleront sans vergogne plus tard, les desastres financiers, economiques et ecolo- 
giques qu'ils engendreront : 


« En 1984, je suis sortie d’HEC. Cette annee, ma promotion fetera ses 25 ans. 

Mais que fetera-t-on au juste ? Depuis toujours, HEC s’enorgueillit de former 
des as de la finance et des champions du marketing. Or, la faillite economique 
actuelle ne decoule-t-elle pas precisement du triomphe de cet hypercapitalisme 
que, suivant le modele anglo-saxon, nous avons ete formes (ou deformes) pour 
mettre en oeuvre et pour servir ? » 

Source : http://connaitrehec.over-blog.com/article-32459390.html 

Le formatage est accepte par les etudiants parce qu'il repond a leur narcissisme : ils seront 
superieurs, ils seront puissants. Cette volonte de « realisation de soi » est pompee dans un seul 
but : preparer des killers qui capteront le profit et la puissance. Et meme si on voit apres qu'ils 
donnent tous des explications diverses pour argumenter leur soif insatiable de pouvoir, il n’en 
reste que c'est leur ego, leur idee de realisation de soi, leur narcissisme qui est exploite pour les 
faire rentrer dans cette course parfois totalement immorale. Et ceux qui concoivcnt le pouvoir 
differemment, de fagon plus solidaire, plus morale, moins narcissique ; ceux qui cherchent a 
realiser un projet plutot qu'eux-memes s'ecartent ou sont ecartes des endroits qui auraient pour- 
tant besoin d’eux. 

■ JE SUIS LE PLUS FORT, LE PLUS SUPERIEUR, JE SUIS LE 
MEILLEUR 

Le pre-formatage aux grandes ecoles n'est pas forcement necessaire pour « orienter » le nar- 
cissisme d’une personne, pour lui donner une idee tres precise de la realisation de soi. Parfois, 
cela se fait sur le terrain, dans des fonctions qui n’ont de superieures que l'apparence et quelques 
petites responsabilites. Cependant, on peut vite y contracter « la grosse tete » et etre entraine 
dans une spirale egocentrique ou Ton jouit d'un sentiment de pouvoir, de superiorite totalement 
illusoire : 


« Au lycee, au college, dans tous les sports que j’avais pratiques jusque-la, 
je nourrissais en moi l’envie d'etre premiere. J'avais envie de me mesurer aux 
autres et de l’emporter. Or, McDonald's offre une multitude d’opportunites qui 


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permettent aux employes d'assouvir ces ambitions. [...][apres un premier CDD 
chez McDonald's, elle rejoint un nouveau restaurant de la chaine] Je n’etais plus 
la pour me confonner aux normes et « faire de bonnes caisses ». Je nourrissais 
l’envie d'avoir une promotion. Je voulais poursuivre mes etudes tout en obtenant 
de « monter » swing manager a mi-temps. Je voulais qu'ils me trouvent telle- 
ment performante que le fait de me former responsable de zone, meme pour 
(seulement) vingt heures par semaine, serait considere comine un investisse- 
ment rentable. Je voulais reussir [...]. J'etais la pour me depasser, et surtout pour 
depasser les autres. Je trouvais egalement que beaucoup d’equipiers n’etaient 
pas suffisamment investis ou motives, qu'ils ne consideraient pas suffisamment 
l’importance de la reussite, de la perseverance et du depassement de soi. J'appre- 
nais toutes les normes par coeur et je les appliquais scrupuleusement. J'observais 
mes collegues afin de corriger leurs erreurs. Je critiquais le travail des managers 
(en salle equipier et a la maison), persuadee de pouvoir faire infiniment mieux 
qu'eux a leur place. Bref, je devenais insupportable. 

Je me comportais comine s’il etait evident que j’etais la meilleure, que je 
savais tout mieux que tout le monde et que personne n'avait plus rien a m’ap- 
prendre. Je tenais tete aux equipiers, aux responsables de zone et aux managers, 
avec une assurance here et arrogante. » 

Helene Weber, Du ketchup dans les veines, ERES, 2011. 

On aurait tendance a croire qu'il s'agit d’un probleme individuel de grosse tete, mais n’im- 
porte qui la prend quand on l’etiquette et qu'on l’influence a l'avoir : « tu es le meilleur », « tu es 
le plus doue », « toi tu as tout compris », « heureusement que tu es la pour nous sauver ». Ces 
etiquetages sont clairement orientes : individuels, ils nient le travail de groupe, differencient la 
performance et l’attribuent a l’individu. Et cela meme quand le travail est totalement collectif 
comine dans un restaurant rapide... Ce qui a pour efifet de gonfler l'ego de la personne, de la 
pousser a se comporter d’une maniere servant les interets de l’entreprise et qu'elle en oublie 
totalement la nature du travail en question ou les faits : c’est sa personne qui est en jeu. 


[Helene est a present formatrice, mais fait deja le travail de manager. Le 
restaurant annonce qu'il va promouvoir des formateurs, elle n’en fait pas partie 
malgre son travail de manager et ces evaluations excellentes] « Et la, il se passa 
en moi une chose que je ne m'explique pas encore tres bien aujourd’hui : je de- 
cidais de travailler encore plus dur. [...] j’allais etre encore meilleure, pour que 
tout le monde reconnaisse que cette decision etait injuste. J'allais etre tellement 
performante que j’aurais une evaluation "exceptionnelle" ». 81 


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L'engagement est devenu total, au point que les injustices en deviennent des motivations a 
travailler encore plus dur : on voit alors tout l’interet d'une entreprise a couvrir son employe de 
compliments, a le pousser a « se depasser». 

« [Helene est devenue responsable de zone ; parallelement, elle reprend ses 
etudes de sociologie ; le travail commence a lui paraitre repetitif. Puis son an- 
cien directeur lui propose un poste de manager dans un autre restaurant] Cette 
proposition me fit hesiter. C'etait un espoir de renouveau. Pourtant, je declinais 
l’offre. D'autres interrogations m’avaient traversee. J'avais travaille a prendre du 
recul par rapport a ce qu'etait effectivement le travail chez McDonald's et tout 
ce que representait l’entreprise. Les choses ne m’etaient apparues que progressi- 
vement, a partir du moment ou je m’etais donnee la peine de les regarder. Et ce 
que je voyais ne me pennettait plus de trouver du plaisir a m’inscrire dans l'or- 
ganisation. Je ne comprenais pas comment j'avais pu etre si meprisante a l’egard 
du travail des autres, comment j'avais pu faire preuve de tant d’ ambition au 
detriment de la reussite de mes collegues, mais egalement comment j'avais pu 
prendre tant de plaisir a tout cela. Pourquoi j'avais accepte de nourrir ce climat 
de rivalite et d’hostilite des individus les uns envers les autres ? Pourquoi avoir 
travaille si dur pour ne vendre que des sandwichs ? Cet acharnement au travail 
valait-il le prix que je l'avais paye ? 

C'est comine si la valeur de chaque chose se modifiait, comine si un brouil- 
lard se dissipait. Pourtant, tout le temps que j’avais passe a travailler la-bas, 
j’avais eu le sentiment de travailler pour moi, et que ma reussite, je ne la devais 
qu'a mes qualites propres. En fin de compte, je n'avais fait que ce que Ton atten- 
dait de moi.» 

Helene Weber, Du ketchup dans les veines, ERES, 2011. 


« Ce brouillard » qui aveugle le salarie n’est pas juste signe d’une exploitation du narcis- 
sisme. II n'est pas uniquement du a l'etiquetage, aux flatteries, a la reconnaissance orientee. 
Le fait de pousser l’individu a se sentir « le plus fort, le meilleur, superieur », tant parce que 
les superieurs lui disent, que les marques de distinction (promotions, avantages...) n’est qu'un 
aspect du probleme. Cependant, tout le monde peut y etre sensible, parce qu’on peut avoir une 
mauvaise estime de soi (Helene raconte a un moment son annee a hypokhagne, ou elle ne re- 
cevait que des remarques lui disant qu'elle n’etait pas a la hauteur, pas assez performante, pas 
meritante) ; ou au contraire une haute estime de soi. 

On retrouve cette amorce du narcissisme aussi bien a l’embauche « on vous a choisi, car 
vous etes le meilleur », pendant la fonnation et durant les seminaires, les bilans.... Tout est bon 


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pour renforcer l’image de « winner » que se doit d’avoir le salarie et cela passe egalement en 
renforcant l'image victorieuse de l’entreprise. Cela marche par transfert symbolique, qui est, 
rappelons-le, un processus inconscient : « je suis salarie de l’entreprise > l’entreprise a des resul- 
tats excellents et enchante le monde > je suis un enchanteur excellent ». Sans compter que ces 
representations narcissiques se font en public, ce qui attenue immanquablement l’esprit critique 
de l’individu, le rend plus credule, plus passionnel (dans le sens ou la raison n’est plus autant au 
rendez-vous). 

Concretement, susciter, renforcer, remettre en priorite l'expression du narcissisme chez l'in- 
dividu sert a : 

— Creer chez le salarie un sentiment de reussite, de realisation de soi. Interpreter ce genre 
d'evenement en tant que « reconnaissance » des performances est une erreur : on l'a vu, la vraie 
reconnaissance est difficile en entreprise et son expression la plus juste se traduit encore par une 
reconnaissance materielle, coniine un interessement aux benefices. 

— Ce sentiment de reussite sera comine une ligne de cocaine : hautement plaisant, gonflant 
l’estime de soi, avec un effet qui s'estompe tres rapidement et une addiction tres rapide. Ce sen- 
timent va devenir la carotte du salarie sans que l’entreprise ait besoin de faire quelconque effort 
en ce sens. Le salarie va tout faire pour retrouver ce sentiment, done se depasser et employer 
n’importe quelle methode pour parvenir a ces reussites. 

— Quand une contrariete s'interposera le salarie ne s’en prendra pas a l'organisation : vu que 
son narcissisme est gonfle a bloc, il ne peut supporter de contrariete ni les voir avec du recul et 
il combat l’injustice en travaillant encore plus fort. II s'agit pour lui de montrer a tous qu'il est le 
meilleur, de facon encore plus flamboyante. Done la direction peut tres facilement faire n’im- 
porte quoi, le salarie en fera une blessure narcissique qu'il guerira a coup d’exploit personnel. 

— Mettre les salaries en mode « narcissique » les rend bien plus manipulables, plus ma- 
niables. Quelqu'un d’egocentre ne pensera pas a questionner, remettre en cause le systeme 
en profondeur, il ne verra pas les situations et toutes leurs composantes, il ne verra que lui. 
S’il remet en cause le systeme pour sa propre promotion, dans le but de son profit personnel 
nous avons la un autre type de fonctionnement qui, bien qu’egoiste, n’est pas un point de vue 
egocentre : il s'agit la d’un manipulates en puissance, done parfaitement au fait des situations, 
conscient des acteurs et de leurs relations, et meme possiblement tres empathique, ce qui n’est 
pas le cas de celui qui s'est fait gonfle le narcissisme. 

Rappelons que cet egocentrisme est un egocentrisme de situation : il a ete pousse, renforce 
par ceux qui ont mis en place les situations. Ainsi, les personnes auraient pu etre humbles, plus 
empathiques si elles avaient ete plongees dans d’autres contextes de travail. Done, un win- 
ner-killer-vendeur, vous attaquant avec une arrogante confiance pour vous convaincre que vous 


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avez besoin de son produit n’est pas un « sale type », c'est un pion parfaitement moule par son 
entreprise. II ne s'agit pas de deresponsabiliser les individus, mais de restaurer une image plus 
complete de la realite : avec un « sale type », on s'enerve, on l’accuse, on le prend en grippe 
ce qui se conclura par un moment extremement desagreable qui ne changera rien, peut-etre 
meme qui renforcera l’arrogance ou le cynisme du vendeur. Si on considere qu’il a ete moule, 
non seulement on comprend qu'il ne nous en veut pas personnellement done on se pacifie, 
mais on peut egalement trouver des strategies efficaces : l'ennemi est le systeme qui a produit 
cet individu, il faut s'attaquer aux regies et normes de ce systeme qui guide sa conduite. 

■ « TU ES UN SOLDAT DELITE, TU ES UN SPORTIF, TU ES 
UN PERE, TU ES UN JOUEUR » 

Se sentir superieur pour etre superieur ne suffit pas. Certes, la satisfaction peut tenir un 
temps, mais la realite prend le dessus, et le « depassement de soi-meme » apparait alors 
comine une pure exploitation auquel on a pris part par narcissisme ou justement parce qu'on 
se sentait « nul », parce que d’autres contextes nous ont etiquete « inferieur » . Alors, il faut 
donner une autre couleur a cette course a l’excellence, a la productivity, au « depassement », 
afin que la personne ait l'impression de « se realiser » pour une cause qui en vaut la peine, 
pour que la personne se sente epanouie dans un role important. 

Comine en marketing, il s'agit de coller des concepts, des symboles, des metaphores, des 
histoires a la realite et forcer la confusion par des strategies manipulators. Sauf qu'ici, il ne 
s'agit pas de rendre « magique » un produit, mais de faire passer le travail pour ce qu'il n'est 
pas. Cela va de la simple metaphore a la fiction. Par exemple, pour faire le menage chez soi, 
on prend parfois la metaphore de la guerre : on lutte contre la poussiere, notre liquide vaisselle 
c'est une arme chimique contre l’ennemi, chaque piece rangee est un territoire de gagne contre 
l’ennemi. Cela donne du courage, de l’entrain, un brin d’humour et cela motive les « troupes ». 
Mais cependant, on ne fait pas les choses si differemment sans la metaphore. Ce que nous 
appelons fiction serait dans ce cas de faire des conseils de guerre avant chaque session de me- 
nage, d’etablir des plans strategiques entre membres de la famille nommes generaux, de faire 
des chants militaires avant chaque bataille et, hors temps de « guerre », conter les histoires 
des generaux passes, leur courage et leur determination a toute epreuve quand ils firent face 
a une assiette pleine de gruyere et qu'ils reussirent leur mission alors meme qu'il n’avait plus 
de liquide vaisselle. On donnerait des medailles, on s'autocongratulerait, le tout dans le plus 
grand serieux, parce qu'en temps de guerre, on ne rigole pas. 

N’est-ce pas nettement plus attrayant d’envisager le menage ainsi, n'est-ce pas une mission 
nettement plus epique bien que ce soit egalement fort ridicule d’un point de vue exterieur ? 
Et bien, c'est ce que font bon nombre d’entreprises avec leurs salaries : on retrouve cette 
metaphore de la guerre, mais aussi celle du sport, de la famille, du groupe d’amis.... Parfois 


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elles sont melangees (on se depasse comme le sportif pour conquerir le territoire de I’ennemi ; 
on se soude comme une famille pour depasser ses records ; etc.), parfois elles sont plus liees au 
produit, au style applique au produit. 

« [fenwick ; reunion annuelle des commerciaux ; conference d’un directeur :] 

Alors, le football, c'est un true dont j’ai horreur. Et puis, en discutant, finalement 
on a reussi a me convaincre qu'on pouvait vraiment faire une analogic entre le 
football et avec l’entreprise. Done, grand moment, je vais vous presenter une 
video, c'est une video vraiment tres tres interessante, il s'agit d'un entraineur de 
football, bien connu, Aime Jacquet et c'est un entretien avec ses joueurs, juste 
avant un match, dans les vestiaires. [video] (...) et venez pas m’emmerder, venez 
pas m'emmerder, fixez-vous des objectifs tous ! Qu'est ce que je peux faire, je 
suis avec qui, qui est a cote de moi, quel est ses principales qualites[sic], qu'est 
ce que je dois faire... (...) mettez-vous dans vos meilleures dispositions ! [...) 

Muscle ton jeu ! [le conferencier imite le geste de Aime Jacquet] Si tu muscles 
pas ton jeu, attention je t'assure tu va m’entendre, tu vas avoir des deconvenues 
parce que tu es trop gentil. » 

« Vous les managers, votre boulot c'est de mettre en route le jeu, mettez les 
attaquants dans les meilleures dispositions, a vous de jouer, jouer comme vous 
le savez. Prenez vos responsabilites, fixez-vous des objectifs. Bien evidemment, 
nous on vous en fixe des objectifs, mais ca suffit pas, il faut vous aussi vous fixer 
des objectifs. La strategic a pas bouger c'est d'etre le numero un mondial. Que 
tout le monde n'est pas Zizou, c'est vrai, vous n’etes pas tous capables de faire 
250 chariots, mais on a besoin de chaque chariot, de chaque vendeur. » 

« Tres clairement on a la possibility de regagner de la productivity, faire plus 
de chariots par mois et par vendeur et ca, c'est muscler son jeu. Done si vous 
voyez un concurrent qui a des difficultes et qui est en train de mourir sur le bord 
de la route, surtout n’hesitez pas a l’achever. [sic] » 

Documentaire La mise a mort du travail, de Jean-Robert Viallet 

Tout parallele entre le sport et le travail est faux pour la simple raison que dans le sport, les 
circonstances sont neutralisees a leur maximum : le cadre de la competition est balise, controlee 
en son maximum, les conditions sont claires. On ne fera pas jouer des footballeurs en pleine 
tomade, avec un ballon de rugby, une equipe incomplete, sur une route ou la circulation n’est 
pas coupee. Le jeu serait alors injuste, or c'est ce qui se passe au travail : notre equipe peut etre 
incomplete, les circonstances empechent nos competences de s'exprimer en leur maximum, des 
dizaines de facteurs changeants incontrolables par l'entreprise s'interposent entre le salarie et 
ce qu'il doit faire. De plus, il n'y a aucun temps d’entrainement au travail, il n'y aurait que des 
competitions perpetuelles. 


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Prendre la metaphore du sport, c'est nier ceci et faire comme si tout tenait a l’individu (en- 
core l’erreur fondamentale d’attribution), ce qui est extremement culpabilisant d'une part et qui 
force l'individu a trouver des tactiques pour modifier les circonstances qu'il subit : le vendeur 
va done faire en sorte de forcer le besoin chez le client, en le manipulant ; il va devenir agres- 
sif. Les consequences ne sont pas des moindres : cela empoisonne les relations humaines ou la 
confiance ne peut alors plus regner, cela empoisonne le monde parce que tous les clients s'em- 
barrassent alors de produits dont ils n'ont pas besoin et gaspillent leurs ressources pour l’inutile, 
cela empoisonne les acteurs de ce jeu, des vendeurs comme tous ceux de la hierarchie en faisant 
de leur vie un immense gachis nocif au monde, alors qu’il pourrait y avoir une place modeste, 
mais honnete et profitable au monde. 

On ne peut pas produire des performances equivalentes, on ne peut pas avoir un meme jeu, 
un meme niveau de competences perpetuellement. 

« Nous soinmes une grande famille » metaphore courante, qu’on retrouve dans les super- 
marches, ce qui est un comble pour des regroupements de plusieurs centaines de salaries. Cela 
sert principalement a singer le besoin d’appartenance et l’entreprise peut y exploiter les liens na- 
turels qui se font entre les individus. Cependant la realite detruit litteralement cette metaphore 
et la rend souvent ridicule. 

La metaphore du groupe d’amis n’est pas, quant a elle, dite explicitement, mais il est assez 
facile de la reconnaitre. Ikea par exemple, en fait usage : 

« Il y a plein de raisons de rejoindre IKEA, mais si vous demandez aux col- 
laborateurs pourquoi ils restent, la premiere reponse qu’ils donnent, c’est « pour 
les gens ». Nous ne sommes pas tres portes sur les titres ronflants, les bureaux 
fermes ou les jets prives et nous demandons a nos collaborateurs de laisser leur 
ego au vestiaire. Pourquoi? Parce qu’a ce moment-la, vous fonctionnez comme 
un membre de l’equipe, vous prenez du plaisir a faire ce que vous faites et vous 
le faites jusqu’au bout.» 

Source Ikea : http ://w ww. ikea. com/ms/ fr_FR/the_ikea_story/working_at_ 

ikea/what we ofifer.html 


La encore il s’agit d’ exploiter la tendance naturelle des salaries a se her entre eux et de l’ap- 
poser a la marque. C’est un probleme parce que c’est l’entreprise qui s’approprie une reussite qui 
ne doit qu’aux personnes, aux interactions entre elles : elles se seraient surement liees dans une 
autre entreprise. 


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La metaphore du groupe d’amis est mise a mal des l’entretien [vecu par Elsa 
Fayner, retranscrit dans son ouvrage : Et pourtant je me suis levee tot ] : 

« recruteur : — Que faites-vous si vous surprenez un collegue qui prend un 
billet de 20 euros dans la caisse ? 

— Je vais le voir dans l’arriere-boutique, je lui dis que j'ai vu son geste. 

— II aura sans doute des tas duplications a vous donner, vous savez... 

— J’essaie de le convaincre de remettre le billet dans la caisse. Je fais tout 
pour qu’il le fasse. Je lui dis que je vais le signaler au responsable, je le mets en 
garde. 

— Et s’il ne le remet pas ? 

— Je previens le responsable. 

— D’accord, done la, moi, je le vire. Etes-vous prete a temoigner par ecrit ? 
Etes-vous prete a aller jusqu’au bout, ou vous vous dites que vous laissez passer, 
que vous reagirez la prochaine fois ? 

— Je suis prete a temoigner par ecrit. 

— Cest ce qu’il faut faire. Parce que, et je le dis toujours en entretien, c’est 
le meme type qui va ensuite venir voler vos affaires dans votre easier. En plus 
si vous ne le denoncez pas et qu’une troisieme personne vous voit, vous pouvez 
etre accusee de complicite » 

Le travail reste le travail. Qu’importent les metaphores qu’on essaye d’y ac- 
coler, elles seront vite contredites par la realite. 

La metaphore de la guerre est celle la plus pregnante et cela dans tous les milieux : on 
conquiert les marches, on descend la concurrence, on deploie des commandos pour vendre 
coute que coute des assurances, le « killer » est le modele admire dans une guerre economique 
pennanente. On retrouve ce vocabulaire de guerre partout, mais, contrairement aux metaphores 
de la famille, tres bancales, l’entreprise peut operationnaliser cette metaphore : elle va vraiment 
considerer ses clients en territoire a envahir, a piller, a extorquer ; les salaries doivent defendre 
leur territoire, etre partout pour ne pas se laisser envahir par la concurrence. L’organisation 
prime les plus grands guerriers, fait une norme de cette violence, ce brutalisme. L’objectif est 
d’avoir le territoire le plus grand, avoir le plus de ressources possible et ne jamais s’en satisfaire 
ou de mettre en pause cette guerre. II ne s’agit pas de faire un certain profit, il s’agit de croitre 
continuellement sans se donner aucune limite. On est exactement dans la meme logique que 
les etats conquerants d’antan, excepte qu’ici on se bat pour vendre, pour imposer services et 
produits aux personnes/aux autres entreprises et ne laisser place a aucune alternative. Et cette 
metaphore fonctionne, est agissante chez les personnes pour la simple raison qu’elle est un fac- 
teur de motivation tres facile a susciter. Notre cerveau reptilien nous fait adorer ces questions 
de territoire a defendre ou a conquerir, nous fait adorer ces luttes suivies de victoires, d'autant 
plus si on les partage en groupe. 


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Cependant, notre cerveau reptilien est la partie archaique de notre cerveau, penser uni- 
quement par ces travers fait de nous une meute de loup, pas des humains. Plonger dans cette 
metaphore, y prendre pied et repondre a toutes ces exigences nous formatent a devenir violent, 
a perdre toute empathie, nous encourage a devenir manipulateur et a penser l’autre cotnme un 
citron a presser. Cela masque la realite, nous pousse a faire des actions peu ethiques, et, cela 
nous transforme en animal nuisible pour les autres et la planete. La societe valorise ces « kil- 
lers », or il n'y a rien de noble ou enviable a ce statut : c'est leur primitivite qui parle, c'est leur 
incompetence qui est mise en exergue, voire leur pathologie, pour les psychopathes s'acoqui- 
nant parfaitement a cette vision du monde. II n'y a rien d’honorifique a devenir un killer : c'est 
au contraire lacher prise et se laisser aller aux bas instincts. Cependant les entreprises ont tout 
interet a faire croire le contraire : le killer leur rapporte et il est facilement manipulable, facile- 
ment exploitable. 

■ DONC... REALISER SA VIE PLUTOT QUE SE REALISER SOI 
Se faire sa propre education 

Les « deviens qui tu es », « realise ton potentiel », « sois unique », sont devenus des in- 
jonctions de la societe de consommation, des slogans pronant un individualisme perverti « le 
soiisme » et ils ne menent, paradoxalement, a ne devenir que ce que la societe, les marques, 
les entreprises veulent qu'on deviennent : des consommateurs n’arrivant jamais a satiete qui 
se pensent raisonnables, des citoyens-plantes-vertes qui se dirigent vers la lumiere qu'on leur 
projette et qui pensent avoir decide eux-meme d’aller vers la droite ou la gauche selon leur 
volonte, des soumis au travail qui se pensent dominants. A cette notion de « realisation de 
soi » nous opposons la « realisation de sa vie », et cela commence tot, des l’adolescence. Cela 
necessite une grande curiosite et un poil d’audace pour aller a la decouverte de l’inconnu, de 
chercher a comprendre pourquoi telles pratiques ou idees sont rejetes par notre milieu (fami- 
lial cornme amical), de comprendre pourquoi d’autres pratiques, habitudes, sont considerees 
cornme des evidences et que personne ne les remet en question. Il faut, a un moment donne, 
pour s'emanciper, se faire sa propre education et non plus absorber passivement les influences. 
Il faut chercher d'autres influences, les opposer a cedes qu'on a recucs, les mesurer et encore 
en chercher d’autres a re-opposer, integrer ou coupler. Concretement, il s'agit de se confronter 
a d’autres cultures, d’autres ideologies, d'autres modes de vie, d’autres modes de pensees : en 
lisant, en vivant dans d’autres pays, en se sociabilisant avec des personnes qu'on n’aurait pas 
imagine rencontrer, en faisant nos propres recherches sur des questions qui nous intriguent, en 
experimental des activites et, globalement, en se confrontant a l’inconnu sans a priori. 

Cette « cuisine » des influences, cette auto-education par la decouverte et l’experimentation, 
devrait se poursuivre a l'age adulte : pour la simple raison qu'elle donne tout son sens a la vie, 
elle nous fait le plus grand bien, nous rend autonomes et nous protege de la manipulation. 


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Resister a la pression sociale et au conformisme 

Or, pour se faire sa propre education puis se lancer dans ses propres experimentations in 
vivo, un frein important est souvent la pression sociale. Elle atteint parfois un tel niveau qu'elle 
nous occulte toute une partie du champ de notre vision, nous fait croire a la veracite de certains 
prejuges, nous fait denier certains de nos attraits pourtant a des lieues d'une perversite ina- 
vouable : un enfant d’une famille elitiste peut avoir du mal a s'avouer que ce qu’il aime c'est le 
bricolage et qu'il preferait passer un CAP de mecano plutot que Science po’ ; untel peut avoir du 
mal a s'avouer qu’il n’a aucune envie d’etre promu parce qu'il est dans la norme de son milieu de 
vouloir grimper les echelons ; tel autre peut se mettre en mariage, avoir beaucoup d'enfants et 
une belle propriete alors qu'il ne revait que d'une vie mobile, sans attache materielle. La pres- 
sion sociale a, en quelque sorte, raison des reves... 

La premiere chose est de reperer cette pression sociale, de la desolidariser de nos pensees 
(done de la deceler dans nos autocensures ; quand une idee ne ferait de mal a personne, qu'elle 
n'est ni guidee par la colere, la haine ou des affects negatifs, pourquoi faudrait-il se l’interdire ? 
), de prendre conscience que ces « evidences » n’en sont pas, qu'elles sont des choix que certes 
une majorite/le milieu dans lequel on est a choisi, mais qui ne se valent peut-etre pas pour notre 
vie, a tel moment, dans tel contexte. Rappelons-nous l’experience de Asch : parfois l’erreur est 
dans le conformisme dont on fait preuve. 

Attention neanmoins : le conformisme n’est pas la « bien-pensance », le conformisme n’est 
pas une ideologic. C'est se conformer au milieu humain dans lequel on est place. En cela, il n'y 
a pas « un » conformisme, mais des micro-conformismes : un rebelle peut etre confonniste en 
suivant - meme sans etre d’accord - son mouvement dans des actes de violence ; un opposant de 
la politique au pouvoir peut etre parfaitement confonniste et sous pression sociale en choisis- 
sant un parti ou une interpretation du monde qui va le priver de ce qu'il demande pourtant ; etc. 

On ne juge pas la qualite d'un restaurant a sa tapisserie 

Et il en est de meme avec les activites qu'on peut etre amene a faire. Dans un restaurant, 
seuls la qualite de la nourriture qu'on ingere, son gout, sa preparation, devraient primer sur tout 
le reste : la decoration, le service, le decor, la musique ne sont que des influences qui, certes sont 
agissantes (on aura certainement moins de plaisir a rester a table si le serveur est desagreable), 
mais qui sont des representations. La seule chose qui compte par-dessus tout, c'est la nourriture 
et on decele bien de mauvais restaurants a leur gout immodere pour l’ostentation dans la deco- 
ration (mais ce n’est pas pour autant un indicateur liable : un restaurant moche peut egalement 
cumuler la mediocrite de ses plats)... Il en va de meme pour les activites qu'on mene, au travail 
par exemple, qui sont « decorees » de plusieurs facons. Decorations qui influencent ou modi- 
fient l’opinion que Ton peut avoir du travail en lui-meme, voire qui peuvent totalement masquer 
la nature profonde de l’activite qu'on exerce. 


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Ces masques sont les metaphores que Ton a explore (la famille, l’equipe sportive, la 
guerre...), le bien-etre de l’ego (les honneurs, la fausse reconnaissance, le statut ostentatoire...), 
les recompenses (salaires, avantages...). Cela nous empeche de voir la nature profonde de notre 
activite : ce sont des filtres qui changent les couleurs de notre environnement pour le rendre 
plus acceptable, plus enviable ou pour cacher les problemes. La societe favorise grandement 
rimportance de ces masques : on ne demande jamais a quelqu'un « qu'est ce que tu fais a ton 
travail ?» ou « concretement, cela consiste a faire quelle action ? », « ca sert a qui, a quoi ? » 
, on lui demande son metier, son statut et on parle des avantages (horaires, primes, ambiance, 
promotions...). Or le plus important, c'est ce qu'on fait efifectivement, concretement, dans nos 
gestes, nos paroles, nos actes au jour le jour. C'est exactement comine si on demandait a un 
ami de quelle couleur etait la tapisserie du restaurant qu'il nous conseille et s'il y avait un bel 
aquarium dans la salle, mais qu’on ne parlait jamais de la nourriture. 

Quand on cherche une profession, ou qu'on pense a son travail, qu'on cherche sa voie, il 
faut mettre au second plan tout ce qui concerne la satisfaction de l’ego (a quoi bon avoir un 
statut clinquant que l’autre trouve admirable si on s’ennuie a mourir toute la journee ; a quoi 
bon recevoir des flatteries sur notre extraordinaire competence si la competence en question 
est d’harceler les gens au telephone), ce qui est lie a la pression sociale (a quoi bon occuper un 
poste detestable mal paye si on est plus actif et plus utile aux autres au chomage), aux recom- 
penses (est-ce que des milliers d'euros valent qu’on abandonne notre morale en harcelant nos 
collegues ?). Certes, le salaire est important et travailler pour gagner de l’argent est parfaitement 
legitime : cependant il y a des limites en bas (on ne doit pas accepter de travailler pour moins 
que rien sous pretexte que c'est la crise) et vers le haut (avoir beaucoup de billets ne rachetera 
pas les entorses a notre morale et la conscience de nos actes peut se payer de sa vie, on le verra 
au chapitre harcelement). 

Les questions a se poser, a se reposer pourraient done etre : est-ce que je fais 9a parce que 
cela me donne une image ? Est-ce que je fais 9a par confonnisme a mon milieu ? Est-ce que 
je fais 9a parce que j'ai besoin d’amour, de reconnaissance ? Est-ce que j’aime l'activite en 
elle-meme ? Quelles sont les reelles consequences de mes actes ? Suis-je en accord avec mes 
activites ? Est-ce que j’eprouve un certain flow a mon activite ? Est-ce que je fais vraiment l'ac- 
tivite pour elle-meme ou pour d’autres raisons ? Si c'est d’autres raisons, il y a aura forcement 
un probleme un jour ou l'autre, que ce soit de la lassitude, un burn-out, une frustration enorme 
(si on travaille pour une raison externe, 9a ne resout en rien le probleme, la cause externe), un 
sentiment d’amaque, etc. 


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Conscience et Flow 

Le flow, meme s'il est une experience optimale, n’est pas garant d'une « bonne » activite. 
II est done important de prendre conscience de l'activite, de toutes ses ramifications, de toutes 
ses consequences : s'il n'y a pas de probleme, on y gagnera en satisfaction, en coherence, 
on n'aura rien a regretter, on se sentira parfaitement a notre place. Si au contraire, un cas de 
conscience se pose, on changera son attitude, son comportement, rorganisation, le travail lui- 
meme : le flow est tellement satisfaisant qu'on fera tout pour le retablir/retrouver les conditions 
de cet etat, avec la satisfaction conjointe de notre conscience. C'est pourquoi il n'y a aucune 
resignation dans le fait d’etre autotelique : chercher a s'epanouir meme dans les pires condi- 
tions est un moteur d’action pour ameliorer ces conditions. 

De plus, allier conscience et flow est une excellente barriere psychique a la manipulation : 

— Les engagements internes pris suite a des prises de conscience, des reflexions, a l’expo- 
sition volontaire ou involontaire (mais reflechis) a des stimuli particuliers sont d’excellentes 
parades aux engagements externes. Pour reprendre l'exemple du caissier precedent, l’individu 
qui souhaite atteindre le flow et qui reste conscient, meme sans identifier clairement la nature 
de la manipulation, va sans doute accepter de distribuer les bons de reduction, mais il le fe- 
rait en remerciant a sa facon, sans phrases stereotypees : parce que le flow ne s'obtient pas en 
agissant de fa?on mecanique, parce que c'est l'occasion de passer un meilleur moment, etc. Il 
ne voit pas pourquoi il respecterait une regie arbitraire qui gache son travail d’amelioration de 
son metier. Il a egalement conscience qu'etre robotique nuit au contact, il n’a pas envie d’etre 
penible aux autres sachant que ce sera encore plus penible pour lui. 

— En etant conscient, curieux et dans le souhait d'atteindre le flow, l'attention se porte 
sur l’environnement, le contexte : c'est un frein a l’erreur fondamentale d'attribution et, par 
consequent, un bon moyen de regler les problemes, de passer a faction pour changer les vrais 
determinants d’un ennui. En effet, il est plus facile de changer un contexte ou un environne- 
ment qu'une personne, et c'est souvent plus efficace : par exemple, celui qui fait l’erreur fon- 
damentale d’attribution, face a des clients penibles va les juger sur des criteres inchangeables 
« les vieux sont tous aigris », « les jeunes sont mal eduques » etc. La personne consciente et 
cherchant le flow, ayant toute son attention portee sur l’exterieur verra immediatement ce qui 
genere la mauvaise humeur des clients : ils doivent faire la file, ils restent debout longtemps 
dans une atmosphere etouffante. De simples chaises pourraient les rendre agreables. 

— En cherchant le flow, en l'experimentant souvent, en fondant sa vie sur ce qui le pro- 
voque, on en vient parfois a devenir autotelique, c’est-a-dire autonome, independant, cher- 
chant dans toute activite (meme cedes penibles) les moyens de retrouver le flow : c'est un 


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frein a la tendance a la soumission (parce qu'une attitude soumise est incompatible avec le 
flow ou Ton a un besoin d'etre acteur des situations) ; un frein a la volonte de dominer autrui 
ou de vouloir le pouvoir pour le pouvoir (parce que cela n’a strictement aucun interet quand on 
a connu le flow ) ; un frein au besoin de posseder, de popularity, de celebrite (parce que le flow 
nous comble et nous enrichit bien plus). Tous les leviers qu'utilisent les manipulateurs sont alors 
presque totalement inoperants. 

@TRAVAIL/ENGAGEZ VOUS ! LE FORMATAGE DES 
RESPONSABLES 

On a vu precedemment quelques pistes d’exploitation de la realisation de soi : un formatage 
prealable par les ecoles, puis une culture du narcissisme, le tout saupoudre de metaphores pour 
rendre le tout desirable et enviable. Les plus touches par ces questions sont ceux qui ont des 
responsabilites, des statuts superieurs : ils se doivent de s’engager, ils se doivent de se formater 
encore et toujours. Ce formatage est vendu comme la panacee, il est dit « statut superieur », on 
peut s'en enorgueillir et epater la galerie, faire saliver les subordonnes. 

Mais la realite est differente. Cette realisation de soi s'avere un sacrifice de soi, un soi mo- 
difie et oriente pour l’entreprise. Un soi qui peut devenir l’acteur principal de faits pas franche- 
ment ethiques, pas franchement honorables. 

Nous employons ici le terme de « responsable » parce que ce fonnatage ne touche pas uni- 
quement les managers. Certaines entreprises arrivent egalement a modeler leurs subordonnes, 
mais le formatage est plus difficile car la realite du travail est souvent en opposition avec les 
fictions de l'entreprise. 

Ce qui fait la difference, ce sont les responsabilites, qui sont une certaine fonne d’engage- 
ment : des lors qu’il y a engagement externe, on peut suspecter des strategies plus intenses de 
formatage. 

@TRAVAIL/ENGAGEZ VOUS ! LE FORMATAGE DES 
RESPONSABLES/L'EMBAUCHE 


Des lors qu'on postule pour un emploi « superieur », les enjeux ne sont plus les memes que 
pour les postes en bas de l'echelle : meme si la competition est aussi achamee, quelqu'un qui 
postule pour etre chef n’attend pas qu'un salaire. II a peut-etre fait ses etudes en fonction de ce 
poste, c'est peut-etre la carriere qu'il attend, cela peut etre considere comme une evolution pro- 
fitable de sa carriere. 

En postulant a des postes « superieurs », on ne cherche pas en priorite a resoudre ses be- 
soins physiologiques ou ses besoins de securite. II s'agit la d’une question de realisation de soi, 
d'une possible carriere qui est d’autant plus importante etant donne le contexte concurrentiel de 


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faeces a ce poste : diplomes, experiments, subordonnes attendant la promotion, sans parler 
des nombreux favoris du reseau et autres pistonnages. Reussir a se faire embaucher est alors 
vecu comine une victoire sur les autres et l’entreprise renforce ce sentiment d’etre le meilleur. 

Le moment de l’embauche peut s'averer etre un aveuglement total, ou l’ego et le narcis- 
sisme seront excites, meme si cet acces a l’emploi peut n’ avoir strictement rien de meritocra- 
tique et est guide par des biais psychologiques : 

Les recruteurs risquent de ne pas vous choisir, meme si votre CV et votre 
motivation semblent parfaits, si : 

— vous etes une femme, 

— vous etes trop jeune, 

— vous etes trop vieux, 

— vous etes handicape, 

— vous etes fumeur, 

— vous n’etes pas blanc, 

— vous n’etes pas mince, 

— votre tenue n’est pas au gout du recruteur, 

— vous etes une femme et que vous n'etes pas maquillee, 

— vous avez un nom a consonance etrangere, 

— vous avez une adresse dans un quartier de banlieue, 

— vous etes une femme et que vous avez des enfants, 

— vous etes une femme et que vous voulez avoir des enfants, 

— vous etes une femme et que votre mari gagne bien sa vie, 

— votre profil Facebook ne convient pas, 

— si vous n’avez pas de profil Facebook ou pas de trace sur internet. 

Source : Jean-Fran^ois Amadieu, DRH : le livre noir, Seuil, 2013 

L'embauche, c'est le moment des premiers bains ideologiques, avec des heures de presen- 
tation de la « culture » de l’entreprise, ses « valeurs ». Qu'on ne s'y trompe pas, la vraie culture 
de l’entreprise ne se presente pas, elle se voit dans les faits, les strategies des salaries, leurs 
habitudes particulieres et dififere largement de ce que l’entreprise nomine sa « culture ». C'est 
pour cela que nous emploierons le terme d’ideologie qui est plus approprie, plus juste ; quant 
aux valeurs, en entreprise, il s'agit d’injonctions comportementales floues, elles servent a justi- 
fier certains ordres, a masquer les ordres arbitraires et elles ont pour but de modeler l’individu : 

« On cherche clairement des gens qui pourront rentrer dans le moule Deca- 
thlon. Sociables, souriants, dynamiques, vital, flexibles et sportifs [...] Le role 
des valeurs est de tracer une ligne de conduite. II permet au collaborateur d’etre 


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dirige dans son quotidien. » 69 

Et le modelage commence tres rapidement : 

« Les apprenants ont d’ailleurs le devoir de descendre en magasin et d’in- 
terviewer des collaborateurs chevronnes sur les trois valeurs pronees par le ma- 
gasin. 

Cette demarche agace bon nombre de collaborateurs, questionnes ou inter- 
roges qui se sentent evalues. Cette methode conduit a reverbaliser les valeurs 
de la societe. Pour le collaborateur chevronne, il ne s’agit pas seulement d’une 
evaluation, mais aussi d’une occasion ou il est pousse par la pression sociale de 
l’entreprise a devoir montrer l’exemple aux neo-arrivants. En reaffirmant ces 
valeurs, il atteste son appartenance a la communaute des Decathloniens . Cette 
evaluation devrait permettre de renforcer la memorisation de ces valeurs, tant 
chez le vendeur chevronne que chez le nouveau collaborateur. Pour ce dernier, 
cela lui donne une occasion de les entendre a nouveau, ce qui instille une am- 
biance de communaute autour des valeurs de l’entreprise. L’un dans l’autre, cela 
provoque un renforcement de l’interiorisation de ces valeurs. » 70 

Le nouvel arrivant responsable va devoir devenir garant de ce moule comportemental : il 
doit etre exemplaire tant par son travail que par son attitude, ses decisions, ses strategies. Le 
responsable doit se mettre de cote pour incamer l’entreprise, tant par ses propres croyances que 
son style d’interaction avec autrui et par sa vision de la vie et du travail en general. 

La prise de poste est un moment de soumission maximale, parce que le responsable tente 
de se plier au moule impose, pour plaire, pour ne pas deplaire (conformisme et biais de desira- 
bility). Des lors, certains se fonderont totalement aux differentes exigences meme au-dela des 
esperances de l’entreprise (zele, presenteisme...), d’autres joueront le role attendu pour passer 
le cap puis se retrouveront par la suite, d'autres joueront le role attendu avec d’autres plans en 
tete. Ceux qui oseront apporter leur « patte », leur singularity, leur originality, leur experience 
differente ne seront generalement pas bien accueillis, voire rejetes. 

Done... De I'avantage d'etre nouveau 

Si risquee soit cette periode en tenne de fonnatage, elle est egalement un moment de grande 
opportunity en matiere d’experimentation sans risques. On se debarrasse de son biais de desira- 
bility (ou du moins on en prend conscience et on le maitrise), de sa tendance au conformisme et 
de ses differentes peurs (lies aux besoins physiologiques ou de de security) et on peut aborder 

69 Responsable recrutement et frais de personnel de Decathlon, temoignage issu de Pisser bleu memoire de master 
information et communication d'Alexandra Pirard 

70 issu de Pisser bleu memoire de master information et communication d'Alexandra Pirard 


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ce nouveau territoire de jeu avec des objectifs nettement plus palpitants que la seule bonne 
integration. II s'agit de profiter de son statut de nouveau pour tester sans trop de risques des 
attitudes anticonformistes : sauf qu’ici il n’est pas juste question de tester les normes implicites 
liees a l’espace, mais toutes les nonnes, implicites ou non, les fa$ons d'etre, les habitudes. Ce 
travail d’experimentation se fait par petites touches et demande une grande observation des re- 
actions. Concretement, cela va de tester des changements dans les procedures imposees et voir 
si cela provoque un sourire etonne ou de la colere (bon courage si c'est le cas...), de s'occuper 
a des taches qu’on ne nous a pas prescrites et de voir si on nous applaudit pour cela ou si on 
se fait reprimander (cela permet de tester la facon dont est considere l'autonomie), d’avoir un 
comportement non present, mais non reprehensible, par exemple prendre beaucoup de temps 
pour s'occuper correctement d'un client ou d'un subordonne en restauration rapide (cela permet 
de tester la tolerance a des valeurs externes a celles prescrites), etc. 

C'est un des rares moments ou Ton vous excusera d'etre anticonformiste, d’etre etrange ou 
de ne pas comprendre les normes implicites : profitez-en, si votre « bizarrerie » est bien toleree, 
vous pourrez rester ainsi et aurez bien plus de facilite au hacking social par la suite, s’il est 
necessaire. De plus, cela vous encourage et auto-amorce a etre plus creatif, original, done a etre 
a l’oppose du formate. 

Si aucun de vos tests n'est concluant, que cela ne provoque que des reprimandes, des sou- 
pirs de lassitude, tous les « done » de ce chapitre sur le travail risquent malheureusement de 
vous etre utile. 

@T RAVA IL/ENGAGEZ VOUS ! LE FORMATAGE DES 

responsables/Stages, coaching et semi- 

NAIRES 

Nous ne parlerons pas ici des formations legitimes, c’est-a-dire de celles qui apportent de 
vraies nouvelles competences, de nouvelles connaissances utilisables dans d'autres emplois. II 
va sans dire que c'est evidemment un point positif. 

Nous parlerons ici uniquement de pseudo-fonnations, de sessions de coaching et semi- 
naires qui n’apportent aucune nouvelle competence ou connaissance et qui ne servent qu'a 
mouler l’individu, le manipuler, changer l’apparence de ses comportements afin de satisfaire des 
desirs qu'on peut qualifier d’eugenistes de la part de l’entreprise. 

Ces sessions de developpement personnel sont presentees comine des possibility pour l’in- 
dividu de s'ameliorer en tant que personne, developper ses competences relationnelles, se de- 
velopper pour avoir plus d’impact sur son equipe/ses clients. 


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« Tu ne seduis pas assez », c’est ce qu’on reproche a une jeune cadre en 
open-space. Alors que ses resultats sont excellents, que ses clients sont tres 
satisfaits, son manager lui present tout de meme une formation pour avoir la 
« bonne attitude ». Etre reserve ne convient pas, quels que soient les resultats 
de cette jeune cadre, il faut tout de meme que Tentreprise tente de la changer. 

La coach de la formation aura des mots bien revelateurs « attention ! je ne suis 
pas la pour changer votre caractere, mais juste pour reveler la personne que 
vous etes. La vraie vous. » Car elle n’etait pas vraie auparavant ? Car il faut etre 
necessairement extraverti au travail ? Comine le dit l’auteur, « affinnez-vous... 
pour mieux rentrer dans le moule ». 

Alexandre des Isnards, Thomas Zuber, L ' open space m 'a tuer , Hachette 

litterature, 2008 

Le gros probleme de ce genre de coaching, e’est qu’on apprend aux salaries a tenir un role : 
paraitre plus sociable, plus extraverti, plus sur de soi, plus autoritaire... On y apprend a masquer 
l’introversion, a feindre l’interet, a feindre la joie de la sociability. On casse le naturel de la per- 
sonne, on la pousse done a etre plus hypocrite, plus actrice, on l’incite a mettre la priorite sur les 
apparences comportementales plutot que sa realite et le fond qu’elle porte. Et tout cela sans que 
la personne n’ait jamais eu de problemes avant, ni dans son travail, ni avec ses collegues... Cest 
poser un probleme la ou il n’y en avait pas, e’est dire a la personne : « ta personnalite n’est pas 
convenable, change-la ». En plus d’etre humiliant, faux, e’est changer le probleme de place : les 
personnalites diverses et variees ne sont pas un probleme, excepte si celles-ci nuisent aux autres 
ou leur travail (les personnalites psychopathes par exemple) ; le vrai probleme est Tintolerance 
de ceux qui estiment qu’untel devrait changer de trait de personnalite. 

Cest un probleme pour Tentreprise en premier lieu ; revolution ne se fait que par la ren- 
contre des differences : 

— Que ce soit dans la nature : se reproduire avec quelqu’un de totalement different de 
soi sera excellent d’un point de vue genetique contrairement au fait de se reproduire avec un 
membre de la meme famille, ce qui ici entrainera des pathologies, des degenerescences. 

— Ou dans la societe : des peuples differents echangeant commerce, connaissances evolue- 
ront plus vite que s’ils sont fennes Tun a l’autre et qu’ils ne se rencontrent que pour la guerre. 

Les differences des uns et des autres sont une richesse, apportant des idees, des compe- 
tences d’horizons divers et tout ce melange, s’il est accepte, fera evoluer Tentreprise, la fera 
s’adapter bien mieux aux changements qu’elle pourrait rencontrer. Imposer un moule comporte- 
mental e’est faire de Tentreprise un bonza'i alors qu'elle pourrait etre un peuplier aux branchages 


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L'homme formate Formatage au travail 


souples et s'adaptant a l’environnement changeant. Fort heureusement, le coaching seul, isole, 
ne peut pas transformer une personnalite. 

Mais quand l’entreprise envoie ses salaries se faire coacher, a-t-elle vraiment cette volonte 
eugeniste ? On peut raisonner en terme d’image : l’entreprise souhaite juste les memes manne- 
quins comportementaux pour se presenter devant le client, il ne s'agit la que d'un role d’acteur. 
L’entreprise ne le dit pas clairement, laissant au coach le soin de faire croire que la personne 
va devenir « vraie » avec ce jeu supplemental afin que tout ce cinema soit plus impliquant, 
plus engageant. Mais meme si ce jeu arretait d’etre hypocrite et que les salaries etaient inci- 
tes a prendre plutot des cours de theatre (ce qui serait plus efficace dans ce but) on sent la un 
probleme de faille : si on reprend l’exemple de la jeune cadre d 'open-space, l’entreprise, plutot 
que de faire des depenses inutiles en coaching, aurait tout interet, si elle est si etonnee qu’une 
introvertie reussisse neanmoins a obtenir des bons resultats, a discuter avec elle, a apprendre 
d’elle pour faire profiter de ses techniques aux extravertis. On en revient done a l’eternel meme 
point : le pouvoir. Le superieur ne peut pas supporter de ne pas avoir le controle, d'avoir des 
faits qui lui echappent et plutot que de chercher a comprendre et par la meme, faire gagner a 
l’entreprise une ouverture profitable, il va tenter de goinmer la difference. Parce que cela ras- 
sure son point de vue tout-puissant, parce que cela lui evite de mettre en question son systeme 
de pensee, parce que cela preserve ses prejuges qu’il estime etre gageure de sa propre reussite. 

Certaines sessions de coaching ne servent pas a modifier les traits de caractere, mais a en- 
gager le salarie : 


Nous sornmes dans un seminaire qui se deroule dans un « accrobranche ». 
Les salaries doivent se lancer dans le vide (ils sont accroches, bien sur). Avant 
de se lancer, ils doivent formuler un engagement lie a l’entreprise qu’ils se sont 
choisis : « A l’avenir, je communiquerais plus et mieux pour pouvoir donner 
les taches et les processus plus vite et plus efficacement et au bout du compte 
j’augmenterais le chiffre d'affaires » ; « a l’avenir, je travaillerais davantage pour 
apprendre encore plus vite et pour pouvoir mieux epauler mon equipe » ; « a 
l'avenir j'interviendrais davantage pour aider le groupe de maniere plus concen- 
tree. Quelquefois il est plus facile que chacun travaille davantage dans son coin, 
mais on a vu aujourd’hui qu'il faut mieux s'atteler aux choses tous ensemble 
meme si cela ne va pas toujours de soi ». Puis ils se lancent. 

Documentaire, Au travail, corps et ame, Arte 

On a la une pure manipulation (on pourrait meme parler de programmation men- 
tale) : on associe une sensation forte et une emotion a une idee en faveur de l’entreprise. 


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Formatage au travail L'homme formate 

Forcement l’inconscient associe le discours et l’evenement vecu et [’engagement prend 
litteralement « corps » dans cette sensation, dans le reel depassement physique. Sym- 
boliquement et physiquement, c'est se jeter dans le vide pour l’entreprise avec la force 
de l’engagement pris. Vu de l’exterieur et sans doute meme pour les participants, la 
scene peut paraitre ridicule ou folle. Pour l’inconscient, cela fera loi. Si les publicites 
arrivent en 10 secondes a manipuler l’inconscient et y graver durablement des asso- 
ciations produit-emotion a des telespectateurs inattentifs ne vivant rien de particulier, 
qu’en est-il pour des associations ou le corps ressent le vertige reel physique, que le 
mental doit se « motiver » en fonnulant son avenir pour l’entreprise et se lancer en toute 
conscience apres l’engagement ? C'est ridicule, mais ce qui est certain c'est que cela ne 
peut qu'avoir un impact, mais pas forcement celui souhaite : penser a son avenir dans 
l’entreprise, c'est mettre son corps dans une situation dangereuse.... 

On lie egalement la peur de l’echec de son engagement et le depassement de ses peurs 
comine la maniere de survivre dans l’entreprise... 

Le travail, ce n’est done plus remplir son contrat, e'est-a-dire fournir une certaine producti- 
vity contre un certain salaire, productivity dont la fonne est ordonnee et sous les injonctions de 
l’entreprise, dans les limites du contrat. Le monde du travail reve de susciter de l’engagement 
chez ses salaries... Engager le salarie dans le travail, c'est lui faire interioriser les injonctions, 
lui faire croire qu'elles viennent de lui, ainsi il se poussera lui-meme a se depasser (et a depas- 
ser les limites du contrat en sa defaveur morale, et parfois financiere), a se culpabiliser en cas 
d’erreur, a s'attribuer tous les torts meme s'ils proviennent de l'exterieur. Quand on est engage, 
on ne pense pas argent, on ne lesine pas sur les efforts, on ne pose pas de limite : c'est une 
question d’engagement... Engager le salarie, c'est done lui faire prendre pour lui les objectifs 
de l’entreprise, qu'il en fasse son propre cheval de bataille, sa propre quete personnelle... C'est 
economique, cela permet a l’entreprise de se proteger de toute attaque (l’individu s’en prend a 
lui-meme), cela permet de faire outrepasser les contrats et les limites morales. 

« Une vingtaine de cadres, futurs dirigeants de societe, tries sur le volet, 
car ce stage de motivation represente l'ultime etape de la selection qui les fera 
acceder a des postes de commandement de tres haut niveau, debarquent dans un 
lieu idyllique, mais retire, ils seront coupes du monde durant leur sejour. 

Des leur arrivee, apres leur avoir fait visiter leurs appartements, on leur fait 
cadeau d’un petit chaton qu'ils doivent adopter, lui donner un prenom, le nour- 
rir, s'en occuper personnellement. Cela fait partie des exercices de « relation- 
nel ». A la fin du stage, le dernier jour, une fois les valises bouclees et le dernier 
excellent dejeuner en commun pris, un ultime exercice de « motivation » va 
clore la session : on demande a chaque participant d’etrangler son chaton. » 

Marie-France Hirigoyen, Malaise Dans Le Travail : Harcelement Moral, 
Demeler Le Vrai Du Faux, La decouverte, 2004 

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Les stages « chaton » represented l'ultime engagement : se departir de toute morale. Un 
engagement en chasse d'autres : ici, selon l’idee de ce stage, l’engagement envers l’entreprise 
necessite de dire adieu a un engagement interne tres pregnant « ne pas tuer »... 

C'est la aussi le but d’engager le salarie envers son entreprise : chasser d’autres engage- 
ments qui seraient plus prioritaires que le travail. Sans aller jusqu'a l'horreur des stages cha- 
tons, on percoit assez rapidement quand l’engagement pour le travail est devenu trop intense : 
la personne delaisse sa vie privee, prefere etre au travail qu'avec sa famille ou ses amis, aban- 
donne des activites, des passions qui pourtant lui tenaient a coeur. Mais la encore, les stages, 
les seminaires, les coachings, les formations, ne sont qu'une partie de la strategic d’engagement 
exteme ; c’est le tout qui fait la transfonnation. 

Done... negocier, casser les programmations 

Dans la mesure du possible, il faut eviter ce genre de traquenard : en negociant pour avoir 
plutot une formation qui donne une competence ou des connaissances concretes et utiles ; 
en demandant un entretien pour discuter et faire comprendre que le probleme n’en est pas un 
« Je vois que mon introversion vous pose probleme, j’aimerais connaitre avec exactitude les 
consequences de ce trait de caractere sur l’entreprise » et negocier autre chose (les coachings 
sont onereux, on peut jouer sur cet argument) ; on peut egalement mener sa petite enquete pre- 
amble sur le coach/seminariste : beaucoup de decideurs se font manipuler sur la necessite de 
faire appel a ces services, or il y a enormement d’escrocs, de sectes sur ce marche. Cela fera un 
excellent argument pour faire annuler le projet. 

On peut egalement saisir l'occasion de cette depense des decideurs pour orienter vers une 
autre depense « Vous avez paye telle somine [il est facile de se procurer un devis] pour nous 
ofifrir ce seminaire. Nous soinmes flattes que vous vous preoccupiez si bien de nous, cependant 
c'est exactement le montant suffisant a l'installation de cloisons dans V open-space, cloisons qui 
amelioreraient notre confort done notre productivity. . » 

Il s'agit done de reperer le traquenard le plus tot possible, d’enqueter et de preparer ses ar- 
guments pour negocier autre chose. Plus on est nombreux a s'occuper de l'affaire, mieux c'est. 

Il ne s'agit pas du tout d’entrer en conflit, bien au contraire, il faut exprimer sa gratitude 
d'etre l’objet d’une si grande depense, mais egalement faire annuler la depense en question ou 
la reorienter vers quelque chose de plus utile. 

Si c'est trop tard, rappelez-vous que le seminaire n’est pas une meme situation que le tra- 
vail : vous etes encore plus en droit de dire non, de ne pas jouer le jeu. La desobeissance est 
meme necessaire lors des stages chatons par exemple. 

Si vous n’avez pas dit non, et que vous avez ete « reprogramme » comine dans les sessions 
d'accrobranche qu'on a evoque, vous pouvez annuler la programmation avec un anti-seminaire 
de votre choix : « a l'avenir, je garderais des forces pour ma vie privee » ; « A l’avenir, je 
m’engagerais plutot a des causes qui ne servent pas que le profit de mes superieurs ». Ce sera 
tout aussi ridicule, meme si vous le faites a la fete foraine, cependant il s'agit de nettoyer ou de 
prevenir les dommages eventuels sur l'inconscient. 


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<®TRAVAIL/ENGAGEZ VOUS ! LE FORMATAGE DES 
RESPONSABLES/OUTIL : LES ETAPES DU DEUIL... 

Dans le cadre d'une recherche sur les maladies en phase tenninale, Elisabeth Kiibler- 
Ross psychiatre et psychologue, con$oit les « cinq phases du mourir » ; ces etapes sont 
egalement les memes - selon elle - lors de pertes catastrophiques (mort d'un proche, perte 
d’emploi, divorce, annonce d’infertilite...). Elle parle done, avec ces etapes, d'un ressenti face 
a l’adversite, d’evenement ineluctable, qu’on ne peut ni modifier, ni changer. 

Cependant, on retrouve ce schema partout applique aux changements dans l’entreprise, 
que ce soit dans les livres a destination des managers, que dans les cours, les conferences 
pour eux. Ce schema, dans le management, a diverses variantes : 

• Premiere etape 

Selon les livres de management : « annonce », « 1 . CHOC - SIDERATION : Le change- 
ment a ete annonce, il est vecu comine brutal par 1’ employe. » 

• Deuxieme etape 

Selon les Cinq phases du mourir, d'Elisabeth Kiibler-Ross : DENI « Ce n’est pas pos- 
sible, ils ont du se tromper. » 

Selon les livres de management : REFUS DE COMPRENDRE (incomprehen- 
sion, negation, rejet total) ; 2. DENI - NEGATION : « Ce n’est pas possible. », « Je 
ne peux pas le croire », « Non, pas lui quand meme... », « ca ne peut pas etre defini- 
tif ». Le deni est d’autant plus fort que le changement touche a quelque chose d’impor- 
tant. II evite a celui qui s’y accroche, de commencer son travail de deuil (etape 3). 
ex : le directeur commercial etait emblematique et tres apprecie de son equipe. 

• Troisieme etape 

Selon les Cinq phases du mourir, d'Elisabeth Kiibler-Ross : COLERE « Pourquoi moi 
et pas un autre ? Ce n’est pas juste ! ». 

Selon les livres de management RESISTANCE (inertie, argumentation, revolte, sabo- 
tage) ; 3. COLERE : sortie du deni, la personne fait face a la realite qu’elle ne peut accepter. 
Un sentiment d’injustice, une colere, souvent une recherche du responsable de son inconfort 
(dans une posture de victime). Ex. : « Ils Pont pousse a partir, ils sont alles trop loin », ou « II 
nous abandonne, il n’a pas le droit. » 

• Quatrieme etape 

Selon les Cinq phases du mourir, d'Elisabeth Kiibler-Ross : MARCHANDAGE 
« Laissez-moi vivre pour voir mes enfants diplomes. », « Je ferai ce que vous voudrez, 
faites-moi vivre quelques annees de plus. » 


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Selon les livres de management :DECOMPRESSION (tristesse, absence de ressort, de- 
sespoir, depression) ; 4. PEUR : La colere etait encore une maniere de ne pas affronter la realite. 
Cette etape passee, c’est la peur qui se manifeste face a la situation presente et future : peur de 
l’inconnu, peur de l’inconfort, peur de difficultes nouvelles, peur de ne pas etre a la hauteur etc. 
Periode de stress et de grande anxiete. Ex. : « Mais comment on va faire sans lui ? Et s’ils ne 
le remplacent pas rapidement ? Tu te rends compte du travail qui va nous tomber dessus ? » 
« Et si le nouveau veut remanier notre equipe, changer nos methodes, on va devoir tout re- 
commencer ! » 

• Cinquieme etape 

Selon les Cinq phases du mourir, d'Elisabeth Kiibler-Ross : DEPRESSION « Je suis si 

triste, pourquoi se preoccuper de quoi que ce soit ? », « Je vais mourir. . . Et alors ? » 

Selon les livres de management : RESIGNATION (absence d’enthousiasme et de 
convictions, attitude dubitative, nostalgie du passe) ; 5. TRISTESSE : Debut de T accepta- 
tion, prise de conscience pleine de ce qui a ete perdu et du caractere definitif de la perte. 
Regrets et nostalgie. Ex : la personnalite du directeur commercial, ses methodes de travail, sa 
vision ; les habitudes de T equipe autour de lui ; Taboutissement d’annees de collaboration. . . 

• Sixieme etape 

Selon les Cinq phases du mourir, d'Elisabeth Kiibler-Ross :ACCEPTATION « Mainte- 

nant, je suis pret, j'attends mon dernier souffle avec serenite. » 

Selon les livres de management : INTEGRATION (changement accepte, pas de nostal- 
gie, changement plus considere coinme tel, action de soutien) ; 6. ACCEPTATION : La per- 
sonne qui vit le deuil change de regard : elle se tourne vers Tavenir et essaye de « faire avec ». 
Elle n’est plus enfermee dans le deuil, le mouvement en avant devient possible. 
Ex. : moment ou T equipe commerciale s’organise pour pallier Tabsence du directeur, et ima- 
gine son successeur. « C’est difficile, mais on devrait y arriver sans lui », « Peut-etre que son 
rempla5ant sera aussi bien ? » 

Cet outil n’est pas marginal, bien que ce soit l'affaire France Telecom qui fait revele. Une 
simple recherche sur Google montre a quel point il est repandu, accepte, conseille aux mana- 
gers. L'un des livres de management dans lequel on l'a trouve (la version d'Elisabeth Kiibler- 
Ross) explique assez clairement l'objectif d’un tel outil : 

« La reconnaissance pour le manager de la necessite d’un travail de deuil 
pour imposer un changement est important » 

Patrick Amar, Psychologie du manager, Dunod, 2008. 


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Dans cet ouvrage ou les autres, il n'y a aucune reflexion sur la nature du changement en 
question ; pas plus qu'il n'y a de reflexion sur le fait de comparer une personne mourante a 
une personne a qui on impose un changement qui lui, peut etre reversible contrairement a 
la maladie grave. Or il semble que c’est exactement la que se situe le noeud du probleme des 
changements en entreprise. 

Par ce schema, on delivre en fibgrane aux managers des apprentissages clairement dou- 
teux : 


— Les changements doivent etre imposes aux salaries. 

— Ces changements ne sont pas negociables. 

— Ces changements sont forcement une fatalite irreversible qu’il faut faire passer en force, 
qu’importe si le salarie passe par la case colere et depression, il finira par l’accepter. 

— Connaitre les differents etats d’ame du salarie durant ces phases de changement impo- 
sees permet de se detacher, de ne pas etre influence par leurs revoltes/sabotages/demandes de 
negociation/depressions : ils finiront par accepter. 

— Il ne faut absolument rien faire, si ce n’est hocher la tete ou ecouter, c’est le temps qui 
finira par faire accepter aux salaries la situation changee. 

— Le salarie subit le changement, il n'a aucune prise sur lui, du moins on ne lui en laissera 
pas (on ne repond pas a la phase marchandage/negociation/argumentation). Done, certes, le 
manager se doit de le noinmer « collaborateur », mais dans les faits il est un subordonne subis- 
sant, devant obeissance et abnegation. 

— Le salarie ne peut etre acteur dans le changement. 

— Le manager n’est qu’un outil de plus appliquant le changement decide par de plus hautes 
instances. Lui non plus ne doit pas « marchander » ou remettre en cause le changement. Il sert 
en quelque sorte de pare-feu a ses superieurs : il doit subir les etats d’ame des salaries, resister a 
la tentation de prendre en coinpte leurs arguments pour imposer le changement, faire preuve de 
fausse empathie pour que la colere et la depression ne s’expriment pas de fag on trop virulente 
(une vraie empathie autoriserait les negociations). 

« [etape depression/tristesse] Une etape decisive, mais delicate en entre- 
prise : la tristesse peut y prendre la forme de l’abattement, du decouragement, 


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de la nostalgie. Elle croit progressivement jusqu’a la « depression ». Paradoxe 
de cette etape : elle donne l’impression d’aller vers le pire, alors qu’elle clot la 
descente et mene au renouveau ! C’est 1’ etape de transition vers la phase as- 
cendante. Un declic au cours de cette phrase annonce la fin de la descente et le 
debut de 1’ ascension. — fin de la phase de descente, debut de 1’ ascension — » 

Source : http://ccformation.com/tag/accompagner-le-changement/ 

— La depression est ici le signe avant-coureur de l’acceptation... Done si le collaborateur 
cumule les arrets maladie, les cachets, ce serait bon signe selon les dires de ce schema applique 
a l’entreprise... 

Non. La depression n'est jamais le prelude d'un bien-etre, c’est une situation qui peut virer 
au drame rapidement. La depression n’a rien d’une petite tristesse et l’ascension qui la suit mene 
parfois « au ciel »... 

Prendre un schema destine a des situations dramatiques pour l'appliquer a des situations de 
changement en entreprise entretient une confusion entre des termes qui ne sont pas a prendre 
a la legere : « depression », « deuil »... ; mais plus que tout autre chose, les changements en 
entreprise ne sont pas ineluctables : ils ont ete decides par des humains, on peut done les chan- 
ger, les negocier, les construire ensemble. Pour reprendre la confusion induite par futilisation 
erronee de ce schema, c’est comme si un medecin disait que votre bras casse n’etait pas repa- 
rable, qu’il fallait s’y adapter ; qu’il refusait vos idees de platres ou autre traitement ; que lors de 
votre phase de depression il se contentait de dire « oui, c’est triste de devoir faire le deuil de son 
bras droit » et qu’il vous encourageait juste a ecrire de la main gauche a present. II impose le 
fatalisme d'une situation qui vous nuit alors qu’il pourrait gerer cela tout autrement, voir vous 
guerir s’il avait pris en compte vos solutions. 

Ce schema applique a l’entreprise est clair : vous subirez nos decisions et, vos cris, vos 
arguments, votre comportement, n’y changeront rien, et cela meme si vous avez les plus bril- 
lantes des solutions, de toute fac^on on ne les ecoutera que pour vous calmer, certainement pas 
pour les mettre en oeuvre. 

Cependant, ne soyons pas mauvaises langues, il existe effectivement des changements 
ineluctables en entreprise : dans l’exemple du tableau, c’est le depart d’un directeur qui etait 
aime de tous. La coach en deduit que dans une telle situation, le manager n’a pas de mesure a 
prendre, qu’il n’a pas a intervenir, qu’il doit juste etre a l’ecoute. En effet, il ne pourrait pas, de 
toute maniere, faire revenir le directeur en question et ne peut que rassurer ou informer. Soit. 

Mais quel interet alors de prendre appui sur un schema destine aux personnes affectees 
par un traumatisme ? Le directeur n’est pas mort, les departs sont courants en entreprise, rien 
n’empeche les salaries de le revoir dans d’autres situations. La seule angoisse peut etre de se 
retrouver avec un mauvais directeur, mais cela, seul le temps le dira. Cela n’a - en apparence - 


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strictement aucun interet dans une telle situation. Cependant c'est revelateur : avec ce schema 
on rationalise les etats d’esprit percus chez autrui, done on les distancie de soi, on les observe 
comine des phenomenes quasi-mathematiques. Cela pennet de ne pas etre affecte par autrui, 
ou si on est psychopathe ou autiste, de comprendre ce qui se deroule. Cela pennet de savoir 
quoi faire, ici, c’est-a-dire rien. Cela cadre done les sadiques qui seraient tentes de se mettre 
en colere ou de punir ceux dont l’humeur lui deplait. Ce schema pallie done a l'incompetence 
ou a la pathologie mentale, aux troubles de la personnalite. Si les managers ont besoin de tels 
schemas pour des situations de changement si quotidiennes, c'est qu’il y a un enorme probleme 
de recrutement, de promotions : l'humanite, l'empathie, la comprehension naturelle du genre 
humain ne sont clairement pas a l’ordre des priorites chez le recrutement du manager, or c'est 
ce qui devrait predominer etant donne la fonction sociale de ce metier. 

Mais on peut raisonner ce probleme differemment : a force d’apprendre aux managers a 
utiliser ces outils, rationaliser tout et n’importe quoi, notamment ce qui n’est pas de l'ordre du 
rationnel, on les deforme a perdre tout sens cornmun permettant d’exercer naturellement et 
correctement son empathie. 

Ceci dit, nous ne pensons pas que ce schema est la pour pallier un manque d’empathie 
ou de comprehension ; il n'est pas la pour cadrer les derives des managers ni qu'il a pour but 
de faire rationaliser les banals changements; toute son utilite est clairement revelee dans les 
situations ou il faut imposer le changement traumatique (licenciement, reorganisation, muta- 
tions...) et prendre ce schema reserve au deuil n’est pas juste une terrible maladresse, c'est un 
parallele qui porte une verite derangeante : oui, imposer le changement revient a imposer de 
faire passer par un traumatisme. Cependant, ce que masque ce schema, lorsqu'il est applique 
a l’entreprise, c'est que le changement pourrait ne pas etre subi aussi violemment, il pourrait 
etre « marchande », negocie, construit avec les victimes du changement. Ce schema ne sert 
done que le pouvoir des decisionnaires, enleve tout pouvoir aux subordonnes, aux managers 
sur la situation. 

En resume : 

— Ce schema sert le pouvoir des decisionnaires : leurs decisions se font passer pour des 
faits ineluctables qu'on ne peut que subir, managers comine subordonnes. 

— Ce schema, applique a des faits cette fois irreversibles (depart d'un collaborateur...) n’a 
strictement aucune utilite. 

— Ce schema entretient de graves confusions en entreprise : la depression est vue comine 
une etape positive qui mene a l'acceptation ; de la il n'y a qu'un pas pour penser qu'il faut que 
le salarie passe par la depression pour accepter un changement dans l’entreprise, ce qui est 
gravis sime. 


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— Ce schema prive de toute voix les subordonnes et managers : leurs arguments, idees, 
leurs actes sont certes ecoutes, mais certainement pas consideres cornme possiblement appli- 
cables. 

Done... ce schema est signe d'un echec 

Pour avoir besoin d'un tel outil, e’est qu'on a laisse les problemes de l’entreprise evoluer, 
que les decideurs n’ont pas su s'adapter au fur et a mesure des changements ou encore que le 
commanditaire qui met en place ce schema est autoritariste ou a un probleme avec son pouvoir 
(il veut le prouver par exemple). 

II n’y a pas de traumatisme quand on sait s'adapter, qu'on regie les problemes quand ils 
arrivent : mais cette capacite d’adaptation qui necessite d'etre en coherence avec le present, a 
egalement besoin que les salaries soient le plus autonomes possible, qu'ils soient responsabili- 
ses et qu'il y ait une organisation favorable a la communication, avec peu de postes a niveaux 
intermediaries par exemple. Cela necessite une transparence : les decideurs doivent partager 
leurs idees, leurs strategies avec le bas ; cela necessite que le bas puisse influencer le haut et 
impacter les strategies en fonction des domaines de connaissance qu'ils ont chacun. Cela ne- 
cessite de ne pas avoir de plan rigide, d’organisation rigide, et que chacun ait plus de plaisir 
a reflechir a l’activite plutot qu'a son profit ou pouvoir personnel. Utopique ? Pas du tout, on 
verra a la toute fin que des entreprises fonctionnent ainsi, et meme de tres grandes entreprises. 

Un contre-schema de deuil pourrait se presenter ainsi dans une entreprise souple, plus 
horizontale, moins autoritariste : 

1. Communication des problemes auxquels s'attendre, des problemes survenus. Le haut 
cornme le bas se previennent mutuellement, au plus rapidement, pour ne pas laisser le pro- 
bleme s'etendre. 

2. Partage des idees pour solutionner le probleme, pour faire de l’ennui un avantage ; le 
bas cornme le haut apporte son point de vue. Cela peut etre des astuces du « bas » pour faire 
des economies sur le materiel, pour le rendre plus efficace ; ou encore des idees pour avoir des 
gains supplementaires... 

3. Tri/vote/negociation : les gestionnaires coniine les salaries reflechissent a l’operation- 
nalisation des idees, leurs limites, puis choisissent ensemble les solutions qui semblent les 
meilleures pour l'entreprise et les personnes. 

4. Experimentation des solutions, avec resultats visibles pour tous (par exemple, s'il s'agit 
de faire louer les bureaux inutilises pour faire face a une baisse du chiffre d'affaires, on affiche 
les economies et fait voir si elles arrivent a contrer la baisse du chiffre d'affaires). 

5. Adoption des solutions experiments qui ont resolu les problemes. 


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Impossible de suivre un tel schema dans des grandes entreprises ? II suffit de diviser en 
groupes, en petits secteurs, en equipes-projet, en « cellules » specialises autour d’une ques- 
tion. Le changement n'est plus un « traumatisme », il est un deli, une aventure et une possibility 
devolution positive, d’innovations, d’expression de la creativite et d’amelioration de l'organi- 
sation. Cela implique les salaries, rend plus interessant leur quotidien, les responsabilise, leur 
fait developper et exprimer des competences que leur travail habituel ne permettait pas, fait 
d’enonnes economies (moins d’appel a des services exterieurs), cela evite le conflit et sauve 
des emplois ; le seul « sacrifice » est celui du fantasme d’omniscience et d’omnipotence des 
decideurs et chefs, des prejuges sur le « bas ». 

Si on subit cet outil, qu'on soit manager devant l'appliquer ou subordonne, evidemment on 
serait tente de vous conseiller de « faire campagne » et de suivre les conseils precedents meme 
s’ils ne sont pas a fordre du jour. Cependant, si cet outil est mis en place et que le changement 
en question suppose des licenciements massifs, il est fort probable que tous efforts internes 
pour modifier la nature du changement soient inutiles : en ce cas, c’est a l’exterieur qu’on pourra 
tenter de changer la donne, par exemple en mediatisant tout ce qui pourrait se produire, dans 
le detail, un maximum de preuves a l’appui et cela le plus tot possible. L’autre voie exteme a 
suivre est celle des syndicats, de la justice : c’est dur, parfois contrariant, mais dans certaines 
situations c’est necessaire. 

Les managers et niveaux intermediaries ont un role determinant : ils sont souvent utili- 
ses cornme garant du changement, done leur desobeissance, leurs informations mediatisables 
peuvent rendre justice a tous les autres salaries. Ils ont le pouvoir de punir les responsables, 
cependant cela demande une grande prise de conscience. 

<®TRAVAIL/ENGAGEZ VOUS ! LE FORMATAGE DES 
RESPONSABLES/LA THEORIE DES ALLIES 


[vous pouvez egalement trouver la theorie des allies sous forme d’article : https: //hackingsocialhlog. 
wordpress. com/20 14/1 2/01 /hacker-le-chef-psvchopathe-la-theorie-des-allies/ ] 


La theorie des allies est une methode pour gerer ses « partenaires ». Cependant, elle est 
appliquee a la gestion des subordonnes par le manager, comme cela a ete le cas a Conforama 71 
et a Carrefour 12 . Les manuels de management l’evoquant rapportent son utilite dans la conduite 
des changements ou dans le cadre d’un nouveau projet : dans les faits, cette strategic est em- 
ployee au quotidien comme fag on de gerer les relations avec les subordonnes, ce qui fait d’elle 
une methode de management, on le verra, de stricte manipulation aux accents « politiques ». 

71 http;//rae89. nouvelobs.com/rue89-eco/201 3/03/1 5/conforama-le-pavs-ou-les-salaries-rebelles-sont-fiches-240562) 

72 Gregoire Philonenko et Veronique Guienne, Au carrefour de l ’ exploitation, DescleeDcBrouwer, 1997 


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Cette strategic se deroule en plusieurs etapes : 

« 1 . Recenser ses allies 

- si Ton en a pas, il faut s’en creer 

2 - Evaluer ses allies en jeu commun, jeu personnel, credit d’ intention et 
proces d’intention pour l'objectif vise » 

Source initiale [effacee durant la redaction de cet ouvrage] : http://www. 
ergesis-solutions.com/wp-content/uploads/2011/Q6/ERGESIS-analvse-de-si- 

tuation-strat%C3%A9gie-des-Alli%C3%A9s.pdf 

II s'agit la pour le manager de se questionner sur les subordonnes : adherent-ils a son ma- 
nagement, est-ce que le subordonne est dans le camp de l’entreprise, de quelle maniere est-il 
engage, est-ce qu'il est obeissant ou resiste aux injonctions, jusqu’a quel point il peut-il etre 
zele ou non, quel acte est-il capable de realiser pour l’entreprise ou le manager... De maniere 
plus simple, on pourrait resumer a une seule affirmation : le subordonne est mon allie s’il est 
en mon pouvoir, m’ecoute, suit et depasse les objectifs qu’on lui donne, s’il est engage dans la 
demarche que je lui propose. 

Autrement dit, s’il est soumis au pouvoir du manager, de l’entreprise, et qu’il a integre cette 
soumission comme sienne (l’engagement). 

« 3. Prendre ses allies tels qu’ils sont 

- on a trop tendance a negliger ses allies, voire a les rejeter car ils ne sont 
pas comme on voudrait qu’ils soient 

4. Considerer ses allies (developper leur jeu commun et leur credit d’intention) 

- leur donner du pouvoir 

- passer 99 % de son temps avec eux 

- consacrer une part beaucoup plus importance de son energie a conforter et 
developper ses alliances qu’a se preoccuper de son adversaire 

5. Mobiliser ses allies 

- ne pas dire « je vais faire quelque chose pour toi », mais « tu vas faire 
quelque chose pour notre objectif » 

Source initiale [effacee durant la redaction de cet ouvrage] : http://www. 
ergesis-solutions.com/wp-content/uploads/2011/Q6/ERGESIS-analvse-de-si- 

tuation-strat%C3%A9gie-des-Alli%C3%A9s.pdf 


Si les points 3 et 4 pourraient etre resumes en « faites du favoritisme et sachez apprecier 
vos allies les plus deplaisants, parce qu’ils sont neanmoins vos allies, aussi idiots soient-ils », le 


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point 5 est par contre tres revelateur de ces petites manipulations quotidiennes qu'on trouve en 
entreprise : alors que le manager etait pret a faire quelque chose pour le subordonne, voila qu'on 
lui conseille plutot d’ordonner au subordonne au nom d’un objectif qui voudrait se faire passer 
pour commun ; or l'objectif est generalement celui du manager, objectif qu'on lui a egalement 
impose de fagon manipulatoire ; il y a done dans ce glissement semantique une volonte de faire 
intemaliser les objectifs du manager au subordonne et au passage, de renforcer ou d’amorcer 
l’idee de clan avec le « notre ». 

« 6. Utiliser ses allies pour se faire de nouveaux allies (en les faisant agir sur 
les partenaires instables, les hesitants) 

- faire passer vos messages dans un service grace a vos allies (en general, les 
opposants font de la retention d’information) » 

Source initiale [effacee durant la redaction de cet ouvrage] : http://www. 
ergesis-solutions.com/wp-content/uploads/2011/06/ERGESIS-analyse-de-si- 

tuation-strat%C3%A9gie-des-Alli%C3%A9s.pdf 


Cette « utilisation » permet au manager d’eviter une confrontation penible, de deleguer les 
disputes de la cour : cela protege le manager qui se dedouane de ses inimities, le subordonne 
allie se sent responsabilise et cela renforce le « clan ». Quant a l'opposant qui ne regoit les mes- 
sages que via les laquais du maitre, il percevra cela comine du dedain, de l’insulte, voire l'aveu 
d'une crainte « il n’ose meme pas me parler en face ». Cela renforcera son opposition, mais la 
strategic des allies ne parle pas de ces effets secondaires. 

« 7. Utiliser ses allies pour contrer ses opposants 

- leur fournir des arguments et des conseils pour contrer les opposants » 

Source initiale [effacee durant la redaction de cet ouvrage] : http://www.erge- 
sis-solutions.com/wp-content/uploads/201 1/06/ERGESIS-analyse-de-situa- 

tion-strat%C3%A9gie-des-Alli%C3%A9s.pdf 

La encore, il s'agit de deleguer la guerre du clan, mais tout en gardant une maitrise du 
conflit ; le manager se dedouane de toute responsabilite et cela lui permet d’etre a l’abri de toute 
accusation s'il venait a y avoir des derives envers les opposants (le harcelement par exemple). 
Evidemment, dans le cas du harcelement, ce sont les manipules allies qui seront mis sur le banc 
des accuses, pas l’instigateur du conflit. 

La strategic des allies categorise les individus selon leur adhesion au manager/a l’entreprise/ 
au projet afin de savoir comment jouer avec eux, pour reduire leur influence ou les influencer ; 
la partie gauche est celle de la strategic et la partie droite notre « traduction » et contre tech- 
niques : [pages suivantes] 


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Strategic des allies 

Source initiale [effacee durant la redaction de cet 
ouvrage] : http://www.ergesis-solutions.com/wp- 
content/uploads/2011/06/ERGESIS-analvse-de-situa- 

tion-strat%C3%A9gie-des-Alli%C3%A9s.pdf 


1 - Les passifs 

Lews attitudes 

• ne sont pas concernes par le projet, 
n’ont pas d’opinion et ne considerent pas 
que c'est un enjeu 

• ne feront rien 

• peuvent facilement glisser vers ['oppo- 
sition si on les oublie 

Votre comportement 

• les informer, leur montrer que vous les 
considerez 

• ne pas les laisser seuls 

• ecouter leurs « problemes » 

•changer le mode d’expression de votre 
objectif pour rencontrer un centre d’inte- 
ret commun 

2 - Les hesitants 

Leurs attitudes 

• ont des arguments pour et des argu- 
ments contre, souvent pertinents (+2, -2) 

• peuvent etre actifs pour mieux com- 
prendre, meme sans vous (+3, -3) 

• ont peu de chemin a faire pour devenir 
allies du projet, mais peuvent aussi bas- 
culer vers fopposition 

Votre comportement 

• cible prioritaire, il faut les informer de 
tout ce que vous faites 

• consultez-les pour les faire reflechir et 
donnez-leur des arguments 

• montrer que vous tenez compte de leur 
avis 


Explication et contre-techniques 

1. Les passifs = les non concernes 

S'ils ne sont pas concernes par le projet, il est normal que 
ces « passifs » ne se forgent pas d’opinion et qu'ils ne se po- 
sitionnent pas ; quand on sent qu'un debat est houleux, mais 
qu'on nous oblige a prendre parti, on l’evite pour preserver, 
notamment, sa bonne entente avec tous, eviter les conflits ou 
rester en securite. 

Ils ne se rangent du cote de fopposition au manager ou de 
l'alliance au manager que si on les « travaille », les convainc 
ou les manipule. 

Le comportement recommande au manager face au « passif » 
est en quelque sorte du « lechage de bottes », en singeant une 
forme d’amitie et de consideration, il ne s'agit pas de nourrir 
une vraie consideration : les guillemets autour du mot « pro- 
blemes » montrent un vrai dedain envers ceux-ci. 

Autrement dit, le manager veut le ranger dans son camp via 
l’amitie/la sympathie/la flatterie : les arguments, la nature du 
projet ne sont pas la question. 

Contre-technique : on n’aime pas etre pris a partie pour 
quelque chose qui ne nous concerne pas et il est parfaitement 
legitime de vouloir eviter des debats qui nous seront inutiles. 

2. Les hesitants = les libres penseurs 

Les hesitants sont des libres-penseurs qui se font une idee par 
eux-memes et qui reflechissent par eux-memes. En cela, en 
cffct, ils peuvent choisir un clan ou un autre, tout depend des 
propositions de chacun. 

Ici, il est propose au manager de les transfonner en referents ; 
la strategic employee est de jouer sur l'ego de ces libres pen- 
seurs « tu es important, je t' ecoute, je t' informe en priorite ». 
Si fhesitant est vraiment un libre penseur, cela ne l’influence- 
ra pas : seule la nature concrete du projet comptera, done il 
ne changera d’opinion que si le projet lui semble convenable ; 
de plus ce « lechage de bottes » peut etre tres mal per?u par 
le libre penseur qui y verra tres clairement une tentative de 
manipulation. 


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3 - Les dechires 

Leurs attitudes 

• ils sont enthousiastes, passion- 
nes et passionnants, les premiers 
a etre d’accord avec vos propo- 
sitions 

• ils prennent des initiatives, 
parfois trop 

• ils ne supportent pas la contra- 
diction et peuvent changer d’opi- 
nion d’un coup avec la meme 
energie 

Votre comportement 

• attention, il faut les « tenir » 
et les encadrer : « renes courtes 
!! » 

• donnez-leur des objectifs limi- 
tes et voyez-les pour controler 

• verifiez leur reelle influence et 
tenez compte de leurs propres 
inimities 

4 - Les revoltes 

Leurs attitudes 

• votre projet n’est pas le leur 
et ils font tout ce qu'ils peuvent 
pour s'y opposer 

• ils ne sont pas accessibles a la 
discussion 

Votre comportement 

• passez le moins de temps pos- 
sible avec eux, ils ne changeront 
pas d’avis 

• isolez-les des autres parte- 
naires en montrant leur « intran- 
sigeance » 

• si c'est necessaire, faites les 
maitriser par vos allies 


3. Les dechires = les soumis 

II est decrit ici un esprit de cour. Le subordonne est soumis et en admiration 
aveugle devant le pouvoir ; cependant le terme « dechire » montre egale- 
ment que si une partie de ses collegues est en desaccord, il pourra rejoindre 
l'opposition au manager. Son cceur balance entre l'amitie de ses collegues et 
1'admiration pour le chef. Il est done tres influenfable. 

Le manager est enjoint a les diriger en « renes courtes », autrement dit « rac- 
courcir la laisse du chien pour lui laisser moins de liberte ». La theorie des 
allies nous fait encore preuve de son incroyable dedain vis-a-vis de l'environ- 
nement humain... 

Contre-technique : ces personnes ont besoin d'etre rassurees sur un plan so- 
cial, c'est-a-dire que leurs collegues leur montrent qu'ils garderont leur amitie 
meme s'il ne sont pas d'accord sur un point. On peut les entrainer a debattre 
sur des sujets assez neutres au debut pour leur apprendre a separer l'affect des 
opinions, qu'ils voient qu'on peut s'entendre meme avec des avis divergents. 
On peut leur apprendre a developper leur propre reflexion, sans les influencer, 
en leur demandant leur avis sur des situations, sur ce qu'ils feraient et cela 
sans les juger ou les orienter. Il s'agit de les emanciper intellectuellement, leur 
donner une confiance en leurs arguments. Cependant, cela peut etre un travail 
de longue haleine. 

4. Les revoltes = les cibles 

Il est ici conseille au manager de « placardiser » le revolte : « faites le maitri- 
ser par vos allies » la sentence est particulierement guerriere. Il s'agit ni plus 
ni moins que d'incitation a la destruction de l'individu au travail en lui otant 
toute existence. Autrement dit, ces conseils de la theorie des allies sont une 
incitation au harcelement moral. 

Si le revolte est si oppose au projet ce n'est pas forcement par esprit de revolte 
ou par jalousie : peut-etre qu'il est lese dans le projet, que le projet est objec- 
tivement mauvais... S'il est si passionne dans sa revolte, c'est qu'il y a quelque 
chose qui le met sur les nerfs ou qu'il pressent un danger. 

Au contraire de ce que preconise la strategic, il faudrait mettre un point d'hon- 
neur a ecouter sa revolte et prendre en consideration ses desaccords. Il a peut- 
etre des informations, des analyses, que le manager ne connait pas ou n'a 
pas fait, qui donnent une autre envergure au projet. En ce cas, l'ecouter peut 
permettre d'eviter un echec cuisant ou de lourdes consequences ; si c'est une 
revolte personnelle, le conflit peut etre facilement regie avec quelques nego- 
ciations, ce qui permettrait de retrouver un climat plus propice au travail. 

Il y a tout a gagner a ecouter les revoltes, cependant cela necessite de mettre 
son ego de chef de cote et accepter qu'on n'est pas omniscient et que nos de- 
cisions ne sont pas forcement les meilleures. 


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L'homme formate Formatage au travail 


5 - Les opposants 

Lews attitudes 

• ils developpent une activite reelle et 
credible contre votre projet 

• ils sont accessibles a la discussion et 
essayent de vous convaincre que votre 
projet est mauvais 

• ce n'est pas votre cible, attention au 
« complexe de la pie » 

Votre comportement 

• ne leur repondez pas, vous faites exis- 
ter leurs arguments ! ! ! 

• decoupez votre objectif et faites en ac- 
cepter des petits bouts : « 9a ne vous de- 
range pas si... » 

• obtenez d'eux leur « neutrality » 

6 - Les grognons 

Leurs attitudes 

• ils expriment leur disaccord, ils ralent, 
mais ils ne font rien de concret pour agir 
contre votre projet 

• ils peuvent « contaminer » les passifs 
Votre comportement 

• les ecouter, les informer, les valoriser 

• tenir compte de ce qu'ils disent : ce sont 
des sources formidables d’information 

• leur dire les choses que vous souhaitez 
voir transmises a tout le monde 


5. Les opposants 

Le complexe/le syndrome de la pie consiste a ne voir que ses op- 
posants et pas ses allies [source : http://www.cnam.fr/servlet/com.univ. 
collaboratif. utils. LectureFichiergw?ID FIC HI HR- 1295 8770 1 7934 ] 

La encore, la theorie des allies conseille de fermer tout debat meme 
s'il est explicitement dit que les arguments sont credibles : or si les 
arguments sont credibles, c'est que le projet a un probleme, done 
fermer le debat, refuser de changer, d'adapter le projet, c'est impo- 
ser un projet qui sera un echec sur les points souleves. 

La encore, on incite le manager a penser avec son ego plutot 
qu'a l'efficacite de ce qu'il propose, on l'incite a suivre un biais 
d'auto-engagement. Or il est totalement absurde de ne pas tenir 
compte des bons arguments qui peuvent eviter des echecs ou des 
problemes. C'est egalement une perte que d'ecarter des subordon- 
nes qui sont ouverts a la discussion, qui reflechissent avec discer- 
nement leur environnement : en faire des collaborateurs proches 
serait au contraire fort riche devolution pour l'entreprise. 

Contre technique : elles sont tres largement developpees dans 
tout notre chapitre sur le harcelement. 

6. Les grognons = les soumis expressifs 

II est question ici de renverser l'energie du raleur pour en faire 
un publicitaire du projet. II est qualifie de « formidable source 
d'information » parce que l'expressif peut avoir une tendance a la 
delation : il se plaint de untel, critique tel autre, explique les eve- 
nements a l'aide d' informations sur la vie des personnes, se base 
sur des rumeurs... Ces informations pour le manager-manipulateur 
permettent d'exercer plus de pouvoir sur l'environnement social 
afin d'imposer le projet. 

Contre-technique : tout le monde devrait encourager a faction 
le grognon. Des qu'il se plaint, par exemple d'une fa?on de faire, 
il faut l'inciter a faction : « Ok, tu as raison on va essayer diffe- 
remment aujourd'hui ». Les tests, experimentations d'actions vont 
l'inciter a reflechir avant de raler, ce qui etayera sa reflexion et le 
responsabilisera. Il faut en faire de meme avec les informations 
liees aux personnes « Ok, tu aimes pas co mm ent untel t'a parle 
aujourd'hui, viens on va en discuter avec lui ». 


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Formatage au travail L'homme formate 

On a done la tous les pions et autres pieces du jeu d’echecs que doit manoeuvrer le mana- 
ger soumis a ce modele reducteur de la realite sociale au travail. Cette strategic nous apprend 
que : 

— Les subordonnes sont soit mechants (les opposants), gentils (les allies) ou neutres, 
e'est-a-dire qu'ils n’ont pas choisi de camp. 

— Les gentils sont ceux qui suivent la logique du manager (done de l’entreprise), qui ad- 
herent a ses idees, qui remplissent et vont au-dela des objectifs presents. C'est l’inverse pour 
les opposants. 

— L'important n’est pas la nature du projet, du changement, de l’organisation du travail, 
de la teneur des objectifs et du travail en lui-meme, de la vie du groupe, de la bonne ambiance 
au travail ; c'est pour le manager/l'entreprise, d’avoir le maximum de laquais engages et cela 
quelque soit ce qu'on leur propose. 

— L'important est done l’influence que Ton a sur les autres ; une influence telle que les 
allies-laquais ne puissent plus faire preuve d'esprit critique, ne puissent plus mettre en oeuvre 
un discernement pouvant contredire avec justesse les directives. II s'agit de placardiser ceux 
qui contredisent les projets de l’entreprise/du manager, de couper toute voix pouvant remettre 
en cause l’organisation, les directives, les projets. 

On a done ici une strategie qui ne sert que le pouvoir, pas l’organisation ni le profit, pour 
la simple raison que rien ne peut evoluer si on tue toute opposition. Or une entreprise se doit 
d'evoluer si elle veut perdurer ou faire du profit. 

Les consequences negatives de la mise en oeuvre d’une telle strategie sont nombreuses : 

— Cela entraine une surveillance et une recolte de donnees illegale et discriminatoire : 

A Conforama par exemple, les subordonnes sont classes en trois couleurs ; rouge 
pour les opposants, verts pour les allies et orange pour ceux qui penchent un peu 
en direction des opposants. Des fichiers illegaux listent ces donnees, agrementees 
de commentaires discriminatoires justifiant cette classification : « syndicaliste », « a 
degager »... 73 

C'est couteux (firais de justice), mauvais pour l’image de l’entreprise, preuve de peur et 
de betise de la direction ayant mis en place ce genre de systeme. Les entreprises intelligentes 
et cherchant l’innovation, revolution, savent pertinemment a quel point ces manoeuvres sont 
inutiles. 

73 Envoye special, 28 fevrier 2013 France 3 


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L'homme formate Formatage au travail 


— Mettre en oeuvre au quotidien cette strategic, c'est considerer que la vie au travail est une 
guerre perpetuelle et cela installe et nourrit cette guerre de clan : les simples raleurs, les « pas 
tres engages » vont se transformer en veritable opposants et nuire au travail car la strategie des 
allies les pousse dans leurs retranchements ; cela pousse les « allies » a harceler les opposants, 
a attaquer tout ce qui differe du « clan ». 

Resultat, l’ambiance sera globalement mauvaise, le turn-over plus consequent (ce qui en- 
trainera des couts de formation et fera perdre de bons elements), les clients ne se sentiront pas 
a leur aise (une mauvaise ambiance se ressent, qu'importe les sourires factices qu’ils recoivcnt), 
on donnera des pouvoirs et de l’importance a des gens intolerants ce qui est clairement mauvais 
pour l’image de l’entreprise, les arrets maladies vont etre tres courant, les affaires de harcele- 
ment pourront emerger, l’organisation du travail stagnera, s’embourbera dans ces prejuges, les 
nouvelles idees ou representations etant attaquees avec virulence. 

— A favoriser les guerres de clan, on favorise chez les individus la soif de pouvoir, du 
profit personnel : le « professionnalisme », le gout du travail bien fait, le plaisir de bien realiser 
l’activite, le plaisir de travailler en hannonie avec son equipe/ses collegues, passe alors au se- 
cond plan voire est evince. Si les perfonnances peuvent etre apparemment au rendez-vous, le 
travail ne sera pas pour autant bien fait : l’individu aura peut-etre trouve un moyen de « voler » 
les clients de ses collegues, il aura peut-etre trouve des techniques de vente irrespectueuse, il 
aura peut-etre neglige la qualite du travail foumi pour pouvoir donner l’apparence de belles 
« perfonnances ». 

— Prendre une strategie aussi reductrice, aussi cloisonnante, est un veritable piege : il 
sera tres difficile de faire marche arriere ensuite, parce que les allies et les opposants seront 
lances dans une guerre mutuelle. Impossible d’en faire une bonne equipe soudee ou de tester 
d’autres changements : cette strategie pousse les individus a etre bornes, tetus et certainement 
pas souples et adap tables aux changements. C’est aussi fenner la porte a mille strategies plus 
positives qui, elles, laissent aux individus leur potentiel de collaboration, d’entraide, d’adapta- 
bilite, et qui sont fort plus profitables a l’entreprise, son evolution, son profit, ses innovations 
et son adaptability 


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Formatage au travail L'homme formate 


@TRAVAIL/ENGAGEZ VOUS ! LE FORMATAGE DES 
RESPONSABLES/BENCHMARK 


Le benchmark est une technique devaluation par comparaison avec des modeles, des 
nonnes. Elle etablit des points de reference. Concretement, il s’agit de comparer les perfor- 
mances des individus entre eux, ou entre agences/points de vente. II faut done, pour etablir 
cette methode, des indicateurs quantifiables : par exemple le nombre d’ assurances vendues 
sur une joumee par un employe de banque ; en universite, c’est le nombre d’ articles produit a 
l’annee par un chercheur ; dans la police, c’est le nombre de controles et d’amendes sur telle 
autoroute. Cela induit des quotas a respecter : pour les permis, l’inspecteur peut en delivrer tant 
dans l’annee, pas plus 74 ; tel vendeur doit faire tel chiffre d'affaires au minimum ; les policiers 
doivent faire tant d’arrestations 75 ; tel ouvrier doit faire un certain nombre de pieces, pas moins ; 
etc... 

Le manager doit a la fois pousser a ce que les subordonnes remplissent leurs quotas, done 
motiver a pousser leur productivity, verifier et controler ces statistiques pour tenter d'agir des- 
sus (cela va du simple conseil en passant par la felicitation, les marques de reconnaissance, 
les honneurs, la reprimande, la menace, l'intimidation, le harcelement, etc...). Le manager peut 
done etre le plus grand allie du benchmark, son plus grand et unique serviteur, son incarna- 
tion humaine, mais c'est rarement lui qui a decide de l’instaurer. En somme, le manager est un 
pion sur l'echiquier du benchmark, et cette position est tout autant dramatique que celle des 
subordonnes. Cependant, le manager pourrait se donner le pouvoir de « baisser » la tyrannie 
du benchmark, tout comme le sujet de Milgram peut avoir le pouvoir de dire non. 

« Benchmarker, c’est la sante ! 

J’adore la langue fran 5 aise et je voudrais que Mesdames et Messieurs nos 
academiciens fassent un jour entrer dans notre dictionnaire le mot de bench- 
marker. Car il nous manque ! Benchmarker, c’est comparer, c’est etalonner, 
c’est mesurer ou, plus exactement, ce sont ces trois actions a la fois : benchmar- 
ker, c’est evaluer dans une optique concurrentielle pour s’ameliorer. Bench- 
marker, c’est dynamique. C’est une grande incitation a ne pas rester immobile. 

Se benchmarker, c’est oser regarder dans le miroir son reflet objectif plutot 
que de refuser de voir les choses en face et de mettre la tete sous son aile. [. . .] 

Se benchmarker, c’est etre realiste. C’est se donner les moyens du prag- 
matisme. C’est savoir qu’on n’est pas seul au monde, ni le centre du monde, 
c’est refuser 1’ illusion qui empeche de grandir. Benchmarker un produit ou 
un service ou une idee, c’est l’apprecier a l’aune de criteres pluriels, car nous 

74 http://www.aiitonews.fr/dossiei's/votre-qiiotidien/64483-pemiis-de-conduire-le-qiiota-qui-fache/ 

75 Emmanuel Didier et Isabelle Bruno, Benchmarking, Zones, 2013. 


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L'homme formate Formatage au travail 


sommes maintenant dans un monde ou la qualite est a la fois un droit et un 
devoir. Benchmarker ses equipes, c’est tout faire pour accroitre le niveau de 
competence de nos salaries » Discours de Laurence Parisot 

Le benchmark reste tolerable quand des entreprises comparent leurs produits ; quand on 
incite a comparer l'humain avec l'humain, qu’on fait de cette comparaison chiffree un systeme 
de travail, qu'on benchmarke les salaries, on ne fait pas dans le realiste, on n’est pas pragma- 
tique et on est dans l'illusion des chiffres. Benchmarker n’est pas la sante, benchmarker n’est 
qu'une facon tyrannique de faire du profit, une tyrannie par les chiffres qui modifie la realite, 
la salit et detruit l'humain. 

Rappelez-vous, alors qu'on abordait les arguments d’autorite, les statistiques, nous avons 
vu des dizaines de biais qui pouvaient rendre totalement fausses les statistiques. II en est de 
meme en entreprise, avec le benchmark, excepte que les consequences ne sont pas des opi- 
nions basees sur des donnees errones... voyons un peu les arguments qui rendent caduc cette 
ode au benchmark : 

— Etant donne que tout n’est pas chiffrable (par exemple la satisfaction objective d’un 
client), les statistiques ne fourniront qu'un aspect extremement limite du metier, de sa bonne 
realisation. Un vendeur peut avoir ete le meilleur d’une equipe, mais avoir sali l’image de 
l’entreprise en usant de techniques agressives lors de ses ventes ; un chercheur (ils sont bench- 
marques aussi 76 ) peut avoir explose son nombre d’articles dans l’annee et pourtant ses articles 
peuvent etre creux, sans quelconque reflexion nouvelle ; un policier (egalement benchmar- 
que 98 ) a pu remplir ses quotas d’arrestations/d’amendes et pourtant n'avoir jamais arrete un 
vrai delinquant qui l’aurait merite (en se postant a une route particuliere et arreter tous les 
petits exces de vitesse non dus aux personnes, mais a la configuration particuliere de la route). 

— Le benchmark ignore les circonstances : le samedi, a telle heure, le vendeur devra 
vendre tel nombre d'assurances ; on ne prendra pas en coinpte le fait qu'un evenement parti- 
culier a attire la population loin du magasin : on lui demandera de se depasser pour remplir 
le quota, qu’importe s'il y a moins de monde. Or ce sont les circonstances — souvent non 
previsibles et aux effets aleatoires independants de toute volonte — qui font les reussites ou 
les echecs, les individus n’ont qu'un role mineur : par exemple une vague de chaleur en plein 
avril fera exploser les ventes de viandes pour barbecue, que le charcutier soit bon vendeur ou 
raleur detestable, qu’importe, c'est la vague de chaleur la responsable ; inversement, mettre ses 
meilleurs vendeurs sur un produit a la periode ideale peut etre improductif, si par hasard un 
client insatisfait a reussi a faire une contre-promo du produit sur le Net. Cependant, dans un 
cas comine dans l'autre, le benchmark poussera a feliciter ou reprimander les vendeurs, parce 
que seul le chiflfe est verite dans ce systeme de travail. 

76 Emmanuel Didier et Isabelle Biuno, Benchmarking, Zones, 2013. 


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— Le benchmark est dans l'immediat : on calcule par heure, par joumee, par semaine, par 
mois. Done, il ignore tout des strategies a long tenne des employes, strategies qui peuvent 
prendre des annees pour en percevoir les benefices. Impossible de voir avec le benchmark « la 
fidelisation du client », le travail necessairement long et sans resultats immediats du demante- 
lement d'un reseau de delinquance, les annees de concentration et de peu d’avancees pour des 
recherches complexes, mais essentielles ; le benchmark force au resultat immediat, au resultat 
continuel, done au resultat forcement mediocre : le bon travail necessite du temps, de la pa- 
tience, qu’on soit vendeur, chercheur, policier ou banquier. 

— Les indicateurs servant a etablir le benchmark ne recouvrant qu’un aspect de la realite, 
ceux-ci pousseront le salarie a ne prendre en compte qu’un aspect de la realite, celle du chiffre, 
pas du « bon travail ». La realite du travail en sera modifiee : l'humain ne sera plus respecte, 
parce que son respect fait perdre du chiffre. C’est-a-dire que le client sera manipule, non ecoute 
(perte de temps), on lui mentira, on sera faux avec lui. De meme lorsqu’il s’agit d’un produit : 
plus les taux de productivity sont hauts, moins on fera de la qualite, moins on sera soucieux des 
details. Evidemment, si le chiffre est roi, le travail perd tout son sens et devient deplaisant, il 
n’est qu’un combat pour faire son chiffre. 

— Les perfonnances amenant les individus en tete de liste ou au contraire en bas de liste ne 
disent rien de leur competence : cela peut etre l’expression des circonstances, de la chance, de 
conditions favorisant ou defavorisant les perfonnances. 

— le benchmark nie le groupe : or on ne travaille jamais vraiment seul, il y a toujours des 
interlocuteurs, clients ou collegues ; notre travail depend toujours du travail d’autrui d’une facon 
ou d’une autre, meme un vendeur, pourtant seul, est dependant du travail de celui qui a concu 
le produit qu’il vend. 

Le benchmark incite a l’egocentrisme, or le travail n’est qu’une serie de dependance entre 
nous et son bon fonctionnement tient souvent au bon fonctionnement du groupe dans son inte- 
grality. 


— Le benchmark instaure la concurrence entre salaries : or ils devraient collaborer, parce 
qu’une equipe soudee est plus efficace, parce que les individus ont plus de plaisir a bien s’en- 
tendre, parce que les clients preferent etre dans un lieu ou les individus sont de bonne humeur 
et soudes. 

— Cette concurrence ne pousse pas chacun a s’ameliorer, mais plutot a nuire au collegue 
concurrent ou a voler ce qui fait sa performance ; e’est la strategic la plus efficace. 


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— L'egocentrisme encourage par le benchmark nuit a l’entreprise : les individus penseront 
avant tout a leur profit personnel, done n’hesiteront pas a truquer, a tricher sur leurs perfor- 
mances, leur travail pour eux. 

— Le benchmark met une pression continuelle sur les salaries : ceux en tete du classement 
ont peur de chuter, ceux en bas se sentent humifies. Or le stress continuel est un poison pour 
l’individu, il ne peut que voir sa productivity a la baisse. 

— Mettre le benchmark roi, c'est inciter le manager a ne pas regarder l'ensemble de la rea- 
lite du travail, done d’ignorer des points pourtant fondamentaux. 

— La performance exceptionnelle ne reste pas longtemps exceptionnelle : rapidement la 
direction tentera d’en faire la nonne, ce qui accroitra la pression sur tous les salaries. 

— Le benchmark, au vu de tout ce dont on a parle, vire rapidement au harcelement institu- 
tionnalise, detruisant tout autant ceux qui le font subir que ceux qui le subissent. 

■ POURQUOI EST-IL UTILISE ? 

Encore une fois, notre reponse ne sera pas tres originale : ce n’est pas pour des raisons 
pragmatiques, ce n'est pas pour etre realiste, ce n’est pas une question de sante de l’entreprise. 
II est utilise pour le profit et le pouvoir, car oui, en effet, il fait rentrer de l’argent, il pousse 
a produire des resultats rapides. Il sert egalement le pouvoir, car il donne aux superieurs un 
aper$u global de la realite : il semble quadriller les parametres cruciaux de l’entreprise, il fait 
croire a une vision holistique et correcte de la realite, il semble mettre de la lumiere sur l'ombre 
de l’alienation culturelle du superieur et, a lui seul, il donne des reponses sur comment gerer 
son entreprise. Le benchmark est done un instrument de controle qui pennet de donner des 
directives avec assurance, directives qui paraissent objectives. Or le benchmark travestit la 
realite, l’appauvrit, la metamorphose en des situations detestables pour les clients, les salaries, 
les managers et l’image de l’entreprise. Le benchmark n'est pas la sante, il est la mort de fame 
de l’entreprise, la mort du travail bien fait respectueux de l'humain. 

■ Statactivisme 

Il peut apparaitre tres difficile de lutter contre le benchmark : ce sont les chiffres qui gou- 
vement (bien que ce soit les gouvernants qui les orientent selon un certain point de vue), ils 
sont cornme des murs de betons enfennant l'activite, les personnes, leurs facons de travailler. 
Cependant, on peut tenter de les faire condamner et c'est meme une necessity quand les salaries 
sont en danger : 


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« L’ opposition progressiste au benchmarking commence a s’ organiser. Le 
droit, qui lui a pourtant pennis de se diffuser, se retourne contre lui. Le 4 sep- 
tembre 2012, le tribunal de grande instance (TGI) de Lyon a estime que la mise 
en concurrence des salaries suscitait un stress pennanent nuisant gravement a 
leur sante. Aussi a-t-il interdit a la Caisse d’Epargne Rhone -Alpes Sud de fon- 
der son mode d’ organisation sur le benchmarking. Depuis 2007, cette banque 
avait en effet instaure un systeme de gestion des personnels consistant a com- 
parer chaque jour les resultats de chacun et a afficher leur classement pour 
justifier les recompenses destinees aux plus performants (trophees, primes, bon 
cadeau), mais aussi pour montrer du doigt ceux qui, en queue de peloton, s’ex- 
posaient a des menaces de licenciement pour insuffisance professionnelle. 

Engagee par le syndicat SUD/Solidaires qui denoncait la terreur engendree 
par cette methode managerial, cette action en justice marque un tournant dans 
Thistoire des resistances a ce genre de dispositif. Le syndicat s’est appuye sur 
les rapports d’alerte des medecins du travail, ainsi que sur les multiples « cri- 
tiques factuelles et concordantes emanant de 1 ’Inspection du travail, du cabinet 
ARAVIS charge d’une expertise, des assistantes sociales, du CHSCT (Comite 
d’hygiene, de securite et des conditions du travail) et des autres instances re- 
presentatives du personnel ». Tous denoncaicnt les « effets particulierement 
pemicieux et dommageables » du benchmarking, dont la pratique entrainait 
« une atteinte a la dignite, un sentiment d’ instability, une culpabilisation per- 
manente, un sentiment de honte, une incitation pernicieuse a passer outre la re- 
glementation et une multiplication de troubles physiques et mentaux constates 
chez les salaries ». Le TGI a considere que Temployeur n’avait pas respecte 
T obligation de resultat que le Code du travail lui assigne : assurer la securite 
et proteger la sante physique et mentale de ses salarie(e) s. Ce jugement sans 
precedent ouvre la voie a de nombreux recours partout ou le benchmarking est 
a T oeuvre. » 

Emmanuel Didier et Isabelle Bruno, Benchmarking, Zones, 2013. 

Cependant, le benchmark ne se nomine pas explicitement, il a des variantes plus legeres 
- mais neanmoins tout aussi tyranniques - comine la comparaison des statistiques. Elies sont 
extremement repandues, meme quand la comparaison des supposees perfonnances sont in- 
comparables voire impossibles. 

On peut tenter de faire campagne, meme si cela est voue a l’echec : il s'agit d’engager de 
vive voix des discussions dont nul ne peut nier qu'elles n’ont pas eu lieu (en demandant des 
entretiens collectifs par exemple ; ou en mettant a l’ordre du jour les problemes dans des re- 
unions). Cela servira de preuve de mauvaise volonte de la part de l’entreprise concemant la 
souffrance des salaries. Il faut evidemment garder des traces de ces evenements. 


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L'homme formate Formatage au travail 


On peut mediatiser et il ne faut pas hesiter a entrer dans les details, raconter tout : cela peut 
avoir un impact, notamment sur les clients. N'attendez pas un drame pour le faire. 

Une autre methode plus originale est le statactivisme : lutter contre les chiffres par les 
chiffres, se reapproprier le pouvoir de la statistique et du comptage. Par exemple, en comptant 
le nombre de menaces/reprimandes/pressions subies et en le couplant avec les chiffres issus du 
benchmark pour montrer leur impact negatif ; en comptant le nombre d’interruptions en open 
space et en le correlant a la rapidite d'avancement d'un travail afin de prouver l'impact des 
nuisances. Parfois, il suffit de corriger le benchmark en ajoutant des indicateurs et variables : 
pour les vendeurs de Conforama par exemple, cela consisterait a faire introduire la variable 
« rayon », c'est-a-dire de noter le rayon dont on a herite et le chiffre qu’on y produit puis que le 
collegue le fasse (ou qu'on le fasse pour eux) : cela montrera clairement que ce n'est pas le ven- 
deur qui fait le chiffre, c’est le rayon qui a plus ou moins de succes. Pour les equipiers McDo- 
nald’s, il faudrait qu’ils notent leurs chiffres et qu'ils les couplent a des donnees qui impactent 
ce chiffre (la place de la caisse, des employes absents ou presents au poste a frites, le nombre de 
cuistots...) pour montrer clairement que c'est l'organisation qui joue sur leur chiffre et pas eux. 

En resume il faut trouver des indicateurs, des faits comptabilisables qui sont plus signifi- 
catifs que ceux du benchmark, des chiffres qui pointent les vrais problemes, des chiffres qui 
accusent les vrais coupables (l'organisation, les moyens mis a disposition, les circonstances, les 
harceleurs, voire meme le benchmark lui-meme). 

@TRAVAIL/H ARC ELEMENT 


« Incapable de donnir, je vois maintenant ma vie defiler, obnubile par les 
mots de mon chef de service qui tournent et retournent dans ma tete. Comment 
peut-il affirmer que j’ai atteint mes limites ? Pourquoi m’a-t-il porte un coup 
d’une telle violence ? Comme chaque soir depuis des mois, je voudrais donnir 
mais le sommeil, decidement, ne vient pas. Plus la nuit avance, plus il me semble 
evident que, cette fois, je n’ai pas d’echappatoire. La detresse, la souffrance me 
tetanisent. Fragilise, humilie je cherche en vain a me rappeler qui je suis. Vivre, 
soudain, me semble insupportable. Comment arreter ce vacarme ? Je voudrais 
fermer les yeux, mais la peur, toujours m’en empeche. Soudain, je sens la mort 
qui s’approche lentement de moi comme une sournoise tentatrice. Je viens de 
basculer dans une autre dimension. Ca y est. Tout est clair, maintenant, meme 
l’angoisse m’a quitte. Il ne me reste plus qu’a suivre une ligne droite jusqu’au 
moment ou je me planterais une lame de couteau dans l’abdomen. [...] Je vais 
me tuer demain dans l’enceinte de France Telecom, au beau milieu de la reu- 
nion organisee par mon chef de service pour presenter les restructurations en 


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Formatage au travail L'homme formate 


vue. De la sorte, chacun comprendra que c’est la boite, et la boite seule, qui m’a 
casse apres toutes ces annees de devouement. » 

Yonnel Dervin, l Is m ’ont detruit, Michel Lafon, 2009 
[Yonnel Dervin passera a l’acte lors de la reunion mais il sera sauve, bien- 

heureusement.] 

Ultime manipulation mentale, celle visant a detruire l’individu, le harcelement moral peut 
conduire au suicide de la cible. II se caracterise par des agissements hostiles repetitifs et per- 
sistants ayant pour but ou consequence une degradation des conditions de travail, il affecte la 
dignite, la sante physique ou psychique et le devenir professionnel d’une ou plusieurs cibles. 77 
A l’instar d’Elisabeth Grebot, nous ne parlerons pas ici de « victimes » cornme c’est souvent 
le cas mais de cibles. Cette distinction est importante, car trop frequemment on pense que les 
cibles sont responsables de ce qui leur arrivent, qu’elles sont faibles, masochistes ou qu’elles 
ont une personnalite qui incite au harcelement, ce qui est evidemment totalement faux. 

■ DlFFERENTS TYPES DE EiARCELEMENTS 

Il y a dififerents types de harcelements : celui, isole, « oeuvre » d’un pervers narcissique, 
celui du groupe, qui s’inscrit dans le cadre de l’entreprise (le harcelement institutionnel). Il y a 
le harcelement strategique (toujours en groupe), dans le but de « pousser a la demission » pour 
contoumer les procedures de licenciement. 

On ne parlera pas des pervers narcissiques isoles ici, pour la simple et bonne raison qu’ils 
servent souvent a dedouaner l’entreprise ou ne sont qu'une forme dedouanee de harcelement 
strategique : les sadiques ne sont pas invisibles en entreprise ; n’importe qui peut les reperer 
rapidement, l’entreprise ne peut pas avoir l'excuse « on n’avait pas remarque » ou « on n’etait 
pas au courant ». L'oeuvre d’un pervers narcissique est pleine de cris, de pleurs, de tension, de 
consequences humaines et son comportement est caracteristique. Si l’entreprise l'a laisse en 
poste longuement, c'est qu'elle avaitjuge ce comportement utile alors qu’il est intolerable. Elle 
a soupese cette attitude et lui a accorde une valeur strategique. Laisser un pervers narcissique, 
un sadique, un psychopathe, un sociopathe a son poste est done une forme de harcelement 
strategique, mais l'entreprise s’en dedouane, s’en deresponsabilise. C'est une vraie strategic, 
car, en cas de proces, l’entreprise se protege : c’est de la faute d’un individu, ce n’est pas elle 
qui est responsable. L'individu est puni, l’entreprise a les mains propres et peut recommencer. 

Quant au harcelement institutionnalise, on l'a deja aborde : le theorie des allies, benchmark, 
schema de deuil... Tous ces « instruments » poussent a op ter pour un management a base de 
harcelement, de violence imposee, d’asservissement du subordonne. En cas d’enormes change- 
ments, ce harcelement institutionnalise cree des drames massifs. On a vu la citation de Yonnel 
Dervin en debut de section, mais on peut naturellement se demander comment on en arrive 

77 Agir contre le harcelement moral, Elisabeth Grebot 


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la, meme en connaissant la tyrannie des outils cites precedemment. Voici son histoire un peu 
plus explicitee ainsi que celle de Vincent Talaouit 78 , afin d’illustrer cette notion de harcelement 
institutionnalise et strategique : 

Avant privatisation, le technicien telecom est accueilli coniine un heros, il avait le meme 
statut de sauveur coniine peuvent l’avoir les pompiers, par exemple. Les techniciens etaient 
libres d’ organiser leurs tournees, que ce soit au niveau des trajets, des clients prioritaires, et 
du materiel a prendre. Cela s’organisait en collaboration avec les commerciaux. Ils aimaient 
tous profondement leur metier et ce bonheur tranquille se ressentait dans la bonne ambiance, 
dans la bonne relation avec la clientele. II n’etait nul question de chiffres, il suffisait de faire 
correctement son travail. 

Puis vint la privatisation. 

Les methodes passees sont violemment critiquees, l’objectif est a present d’ameliorer les 
performances commerciales. On promet aux salaries qu’ils y gagneront eux aussi, a se preoccu- 
per « du chiffre », notamment en salaires augmentes, en promotions. Mais ils ne sont pas dupes 
en comprennent qu’ils vont devenir « des boys tout juste bons a enrichir les actionnaires ». 

La charge de travail s’alourdit, les commerciaux deviennent decideurs de l’activite des 
techniciens sans les consulter « ecoute je suis le commercial et tu es le technicien alors tu fais 
ce que j’ai defini et tu fennes ta gueule ». 

Cela ne manque pas de creer d’innombrables situations absurdes : les techniciens font des 
kilometres pour se rendre dans des lieux ou ils constatent que le materiel dont ils ont besoin 
n’est pas present (car la gestion du materiel leur a ete retiree). Ils sont contraints d’installer un 
materiel disproportionne et inutile au client, ce qui a pour consequence directe de perdre toute 
la confiance de la clientele et de detruire la relation privilegiee connue dans le passe. Il n’y a 
plus d’ etude prealable avant 1’ installation de materiel, ce qui mene invariablement a l’echec. 
Meme les locaux sont « rationalises » : on supprime les chauffages dans un magasin d’equipe- 
ment, or le materiel entrepose avait besoin d’une certaine temperature, ce sont des centaines 
d’euros de materiels qui furent gaches pour des economies de bouts de chandelles. 

Des managers sont places, benchmarquent leurs performances avec des indicateurs im- 
possibles a comparer et absurdes. Ceux qui reparent les telephones ont des bons scores, ceux 
qui on du regler un enonne probleme necessitant plusieurs jours de reparation ont de mauvais 
scores. Les premiers gagnent des recompenses, ce qui ne manque pas de diviser l’equipe. 
Yonnel critique toutes ces methodes, argumente precisement pourquoi cette gestion nuit a l’en- 
treprise, aux conditions de travail, montre a quel point cette facon de faire est nuisible a tous. 
Mais jamais le manager ne fera remonter les informations et il sera implacable sur les nouvelles 
nonnes. Ils defendent corps et ame cette nouvelle organisation et rejettent sur les individus 

78 Ils ont failli me tuer, Vincent Talaouit 


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les problemes. Au fil du temps, des mutations et menaces de « plateau » (mutation dans des 
services d’appels dont la reputation est crainte par tous), le silence se fait dans le service. La 
bonne ambiance a fichu le camp, plus personne n’ose se parler, finalement il devient tabou de 
critiquer la hierarchie : 

« comine dans un regime totalitaire, on finit par se sentir contraint d’ adherer a toutes les 
decisions pour eviter d’etre mis au ban du service puis pousse vers la sortie » 

Evidemment, meme si rien n’est dit explicitement, ils devinent que cette « restructuration » 
a pour reel but non une reorganisation « meilleure » de leur facon de travailler, mais une reor- 
ganisation a visee destructrice, qui, on l’apprendra plus tard, vise avant tout a se debarrasser de 
22 000 personnes. 

Tous fuient Tatelier pour eviter le chef, ils s’isolent tous. Certains commencent a « peter les 
plombs », saccageant tout, mcnacant le manager. Yonnel, lui, tentera de se suicider lors d’une 
reunion, comine des dizaines d’autres de ses collegues sur le territoire. 

■ LE BUT DU HARCELEMENT 

Le but est done d’evincer la personne. La faire taire, la faire soufifir, faire en sorte que tous 
se moquent d’elle, qu’elle soit decredibilisee, humiliee, qu’elle soit la cible de tous, qu’elle 
soit le bouc emissaire. Generalement, c’est pour la pousser a la demission. II arrive que ce soit 
egalement une facon de renforcer le groupe qui se veut dominant et qui se sent menace par sa 
presence (mais la egalement il s’agit de Tevincer). 

Les motifs de harcelement relevent de la peur de la personne harcelee, du fait qu’elle puisse 
etre une menace pour leur place, pour leurs habitudes de travail. Le harcelement peut etre du a 
la croyance infondee que seule la peur et la terreur poussent les gens a etre productifs. Parfois, 
le harcele est juste harcele car il coute trop cher a Tentreprise et qu’il serait preferable qu’il 
demissionne pour laisser sa place a un stagiaire non remunere. Parfois, le harcele Test avec 
plusieurs centaines d’autres collegues : il fait partie d’un enonne plan de « degraissage », de 
« restructuration » visant a faire passer les employes « par la fenetre ou par la porte » 79 . 

■ LA CIBLE 

La cible du harcelement peut done etre n’importe qui, avec tout de meme une preference 
pour ceux qui coutent cher (de par leur anciennete par exemple), ceux qui sont percus comine 
une menace, done avec enormement de qualites (les gens tres doues, tres investis, indepen- 
dants, autonomes, competents, combatifs) et les insoumis (parfois un seul « non » suffit a de- 
clencher le harcelement, pas besoin d’ avoir un parcours de syndicaliste aguerri). Exactement 
tout T inverse de gens « faibles » ou en situation de faiblesse : meme les pervers narcissiques 
(qui aiment voir T autre soufifir sous sa dominance) cherchent chez leurs cibles une certaine re- 
sistance, sans quoi leur « jeu » ne leur donnerait pas satisfaction. Done, au diable les prejuges et 

79 propos de Didier Lombard, ex-PDG de France Telecom-Orange 


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idees re^es sur la victime febrile se laissant faire, les cibles ont au contraire une grande force, 
dans un domaine ou un autre, pour que l’entreprise et ses harceleurs s’attelent a la detruire. 

■ LENTOURAGE de lacible 

Mais ce n’est pas forcement visible pour l’entourage de la cible : le harcelement ne se fait 
generalement pas en public (ou alors de facon tellement theatralisee que la cible passe pour 
le harceleur) et il est tres progressif. Pire encore, le harcele peut etre percu par 1’ entourage 
comine un poids, un probleme : c’est signe que le harceleur a mene sa tache a terme. La cible 
passe par differentes phases : celle de la resistance tout d’abord, puis a force d’attaques elle 
finit par se fatiguer et n’ arrive plus a faire face. Le groupe de harceleur, parallelement, fait une 
campagne de denigrement de la cible, l’accuse de tous les problemes. Progressivement, elle ne 
peut plus se confier a des collegues allies : ceux-ci ne la croient pas car ils ne voient rien de ce 
qu’elle raconte, ont peur d’etre harceles a leur tour ou ont ete convaincus par le harceleur que 
c’etait elle le probleme. Et, une fois que la cible a perdu tout soutien de son entourage, c’est 
la qu’elle s’effondre, doute de sa personne, croit aux attaques du harceleur... C’est la que la 
depression commence. 

Le role de l’entourage du harcele est primordial : c’est lui qui peut l’aider a tenir, a resister, 
parfois meme faire reconnaitre le harcelement. Dans le cas contraire, l’absence de soutien to- 
tal, voire un deni de ces problemes, peut plonger la cible dans la depression. 

Parfois, quand il s'agit d'un sadique laisse volontairement dans [’organisation, le harcele- 
ment est visible, connu de tous : le sadique est loin d'etre invisible, tous peuvent s’en plaindre, 
le mepriser dans son dos et prendre en pitie ses nouvelles cibles. Cependant, l’entourage ne 
se ligue pas contre le harceleur. En effet, tous sont bien contents d'avoir enfin la paix avec lui 
ou peuvent le percevoir comine une epreuve initiatique dans l’entreprise. Arriver a ne plus 
etre harcele par lui serait coniine une forme d’etape a franchir et ceux qui ne reussiraient pas 
n'auraient qu'a s’en prendre a eux-memes. Voir le harcelement chez autrui serait percu avec un 
certain soulagement, une vengeance et procurerait le « Schadenfreude » (plaisir a voir souffrir 
autrui) : on serait a la fois content de ne pas etre la cible, on se sentirait plus superieur a la cible, 
on se sentirait venge (« j’ai souffert, maintenant c'est au tour des autres »). 

■ LES HARCELEURS 

Les harceleurs, tout comine les cibles, pourraient etre n’importe qui. Repetons-le une der- 
niere fois, les vrais pervers narcissiques sont rares panni la population, tout comine les psycho- 
pathes. Par contre, il est frequent qu’on incombe a un salarie, un manager, un chef a endosser 
le role de harceleur, qu’on lui assigne la tache de faire regner la terreur ou d’evincer quantite 
de salaries. 

Prenons l’exemple d’un ancien gerant de supermarche : 


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Notre homme, en bas de l’echelle, obtient son poste alors que plusieurs 
anciens le convoitaient. II avoue a l’epoque etre fascine par ses superieurs, il 
les idolatrait et etait completement soumis a leurs demandes. Le probleme de 
la direction etait de se debarrasser des anciens salaries qui coutaient trop cher. 

Notre homme a done ete mandate pour les pousser a la demission. II changea 
les horaires des meres de famille pour saccager leur vie privee, il glissa des af- 
faires du magasin dans les vestiaires pour les accuser ensuite de vol, il envoya 
les caissieres les plus soigneuses faire les taches les plus salissantes avant leur 
prise de poste en caisse (elles sentaient ainsi mauvais toute la journee et done 
encaissaient brimades ou remarques de la part des clients), etc... Un soir, alors 
qu'il rentre chez lui, des proches d’une de ses cibles le menacent, couteau en 
main, afin qu’il arrete. Il prend conscience de la gravite de ses actes et change 
totalement. Il cesse d'essayer de pousser a la demission, il se fait plus proche de 
l’equipe et de ses besoins. Les benefices sont bons, mais ses superieurs veulent 
tout de meme qu'il se debarrasse des anciens. Il refuse et c'est maintenant ses 
superieurs qui le harcelent, l'accusent de vol. Il finit par partir pour rejoindre un 
autre supermarche : c'est la meme strategic de « pressage de citron ». Degoute 
et refusant de participer une nouvelle fois a ce genre de management, il cree 
son entreprise d’aide a la personne, avec un management cette fois humain. 

Source : Bernard Salengro, Le management par la manipulation mentale 

Notre homme etait en total etat agentique decrit par Milgram : il obeit, il pense bien faire, 
il a relegue sa morale et son ethique, il fait juste le travail qu’on lui demande de faire. On etait 
dans une soumission a 1’ autorite digne du protocole de Milgram en tout point, car il y a veri- 
tablement souffrance chez les subordonnes. 

Plus la soumission est grande, plus le reveil est violent, difficile. Chez Milgram, plus le 
sujet avait attendu avant de refuser d’envoyer les chocs, plus il revenait souffrant au debrie- 
fing. Ici, c’est l'agression qui a reveille le harceleur (que cela ne vous donne pas des idees pour 
autant, il y a d’autres moyens plus pacifiques de combattre l’etat agentique d’une personne) et il 
a rachete sa conduite, il s'est recadre ensuite, ce qui prouve qu'il n'avait rien d’un sadique dans 
fame, il etait completement manipule et l'a fort regrette. 

Autre exemple : 

A la Caisse d’epargne, le benchmark etait en place : le directeur d’agence 
suivait les chiffres de chacun, heure par heure et harcelait tout le monde contre 
d’enonnes primes. Il envoyait des mails assassins, disputait ses employes juste 
au moment ou ils devaient rentrer chez eux. Sa mission etait d'exercer une 


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pression continuelle. Et lui aussi, recevait une meme pression. Un jour, lors 
d’un entretien de « pression » qu'il subissait, il fit un infarctus : il devint alors 
handicape a vie, prenant conscience de ses actes violemment, avec toute la 
culpabilite que cela suppose. Dans une autre agence benchmarkee de la caisse 
d’epargne, une directrice se donne la mort... 

Envoye special, 28 fevrier 2013 France 3 

Ceux qui ont immediatement pris conscience du role epouvantable dans lequel ils sont 
places souffrcnt terriblement, ils en sont epuises « mon chef veut que je me debrouille pour 
« virer » ce salarie mais je ne peux pas, il a des enfants et puis il bosse pas plus mal qu’un 
autre, alors pourquoi le virer ? » 80 . Ils sont coinces entre un conflit ethique (on leur demande 
d’agir a l’oppose de leurs valeurs) et l’obligation de faire le travail qui leur incombe. On est 
la totalement dans l’experience de Milgram, quand le sujet commence a soufifir, etre confus 
et manifester un stress terrible a chaque electrochoc lance. C’est aussi le moment clef, ce mo- 
ment qui fera soit abandonner la situation en refusant categoriquement les ordres, soit se plier 
et s’ abandonner a la soumission. Excepte qu'ici, contrairement au protocole de Milgram, on 
a une autre solution : changer le protocole, desobeir et faire autre chose. 

On devient done harceleur (dans le cadre d’un harcelement institutionnalise) exactement 
cornme on devient meurtrier dans l’experience de Milgram : par soumission a l’autorite. 

Cette soumission est souvent la resultante de longues seances de fonnatage couplees a 
des fictions de realisation de soi dont les objectifs sont de couper l’apprenti harceleur de la 
realite, de son empathie, de sa morale et ethique, de tout ce qui pourrait le faire remettre en 
question les situations qu’il engendre. Souvent sa vie privee en patit, car il est totalement 
absorbe par la mission que lui confie l’entreprise. Evidemment, ces fonctions sont generale- 
ment bien remunerees, ont des titres ronflants qui pennettent de briller en societe, permettent 
de rejoindre le cercle des supposes « puissants », qui etourdissent l’ego de ceux qui y sont 
acceptes. 

■ REFUSER SON ROLE DANS LES SITUATIONS DE HARCE- 
LEMENT 

Un bon management par le stress, la pression, ?a n’existe pas. Les performances, en effet, 
peuvent etre a la hausse, durant un temps. Puis il y aura des arrets maladies, des demissions, 
des depressions, des « petages de plomb », des conflits, voire des suicides. L'entreprise fonc- 
tionnera avec un haut turn-over, elle en viendra a etablir un budget « prud’hommes » cornme 
le font les supermarches, la vie au quotidien sera malsaine pour tout le monde, et le plaisir 

80 « Journal d’un medecin de travail » , Dorothee Ramant 


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du sadisme se payera : si on ne prend pas conscience de nos comportements, des consequences 
de nos actes, de leur nocivite, c'est notre corps qui peut se charger de faire prendre conscience, 
en developpant des pathologies. C'est notre vie privee qui s’effondrera, ou ce seront les cibles, 
l’entourage de nos cibles qui nous le feront payer. Plus la prise de conscience est tardive, plus 
elle est violente pour notre personne : cela peut etre des annees de vie remises en question, 
des annees qu’on estimera avoir completement gachees. Meme pour un salaire mirobolant, des 
primes et avantages exceptionnels, un statut superieur dont on peut se vanter, cela ne vaut pas le 
prix de notre vie. Seuls les psychopathes peuvent se satisfaire de telles situations. 

Un metier ou Ton n’a pas a nuire a son prochain, ou Ton peut etre « bon » generera des mo- 
ments de bonheur plus denses, plus durables, dont le plaisir partage sera done decuple : nous 
sommes des animaux sociaux, et meme pour les plus solitaires d’entre nous, il sera toujours plus 
plaisant d’evoluer dans un environnement humain de bonne humeur, en bonne entente, en paix, 
qui sait exprimer sainement les conflits pour les regler. Cependant, cette prise de conscience 
toute simple de voir que l’environnement humain est malheureux, souffrant de nos decisions et 
qu'on serait mieux si e'etait l’inverse, est parfois entravee par d'autres plaisirs : 

— L'ivresse du pouvoir. 

— Le flow. 

Mihaly Csikszentmihalyi nous dit que le flow, cette passion pour l’activite n’est pas garante 
de vertu : il prend l'exemple de Adolf Eichmann, qui, au vu de ses propos etait dans le flow dans 
ses activites de gestion abstraites, mais qui etait, entre autres, dans le deni des consequences de 
ses actes. 

On peut done faire des activites absolument immorales, etre passionne par celles-ci sans 
pour autant etre un sadique, un psychopathe : il suflbt qu'elles soient abstraites et qu'on puisse 
ne pas voir la realite qu'elles sous-entendent. Nos capacites de deni peuvent etre enormes. Ne 
confondons pas la passion avec laquelle nous menons une activite et notre bonne adequation 
avec la realite : parce que notre societe est complexe, nos travaux sont separes de la realite, ce 
qui facilite l’inconscience. On peut avoir une pleine conscience de l’abstraction de nos taches, de 
ce qu'il y a a faire et comment le fane « bien »... pour autant ce n’est pas prendre conscience de 
nos actes, c'est une conscience parcellaire, parfois volontairement entretenue, pour que la tache 
soit realisee sans dilemme moral. 

Avec le developpement de la gamification* 1 , avec la disparation des taches concretes direc- 
tement bees a la realite qui peut etre touchee, vue, entendue, sentie, l’abstraction va prendre 
de nouvelles hauteurs. Le flow sera plus present, surtout si la gamification continue son deve- 
loppement. Done, on va etre de plus en plus coupe de la realite tangible, il sera tres difficile 
de savoir ce que nos actes produiront comine consequences. Ne nous raccrochons pas au flow 
comine unique indicateur de pertinence de nos actions, de notre place, de notre « chemin ». A 
titre d'exemple, les traders ont deja une activite gamifiee a fort flow : ils sont des joueurs dans 

81 Plus (informations dans notre dossier : https://hackingsocialblog.files.wordpress.com/2015/05/changer-les-svste- 
mes-gamification-hacking-social.pdf 


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l’abstraction. Je doute que bon nombre d’entre eux prennent conscience de l'impact de leurs 
actions sur la realite. 

L'abstraction est un rideau opaque qui cache la realite. Neanmoins, travailler dans l'abstrac- 
tion a des consequences sur le reel, il faut les chercher, essayer de bien se les representer, en 
prendre conscience. Le deni n'offre rien de bon sur le long terme, que ce soit pour soi ou pour 
les autres. 

Prendre conscience peut etre un travail difficile, cependant c’est la seule facon de prendre 
le controle de sa vie et de choisir la direction qu’on veut lui donner. Se refuser de prendre 
conscience de ses actes, c’est laisser a autrui (ou a des ideologies) le soin de nous instrumenta- 
liser pour des desseins dont on ne veut pas etre les auteurs. 

Autrement dit, pour eviter de devenir un harceleur, il faut observer, tenter de capter les 
consequences de nos actes, prendre conscience de l’echo de nos decisions ou celles qu’on fait 
appliquer. Plus on le fera tot, plus vite on s'en echappera. On est dans la meme situation que 
Milgram, excepte qu’ici il y a recompense, prestige social et que la torture d’autrui n’est pas 
explicite, peu visible (quand on travaille dans l’abstraction) ou reinterpretee pour etre consi- 
deree comine juste ou comme l’unique facon appropriee de fonctionner (« les subordonnes 
n’avancent pas si on ne leur met pas une pression continuelle ; tel acte est peu ethique, mais 
c’est pour le bien de... ; il merite d’etre harcele pour le bien des autres...). Plus on cherchera a 
completer sa vision de la realite, sans filtre (sans croyance, prejuges, abstraction...), plus on se 
donnera des forces pour quitter la situation, la changer, ou se donner un role plus benefique. 


■ NOTRE REALITE N’EST PAS FORCEMENT CELLE DES 
AUTRES 

Le harcelement se fait dans les zones d’ombre. On peut travailler dans un milieu ou l’am- 
biance nous semble bonne, ou Ton est respecte, ou les problemes ne nous semblent pas plus 
graves qu’ailleurs. Puis on voit quelqu’un de placardise, untel est en arret pour depression, une 
plainte a ete deposee aux prud’homme, untel n° 2 s’efifondre en lannes apres un entretien, etc... 
On peut se demander pourquoi tant d’histoires pour si peu, pourquoi les gens craquent si faci- 
lement alors qu’il y a des metiers qui sont beaucoup plus difficiles. On peut se dire que les gens 
sont fragiles pour etre si rapidement atteints par une simple remarque. On peut croire que ces 
problemes sont dus a leur vie privee, ou encore se dire que ces affaires aux prud’hommes ne 
sont que des vengeances d’untel contre un chef qu’il n’appreciait pas. Quand on nous demande 
de temoigner pour une partie ou une autre, on a peu de donnees a notre disposition, et c’est 
souvent des donnees qui accusent l’emotivite de la cible, craquant pour semble-t-il, rien du tout. 
On a des versions de l’histoire : untel serait hysterique, untel serait volontairement incompe- 
tent, untel serait susceptible, etc. Harcelement ? Cette definition des evenements nous semble 


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enonne, parce que nous, on est bien dans l’entreprise, et qu’on n’a rien vu de ce qu'on imagine 
du harcelement. 

L'entourage, dans les situations de harcelement, peut etre divise en differents roles et ici, 
la theorie des allies nous est utile pour comprendre comment le harceleur utilise l’entourage 
« neutre » pour effectuer son harcelement. Nous vous renvoyons a la liste precedente : il suffit 
de remplacer « manager » par harceleur et d'y opposer les cibles et vous avez la une description 
des strategies du harceleur et des differents roles possibles dans cette situation. 

L'attitude passive « je ne me mele pas de ce qui ne me regarde pas » participe a l’ostracisa- 
tion d’une personne ou d'un groupe de personnes car on laisse ainsi au harceleur/a l’institution 
harcelante le champ libre pour detruire la personne. Ne pas s’interesser aux problemes, ne pas 
chercher a comprendre ce qui se passe reellement laisse done les seules informations sociales 
manipulees par le harceleur (rumeurs, discredit de la cible...) etre reines de notre jugement. 
La soumission, le zele total au superieur (l’entourage « militant » selon la theorie des allies) 
ou a celui qui decrete le harcelement est evidemment encore pire, il est meme probable que le 
harceleur, si l'affaire en venait aux prud’hommes, accuse ces « militants » d’etre responsables 
de son projet, etant donne qu'il les mandate pour faire ses sales besognes. On voit egalement 
que tous ceux qui essayent d’exercer leur esprit critique, d’aller chercher la realite (hesitants, 
revoltes, opposants) sont soit manipules pour changer d’avis, soit ostracises a leur tour. Et c’est 
pour cette raison que souvent en situation de harcelement, les individus ont tendance a etre 
passifs, meme s’ils sont parfaitement conscients de l’injustice de la situation. 

En premier lieu, pour l’entourage, il s'agit de mettre au clair sa representation de la situation 
et il faut le faire avec ses propres moyens, ses yeux et ses oreilles ; ou, si ce n’est pas possible, 
de discuter avec les deux parties. Il faut travailler avec la cible, etre attentif a tout ce qu’il pour- 
rait se passer autour d’elle, etre present : pas besoin de se presenter en tant que protecteur, etre 
un temoin neutre est parfois plus utile et moins atteignable par le harceleur. Si possible, il faut 
faire de meme avec le harceleur : il va essayer de vous convaincre, la encore il faut etre neutre 
ou jouer la passivite, afin qu’il ne sache pas dans quel clan vous classer. 

Attention, si le harcelement dure depuis longtemps, la cible peut effectivement etre telle 
que le decrit le harceleur : elle peut se plaindre continuellement, etre centree uniquement sur 
ses problemes, faire un travail mediocre, faire des erreurs, etre peu sociable, irritable... Il ne 
faut pas que ces constatations soient considerees comine la preuve que les ragots, les discours 
du harceleur sont vrais, c'est la peut-etre le resultat d’une tres longue campagne de harcele- 
ment. Il faut essayer de se rappeler comment etait la personne avant afin de mesurer l'ampleur 
de 1’evolution vers cette apathie depressive. 

Une fois qu'on a une bonne representation de la realite, on peut hacker les strategies du 
harceleur, aider la cible (etre temoin, l'aider dans ses demarches, la soutenir moralement, la 
defendre...). Evidemment, plus le harcelement est institutionnalise, plus les cibles sont nom- 


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breuses, plus l’entourage doit aussi se solidariser, communiquer. Comme pour les cibles, il peut 
etre interessant de garder toutes les preuves, de noter les phrases assassines. 

Quand on est l’entourage d’une cible, on peut se demander si finalement la cible ne merite 
pas ce qu'elle subit, on peut se dire qu'elle est ce genre de personne incompetente, a l’attitude 
deplacee et irrespectueuse, done qu'elle a cherche ses ennuis. Qu'on soit clair, generalement les 
« boulets » en entreprise ne sont pas cibles de harcelement : superieurs comme subordonnes 
vont les disputer sur des faits concrets observables par tous ou vont s'en plaindre avec des anec- 
dotes concretes observables, parfois constatees par de nombreuses personnes. Le « boulet » 
n'est pas en souffrance, il peut avoir parfaitement confiance en lui et ne pas voir le probleme 
ou ne faire aucun effort pour ne plus etre un boulet. Dans les cas d’incompetence, la personne 
est changee de poste, on lui confie des fonctions ou elle est moins genante, elle est licenciee 
ou l’equipe s’adapte, en ralant mais pas en harcelant. On ne « cible » pas un incompetent parce 
qu'il n’est pas une menace, c'est juste un boulet. On ne met pas en place une longue campagne 
de harcelement si la personne n'a pas un certain pouvoir ou un « quelque chose » qui derange 
le pouvoir. Le discours est clair avec un incompetent, le harcelement n’est done pas justifiable 
par l’incompetence (il n'est de toute fa^on, jamais justifiable). Le harcelement attaque toujours 
un « plus » de l’individu, pas un « moins ». Meme dans les cas de harcelement bases sur la 
discrimination, l’individu different est attaque parce que les discriminants se sentent menaces 
dans leur pouvoir, ils ont peur qu’une personne differente mais aussi competente qu'eux, brise 
le pouvoir qu'ils ont deja, done ils le reaffirment en detruisant le different. 

Quoi qu'il en soit, un harcelement n’est jamais « merite », il est interesse par celui qui a 
decide de le mettre en place. 

■ ON EST UNE CIBLE POUR UN « + » PAS UN « - » 

On a vu que le cible ne Test pas par incompetence ou a cause d'attitudes deplacees (nous 
parlons par exemple d’avoir des mains baladeuses, se distraire alors que nos collegues ont 
besoin de nous et tout ce qui est une nuisance a l’environnement humain) : sinon, les choses 
auraient ete claires, un superieur aurait clairement dit a la personne la nature du probleme 
qu'elle posait, et cela des le depart du probleme. Alors, pourquoi on devient une cible ? Dans 
nos lectures, dans les temoignages qu'on a pu recolter, dans les cas de harcelement qu’on a pu 
voir a l’oeuvre, voici quelques raisons qui transforment une personne en cible : le fait d'etre 
syndique, le fait de paraitre proche d’un syndique, le fait de tenir a ses droits ou de les rappeler, 
le fait d'etre plus competent, le fait d'avoir de l’anciennete (on coute plus cher), le fait d'avoir 
eu un changement de direction (les nouveaux superieurs veulent imposer leur patte, et cela 
passe par « renouveler » l’equipe), le fait de s'etre oppose a un superieur surtout quand la raison 
etait legitime, le fait d'avoir un meilleur contact avec les subordonnes, pour le fait d’avoir plus 


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de leadership que le superieur, le fait d'avoir une distinction du groupe majoritaire (origines 
differentes, sexe different, style comportemental different - etre gentil panni les cyniques par 
exemple un parcours professionnel different, etc.), le fait que l’entreprise ne veuille pas faire 
de frais de licenciement, le fait que l'employe soit protege du licenciement par un statut parti- 
culier, etc... 

Identifier pourquoi on est cible peut pennettre de se preparer ou de renforcer son bouclier 
mental : c’est-a-dire que les attaques ne soient pas prises au pied de la lettre (qu'on se pense in- 
competent par exemple) mais qu'elles soient considerees pour ce qu'elles sont vraiment c’est- 
a-dire des mesures visant a nous afifaiblir pour obtenir notre demission, notre soumission, notre 
evincement, notre silence, etc. 

Ce bouclier n'est pas une question d’encaisser les coups avec resignation, il s'agit que cela 
ne touche pas notre integrity en tant que personne. Evidemment, il est tres difficile de maintenir 
ce bouclier avec le temps, c'est pourquoi il faut vite agir aux premiers signes de harcelement 
(ce qu’on va voir dans la prochaine section). Resister en se maintenant coute que coute malgre 
les coups ou les humiliations, n'est pas ce dont on parle, resister est pour nous un mouvement 
actif vers l'exterieur, non subir en tentant de garder la tete haute, ce qui est impossible avec le 
temps. 

Attention egalement, ne nous auto-declarons pas cible au moindre conflit avec une per- 
sonne, au moindre disaccord : etre une cible n’est pas une situation enviable, avec un pou- 
voir qui nous differencierait de la masse. C'est clairement une enorme souffrance, et ceux qui 
tentent de devenir « cible », par la provocation et des comportements guerriers ne sont pas les 
cibles dont on va parler, car dans d’autres concours de circonstances, elles seraient les harce- 
leurs etant donne leur volonte de pouvoir. 

@TRAVAIL/HARCELEMENT/SES MODALITES 


Qu’est-ce qui constitue le harcelement ? Heinz Leymann repertorie 45 agissements consti- 
tutifs du « mobbing » (harcelement) que nous retranscrivons ici : 

AGISSEMENTS VISANT A EMPECHER LA VICTIME DE S ’EX- 
PRIMER (categorie des agissements les plus repandus) 

• Le superieur hierarchique refuse a la victime la possibility de s’ exprimer 

• La victime est constamment interrompue 

• Les collegues l’empechent de s’exprimer 

• Les collegues hurlent, l’invectivent 

• Critiquer le travail de la victime 

• Critiquer sa vie privee 

• Terroriser la victime par des appels telephoniques 


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• La menacer verbalement 

• La menacer par ecrit 

• Refuser le contact (eviter le contact visuel, gestes de rejet, etc.) 

• Ignorer sa presence, par exemple en s’adressant exclusivement a des tiers 

A cela on peut raj outer tous les comportements non verbaux exprimant le mepris 
comme les soupirs, mais aussi 1’ intimidation, les communications paraverbales (bruits). 
Une technique de manager dans un fast-food connu consistait a se poster derriere l’equi- 
pier-cible en lui disant continuellement, sur un ton morne particulierement cauchemardes- 
que : « plus vite, plus vite, plus vite » 82 ; a France Telecom, il y avait ce genre de reflexion : 
« ecoute je suis le commercial et tu es le technicien alors tu fais ce que j’ai defini et tu 
fermes ta gueule » 83 ; on a vu precedemment que certains directeurs refusent de voir leurs 
subordonnes ; etc... 

La communication lors du harcelement n’est pas une vraie communication, il n’y a pas 
de dialogue possible, c’est generalement unilateral, autoritariste ou chapelet de critiques 
sans possibility de repondre. Nous nous attelerons a decrire plus tard cette « communica- 
tion » a visee destructrice, car elle est tres utilisee dans de nombreuses circonstances par 
les managers ou par la direction, meme hors contexte de harcelement. 


■ CONTRER LES AGISSEMENTS QUI BRIDENT L'EXPRES- 
SION DE LA CIBLE, QUAND ON EST LE COLLEGUE. 

Il est simple et sans risques, pour le collegue de travail de contrer ce genre de harcele- 
ment : il suffit de demander a entendre l’avis de la cible quand elle est coupee ou empechee 
de parler. Il faut le faire de la facon la plus neutre possible, sans avoir fair d’etre contre 
le clan des harceleurs ou defenseurs de la cible. On est simplement demandeur d’infor- 
mations, on a besoin d’entendre tous les points de vue pour se faire une idee, on a besoin 
d’entendre tout le monde etant donne que cela a un impact sur son propre travail. 

Il s'agit en quelque sorte de faire le « naif social », celui qui ne prend pas en compte (ou 
ne connait pas) les normes sociales qui s'installent dans les sous-entendus et les attitudes. 

Cette naivete sociale peut par exemple servir quand le harceleur ignore la presence de 
la cible : on peut lui rappeler sans jugement, en toute neutrality, que la personne est en face 
d’elle et s'etonner du pourquoi il ne demande pas directement les informations, sachant que 
l’on ne peut pas repondre a sa place. Il ne s'agit pas de defendre la cible (meme si cela en 
est une consequence appreciable), mais de reveler ouvertement et clairement le bizarre de 
la situation. 

82 issu des temoignages que nous avons recueillis 

83 Its m 'ont detruit, Yonnel Dervin 


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Quand on entend des critiques sur la vie privee de la cible, on peut detourner la conver- 
sation vers des sujets auxquels le harceleur ou celui qui colporte les ragots du harceleur 
aura plus envie de repondre, par exemple dire : « tu me paries de divorce, ca me fait pen- 
ser qu'avant hier j’etais avec un ami divorce, il voulait faire un golf, mais j'y connais rien, 
qu'est-ce que tu me conseillerais toi qui est repute pour.... ». Generalement, flatter l’ego 
d'une maniere ou d'une autre fonctionne bien, mais si la situation se repete, il va falloir va- 
rier les detournements de conversations. On peut deriver vers un sujet plus general et dire 
« tu me paries de divorce, ca me fait penser a l'affaire Gayet et Hollande, tu suis un peu ? 
T’en penses quoi ? » On peut egalement monopoliser la parole, qu’importe si ce que Ton 
dit est ennuyeux ou interessant, il faut simplement faire long et qu'on soit tres implique 
dedans « Olala me paries pas de divorce, j’ai un ami divorce qui squatte chez moi tous les 
jours... » et s'il tente de repartir sur le sujet de la cible « Mais attend, tu n’imagineras meme 
pas ce qu'il m’a dit ! c'etait lundi... ». Si on a la flemme, on peut couper net la discussion 
« desole de te couper, mais la j’ai besoin de me concentrer/de calme/de silence/d’etre seul/ 
etc... Pour resoudre l'affaire machin/le probleme true/ etc., je reviens vers toi des que j’ai un 
instant de disponible ». Si on a plus d'audace, on peut « tendre un miroir » et dire « je ne 
savais pas que tu t’ interessais autant a la vie de untel ! » et la encore la naivete sociale peut 
aider « ah done tu es proche de untel si tu sais ca ! vous vous voyez en dehors du travail ? 
Depuis combien de temps vous etes amis ? » 

L'objectif de ces detournements est d’empecher le travail du harceleur qui consiste a 
donner une mauvaise image a la cible, par des ragots. Attention, le colporteur de ragots 
n’est pas necessairement un harceleur, mais quoi qu'il en soit, il faut faire en sorte de stop- 
per la diffusion du ragot, montrer par son attitude que cela n’a absolument aucun impact, 
voire meme qu'il vaut mieux eviter de diffuser des ragots parce que cela met dans des si- 
tuations embarrassantes (la technique du miroir, quand on coupe la discussion pour cause 
de travail). Les detournements ne nous posent pas en defenseur de la cible (ce qui est un 
avantage pour continuer le hack du harcelement), ils rendent caduques ces techniques de 
harcelement. Evidemment, plus il y a de monde qui « bloque » les ragots, mieux e'est. 

Quand on est temoin de menace, on les enregistre de memoire, par des photocopies, 
par un enregistreur quelconque. On ne doit pas laisser ces scenes tomber dans l’oubli, 
les preuves recoltees serviront tout autant a la cible qu'a nous. Si possible on intervient : 
on peut user encore de naivete sociale et faire au harceleur une requete professionnelle 
comme si de rien n’etait ou attirer l'attention sur un autre fait. Il s'agit la d'interrompre le 
travail de sape. On peut generer l’interruption via l’environnement : si on travaille sur or- 
dinateur, on peut malencontreusement lancer un site web dont les pubs audio se lanceront 
tres bruyamment ; on peut claquer sans le faire expres une porte ; renverser une bouteille 
d’eau a terre ; faire tomber des objets, etc. 


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Hacker le harcelement peut devenir un vrai jeu, ce serait dommage de s'en priver sa- 
chant que ce hack est utile aux cibles et qu'il empeche le harcelement d’atteindre pleine- 
ment son objectif, sans pour autant qu'on puisse clairement en deduire que ces interrup- 
tions sont volontaires de votre part. 

■ CONTRER LES AGISSEMENTS QUI BRIDENT L'EXPRES- 
SION DE LA CIBLE, QUAND ON EST LA CIBLE. 

Faute de pouvoir s'exprimer, il va falloir tout noter et tout enregistrer, surtout ce qui a 
trait aux menaces. Ne pas garder de traces du harcelement est un cadeau fait au harceleur, 
car cela lui permet de continuer en toute quietude. II faut done tout repertorier et conserver 
a l’abri (chez soi). Ce travail a un double interet : premierement, pennettre de constituer 
un dossier de preuves. II peut servir a negocier correctement son licenciement, il peut etre 
livre a des superieurs ignorant le harcelement (et possiblement capables ou d’accord pour 
evincer le harceleur), il sera indispensable pour mener l'affaire en justice ou faciliter le tra- 
vail avec la medecine du travail, l’inspection du travail, il sert a mediatiser le harcelement. 
Deuxiemement, ce travail permet de se distancier des evenements deplaisants. Ecrire per- 
met de se liberer des ruminations nocives qu'entraine le harcelement, il permet de clarifier 
la situation, de clarifier ses pensees pour retablir une vision de la realite sans l’influence 
du harceleur. Il permet de se preparer a d'autres evenements et de retrouver de la force. 
Enfin, cela pennet surtout de mettre a l'honneur sa raison et non ses emotions : en efifet, le 
harceleur essaye par tous les moyens de faire « peter un plomb » a la cible, rester calme 
face a lui le met en echec. En situation, il vaut mieux ne pas se battre pour tenter de prendre 
absolument la parole, argumenter, se justifier : ce serait remplir l'objectif du harceleur, lui 
donner matiere a ses arguments et risquer de lui offrir la « crise » qu'il attend tant (enerve- 
ment, impulsivite, colere, crise de lannes, etc.). On peut opter pour deux solutions en 
situation : soit on essaye de faire parler clairement le harceleur « Pourquoi vous hurlez/me 
couper la parole/ne vous adressez pas a moi ? », c'est souvent infructueux, mais s'il y a des 
temoins, c'est un point de gagne pour vous, surtout si votre question est exempte d'affect et 
de jugement. Soit on coupe court a l'agissement « Vous m’empechez de m’exprimer. Ca me 
deplait. Je mets done fin a cette entrevue. » Cette reponse en trois temps est rapide, claire et 
comporte tout ce qu'il y a de necessaire pour mettre fin proprement a l’agissement 84 , elle se 
structure ainsi : « description de la situation 2. expression de nos limites 3. consequence. » 
Si le harceleur s'accroche, on ne se lance pas dans des justifications, on repete ce qu'on 
vient de dire « vous m'empechiez de parler, maintenant vous m’empechez de partir. Je ne 
supporte pas cette situation. Je pars. » Il faut en dire le moins possible, parce que ce sera 

84 « Non, c'est non » de Irene Zeilinger 


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plus gerable pour nous de ne dire que quelques mots et egalement parce que le harceleur 
rebondit sur les justifications. Quant a l'aveu de « faiblesse » de cette technique en trois 
temps (« je n’aime pas ca » ), il n’en est clairement pas un, parce que cette phrase, dite assez 
rapidement au debut du harcelement ne sera pas dite sous le coup de l’emotion, mais avec 
fermete et clarte, annoncant une determination a se respecter soi-meme, a faire respecter 
ses limites par autrui. Quoiqu’en dise par la suite le harceleur, ce sera une victoire, car 
l'agissement n’atteindra pas son but, c’est a dire la crise emotionnelle, l'atteinte au « coeur ». 

Quant au refus de contact, on peut egalement decrire la situation a haute voix, en toute 
neutralite « vous refusez de m’adresser la parole. - silence du harceleur - votre absence de 
reponse approuve le fait que vous refusiez de m’adresser la parole. » Le harcelement joue 
sur les non-dits, les indices sociaux qui sont difficilement prouvables ou explicables a au- 
trui, il faut done leur donner une teneur, au moins orale. Decrire la situation avec neutralite 
pennet de casser les plans du harceleur, mais aussi de donner de l'infonnation concrete aux 
temoins (qu’on essaye toujours d’ avoir nombreux autour de soi, qu’importe si ce sont des 
allies ou non). 

AGISSEMENTS VISANT A ISOLER LA VICTIME 

• Ne plus lui parler 

• Ne plus se laisser adresser la parole par elle 

• Lui attribuer un poste de travail qui l’eloigne et l’isole de ses collegues 

• Interdire a ses collegues de lui adresser la parole 

• Nier la presence physique de la victime 

On parle egalement de « placardisation », de mise au placard, de mise en quarantaine. Ces 
techniques detruisent le reseau des relations sociales et amorcent une enorme solitude aux 
lourdes consequences psychiques pour l’individu. 

Il peut y avoir des placards « transitoires » : 

Dans certains fast-food la mode etait a la mise au coin. Comme pour les enfants, les 
managers decidaient de mettre des equipiers au coin, non loin du comptoir, en vue de 
tous les salaries et clients. Personne n’avait le droit de leur adresser la parole. 

Autre pratique toujours dans le meme fast-food connu, la sequestration dans le 
stock : la personne prise en cible etait enfermee dans le stock, sans travail a faire. Une 
variante consiste a l’obliger a rester dans le local poubelle.[issu des temoignages que 
nous avons recueilli] 


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■ L'ENTOURAGE PEUT REFUSER D'ADMETTRE LEXIS- 
TENCE DU PLACARD 

Ne prenons pas en compte la placardisation et faisons l’inverse des agissements du harce- 
leur : on parle a la cible, on l’ecoute, on fait le chemin pour aller la voir et continuer de travail- 
ler avec elle, on « oublie » qu'on nous a interdit de lui parler, on la remarque quand elle est la 
et on ne manque pas de le signaler. II ne faut surtout pas victimiser la cible « mon pauvre... » et 
ne pas changer son attitude - d’egal a egal - vis-a-vis d’elle : on peut continuer a lui demander 
des conseils, des services et quand on doit aller la chercher loin dans son placard, se plaindre 
haut et fort de la distance, de l'impossibilite de lui envoyer un mail et tout ce que cela genere 
en perte de productivite. II y a encore une forme de naivete sociale a jouer, qui permet de dire 
tout haut ce qui voudrait etre tu, cache, sans pour autant qu’on puisse vous reprocher quoi que 
ce soit : les remarques qu'on pourrait exprimer vis-a-vis de la cible et de son placard seront 
toujours tres pragmatique, liees au travail en general et a notre propre travail. 

Ne sous-estimez pas cette technique : si plusieurs personnes s'y mettent, la productivite 
s'en ressentira et les justifications de cette baisse accuseront le placard et le responsable qui a 
placardise. 

Si le responsable harceleur charge une nouvelle personne des taches de la cible, on peut 
faire campagne, il est facile de prouver a quel point il est plus cher pour l’entreprise d’avoir un 
placardise que des personnes nonnalement a leur poste. Cela revient meme plus cher qu'un 
licenciement confortable. 

■ UN PLACARD EN TANT QUE RETRAITE ACTIVE 

Meme si c’est tres difficile, il faut considerer le placard cornme un sas pennettant de se 
preparer au futur : cet isolement doit etre reapproprie pour mettre au clair et au propre toute 
l'histoire du harcelement, preparer les demarches administratives (inspection du travail, me- 
decine du travail, recolte de temoignages...). Si on ne veut pas monter une defense juridique, 
qu'on est trop epuise moralement pour replonger dans ces histoires, qu'on n’ arrive plus a se 
distancier emotionnellement de ces evenements pour les regler, on peut preparer son futur pro- 
fessionnel et envisager des nouvelles perspectives plus rejouissantes : cela va de se renseigner 
sur des domaines pros qui nous attirent, a commencer a apprendre de nouvelles competences, 
commencer a s'auto-former, inspecter les offres d’emplois, commencer a rediger des lettres de 
motivations, se refaire un CV, commencer les demarches pour creer son entreprise, etc. Meme 
preparer son chomage peut aider a reprendre des forces si on l’envisage de fa$on positive ; 
quoi qu’il en soit il ne faut pas obeir a la loi du placard, dont l’objectif est l’isolement, la de- 
pression, la destruction du soi social via l’ennui. Il faut s'y inventer de nouvelles activites, des 
nouveaux buts, une nouvelle autonomie. Passer le temps, s'occuper tant bien que mal, chercher 
des activites a faire pour l’entreprise coute que coute participe a la depression : si l’entreprise 


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nous a mis au placard, n’esperons pas retrouver le passe et cherchons notre futur a nous. Ainsi, 
vous serez paye a faire vos activites personnelles, ce qui est un immense bras d’honneur fait au 
placard, le transformant en possibility d’exploitation de l’entreprise. Dans certains temoignages 
que nous avons lus, certains placardises n’avaient ete aucunement atteints par cette forme de 
harcelement et en avaient profite pour continuer leurs activites personnelles : l’entreprise har- 
celante, voyant que cette technique n’avait absolument aucun impact sur le moral du salarie, 
avait fini par lui proposer un licenciement propre avec des indemnites tout a fait correctes, ce 
qui fut une victoire. 

Comine vous pouvez le remarquer, on ne parle pas de lutte pour reintegrer l’equipe ou res- 
taurer une position ancienne : si le harceleur est isole, que ses superieurs sont dans une autre 
mentalite, il est peut-etre possible de l’evincer, cependant meme si on reussit, est-ce qu'apres 
avoir tant souffert on aura encore envie de donner nos forces physiques et mentales a l’entre- 
prise ? C'est un dilemme que rencontrent souvent les cibles ayant gagne aux prud’hommes : 
elles sont reintegrees a leur poste et vivent finalement un cauchemar, d’une facon ou d’une 
autre, parce qu’on n’ efface pas le passe, parce qu'une entreprise qui a laisse le harcelement 
prendre le pouvoir une fois le laissera gangrener l’organisation encore. Mieux vaut accepter le 
deuil de son poste, mais par contre, batailler pour que le licenciement soit bien indemnise et 
que les harceleurs soient mis sur la sellette ; si le harcelement est institutionnalise, la lutte doit 
etre mediatisee, et cela on peut le faire meme apres avoir ete licencie. 

Ce n’est pas baisser les bras ou etre individualiste, bien au contraire : certes le passe ne sera 
jamais retrouve, mais l’adversite sera un tremplin pour nous trouver une vie meilleure, pour 
aider les autres, pour trouver des solutions pour evincer les « mediants » de l’entreprise, pour 
reveler les dessous d'une entreprise et briser son marketing : elle sera forcee a plus d’humanite 
et meme si elle s'en contrefiche, qu’elle rebondit en faisant plus de faux marketing, personne ne 
sera dupe ; sur une balance, les arguments negatifs ont toujours plus de poids. Mener ce genre 
de travail donne sens a son malheur et la capacite de resilience dont parlent tant les entreprises, 
elle est la, dans tous ces « combats » decrits precedemment. 

AGISSEMENTS VISANT A DECONSIDERER LA VICTIME AUPRES DE SES 

COLLEGUES 

• Medire d’elle ou la calomnier 

• Lancer des rumeurs a son sujet 

• Se gausser d’elle, la ridiculiser 

• Pretendre qu’elle est une malade mentale 

• Tenter de la contraindre a un examen psychiatrique 

• Railler une infinnite 

• Imiter la demarche, la voix, les gestes de la victime pour mieux la ridiculiser 

• Attaquer ses convictions politiques ou ses croyances religieuses 


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• Se gausser de sa vie privee 

• Se moquer de ses origines, de sa nationality 

• La contraindre a un travail humiliant 

• Noter le travail de la victime inequitablement et dans des termes malveillants 

• Mettre en question, contester les decisions de la victime 

• L’injurier dans des termes obscenes ou degradants 

• Harceler sexuellement la victime (gestes ou propos) 

Ces agissements s’attaquent egalement a la vie privee de la personne qui peut, a force 
d’ entendre ces horreurs, se remettre en doute et finir par croire ce qu’on lui dit. 


■ RECADRER 

En tant que collegue, on peut employer les memes strategies de detournement de la conver- 
sation vue precedemment. L'important est de bloquer les rumeurs, empecher le developpement 
de discussions de deconsideration pour reduire, empecher l’influence du harceleur. 

On peut aussi recadrer ce bavardage en rappelant le travail a l'ordre et dire par exemple 
« tu me dis que untel est schizo, mais moi mon probleme c'est que j'ai toujours pas recu tel 
papier pour faire telle activite et c'est pas lui qui s'en charge ! ». Cela ridiculise en plus le ra- 
gotage et le ragoteur. On peut meme jouer la colere sans prendre de risque, ce qui permet a la 
fois de defendre la victime et de faire avancer ses affaires « Je ne sais pas qui vous mimez, ca 
a fair de bien vous faire marrer mais moi en attendant j’ai des clients qui sont a deux doigts 
de peter un plomb parce que le boulot n’avance pas ! J'ai pas envie d'avoir ma journee pourrie 
parce que vous etes trop occupe a faire les guignols ! » ou encore : « Tu me dis que untel est 
incompetent, mais si vous continuez a m'interrompre tout le temps, c'est moi qui vais devenir 
incompetent ! ». Cette derive du ragot vers un probleme concret decredibilise les propos du 
harceleur ou de son suiveur, renvoie un miroir a son ridicule, ne peut pas vous etre reproche 
etant donne que votre « colere » est legitime, elle conceme le travail. Les seuls risques sont 
une reputation de trouble-fete (facile a contrer en variant ses reactions et comportements) ou 
des attaques du harceleur, mais qu’on peut contrer en etant fort sympathique avec lui dans les 
contextes ou il est correct : c'est evidemment difficile, d’autant plus si le harceleur est infect, 
mais il est important qu'il n’arrive pas a vous categoriser. 

Selon le contexte et l’interlocuteur, comine on n’est pas la cible, il peut etre productif de 
jouer franc -jeu en posant des questions directes, mais tout a fait neutres, c’est-a-dire sans cy- 
nisme, sans ironie ni a priori. L'objectif est de debarrasser la discussion de sous-entendus et 
de faire dire a haute voix ce que pense reellement le harceleur, quelles sont ses strategies, ses 
intentions. Cela peut fonctionner avec un suiveur du harceleur, par exemple : 


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« Suiveur : quel trisomique ce untel ! 

Nous : Ah bon, qu'est ce qu'il t'a fait ? 

S : S’il atteint les 50 de QI c'est un vrai miracle ! 

N : Ah. Qu'est ce qu’il a fait d’idiot a son poste ? 

S : Bah c'est un abruti, y a rien a dire de plus. 

N : Done en fait il n’a rien fait ? 

S : Mais c'est un interrogatoire que tu me fais la, tu le defends ? 

N : Je le connais pas, du coup j’essaye de comprendre. Desole. Je pensais 
que tu avais une anecdote, en fait. 

S : Y’en a plein, tout le monde se fout de sa gueule [argumente sur des de- 
tails physiques, des attitudes] 

N: Oui, voila vous l’aimez pas, mais c'est pas a cause du boulot. 

S : Oui c'est un trou du cul, tu verrais ! 

N: Ok, je comprends ! En fait il bosse comine tout le monde, mais vous 
l’aimez pas a cause de [liste des details physiques reproches] et done vous dites 
que c'est un trisomique a cause de ca. 

S: Mais non y a pas que ?a, on n’est pas des gamins ! 

N: Ah ? Raconte-moi alors. » 

Et la il est possible que le suiveur repete une rumeur, on peut le recentrer pour qu'il prenne 
conscience qu'il n’est qu'un repetiteur au service du harceleur : « mais toi personnellement, 
qu'est ce que tu penses de cette histoire / quelles consequences cela a sur ton travail ? » 

On enchaine done question sur question, on reformule ce qui est dit sur un mode compre- 
hensif, curieux ou tres interesse par l’avis de la personne. 

Si on a un bon contact avec le harceleur - meme si on n’est pas d’accord avec son harcele- 
ment, l’un n’empeche pas l’autre parfois -, on peut tenter un gros coup : « entre nous, franche- 
ment untel, faudrait qu'il degage, non ? » Si ca marche et qu’il se confie, on devient un faux 
allie : il peut nous confier des missions de harcelement, raconter franchement ce qu'il fait. C'est 
le meilleur moyen de casser son action, de recolter des preuves pour faire cesser le harcelement 
ou mettre le harceleur sur la sellette. Cependant, c'est une situation extremement delicate, dif- 
ficile. 

■ BLOQUER et enregistrer 

Concernant les calomnies, les rumeurs, les moqueries dont on serait soi-meme victime on 
ne peut parfois que les apprendre a posteriori, done on peut avoir du mal a en determiner les 
origines. Il est done difficile de les contrer, sachant que leur opposer la verite peut etre consi- 
dere coniine une preuve que le ragot est vrai. Mieux vaut ne pas perdre son temps et son ener- 
gie a justifier, argumenter autour des rumeurs, sachant que tout cela peut inspirer le harceleur 
et legitimer cette technique. Mieux vaut s'en tenir a une reponse courte, ferine et determinee 


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(« c'est strictement faux ») et recentrer la discussion sur le travail. Si la personne n’est qu'un 
repeteur, on peut user de la technique du « done » precedent, en posant des questions pour 
l'amener a reflechir par lui-meme et prendre conscience de ce qui se passe. Attention, il s'agit 
la d’amener a ce que la personne, par sa propre reflexion, fasse des conclusions plus eclairees, 
pas de la convaincre de nos arguments. 

Quant aux attaques directes, il faut les enregistrer : via un logiciel sur son portable, son 
ordi, son lecteur MP3 ou sa propre memoire. Non seulement cela fait office de preuve (pour 
prouver fagression a un superieur, a des collegues/proches doutant de l'agression, pour la 
justice, pour une future mediatisation, etc.), mais cela permet de se distancier de l'attaque : on 
ne subit pas, on cherche a retenir les mots, les attitudes pour en faire quelque chose. Il s'agit 
la d’etre dans le meme etat d’esprit qu'un etudiant cherchant a prendre des notes du discours 
d’un conferencier tres tres special. 

Sachant que vous enregistrez, vous pourrez mieux controler vos emotions, etant donne 
que vos ressources mentales seront dediees a l'attention, la concentration que requiert le tra- 
vail de memoire. Le harceleur, quand il attaque en face a face, cherche souvent a produire 
des reactions emotionnelles qui lui serviront par la suite de preuves pour justifier son discours 
(« regardez il est faible/il est impulsif/il est fou/il ne sait pas se controler/il est incapable de 
self-control ... »). 

Attention, ce n'est pas parce qu'on « enregistre » l'agression qu’il faut pour autant la lais- 
ser durer pour recolter plus de donnees : plus elle durera, plus elle sera penible, plus il sera 
difficile d’enregistrer quoi que ce soit, plus ce sera douloureux. Done il faut la stopper : la 
technique en trois temps peut l’arreter, par exemple : « tu te moques de mes origines , cela 
m’empeche de travailler, je vais done quitter la piece/te demander de me laisser travailler. » 
Il faut l'employer avec fermete et sans affects. On peut stopper de la meme maniere le harce- 
lement sexuel : « tu me touches les fesses, je n’aime pas ca, je te demande de partir et de ne 
jamais recommencer » parfois le simple fait d'exprimer tout haut ce qui se passe, comme les 
attouchements, peut suffire a refroidir le harceleur, encore plus s'il y a du monde dans le lieu 
de l'agression. 

Quant aux travaux humiliants, nous en reparlerons. 

DISCREDITER LA VICTIME DANS SON TRAVAIL 

• Ne plus lui confier aucune tache 

• La priver de toute occupation et veiller a ce qu’elle ne puisse en trouver aucune 
par elle-meme 

• La contraindre a des taches totalement inutiles et/ou absurdes 

• La charger de taches tres inferieures a ses competences 

• Lui donner sans cesse des taches nouvelles 


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• Lui faire executer des travaux humiliants 

• Confier a la victime des taches exigeant des qualifications tres superieures a ses 
competences, de maniere a la discrediter 

Quelques exemples vecus de ces travaux humiliants : nettoyage de sols a la brosse a 
dents ; obligation de coder les timbres a exactement 4 millimetres sous peine de recom- 
mencer ; nettoyer des recoins a quatre pattes alors que toute l’equipe se detend ; faire faire a 
la cible des travaux salissants et la « parfumant » juste avant sa prise de poste ou elle recoit 
des clients, sans possibility qu’elle puisse se changer. 85 

A cette liste on pourrait raj outer les injonctions paradoxales qui consistent a ordonner 
de faire une activite puis de remettre en cause cette activite. Ce sont des ordres impla- 
cables sur la fa?on de realiser telle activite puis la reprimande pour avoir realise cet ordre. 
II s’agit de rendre dingue la personne, l’amener a faire une faute (un abandon de poste 
par exemple). C’est ordonner a un ouvrier de faire une dade en beton, puis de la detruire 
au marteau piqueur, puis de la re faire et re-ordonner encore de la detruire, et cela jusqu'a 
abandon du poste. 109 

C’est ordonner au salarie d’ader dans une autre zone de travail, puis quelques minutes 
apres, venir le chercher et lui hurler dessus en lui reprochant de ne pas 1’ avoir trouve au 
poste initial et lui demander pourquoi il se permet d’etre la. 86 C’est le manager qui force le 
subordonne a adopter une pratique, insiste pendant des jours pour que la personne le fasse 
malgre des resistances ethiques (elle se doute qu’il s’agit d’un acte qui derive de la pro- 
cedure habituelle). Le jour ou le subordonne obeit finalement, le manager lui hurle dessus 
avec de la haine dans le regard, lui dit que jamais on ne doit faire 5a. 110 

■ NAIVETE, CAMPAGNE, SOLIDARITE ET MEDIATISATION 

En tant que collegue, la aussi le jeu de la naivete sociale peut donner des resultats : s'il 
s'agit d’un superieur mis a un poste subordonne, on peut refuser de comprendre et s'adresser 
a lui cornme habituellement, en demandant conseils, directives, aide bees a ses compe- 
tences. Cependant, cela peut mettre mal a l’aise la cible, il faut done prevenir de son action 
au harceleur « je vais demander a untel son aide sur tel dossier » il ne s'agit pas de demander 
une permission, mais de notifier. Si le harceleur bloque faction, on peut entamer la discus- 
sion via des questions cornme vu precedemment. 

Si on a de l’audace, on peut s'enerver publiquement apres avoir constate que la cible a 
ete mise dans une activite inutile « Mais pourquoi untel est force de faire ca, alors qu'on a 

85 Le management par la manipulation mentale, Bernard Salengro 

86 un fast-food connu ; issu des temoignages que nous avons recueillis 


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besoin de monde/de ses competences pour telle activity ! C'est pas serieux, ca met tout le 
monde dans la merde ! C'est vraiment une decision aberrante, il faut le faire revenir ! » 

L'idee est de prouver que cette decision a un impact sur la productivity, l’efficacite et 
l'avancee du travail, sans pour autant accuser quelqu'un : le harceleur aura ainsi l’opportu- 
nite de revenir sur sa decision. 

Si l’ecartement de la cible ne pose pas de probleme, on peut tres facilement en inventer 
pour extirper la cible du piege : on a toujours possibility de compliquer les choses, d’inven- 
ter des blocages et autres ennuis necessitant la presence de la cible a nos cotes. 

On peut egalement jouer la solidarity na'ive et se sera d’ autant plus efficace si on est 
indispensable dans notre role habituel, par exemple : « Bon je pars aider untel, il a 1500 
timbres a coder, faut qu'on s'y mette tous pour passer a autre chose. Si vous me suivez, je 
vous paye la prochaine tournee de cafe ! » La tache ingrate sera vite reglee a plusieurs, elle 
ne sera plus ingrate puisque l’equipe sera soudee et dans la bonne humeur (c’est un petit 
travail supplemental a faire) et elle posera un probleme a la productivity, a l'efficacite du 
reste du travail, ce qui devrait decourager le harceleur de recommencer. 

Mais ce genre de harcelement est generalement discret, il faut done faire de temps a 
autre une revue des troupes (meme quand on est subordonne) et se demander ce que fait 
untel : on aura besoin des ecartes ou on voudra partir les aider pour qu'il reviennent plus 
vite. Si on peut, on part les voir. 

Cela permet de les extirper de ces pieges, de jouer la solidarity naive ou d'etre temoins 
de scenes de harcelement (temoignages qui seront tres utiles pour lutter contre le harcele- 
ment). 

On peut egalement mediatiser en toute naivete le harcelement a des superieurs n’etant 
pas au courant de ces agissements, par exemple : « Qu'est-ce qu’on a eu une dure joumee 
hier, en meme temps untel avait ete force de coller 1500 timbres, done une personne en 
mo ins, ca se sent... Alors oui si on s'etait mis a plusieurs, on n’aurait pas perdu autant de 
chififres d’affaires, mais bon apparemment il fallait absolument laisser untel la, j’ai pas in- 
siste... » 

Parfois, il suffit de parler tres fort devant la machine a cafe, dans la cafeteria ou dans les 
couloirs : pas besoin de le dire directement aux superieurs. 

■ DESOBEIR. 

Les travaux humiliants sont une technique de harcelement difficile a contrer pour la 
cible, etant donne qu'un salarie est tenu de realiser les travaux ordonnes. Les seules solu- 
tions peuvent etre qu'un autre superieur ordonne autre chose : soit il est deja notre allie, soit 
il faut aller le chercher et lui demander son avis de decideur sur les directives humiliantes. 

Si le harcelement provient de l'ultime superieur, alors il faut memoriser l'ordre, faire en 
sorte que des temoins voient l’humiliation et la stopper. Etant donne la tournure que prend 


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le harcelement, il n'y a rien a esperer de l’entreprise ; quand bien meme le harceleur se cal- 
merait, la vie au travail serait quand meme menacantc perpetuellement. La seule chose a 
gagner est un licenciement propre avec indemnity. Done il est inutile de se forcer a realiser 
l'ordre humiliant : on le fait une minute pour que chacun prenne la mesure de l’activite, 
puis on fuit. Et si l’activite est trop humiliante/dangereuse/immorale, on n'essaye meme 
pas de la faire. 

COMPROMETTRE LA SANTE DE LA VICTIME (categorie d’agissement la plus 
rare) 

• Contraindre la victime a des travaux dangereux ou nuisibles a la sante 

• La menacer de violences physiques 

• L’agresser physiquement, mais sans gravite, « a titre d’avertissement » 

• L’agresser physiquement, sans retenue 

• Occasionner volontairement des firais a la victime dans l’intention de lui nuire 

• Occasionner des degats au domicile de la victime ou a son poste de travail 

• Agresser sexuellement la victime 

■ FAIRE APPEL AUX AUTORITES 

Etant donne que ces agissements menacent, mettent en danger autrui, il faut intervenir 
pour empecher le drame : si vous ne le faites pas parce que vous avez peur, parce que vous 
n'aimez pas la cible, parce que ce n'est pas votre genre d'aider les autres, sachez que l’inaction, 
dans cette situation, est un debt, il s'agit de non-assistance a personne en danger. 

Meme si la cible semble obeir, qu'elle ne reagit pas (pas de colere ou de tristesse), ne 
semble pas souffrir, ne montre pas de signes montrant que la situation est problematique, il 
faut intervenir : il est probable qu'elle ait ete tant harcelee que son comportement soit totale- 
ment resigne, qu'elle n’arrive plus a prendre conscience des situations et de leur danger. 

Dans ces situations, il n'y a pas a analyser, reflechir, mesurer les consequences, il faut im- 
mediatement reagir pour stopper l’evenement. 

Si on est la cible, il en est de meme : il faut reagir comrne pour une agression dans n'im- 
porte quel contexte. Il faut crier pour avertir du danger, fuir, se refugier dans un endroit peuple, 
avertir les autorites ou faire en sorte que quelqu'un le fasse pour nous. Si personne ne semble 
se preoccuper de votre sort (cornme dans le cas de Katherine Genovese), demandez a une per- 
sonne et une seule son aide, tres clairement : « Je me fais agresser, appelez la police s’il vous 
plait ». Les autres la suivront ensuite. 

Quand on est ecarte de la situation, en securite, on ne tire pas une croix sur l’agression et 
on fait en sorte qu’elle soit signalee : police, medecine du travail, inspection du travail... Ne 
pas signaler une agression c'est servir le harceleur, lui donner raison, valider ses manieres et 
done lui laisser tout loisir de recommencer sur quelqu'un d'autre. L'autre voie, « regler ca entre 


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homines » est une strategic qui favorise le harceleur, parce que cela ne le remet pas en question 
a son poste et done lui permettra de recommencer ; de plus si cela entend une bagarre, le har- 
celeur fera de cet acte une preuve contre la cible, ce n'est done pas une bonne solution. II faut 
done lui opposer la loi et fautorite. 

@Travail/harcelement/communication 


Sans pour autant entrer dans une manoeuvre de harcelement, la communication perverse 
est une pratique qu’emploient tout autant les harceleurs que les manipulateurs et ceux qui 
veulent asseoir une domination. Elle est tres courante en entreprise, en politique (on en avait 
deja parle section medias) et dans d’autres domaines ou l’on souhaite evincer tout sens critique 
chez l’interlocuteur, l’empecher de repliquer, le faire devenir agressif (et done obtenir de lui 
un comportement reprehensible), lui donner une fausse image de leader en qui avoir confiance, 
etc. A la fois langue de bois et manipulation pour empecher l’autre de s’exprimer tel qu’il le 
voudrait ou modeler ses opinions, cette communication, qui est en fait une non-communica- 
tion, est a la base des processus de manipulation, quels qu’ils soient, et emaillent le parcours 
de ceux qui seront harceles, de ceux qu’on manipule a devenir harceleur, de ceux qui resistent 
ou tentent de comprendre, bref d’a peu pres tout le monde. Ces techniques peuvent etre isolees, 
ponctuelles comme etre un mode continuel de communication [note : on parlera d’un « manipu- 
lates » pour rendre plus lisibles nos propos, mais cela peut etre toute la communication d’une 
institution, d’un corps de metier, d'un groupe, qui fonctionne ainsi ; ces notes sont le melange 
de deux sources : Guide pratique pour reussir sa carriere en entreprise avec tout le mepris et 
la cruaute que cette tache requiert, Antoine Darima et http://www.la-psvchologie.com/mani- 
pulation.html : 

1 . II n’affirme rien de concret, n’est pas precis et on ne peut pas verifier ses propos. 

2. II reste flou, conceptuel, approximatif : ainsi il evite les erreurs et ne laisse pas de prise a 
la critique. 

3. II laisse des vides, il repond de fac^on vague aux questions qu’on lui pose et laisse le 
champ libre aux phenomenes de projection qui peuvent conduire a le percevoir bien meil- 
leur/bon qu’il est en realite : les interlocuteurs ayant tendance a les remplir de leur propre 
sens, cela lui fait une economic de reflexion et transpose la faute sur les interlocuteurs si 
ce qui avait ete dit s’avere une erreur. 

4. Il seme le trouble, le doute ou laisse le champ libre aux interpretations avec ses non-dits 
et s’offusque ensuite de ce qu’il a lui-meme genere. 

5. Il repose des questions sur les questions pour gagner en temps de reflexion ou essayer de 
faire deriver le sujet vers quelque chose qui lui convient. 

6. Il saisit toutes les occasions pour deriver sur des sujets qui lui conviennent. 


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7. II suscite l’empathie chez son interlocuteur (sans pour autant l’etre, lui) : « moi aussi 
j’etais jeune/cadre/vendeur/en bas de l’echelle, je sais ce que c’est... » 

8. II attribue des pensees, ou projets ou intentions a ses interlocuteurs « je sais que vous etes 
tres preoccupe par la qualite de la production » : c’est un etiquetage positif de l’interlocu- 
teur que celui-ci ne peut renier et cela force 1’ interlocuteur a se positionner du cote du 
manipulateur. 

9. II fait des liens de causalite logique dont l’apparence parait serieuse, mais construite par 
distorsion, omission ou generalisation. Cela fait perdre l’esprit critique de 1’ interlocuteur. 

10. II fait semblant de ne pas comprendre, meme des faits extraordinairement simples : « soyez 
plus clair » ; « je ne comprends pas, expliquez-moi mieux... » ; « J’aimerais bien que tu 
m’expliques, car la je ne comprends pas » ; il s’agit la de se donner le temps d’elaborer 
une strategic sur une question qu’il n’arrive pas dans l’immediat a contrer. 

1 1 . II donne des faux choix : un choix qui ne comporte pas beaucoup de difference et qui va 
dans le sens du manipulateur ; cela lui pennet de creer une fausse liberte chez 1’ interlo- 
cuteur. 

12. II annonce une fausse sincerity « je le dis franc hement » ; « voila pourquoi je veux dire 
la verite » il s’agit d’amorcer l’aura de la franchise, qu’importe si le contenu est franc ou 
non. 

13. Si 1’ interlocuteur l’accuse, le critique, enonce une verite qui le contrarie, il joue les surpris 
et reformule a son avantage. 

14. Il utilise la violence verbale ou physique de 1’ interlocuteur pour le decredibiliser. 

15. Il evite les traces ecrites afin d’eviter les reproches si ses decisions menent a un echec. 

16. Il laisse la conduite operationnelle aux subaltemes pour deplacer la responsabilite sur eux 
en cas d’echec. 

17. Il s'attribue tout le merite des reussites menees a plusieurs. 

18. Il ne reconnait jamais ses torts. 

19. Il joue la betise pour ne pas reconnaitre ses torts. 

20. Il ne cede pas du terrain a son interlocuteur quitte a dire des choses insensees ou contra- 
dictoires. 

21. Il se positionne en victime pour s’attirer la sympathie. 

22. Il est imprevisible. 

23. Il empeche la communication des subordonnes avec la direction (et inversement de la 
direction avec les subordonnes) afin de garder le controle de 1’ information. « Si vous 
lui faites parvenir cette information, vous pouvez d’ores et deja vous inscrire a Pole em- 
ploi... » « Vous voulez vraiment le deranger pour ca ? Mais ou avez-vous la tete ? » ou il 
dit avoir fait parvenir, or c'est faux. 

24. Il discredite en avance les futurs critiqueurs ou ceux qui ne semblent pas se faire avoir par 
son jeu aupres de la direction. « Mefiez-vous d’untel, c’est un requin », ragot, technique 
de decredibilisation. 


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25. II peut employer un langage dogmatique, tres technique pour etre incomprehensible et 
donner 1’ impression de savoir. 

26. II considere le code social des « bonnes conduites » (bonjour/merci/etc.) uniquement 
lorsqu'il peut lui etre utile. C'est-a-dire qu’il s’offusquera qu’on ne lui dise pas bonjour, 
mais lui s’en passera. 

27. II donne volontiers un peu afin d’obtenir ensuite beaucoup en retour. Le moindre petit 
service accorde par le manipulateur sera ensuite pretexte pour demander beaucoup. 

28. II recourt a la comparaison avec autrui pour souligner nos manquements et nous pousser 
a nous conformer a son souhait : « dans mes autres magasins, il y a beaucoup moins de 
disparitions » ; « c’est vraiment un cas a part votre unite ». 

29. II affiche le sourire meme lorsqu’il est mis sur la sellette, cornme si rien ne pouvait l'at- 
teindre. 

30. II impose ses decisions sans prendre la peine de concerter et ne supporte pas qu’on le 
desapprouve. 

3 1 . II attend des reponses precises a ses questions parfois intrusives, mais lui ne se devoile 
pas. 

32. II preche le faux pour savoir le vrai. Par exemple « je sais ce que tu as fait ! », alors qu’il 
n’a aucune connaissance du probable mefait dont il accuse la personne. 

33. Il seme la discorde au moyen de sous-entendus qui creent de la suspicion, du doute, de la 
mefiance. Par exemple : « je ne sous-entends rien, mais c’est quand meme etrange que ce 
materiel se casse toujours » ; on constate que generalement la phrase « je ne sous-entends 
rien » sous-entend toujours quelque chose. 

34. Il nous incite a rompre avec les personnes influentes qui pourraient nous aider a y voir 
clair ; il s’agit de decredibiliser toute personne qui brise son jeu. 

35. Il menace implicitement et suscite la peur afin d’etre obei. « Vous savez, il y a au moins 
200 personnes qui n’attendent que de prendre votre place ». 

36. Il n'hesite pas a mentir ou a faire du chantage pour arriver a ses fins. 

37. Il utilise la flatterie pour seduire et s'attirer notre sympathie 

38. Il change cornme un cameleon en fonction des situations, des circonstances ou de son 
public. Parfois, meme lors d’une reunion, le manipulateur peut adopter une attitude dif- 
ferente a chaque theme, selon chaque personne en presence. Generalement c’est extreme- 
ment frappant : une gentillesse exacerbee pour un, un regard de haine et un ton sec pour 
l’autre, de l’humour lors d’un discours general et du dedain pour un autre theme. Tout 
cela en quelques minutes parfois. 

39. Il se sert de son savoir ou de son statut professionnel et des representations sociales af- 
ferentes a ce statut pour subjuguer. On l’a vu de long en large lors de cet ouvrage, des 
details (un costume, une montre, une voiture, un titre...) manipulent notre opinion. Le 
manipulateur en est bien conscient et appuie sur tous ces leviers. 


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40. II eprouve le besoin constant de prouver a autrui (souvent a des personnes aux statuts 
plus eleves qui peuvent lui accorder d’autres privileges) sa valeur, mais s'avere mo ins 
competent que ce qu'il laisse entendre. Tout est affaire d’apparence : le manipulates aura 
Tapparence de la personne competente, responsable, efficace. Cependant ce n’est qu’une 
facade qu’il entretient. 

41. II cree des boucs emissaires, entraine un groupe a devenir persecutes de ces boucs emis- 
saires, avec l'appui plus ou moins conscient du groupe. Autrement dit, void la strategic 
des allies permettant de diviser pour mieux regner, d’asseoir son pouvoir, renforcer le 
groupe dominant et proteger le manipulateur-chef de ce groupe. 

■ IDENTIFIER, FAIRE CLARIFIER, BLOQUER, DETOURNER, 
RETOURNER, HACKER LA COMMUNICATION DU HARCE- 
LEUR 

Identifier 

La premiere chose qu’on peut apprendre tres facilement, c’est d’identifier cette communi- 
cation tres particuliere : si vous avez lu la section precedente et que cela vous a rappele le dis- 
cours de certaines personnes, des situations personnelles ou encore des debats politiques, c'est 
que vous arrivez deja a discriminer une communication normale d’une communication dirigee 
par la volonte d’avoir du pouvoir sur l’autre. 

Un bon exercice pour s’entrainer a detecter toutes ces « combines » est d’ecouter les debats 
politiques, les discours des politiciens, leurs interviews et de chercher toutes les situations ou le 
politicien fait deriver les questions pour parler d’autre chose, ou il parle pour gagner du temps, 
comment il utilise les attaques a sa faveur, comment il cherche a dominer son interlocuteur, etc. 
Cela permet de se familiariser avec cette non-communication, voire a s’entrainer contre elle. 

Face a ce genre de manipulateur, au travail, notre but ne sera pas de l’ecraser (cela alimente 
le conflit et ne regie rien), mais soit de le faire dire tout haut ce qu’il ne veut pas dire explicite- 
ment, soit retablir une communication normale, soit faire deriver ou echouer la manipulation 
(pour soi et les autres), soit profiter de la tentative de manipulation pour mettre en avant un 
probleme concret a regler, soit lui faire comprendre que ces techniques n’ont d’autres effets que 
de le fatiguer inutilement. 

Identifier cette communication est tres facile quand on est spectateur, que ce soit devant 
un ecran ou IRL, c’est deja beaucoup plus difficile quand on est acteur dans le contexte : 
c’est-a-dire en plein travail, en groupe, face a des superieurs ayant le pouvoir de nous mettre 
au chomage, dans des situations stressantes (entretien avant sanction par exemple), dans des 
endroits impressionnants ou surprenants (des menaces alors qu’on se change dans les vestiaires 
par exemple). 


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L'identification doit etre alors du millieme de seconde et doit parvenir a notre conscience 
malgre des centaines d’informations autres (collegue qui rit plus loin, client qui s'enerve, 
ordinateur qui bipe, etc.). Cette identification commence par un ressenti : de la gene, de la 
surprise, le sentiment d'avoir ete blesse, de l’incomprehension. Bien souvent, ce n’est que 
longtemps apres la scene de manipulation ou de harcelement qu’on se dit que ce n’etait pas 
une communication normale, que cela eut tel effet sur nous ou les autres et que cela n’aurait 
pas du etre le cas, puis on en vient a se dire qu'on aurait plutot du dire non, repondre autre 
chose, faire une autre action. On rumine l’evenement, on culpabilise et cela nous paralyse 
encore pour la future scene de harcelement ou manipulation : ne deprimons pas, mieux vaut 
une identification tardive de la situation que pas d’identification du tout. 

Pour eviter les ruminations, mieux vaut considerer l'agression comine un coup d’essai, une 
experience qui nous permettra de reagir mieux la prochaine fois : on stoppe les ruminations 
en planifiant nos futures reactions face a ce genre de scene et en mettant la culpabilite de cote. 

Clarifier et stopper : 

Meme quand on a identifie que la communication etait manipulatrice, on n’arrive pas 
forcement a reagir convenablement au bon moment : on obeit aux sous-entendus (pas de 
bonne grace evidemment), on interprete en faveur du manipulateur, on « prend sur nous », on 
se dit que c'etait a cause du contexte...Tout cela est une victoire pour le manipulateur : jauger 
ses actions, son discours, savoir qu’ils sont « mauvais » est une etape, certes, mais elle ne sert 
strictement a rien si on ne fait rien. 

Bien que Ton ait conscience du probleme, la grande difficulty est que Ton interprete 
automatiquement les sous-entendus et on les prend en compte dans nos reponses verbales ou 
comportementales. Or, on devrait s’arreter des que Ton percoit notre sentiment d’alerte (c'est- 
a-dire la surprise, la gene, la contrariety, rincomprehension,etc.). 

Avant de faire quoi que ce soit, il faut tenir compte de notre sentiment et done tenter de 
clarifier la situation. Cette clarification consiste tout simplement a poser des questions au 
manipulateur, ou reformuler ses propos via des questions (ainsi, il sera incite a repeter ses 
propos sous une autre forme que celle imbibee de sous entendus). 

Exemple : on fait partie d’une equipe, or tout le monde est deborde, car il manque des 
employes. Vous tenninez a 18 heures et vous devez absolument finir a l’heure, car vous avez 
un rendez-vous medical que vous attendiez depuis 6 mois. Vous avez deja prevenu vos chefs 
qu'il fallait absolument que vous partiez a l'heure. Un manager arrive pres de vous, un quart 
d’heure avant le depart : 

« Vous faites vraiment du bon travail, je ne sais pas ce qu’on ferez sans vous [flatterie + 
etiquetage « travailleur » et « indispensable »]. C'est dans ces moments-la qu'on est vraiment 
une grande famille, toujours la pour s'entraider. Continuez coniine ca ! » 

Quand on ne prend pas conscience de ce qui se passe, on se sent flatte et on met au second 


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plan le fait qu’on ait mis tant de temps a attendre ce rendez-vous et que si l’on n’y va pas, on 
risque de reattendre tout autant de temps. On a un regain de motivation parce qu'on se sent 
indispensable (or c'est faux, dans d’autres contextes, le manipulateur peut nous dire qu’on est 
rcmplacablc a souhait) ; on peut penser egalement que notre presence va « sauver » la joumee 
et on ne va pas identifier que le vrai probleme est un probleme d’organisation ou d’economies 
sur la main-d’oeuvre. 

On peut egalement prendre parfaitement conscience de la manipulation et pour autant an- 
nuler notre rendez-vous, en pestant interieurement contre le manipulateur : parce qu’on a peur 
de perdre notre emploi, qu’on a peur que le superieur nous le fasse payer, en dedouanant l’im- 
portance du rendez-vous, etc. 

II faut done reagir et commencer par clarifier la demande implicite du manipulateur en 
demandant par exemple « Merci, vous voulez done que je travaille apres la fin de mon horaire 
? » ou encore « Merci, est-ce que je dois comprendre que vous m’ordonnez de rester plus 
longtemps ? » (parler d’ordre pennet de se proteger s’il dit plus tard qu’on refuse de lui obeir) 
ou « Merci, si j’accepte de rester plus longtemps est-ce que je serais remunere ? ». Si le ma- 
nipulateur elude la question des heures supplementaires en ayant un discours totalement hors 
sujet, flou, incomprehensible, menacant, mais qui ne repond pas a la question, il est vraisem- 
blable qu’il souhaite de vous que vous fassiez du benevolat pour l’entreprise, en plus de vous 
faire rater votre rendez-vous. Saisissez-vous de cette occasion pour cloturer la discussion en 
repondant par exemple : « Je suis bien content que vous ne m’ordonniez pas de travailler plus 
longtemps aujourd’hui, car comine vous le savez j’ai un rendez-vous medical extremement 
important. Je vous remercie ! [suite optionnelle] vous avez raison, nous soinmes cornme une 
grande famille, on s’entraide. » 

On peut done proceder ainsi : 

1. Ecouter son sentiment (surprise, contrariety, gene...) sans deni ou de pre-culpabilite telle 
que « je me fais des idees, je sur-interprete » et le mettre en action en clarifiant. 

2. Clarifier en posant des questions, en refonnulant. On aura ainsi des elements concrets 
a disponibilite pour ajuster notre comportement et ne plus se laisser soumettre. Dans notre 
exemple, le chef aurait pu repondre « oui, en effet, ce serait faire preuve de solidarity que de 
faire des heures supplementaires » et on aurait pu cloturer ainsi, toujours dans la clarte « Je 
suis d’accord pour etre solidaire, mais cependant j’avais prevenu de ce rendez-vous qui m’at- 
tend et qui m’est tres important, je ne pourrai malheureusement pas repondre a votre demande 
aujourd’hui » ; on peut egalement trouver un compromis en discutant clairement, ou poser des 
conditions pour l’avenir (etre prevenu bien plus en avance). 


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Alley dans le sens du manipulateur pour changer V orientation de 
son attaque 

Quand on recoil un coup de poing, certains ont tendance a aller dans le sens contraire du 
coup, a opposer une resistance, done aller vers l'agresseur : or cette resistance augmente la 
puissance du coup porte, on recoil toute la force de l’agresseur. Si on va dans le sens du coup 
(on recule done, on accompagne le coup), le coup perd de sa force, on peut meme l’eviter, on 
surprend l’agresseur, done il peut etre desequilibre par sa propre force mise dans son coup. 

II en est de meme avec la communication du manipulateur. On change totalement le rapport 
attendu du pouvoir si on va dans son sens, tout d’abord parce que souvent, il ne s’y attend pas ; 
cela peut flatter son ego et quand un ego est flatte, on peut facilement l’orienter pour transformer 
totalement la discussion. Cela peut egalement constituer un piege logique dans lequel il sera 
force de s’exprimer clairement ; cela instaure les premisses d’une relation d’egal a egal (et la 
discussion peut continuer sur ce mode) qui parasite la domination. 

Cela necessite d’avoir des reflexions prealables sur nos limites, ce qu’on peut negocier et ce 
qui n’est pas negociable, nos objectifs et ceux des autres, ce qui est bon pour l’organisation et ce 
qui ne Test pas. Reprenons notre exemple : « vous faites vraiment du bon travail, je ne sais pas 
ce qu’on ferez sans vous [flatterie + etiquetage « travailleur » et « indispensable »]. Cest dans 
ces moments-la qu’on est vraiment une grande famille, toujours la pour s’entraider. Continuez 
comine 9a ! » on peut repondre, avec cette technique, ceci : « Merci beaucoup, je me faisais 
egalement cette reflexion alors que je parlais avec l’equipe ce midi. Comine vous le savez, j’ai 
un rendez-vous important et tous m’ont dit qu’ils comprenaient qu’il faille que je parte a l’heure. 
Cest vraiment ce que j’appelle de la fraternite et je suis bien content que vous partagiez cette 
idee avec moi ! » En optant pour cette reponse, on ignore totalement les sous-entendus, on re- 
interprete et on recadre (ici, le terme « esprit de famille »). S’il replique, il sera force d’exprimer 
clairement le fond de sa pensee et de se contredire « en fait, j’allais vous proposer des heures 
supplementaires [il abandonne la metaphore de la famille]... » ou « oui, e’est un aspect de la 
fraternite, mais aujourd’hui j’avais pense que chacun pourrait travailler un peu plus solidaire- 
ment » dans chacune de ces reponses, il y aura un echec (done une victoire pour vous et ceux 
que vous defendez), a moins que vous n’ayez un superieur politicien dont l’eloquence ne sera 
pas impressionnee par ces defenses, voire meme que cela le stimule encore plus. 

Exemples au cas par cas. 

On va reprendre chacun des points de la communication du manipulateur et chercher des 
solutions (certains ne sont pas explicites). Ces solutions sont tres loin d’etre exhaustives, elles 
ne sont que des pistes, car il faudrait connaitre tout le contexte de la manipulation pour la 
contrer avec une vraie efficacite, ainsi que travailler sur du long terme a poser des bases an- 
ti-manipulation. La technique des « trois temps » est tiree de l’ouvrage Non e’est non, d’ Irene 
Zeilinger et il nous a beaucoup inspire pour cette section. 

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Points 1, 2, 3 et 4 : « il n’affirme rien de concret, n’est pas precis et on ne 
peut pas verifier ses propos. II reste flou, conceptuel, approximate : ainsi il evite 
les erreurs et ne laisse pas de prise a la critique. Il laisse des vides, il repond de 
facon vague aux questions qu'on lui pose. Il seme le trouble, le doute ou laisse 
le champ fibre aux interpretations avec ses non-dits et s'offusque ensuite de ce 
qu'il a lui-meme genere. » 

Face a l’obscurite, on peut employer la technique de la clarification : on pose des questions, 
on refonnule dans le but d’obtenir un feed-back jusqu'a obtenir un element concret. L'idee 
est d’obtenir suffisamment d’elements concrets pour distinguer l’ordre de la simple demande : 
l’ordre se doit d’etre legal, ne pas mettre en danger autrui et soi-meme, respecter le code du tra- 
vail, le contrat. Ainsi si un ordre depasse les bornes, on doit y desobeir et on peut le denoncer 
(d’ou l’importance d’etre certain - en clarifiant - que la personne ait ordonne une telle chose). 
Une demande peut etre refusee, negociee et ne pas y repondre n’est pas un affront, n’est pas une 
faute professionnelle. Plus on a d’elements clairs, meilleure sera notre defense ensuite. Cela dit, 
ce n’est pas evident et une seule interaction n’est pas suffisante, l’ideal etant d’obtenir des docu- 
ments ecrits clairs et signes pour les plus importants changements ordonnes. 

Points 5 et 6 : il repose des questions sur les questions pour gagner en 
temps de reflexion ou essay er de faire deriver le sujet vers quelque chose qui 
lui convient. Il saisit toutes les occasions pour deriver sur des sujets qui lui 
conviennent. 

L'important dans la discussion est de maintenir le cap sur le theme de depart, c'est-a-dire 
notre requete qui, au vu de cette attitude, le gene d’une maniere ou d’une autre. Repondre a des 
sujets annexes qu'il lance, c'est lui offrir une issue de sortie, abandonner notre requete. Prenons 
un exemple inspire d’un fait reel : 

« Nous (n) : Etant donne qu'on travaille dans un environnement a 40°C, on aimerait 
pouvoir boire de l’eau a notre convenance. 

le manipulateur : tu as deja ete empeche de boire ? [il essaye d’individualiser un 
probleme collectif] 

N : Comme tous mes collegues, c'est un vrai probleme a regler. 

M: Qui fa empeche de boire ? 

N : Ce ne sont pas les managers le probleme, le probleme c'est qu'on voudrait ne pas 
avoir besoin d’autorisation pour boire de l'eau. 

M : Ecoute, je comprends que tu ne veuilles pas denoncer tes collegues, c'est tout 


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a ton honneur [flatterie], mais je pense que c'est untel, et vous savez il partira et bon 
nombre de vos problemes seront regies, par exemple [enumeration de details n’ayant 
rien a voir avec la demande] 

N : Notre probleme avec l'eau n’a rien a voir avec untel. On souhaite qu’il soit of- 
ficiellement autorise a chacun de boire de l’eau a sa convenance etant donne que nous 
souffrons de deshydratation et qu'il est alors tres difficile de travailler correctement. 

M : A propos de travailler correctement, j’aimerais bien comprendre pourquoi [de- 
rive sur un sujet autre]... 

Coniine on le voit, c'est parfois un travail de longue haleine : il faut sans cesse reformuler 
le probleme et rebondir sur les digressions pour recadrer la conversation sur le sujet central. 

On peut couper court au bout d'un moment en posant une question claire et fennee : « Etant 
donne que tout le monde a surement beaucoup de choses a aborder, je vais droit au but : est- 
ce que vous nous autorisez a boire de l’eau a notre convenance, eau qui serait dans une petite 
bouteille personnelle, sur les etageres a cote de notre poste ? » il peut alors se mettre en colere, 
faire des menaces, encore des digressions. On repond done a sa place « J’en conclus done que 
nous n’avons pas l’autorisation de boire a notre convenance, que le fait de boire de l’eau n’est 
pas negociable. » L'ideal etant de prendre note de cette conclusion et de le lui faire signer, mais 
il faut une certaine dose de courage. Pour l’anecdote, cette histoire d'eau, IRL, s'est tenninee par 
cette note du manipulateur : « Comprenez que les managers n’ont pas le temps de servir de l’eau 
tout le temps », c'est-a-dire une tres volontaire incomprehension du probleme. 

Point 7 : il suscite l’empathie chez son interlocuteur (sans pour autant l’etre, 
lui) : « moi aussi j’etais jeune/cadre/vendeur/en bas de l’echelle/, je sais ce que 
c’est... » 

Cette fausse empathie est un veritable tremplin a saisir, on peut y repondre : « Done vous 
qui avez ete vendeur, vous comprendrez done que telle situation est un veritable probleme a 
regler ». C'est une occasion d’amener nos sujets sur le tapis. Le manipulateur se piege lui meme 
a faire preuve de fausse empathie. 

Point 8 : il attribue des pensees ou projets ou intentions a ses interlocuteurs 
« je sais que vous etes tres preoccupe par la qualite de la production » 

Comine pour le point 7, c'est aussi une occasion de parler de ses problemes ; on peut re- 
pondre : « En effet, je suis tres preoccupe par la qualite de la production, c'est pourquoi je ne 
comprends pas que telle mesure soit encore en place, alors qu'a l’evidence elle a un impact 
direct sur la qualite » ou « en effet, et la qualite de la production est indissociable de ceci, c'est 
pourquoi je propose qu'on change cela avant que j’accede a votre requete ». 


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Point 9 : il fait des liens de causalite logique dont l’apparence parait se- 
rieuse, mais construite par distorsion, omission ou generalisation. 

Faisons confiance a notre instinct : le moindre sentiment de gene, de bizarrerie, est un 
indicateur d’un probleme dans la communication. II faut alors ne pas chercher a comprendre, 
ni interpreter : on recentre le debat sur la question initiale, on fait clarifier, on pousse a parler 
uniquement du concret. Faire semblant de comprendre l’arrange dans sa manipulation, c'est 
done a eviter. 

Point 10 : il fait semblant de ne pas comprendre, meme des faits extraordi- 
nairement simples 

Il cherche a gagner du temps, done ne vous fatiguez pas inutilement a fournir une expli- 
cation surtout s’il est evident qu'il sait ce dont on parle, tout coniine l'assemblee presente. On 
peut repondre : « c'est en efifet une question complexe qui merite notre attention a tous afin que 
le probleme soit regie. Je propose ceci pour le regler. » On fait avancer le debat, etant donne 
qu'il n’est surement pas d'accord avec le « ceci » (vu que ce n’est pas son idee/sa decision), il y 
repondra et son incomprehension se sera mysterieusement envolee. 

Point 11 : il donne des faux choix : un choix qui ne comporte pas beaucoup 
de difference et qui va dans son sens. 

Par exemple il peut dire « Allez, c'est toi le responsable aujourd’hui, tu veux t'occuper du 
probleme n° 1 ou du probleme n° 2 ? [c'est exactement la meme activite penible et desagreable, 
activite dont il est nonnalement charge] ». Il faut profiter de cette occasion pour se rendre plus 
autonome et responsable, meme si le choix est un faux choix, en repondant par exemple « Su- 
per ! Je prends le probleme n° 1, par contre il est hors de question de proceder cornme habituel- 
lement, je vais faire cornme ci et cornme ca,jc ne veux pas que ceci... [et enonce toute une autre 
organisation de travail, d’autres methodes]. » La encore, le manipulates sera pris a son propre 
piege et il est possible qu’il annule ce choix par peur de sa propre hierarchie. 

Point n° 12 : il annonce une fausse sincerite « je le dis franchement » ; « voi- 
la pourquoi je veux dire la verite » 

Il s'agit la d'une amorce, qui d’ailleurs pourrait etre differente « je vous le dis en toute gen- 
tillesse », « sans vouloir etre mechant... » : cela donne du poids aux arguments suivants, cela 
en change la teneur, cela peut donner une bonne image de la personne ou retablir son image. 
L'amorce est efificace quand elle passe inaper9ue, quand elle se mele aux arguments et qu'on ne 


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la voit pas : un peu comme un fond de couleur sur une peinture qui aurait change la couleur 
du trace au-dessus, on voit le vert, mais c'est en fait une base jaune qui s’est melee a du bleu. II 
nous faut done separer le jaune du bleu et refuser de voir le vert. Par exemple : 

« manipulates : je vous le dis en toute franchise, le contexte actuel ne me permet 
pas d’augmenter qui que ce soit. 

Nous : j’apprecie votre franchise, c’est vraiment une qualite essentielle de nos jours 
[on rend independante l’amorce et on fait un etiquetage sur le manipulates] ; done en 
toute franchise, qu’est-ce qu’il faudrait changer, ameliorer concretement pour que les 
salaires de chacun soient augmentes ? » 

Pas sur qu’on obtienne ce qui est demande, par contre on lui fait comprendre que faire des 
amorces peut se retoumer contre lui, qu’il vaut mieux les eviter. S’il est peu experiment^ en 
manipulation, il pourra etre gene et essayer d’etre sincere, peut-etre pas dans l’interaction deja 
lancee, mais dans un autre contexte. 

Point n° 13 : si l’interlocuteur l’accuse, le critique, enonce une verite qui le 
contrarie, il joue les surpris et refonnule a son avantage. 

Cette attitude est egalement une occasion a saisir, on peut y repondre tout simplement : 
« Je suis ravie/heureux de vous l’apprendre, ainsi on va pouvoir avancer dans la resolution de 
ce probleme ». 

Point n° 14 : il utilise la violence verbale ou physique de l’interlocuteur 
pour le decredibiliser. 

La, il faut eviter de se retrouver dans cette situation : on peut s’entrainer a developper son 
self-control prealablement, si on se sent facilement « peter un plomb », on peut se creer de 
vraies bulles de detente, de ressource (la television ou les week-ends arroses sont tout l’inverse 
de la detente, cf chapitre sur les medias et le divertissement) ou meme au travail (un endroit, 
des personnes, une activite qui nous fait changer les idees, nous met de bonne humeur ou nous 
calme). S’il est trop tard et qu’on s’est mis a hurler/tout casser/pleurer, on peut employer la 
technique des trois temps (mais il vaut mieux l’utiliser des que Ton sent qu’on ne va reussir a 
dompter ses nerfs), par exemple : « tu as insulte mon travail, ca m’enerve et je ne peux pas tenir 
une discussion dans cet etat, on en parlera plus tard » et on part. Qu’importe ce que dira alors 
l’interlocuteur, on a pose clairement le probleme, done on peut se pennettre de partir pour ne 
pas envenimer la situation, la faire deraper encore plus. 


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Point n° 15 : il evite les traces ecrites afin d’eviter les reproches si ses deci- 
sions menent a un echec. 

Quitte a etre taxe de procedurier, de bureaucrate, il faut demander les papiers dont on a 
besoin : il faut le faire naturellement, sans etre ofifensif ou au contraire craindre cette demande. 
Le travail est reglemente, il est absolument normal d’avoir son bulletin de salaire, son contrat, 
etc. S’il s'agit de documents qui ne sont pas obligatoires, mais qui sont necessaires a l’activite, a 
la distribution des responsabilites, on peut essayer de faire appel a d’autres personnes de statut 
different. 

Attention, le manipulates (notamment s'il s'agit d’une institution toute entiere) peut opter 
pour la strategic inverse et vous demander de signer des montagnes de papiers dans des mo- 
ments inappropriees ou vous n’avez pas le temps de les lire ; ou encore rediger des notes vous 
concernant dans des moments de stress et vous mettre la pression pour les signer (par exemple 
un temoignage de votre part qu’ils auront rediges et qui servira contre vous ou vos collegues). 
Un document signe est un accord, votre signature est done precieuse et a ne pas prendre a la 
legere. On peut differer leurs signatures pour y reflechir en repondant « D'accord, je te les 
rends signes demain [meme si on ne compte pas les signer, il s'agit juste la de prendre du temps 
pour recuperer les documents, les photocopier et les examiner chez soi, ils peuvent servir de 
preuves] » ; pareil pour les autres documents qu'on vous force a signer sous pression « j’ai du 
mal a reflechir actuellement, je ne peux done pas signer, je propose done de prendre une copie 
du document et je le signerai demain ». 

Point n° 16 : il laisse la conduite operationnelle aux subaltemes pour depla- 
cer la responsabilite sur eux en cas d’echec. 

Il faut saisir cette occasion de prendre des decisions, cependant il faut s'assurer du feed- 
back du manager « Tu es d'accord/tu nous soutiens si on s'organise comine ca ? » « Est-ce que 
tu nous soutiendras jusqu'au bout si on fait ca ? » Dans l'ideal, on fait un plan ecrit et on le fait 
valider et signer par le manager : peut-etre que la simple vision de la responsabilite qu'il pour- 
rait avoir dans cette organisation peut lui faire reconsiderer les choses ou se re-responsabiliser. 

Point n° 17 : il s'attribue tout le merite des reussites menees a plusieurs. 

On peut le recadrer quand il commence a se vanter devant un superieur ou une assemblee, 
en allant dans son sens, par exemple : « Oui, c'est une merveilleuse reussite de Manager qui 
peut etre applaudie : cette reussite n’aurait jamais ete possible s'il ne nous avait pas laisse toute 
la latitude decisionnelle et la responsabilite de la conduite operationnelle du projet... L'equipe 
a pu, grace a cette autonomie totale, travailler sans contrainte » Et on peut faire le detail du 


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travail de chacun en signalant positivement tout ce que le vantard n'a pas fait. On termine evi- 
demment en vantant ses qualites. II ne pourra pas ni s'offusquer, ni s’enerver du fait qu'autrui 
l'applaudisse. 

Point n° 18 et 19 : il ne reconnait jamais ses torts. II joue la betise pour ne 
pas reconnaitre ses torts. 

Rien ne sert d’insister : c’est usant pour les nerfs d’essayer de faire reconnaitre a quelqu'un 
ses torts et cela ne mene souvent qu'a une discussion insensee qui ne donne pas de resultats, 
voire qui empire la mauvaise foi de l'interlocuteur. 

Mieux vaut encore s'atteler a collecter des preuves de ses torts (documents, temoignages...) 
ou se preparer pour le moment ou il renouvellera encore ses mauvaises habitudes pour le 
« coincer ». 

Point n° 20 : il ne cede pas du terrain a son interlocuteur quitte a dire des 
choses insensees ou contradictoires. 

Face a un discours insense, plutot que de tenter d’argumenter, mieux vaut se transfonner 
en miroir : etre silencieux, le fixer du regard, faire une poker face. L'absence de reaction pour- 
ra le rendre mal a l'aise ou l’enerver. S'il s’offusque qu’on ne reponde pas, on peut dire tran- 
quillement sans etre offensif « Ah, j’attends juste que vous me disiez des choses concretes/qui 
me sont accessibles/qui me paraissent sensees afin de pouvoir dialoguer ». Et on peut relancer 
dans la foulee sur le probleme originel dont il ne veut pas parler. 

Point n° 21 : il se positionne en victime pour s’attirer la sympathie. « Vous 
savez, c’est pas un metier facile que de gerer une equipe/une entreprise/un si 
grand groupe/un pays... » 

Cette diversion par l’empathie est une merveilleuse occasion de recadrer le debat, on peut 
y repondre : « Tout a fait, c’est loin d'etre facile tout cornme il nous est tres difficile de tra- 
vailler en etant continuellement deshydrates. Notre secteur est difficile, cependant on peut 
mutuellement se faciliter la tache : en laissant plus d’autonomie a l’equipe - par exemple leur 
laisser le soin de boire a leur convenance - ce qui donnerait plus de temps au management pour 
se preoccuper de problemes de gestion et ainsi vous faciliterait la tache. » 

Point n° 22 : il est imprevisible. 


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Cette attitude est un excellent indicateur pour avoir des raisons de se metier de lui : il est 
dans le controle et souhaite avoir de l’effet sur les autres. Alors on peut etre soi-meme imprevi- 
sible (ou faussement previsible) et surtout incategorisable (ou faussement categorisable) pour 
lui. Cela faussera ses plans. 

Point n° 23 : il empeche la communication des subordonnes avec la di- 
rection (et inversement de la direction avec les subordonnes) afin de garder le 
controle de l’infonnation. 

Plusieurs strategies sont possibles : avec un brin de naivete sociale, on peut outrepasser les 
regies des canaux d’information en s’adressant « a Dieu plutot qu'a ses saints ». Si le bloqueur 
d'informations s'enerve, on peut s'etonner « Ah ? Je ne savais pas que tu etais en charge de ca 
aussi » ou utiliser une de ses precedentes erreurs « cornme tu as dit l'autre jour que tu en avais 
marre d’entendre nos jeremiades, j'ai prefere ne pas te deranger ». On peut egalement parler 
toujours tres fort a la machine a cafe ou dans des couloirs proches de la direction (si quelqu'un 
s’en interroge, on peut s’inventer une otite/une oreille bouchee/un probleme de tympan...), 
se tromper de destinataire dans les mails, confier les infonnations a quelqu'un de tres bavard 
(avec une pointe de storytelling rendant l’histoire interessante), en parler distraitement aux 
clients, les ecrire et les afficher sur son bureau, oublier les documents a la photocopieuse, etc. 

Point n° 27 : il donne volontiers un peu afin d’obtenir beaucoup en retour. 

Tant que possible on evite d’avoir besoin de lui ou on evite d’accepter ses petits cadeaux 
afin qu'il ne puisse pas faire usage d’une loi de reciprocity pervertie. Le refus se fait dans la 
politesse, on peut meme en profiter pour faire de petits etiquetages « je te remercie de ta solli- 
citude/c’est super gentil de ta part/merci de ta sympathie, mais non merci, je viens de boire un 
cafe, 9a ira ». 

Point n° 28 : il recourt a la comparaison avec autrui pour souligner nos 
manquements et nous pousser a nous conformer a son souhait « dans mes autres 
magasins, il y a beaucoup moins de disparitions ». 

On peut rebondir et recadrer en repondant par exemple : « Dans vos autres magasins, y 
a-t-il quatre employes de moins que prevu tous les jours ? Y a-t-il egalement tel materiel ne 
fonctionnant pas ? [On peut faire le listing de tous les problemes que l’equipe subit] Si ce n’est 
pas le cas, on aimerait bien pouvoir faire aussi bien que dans vos autres magasins, mais c’est 
impossible si on ne part pas avec les memes conditions. » 


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Point n° 29 : il affiche le sourire merne lorsqu’il est mis sur la sellette, 
comme si rien ne pouvait l’atteindre. 

II ne faut pas tenir compte de ce sourire : ce n’est qu'un masque social. Ne nous fatiguons 
pas a nous enerver. On peut eventuellement faire une notification « je vois par votre sourire que 
cette situation vous satisfait », voire un feed-back « j’expose le fait que vous ayez enferme untel 
dans le local a poubelle, que tous ici ont ete temoin de cet acte. Vous souriez. Dois-je en deduire 
que vous etes satisfait d'avoir enferme untel ? ». 

Cela peut modifier son attitude, cependant il adoptera sans doute une autre fausse attitude. 

Point n° 30 : il impose ses decisions sans prendre la peine de concerter et ne 
supporte pas qu’on le desapprouve. 

Face a une decision qui aurait necessity une concertation, on peut faire une contre concerta- 
tion pour annuler sa decision. Pas besoin de la desapprouver, on peut justifier ainsi « On a deci- 
de de faire plutot comme 9a parce que cela... [explication concrete de l’effet de la decision sur 
l'activite] ». Cela marche aussi s'il est chef et qu’on est subordonne, l’important est de s'appuyer 
sur le concret et que la contre-decision obtienne plus de voix que sa decision, ce qui devrait etre 
facile parce que dans cette situation, il a agi seul contre tous. 

Point n° 31 : il attend des reponses precises a ses questions parfois intru- 
sives, mais lui ne se devoile pas. 

Qu’importe son non-devoilement, il ne faut pas repondre a ses questions intrusives (sur 
notre vie privee, nos sentiments, notre intimite et tout ce qui peut nous gener) en bloquant en 
trois temps : « tu me demandes si je suis encore celibataire. Ecoute, 9a me gene de parler de ma 
vie privee au travail. Parlons plutot de tel dossier/telle activite ». Et on commence a parler de 
quelque chose lie au travail. 

Point n° 32 : il preche le faux pour savoir le vrai. « Je sais ce que tu as fait ! » 

Cette technique est facile a contrer, en repondant simplement : « Ah bon ? Qu'est ce 
que j’ai fait ? » 

Point n° 34 : il nous incite a rompre avec les personnes influentes qui pour- 
raient nous aider a y voir clair ; il s’agit de decredibiliser toute personne qui 
brise son jeu. 


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II faut faire clarifier les sous-entendus et dans l’ideal qu'ils soient exprimes de vive voix. 
Done il faut explicitement dire qu'on ne comprend pas pour remettre le dialogue a un niveau 
explicite, concret, et ce meme quand cela ne nous concerne pas « Celui-la il n’a pas invente le 
fil a couper le beurre... » on peut repondre : « Ah, qu'est-ce qu'il ne sait pas faire qui te gene ? » 

Point n° 38 il change coniine un cameleon en fonction des situations, des 
circonstances ou de son public. 

Reperer cette attitude permet de donner un excellent indicateur sur la personne : pas de 
doute, la personne est en phase de manipulation, car elle controle ses attitudes, les change en 
fonction de ses interets. On a done un acteur en face de soi, en prendre conscience permet 
de se distancier de ses attaques (la colere qu'on recoil n’est plus consideree comine « il m’en 
veut », mais « il a besoin de montrer qu'il se fache contre moi »), d’analyser plus clairement 
ses repliques. 

Point n° 40 : il eprouve le besoin constant de prouver a autrui sa valeur, 
mais s'avere moins competent que ce qu’il laisse entendre. 

Si vous avez un niveau hierarchique superieur, ne vous fiez pas aux apparences et n'at- 
tendez pas que l'information, les signes viennent a vous. A vous d’aller chercher la realite (en 
travaillant avec les gens, en regardant leur travail, en cherchant a reconnaitre leurs difficultes 
et leurs reussites ; il ne faut pas que ce soit dans le cadre d'un jugement, mais dans le but d’etre 
avec eux), n'attendez pas qu'on aille vous la servir totalement defonnee (le benchmark, les 
statistiques sont egalement une deformation). 


@TRAVAIL/HARCELEMENT/D'AUTRES ALLIES 


Pour se faire aider, on peut faire appel a : 

• la medecine du travail 

Lors de la redaction de cet ouvrage, nous avons pu constater que de nombreux medecins 
sont veritablement engages aupres des salaries, qu’ils ont a la fois les competences, la deon- 
tologie et le professionnalisme necessaires pour distinguer les problemes dus a 1’ organisation 
du travail des problemes d’ordre prive. Beaucoup assument leur role avec perseverance et se 
« mouillent » au point d’etre victime eux aussi de harcelement, d’etre poursuivis en justice, 
etc. Ils peuvent etre de tres bons allies. 

Cependant, nous constatons egalement que certains medecins de travail sont corrompus 
et, contrairement a leur deontologie, livrent les confessions, les problemes rapportes par les 


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employes a la direction ce qui est fort dommageable. Neanmoins, en observervant les actions 
que le medecin entreprend ou n’entreprend pas, il sera aise d’en deduire sa position vis-a-vis de 
la direction. 

Attention egalement aux campagnes de denigrement de l’entreprise : dans le cas des mede- 
cins engages, il arrive que l’entreprise fasse tout pour le decredibiliser aupres des salaries afin 
qu’ils ne lui fassent pas confiance. 

Quand c’est le cas, c’est peut-etre justement un signe que le medecin en question n’hesite 
pas a insister aupres de l’entreprise pour qu’elle change son organisation au profit des salaries. 
Restez vigilants. 

Concretement, le medecin du travail peut vous mettre en arret, en incapacity, vous faire 
changer de poste. A une autre echelle, il aura une voix au chapitre concernant 1’ organisation 
du travail pour tous, il est en principe un acteur ayant du poids sur les decisions de l’entreprise, 
done il peut changer les choses. 

Il est essentiel de le consulter surtout dans les cas de souflfance, car non seulement il vous 
pennettra de reprendre votre souffle, vous permettra de guerir, et cet arret ou cette consultation 
sera une preuve, un temoignage qui servira en cas de procedure judiciaire. 

• aux delegues du personnel 

Les delegues du personnel peuvent prendre leur role tres a coeur cornme l’inverse. A vous 
de juger selon leurs actions/inactions et leurs prises de position. 

• aux syndicats 

Une solution assez efficace quand on veut passer a l’action, d’autant plus si les problemes 
sont partages par plusieurs personnes au sein de l’entreprise. Les syndicats permettent aussi 
d’aiguiller, de renseigner, de conseiller en fonction des problemes rencontres. Un conseil : ne 
le criez pas sur tous les to its, restez discret. Une fois qu’on saura que vous avez fait appel a 
un syndicat, vous serez definitivement etiquete et vous pourrez dire adieu aux avantages, aux 
privileges, aux promotions. Parfois, en tout debut de parcours, l’entreprise peut essayer au 
contraire de changer votre position : on vous proposera des promotions, on vous fera des excel- 
lentes evaluations. Il s’agit la d’essayer de vous desolidariser du mouvement en cours. 

• a la direction des ressources humaines 

La encore, on peut avoir de tres bon DRH cornme des acteurs du pire (cornme on a pu le voir 
avec l’exemple de France Telecom ). Grande mefiance done, certains DRH ne sont utilises par 
la direction que pour casser des mouvements, maintenir la surveillance et le controle, annoncer 
les plans de licenciement ou faire du « degraissage ». 


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Vous pouvez egalement en discuter avec : 

• les avocats en droit social 

• les psychologues (en tant que soutien lors des phases les plus dures mentalement ; il 
y a aussi certaines entreprises qui ont des psychologues du travail, en principe leur 
deontologie en font des personnes de confiance) 

• les inspecteurs du travail 

• les associations contre le harcelement 

• le CHSCT (Comite d'Hygiene, de Securite et des Conditions de Travail : il est pre- 
sent dans toutes les entreprises de plus de 50 salaries) 

Quel que soit le probleme, mieux vaut agir tot : vous aurez plus de forces, la situation sera 
moins degradee et sachant que les mesures sont parfois longues, il faut etre pret a etre tres 
patient. 


@TRAVAIL/LE POUVOIR 


L'idee repandue est de penser que s'il y a tant de problemes au travail, c'est a cause de cette 
course sans limite au profit. C'est en partie vrai, surtout quand il s'agit de profit personnel ou 
de l’idee nai've qu'il faut maintenir coute que coute une haute croissance. Mais onavu tout au 
long des chapitres precedents que Tappat du gain n’est pas la seule motivation : il y a toujours 
une question de pouvoir, que ce soit dans la prise de decision (on sert son pouvoir avant de 
servir l’entreprise), dans la fag on dont est organisee l’entreprise (pour que les decisionnaires 
conservent leur pouvoir), dans les comportements de ses acteurs, a tous les echelons. 

[Nous avons aussi aborde la question du pouvoir ici : https ://hackingsocialblog.wordpress. 
com/201 4/06/02/et-toi-tu-serais-comment-si-tu-avais-du-pouvoir/ ] 

<®TRAVAIL/LE POUVOIR/POURQUOI LE CHERCHE- 
T-ON ? 

La premiere chose a faire est de se remettre en question, meme quand on s'imagine sans 
pouvoir (ce qui est faux) et de voir en face notre rapport et conception du pouvoir et de com- 
prendre nos motivations vis-a-vis de celui-ci : il ne s'agit pas la de culpabiliser, de porter tous 
les fardeaux du monde, mais de traquer des modes de fonctionnement agissant sur nous et qui 
ne sont pas notres. Bon nombre des determinants de nos comportements sont issus de forma- 
tages, de conditionnements, de dissonance cognitive, d’influences et de manipulations. Avoir 


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ete influence est normal et peut etre tout a fait benefique si l’influence est franche, qu'elle est 
dans un debat qui confronte d’autres opinions, quand elle fait appel a la reflexion de la per- 
sonne, qu'elle n'est pas sournoise, et qu’elle ne parle pas qu'a l’inconscient ou a des instances 
primitives de notre cerveau (emotions). Cependant, on baigne dans un ocean d’influences 
sournoises, il nous faut done accepter de regarder nos pensees en face et les comportements 
qu'elles provoquent afin de nous reprogrammer mais aussi de comprendre le comportement 
des autres personnes. Bonne nouvelle, en entreprise, etant donne les differents cadres cloison- 
nant les possibility d’action, il est beaucoup plus simple de faire ce travail sur soi que dans 
la vie au sens large ; se changer soi c'est se donner la possibility et les moyens de changer 
l’organisation, de la hacker, de la reparer, de l'ameliorer. 

On cherche le pouvoir pour des raisons animates 

Une partie de nous, le cerveau reptilien n’est qu'automatismes lies a la survie. Si on pou- 
vait isoler cette partie du cerveau, la maitrise de soi serait primitive et n'inhiberait pas les emo- 
tions ni l'agressivite ; l’autre, s’il n’est pas du sexe convoite, est un potentiel ennemi, un maitre 
ou un sounds a notre merci ; on se reverait en loup alpha et nos missions se resumeraient a la 
defense du territoire ou la volonte d’en gagner d’autres. L'entreprise peut etre per9ue de cet 
unique point de vue reptilien, que ce soit dans ses missions globales ou dans la maniere dont 
on doit considerer les relations humaines. L'individu cornme l’entreprise peut encourager ce 
mode de pensee tres peu elabore, avec un vocabulaire plus civilise neanmoins. 

Le monde per9u ainsi par les automatismes reptiliens est tres carre, simple a comprendre, 
simple a maitriser, done rassurant : il y a des gentils, des mechants, il faut dominer pour ne 
pas etre soumis, il faut conquerir toujours plus pour etre certain d'etre en securite. Cette inter- 
pretation de la vie sociale est rassurante, elle nous donne un guide de conduite et evince tout 
doute sur la nature de ce qu'on vit. Voila pourquoi on l’adopte tous dans certaines situations ou 
a certains moments de la vie. La vie selon la « loi de la jungle » est instantanement compre- 
hensible, elle canalise les peurs en cadrant au maximum selon un filtre reducteur. 

Chercher du pouvoir, dans la logique reptilienne, est done parfaitement coherent. Mais 
c'est denier son humanite et celle des autres, c'est preferer fonder sa vie sur ces automatismes 
plutot que sur les capacites - pourtant brillantes - de nos cerveaux humains, telles que l'imagi- 
nation, la creativite, l’empathie... 

Mais coniine nous l'avons deja dit, le concept de cerveau reptilien reste un concept, nous 
ne deconnectons pas un cerveau pour en utiliser un autre : ainsi les plus belles capacites 
humaines peuvent etre mises a profit d’une conception animale de l'humanite. Pour le dire 
autrement, c'est en quelque sorte mettre les competences humaines au service, a l’entretien de 
sa bestialite : parce que c’est plus simple a gerer ainsi, parce que cela permet de maintenir son 
pouvoir, sa securite, ses avantages. 


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On cherche le pouvoir parce qu f on se sent impuissant/inferieur/ 
inexistant 

Selon nos histoires personnelles, nos caracteristiques, la pression sociale, on a pu se sen- 
tir inferieur parce qu'on se demarque d’une fag on ou d’une autre de l’environnement et de ses 
nonnes sociales : on a pu etre humilie, discrimine, victimes d’injustices, de moqueries, de 
dedain, de mepris. Par revanche, on voudra changer cette etiquette d’« inferieur » en etiquette 
de « superieur ». 

Parfois, nul besoin d’avoir personnellement senti cette inferiorite : les parents, les proches, 
le clan a pu etre cette victime de la pression sociale et on peut se sentir investi d’une mission 
afin de les « venger ». 

Or le probleme n’est pas d'avoir la mauvaise etiquette ; c'est l’etiquette le probleme. En 
avoir une « superieure » ameliore sans doute le quotidien, mais cela ne resout rien au probleme 
de fond. 

On cherche le pouvoir pour ses a-cotes 

Le pouvoir est associe a de nombreux avantages, dont le plus enviable est souvent l’argent. 
Le pouvoir est synonyme, dans nos societes, de securite, de l'assurance de resoudre ses besoins 
et ceux de sa famille sur le long terme. Meme si le pouvoir est perdu, on aura plus de chance 
de le retrouver qu'une personne qui n’en a jamais eu. C'est egalement une securite sociale : les 
autres respectent ceux qui ont du pouvoir, meme hors contexte ; les autres ecoutent et ont plus 
d’interets pour les gens qui ont du pouvoir. Le pouvoir dans nos societes est confondu avec 
l’autorite, l'expertise : on croit davantage celui qui a du pouvoir, on ecoute plus ses conseils ; si 
Ton se comporte mal et qu'on a en plus les attributs du pouvoir, les autres sont plus indulgents 
; le pouvoir est era meritocratique : on pense que les gens de pouvoir ont fait plus d’etudes, ont 
plus travaille, qu'ils meritent plus que les autres leur pouvoir sinon ils ne l'auraient pas eu ; or 
c'est souvent faux. 

Par ambition ou par crainte, les autres vont tout faire pour etre aimes du puissant, done 
etre particulierement agreable avec lui. La vie est done plus confortable, plus securisante, plus 
agreable pour celui qui a le pouvoir. 

Mais cette valeur ajoutee a la vie sociale est basee sur des biais, des confusions, des juge- 
ments automatiques : se complaire dans la delectation de ces biais revient a valider ces biais 
et a faire des erreurs de raisonnement. Cependant, au vu des avantages que procurent ces biais 
aux puissants, meme s’ils sont parfaitement conscients que ce ne sont que des biais, ils peuvent 
etre tentes de les laisser persister, pour leur profit personnel et pour leur ego. On a la un tres bon 
indicateur de la fagon dont le puissant gere son pouvoir : comment gere-t-il la flatterie ? S’il 
s'en mefie, qu’il nuance, voire qu'il la rejette ou qu'il semble preferer les personnes franc hes, 
on a ici quelqu'un qui ne veut pas se laisser aller dans l’ivresse du pouvoir et qui n’aime pas 
l’esprit de cour ; accepte-t-il les contradicteurs ? Ecoute-t-il et prend-il en compte les discours 
deplaisants ? 


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On cherche le pouvoir parce qu f on est formate a le chercher 

Ce formatage a chercher le pouvoir peut commencer des l'enfance : les parents peuvent 
exiger de l’enfant qu’il soit au-dessus de la melee (par sa force, ses competences, ses connais- 
sances, ses activites, ses possessions, sa domination sur les autres...) et le conditionner a etre 
dans l’obligation de dominer ; le milieu social n’a strictement rien a voir avec cette inclination 
: un milieu riche comrne pauvre pourra pousser les enfants a etre ainsi. 

Puis l'ecole prend le relais en favorisant la competition, en differencial les bons des 
mauvais, parfois en initiant les premiers etiquetages negatifs (« vous etes des bons a rien » ; 
« Ce n’est pas un cursus pour vous » ; « c'est trop complique pour vous ») ; les parents et les 
professeurs peuvent faire la difference, soit en appuyant encore plus l’esprit de competition 
(en punissant les mauvais, en les humiliant ; en rehaussant les meilleurs, en les montrant en 
exemple ; pour les parents, en exigeant la premiere place pour les enfants, en se moquant des 
resultats plus mediocres ; etc.). 

Cette culture de l’elitisme se poursuit encore plus fortement dans les grandes ecoles, dans 
certains cursus universitaires. 

On a done la une education favorisant la recherche de l'inegalite en appuyant sur les diffe- 
rences, en favorisant la competition, l'elitisme, le combat contre soi-meme et les autres. 

Le fonnatage est egalement televisuel-commercial et cela depuis l’enfance : on a en 
moyenne, depuis l'age de quatre ans, quatre heures par jour d’entrainement a des valeurs ideo- 
logiques d’etre le meilleur, de posseder beaucoup, de se differencier de l’autre, de combattre 
1’ autre qui est un rival, de soigner uniquement les apparences, etc... Notre chapitre sur le sujet 
des medias en temoigne. 

Prenons une metaphore : si on passait 4h par jour depuis notre enfance a travailler nos 
muscles, notre apparence physique serait radicalement differente ; un cerveau qu’on entraine 
4h par jour a absorber la television est aussi trans forme, excepte qu'ici, les transformations 
sont appauvrissantes, ont des valeurs ideologiques malsaines et ne servent qu'a accroitre nos 
pires aspects comportementaux qui sont nuisibles a la planete. 

Le formatage, quand il est largement partage et cultive dans une societe (par la television 
par exemple), entraine une pression sociale : le fonnatage est la nonne sociale a respecter, a 
faire respecter, les fonnates cultivent et poussent les autres a etre formates. Ils le font incon- 
sciemment, par automatisme, parce qu’il leur manque des informations/des connaissances, 
pour ne pas mettre en peril leur systeme de pensee, par coherence mal avisee, etc. 

Concretement cette pression sociale s'exprime par le jugement negatif de tous ceux qui 
s'ecartent du moule de formatage ; ce jugement negatif peut prendre un aspect faussement 
altruiste, se teintant de pitie ou de mesure pour aider la personne a rentrer dans le fonnatage. 

Cette pression sociale alimente clairement les inegalites, les injustices, la domination vs 


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soumission, parce qu'il est considere comme normal d'avoir des comportements differents 
envers les autres sous pretexte d’un statut symbolique ou d'une situation, parce qu'il est nor- 
mal de juger les personnes en fonction d'une inferiorite ou d'une superiorite supposee et qu’on 
demande a etre traite en fonction de nos differences : cette nonnalite est a changer, car elle 
nous dessert. 


<®TRAVAIL/LE POUVOIR/CE QU'ON ATTEND DE 
LUI 

On a vu precedemment que notre volonte de pouvoir est issue de fonnatages et autres 
conditionnements servant a cultiver notre volonte de domination, servant a nous laisser - 
paradoxalement - soumis. Annihiler ou reorienter cette volonte est deja une bonne fa£on de 
casser cette mecanique et de commencer a la rendre inoperante. L'autre probleme sur lequel 
nous pouvons egalement agir est celui de notre conception du pouvoir : 

Hofstede (1989) a ete amene a travailler dans une entreprise multinatio- 
nale d’infonnatique dans les annees 60. II a entrepris d’etudier les differences 
culturelles concemant la facon dont les employes percevaient leur travail ou 
leur chef par exemple. D’ etude en etude, il a rassemble des donnees dans 74 
pays differents comportant 20 langues differentes, et a recolte 116 000 ques- 
tionnaires comprenant une centaine de questions. 

Resultats : 

— les pays d’Europe du Nord ont des valeurs de pouvoir faible, ce qui 
veut dire qu’ils supportent mal les inegalites, qu’ils preferent les relations 
professionnelles egalitaires basees sur la negociation et la delegation des pou- 
voirs aux salaries. Ils ne tolerent pas les forts ecarts de salaire, les privileges 
et les symboles de pouvoir 

— la France a une adhesion a des distances de pouvoir relativement forte : 
les salaries preferent des relations professionnelles autoritaires, attendent et 
valorisent les inegalites sociales et professionnelles, notamment au niveau des 
salaires. 

Ce qui rejoint notre chapitre precedent : nous souhaitons les inegalites parce que nous 
voulons nous differencier en acquerant du pouvoir... Cette conception n'arrangera rien aux 
injustices et est un comble pour un pays dont la devise est « Liberte, Egalite, Fraternite » . 

Une autre conception extremement problematique quant au pouvoir est une conception 
autoritaire, type fascisme. Adomo (1950) a mene aux USA des etudes sur la personnalite 
autoritaire afin de comprendre les determinants qui pousse a adherer a cette conception du 
pouvoir : 


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— La soumission a l'autorite : les personnes autoritaires sont inconditionnellement sou- 
mises envers les autorites morales tels que les parents, les personnes agees et des figures abs- 
traites tel que Dieu. Ils considerent qu’il ne faut pas remettre en cause leurs decisions. 

— Des valeurs liees a un systeme dominant/domine : l’obeissance et le respect de l’autorite 
sont les choses les plus importantes a apprendre a un enfant. 

— Les libertes accordees par l'Etat sont vues d'un mauvais ceil. 

— Les minorites de tous genres sont mal percucs ou considerees coniine une menace. Les 
personnalites dites autoritaires font preuve de racisme, de sexisme et sont nationalistes. 

— II y a un rejet de l’egalite. 

— Ils recherchent le pouvoir sur autrui. 

— Ils preferent l’emploi de la force cornme moyen de persuasion. 

— Ils sont certains de detenir la verite. 

Nul besoin d’argumenter pour faire comprendre a quoi mene cette conception du pouvoir : 
l’Histoire est assez explicite pour comprendre a quelle horreur cela peut mener. 

Cependant, cette conception autoritaire du pouvoir n’est pas seulement un probleme au 
niveau politique mais egalement en entreprise. 


@TRAVAI L/LE POUVOIR/SON IVRESSE 


L'expression est connue : « le pouvoir rend ivre », occultant une perception normale des 
choses, gonflant demesurement l’ego, boostant a l’exces la confiance en soi, etc. 

Avant d’aborder la question de l'ivresse, il faut bien rappeler que la prise de pouvoir, le 
changement vers le « haut » de statut, l’obtention d’une fonction superieure ne premunit pas 
pour autant de tous les biais dont nous avons parle auparavant. La sagesse n’a strictement rien 
a voir avec un statut social, une fonction ou une profession, elle n'est pas une competence 
qu'on se doit d’acquerir pour obtenir une place professionnelle. 

La connaissance des biais psychologiques n’est pas non plus un vaccin permettant de ne 
plus y etre soumis : on peut reussir a les voir a l’oeuvre chez autrui tout en restant aveugle a ses 
propre biais. On peut meme avoir la sagesse de savoir ce qui est bon pour autrui, reperer les 


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problemes, empecher ces biais, tout en fonctionnant soi-meme en mode automatique la plupart 
du temps. Seul un travail sur soi, par soi, permet d’acceder a une certaine forme de sagesse ; 
les diplomes, les competences, l’experience professionnelle, les fonctions exercees, le statut 
social, n’ont strictement rien a voir avec cette autodiscipline. 

L'accession au pouvoir a neanmoins un effet sur les biais : elle aggrave leurs consequences. 
Un « sans pouvoir » jugeant automatiquement autrui, avec un biais lie aux apparences, se fera 
peut-etre une inimitie, rendra un moment professionnel desagreable ou encore ruinera sa re- 
putation aupres des autres (si le biais est raciste par exemple). Alors qu'avec du pouvoir - par 
exemple celui d’un recruteur -, ce meme biais perpetuera une discrimination injuste pour des 
dizaines voire des centaines de personnes. 

De plus, la position de pouvoir implique des privileges qui n’aident pas a garder la tete 
froide, qui opposent une resistance a l'humilite et a la remise en question : le nombre de per- 
sonnes a son service, la soumission des subordonnes, les flatteries, l'esprit de cour, etc. Tous les 
a-cotes du pouvoir peuvent agir contre le necessaire travail d’humilite, de sagesse, que requiert 
le domptage de ces biais. D'autant plus que ces biais sont nocifs a l’entreprise. 

Re-listons quelques biais qui peuvent agir en entreprise, encore plus quand on a du pou- 
voir : 


— Le confonnisme, par exemple faire ce que le predecesseur a toujours fait, or il faisait 
peut-etre mal ; cela nuit a l’innovation, a revolution de l’entreprise et ca n’aide pas a la resolu- 
tion de problemes. 

— L'heuristique de disponibilite, on voit un subordonne se comportant mal, on en deduit 
que tous se comportent mal ; autrement dit ce n’est pas parce qu'on a vu quelque chose plu- 
sieurs fois que c’est pared pour tout le monde, dans toutes les situations similaires. 

— L'engagement, et ici tout particulierement 1’auto-engagement (decrit dans la partie com- 
merciale) : on persiste dans nos propres decisions meme si des infos nouvelles viennent casser 
les conditions qui nous attiraient au depart ; il faut savoir annuler ses decisions. 

— Tous les biais a l’apparence, que ce soit au niveau vestimentaire, symbolique (montres, 
voitures), physique, comportemental : par exemple estimer que untel est quelqu’un de respon- 
sable sur son « intuition » ; or cette intuition vient en realite du fait qu'il a une consommation 
ostentatoire et qu'il le fait savoir (vetement de luxe, loisirs de privilegies, accessoires cou- 
teux...) et egalement du fait qu'on le voit toujours apparemment deborde. On juge ici l'acteur 
dans son role et l’activite en elle-meme, le travail est occulte or c'est la seule chose qui devrait 
compter. 


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Venons-en a present a « 1' ivresse » du pouvoir : 

— En situation de pouvoir, on choisit toujours de prendre des mesures qui sauvegardent 
notre pouvoir, le maintiennent, plutot que des mesures qui servent [’organisation ou l’interet 
collectif. Autrement dit, en situation de pouvoir, on pense avant tout a conserver son pouvoir 
plutot qu’a servir l’interet collectif. 

Gangloff (1996) a presente a 55 cadres (37 en entreprise privee ; 1 8 en entre- 
prise publique) une serie de cas problematiques ou l’on pouvait op ter pour deux 
decisions : l’une allait dans le sens de 1’ organisation, mais pas de son propre pou- 
voir ; 1’ autre permettait de garder son pouvoir, mais ne profitait pas a 1’ entreprise. 

Par exemple, on presentait le cas d’un excellent salarie qui avait ose se garer sur 
le parking de la direction et qui mettait l’entreprise au defi de le licencier pour 
cet acte. Les cadres sujets de l’experience devaient dire s’il fallait le licencier 
(une decision qui allait dans la preservation de leur pouvoir et qui n’etait pas pro- 
fitable a l’entreprise) ; ou s’il fallait laisser cette personne brillante a son poste 
(une decision favorable a l’entreprise, mais qui mettait en danger le pouvoir). 

Quels que soient les cas presentes, les cadres choisissaient toujours la decision 
qui leur permettait de conserver leur pouvoir, mais qui nuisait a l’entreprise. 

Les decisions, chez les puissants, se prennent d’abord en fonction de leur pouvoir (pour le 
preserver, pour le defendre, pour empecher les menaces, pour l’augmenter), pas en fonction de 
l’interet general, pas meme en fonction du profit de l’entreprise. Cela s'explique de differentes 
manieres : la personne sent son pouvoir menace, elle agit done en fonction de la peur ; elle es- 
time qu’elle doit rester dans son role puissant pour le bien-etre de 1’organisation, done qu’il faut 
sacrifier les menaces a son pouvoir, meme si ces « menaces » apportent egalement beaucoup 
de bien-etre a l’entreprise. 

— En situation de pouvoir, on arrive moins a se controler soi-meme. Autrement dit, le 
pouvoir qu’on a sur les autres diminue celui qu’on a sur soi. 

Guinote (2007) les sujets sont divises en deux groupes apres avoir reinpli 
un questionnaire : 

- On dit au premier groupe qu’ils sont doues pour resoudre des problemes et 
qu’ils seront done des « travailleurs ». 11s seront remuneres 4 dollars, mais ils 
pourront avoir 2 dollars de plus si les evaluateurs jugent favorablement leur 
travail. 


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- On dit au deuxieme groupe qu’ils sont doues pour evaluer la creativite, ils 
seront done les « evaluateurs ». Ils seront remuneres 6 dollars et pourront de- 
cider d’attribuer ou non une prime aux travailleurs. 

Tous les sujets ont pour tache de decrire la joumee d’une personne noire 
americaine, nominee Jeff. Cependant, on scinde encore en deux l’experience : 
a un groupe on dit que generalement les gens se basent sur des stereotypes et 
qu’il ne faut surtout pas faire coinme eux ; a l’autre groupe, on ne dit rien. 

Resultat : qu’importe que la personne ait du pouvoir ou non, elle utilisera 
des stereotypes si on ne la previent pas avant. Quelqu’un a qui on a donne du 
pouvoir n’a pas plus de self-control qu’un sans-pouvoir. Avoir des responsa- 
bilites n’est done pas un facteur qui pousse au controle de soi, du mo ins dans 
cette experience, avec un pouvoir peu puissant (on espere en tout cas que les 
personnes qui ont par exemple, le pouvoir de tuer, ont plus de controle sur eux- 
memes). 

Les sujets ont une autre tache : ils doivent a present evaluer Joe, une autre 
personne, a partir de traits stereotypes ou non. 

Resultat : les evaluateurs a qui on avait precedemment demande de contro- 
ler leurs stereotypes ont davantage exprime une vision stereotypee. . . 

Les resultats de cette deuxieme tache vont a l’encontre de la logique : quelqu’un de 
responsabilise (on lui a donne du pouvoir), qu’on a prevenu de ne pas user de stereotypes, 
n’arrive qu’a user de self-control une seule fois et se « lache » des la deuxieme tache qui 
pourtant etait en correlation avec son statut d’evaluateur. II se passe ce qu’on appelle l’ef- 
fet rebond : les pensees occultees reviennent avec force, independamment de la personne, 
car la personne a moins de controle sur elle-meme quand elle a du pouvoir sur les autres. 
L’autre constatation bien triste de cette experience, e’est qu’il faille dire aux personnes de ne 
pas user de stereotypes pour qu’elles n’en usent pas. . . Autrement dit, aucune d’entre elles n’a 
reflechi a la question de la discrimination prealablement, aucune n’a dompte cette absence de 
reflexion qu’est le racisme (les items de l’experience sont sans equivoque racistes, Joe etant 
taxe de « pauvre », « paresseux », « peu intelligent » alors que la seule donnee que l’on connait 
sur lui est qu’il est noir). 

Ces resultats posent un enonne dilemme : la situation de pouvoir necessiterait, pour etre 
eflicace, un grand controle sur soi afin de ne pas produire des comportements nocifs ; Or la 
situation de pouvoir diminue le controle de soi-meme, ce qui nous mene a un enonne para- 
doxe. Ce probleme est de taille et chacun a pu le verifier : on a tous des exemples en tete de « 
puissants » perdant le controle d'eux-memes, que ce soit au niveau sexuel, au niveau des regies 
(magouille financiere), au niveau comportemental (autoritarisme, harcelement...). 


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— Plus on a de pouvoir, plus on evalue ses propres perfonnances positivement et plus 
on voit les perfonnances des autres coniine mediocres 

Georgensen et Harris (1998) ont passe a la loupe 25 etudes de laboratoire 
ou de terrain sur cette question : la conclusion est claire, plus on a de pouvoir, 
plus on juge son travail bon et plus on trouve mediocre le travail des autres. 

On voit la une forte confusion a 1’ oeuvre chez les puissants entre le statut et la nature 
du travail : ils concluent inconsciemment que s’ils ont un statut superieur c’est qu’ils font 
un excellent travail ; et inversement que le reste du monde, les statuts inferieurs comme les 
autres superieurs font un travail mediocre, parce qu’ils n’ont pas leur pouvoir a eux. Or un 
ouvrier peut faire un travail d’une excellence et d’une rigueur admirable et un cadre superieur 
travailler comme une brute sans finesse. Le statut ne dit absolument rien sur la qualite du 
travail. Un conferencier peut crier aussi desagreablement qu’une « marchande de poisson » 
et une epiciere etre aussi passionnante et riche d’enseignement qu’un chercheur. Tout est 
possible, le statut ne dit finalement que tres peu de choses sur une personne et ce qu’elle fait 
effectivement. 

— Le pouvoir modifie notre sens moral 

Lammers et Stapel (2009) pour cette experience on avait amorce certains 
sujets a se sentir puissant ou au contraire a ne pas avoir de pouvoir. 

Une amorce est une petite manipulation - petite, mais neanmoins efificace 
- pour que des personnes pensent et agissent sur un certain mode, ici qu’ils 
se sentent puissants ou sans pouvoir : on leur avait fait realiser des mots me- 
les ou ils devaient chercher des mots lies a la puissance (pouvoir, autorite, 
influence...) ou au pouvoir faible (subalteme, impuissance, soumission...). 

Les techniques d’amorcagc peuvent paraitre ridicule, on peut douter de leur 
efficacite, mais dans les actes cela marche ; petite digression explicative sur 
l’amorqage : si on fait lire a des sujets des mots sur la vieillesse et qu’on cal- 
cule le temps qu’ils mettent a rejoindre la sortie apres T experience, ils seront 
bien plus lents que ceux qui n’ont pas lu ces mots. 

Apres famorcage a etre ou non puissant, on leur soumet un dilemme mo- 
ral auquel ils devront repondre. Voici les 3 dilemmes, nous ne mettons pas les 
resultats immediatement pour que vous puissiez vous tester si vous le souhai- 
tez, T important etant la facon dont vous justifiez votre choix : 

Dilemme 1 : Carole, une lyceenne qui a promis de voir sa copine Corinne pour 
l’aider a resoudre un probleme personnel, se voit proposer par Tina, une nouvelle fille 


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de sa classe, de l’accompagner au theatre. Elle doit done choisir entre sa loyaute envers 
Corinne et la necessity de se montrer gentille avec la nouvelle eleve Tina. Que doit-elle 
faire? 

Dilemme 2 : un medecin infonne a une femme que son compagnon n’en a 
plus que pour quelques mois a vivre. La femme demande au docteur s’il est pos- 
sible de diffcrer cette terrible annonce afin qu’elle puisse lui organiser le reve 
de sa vie, a savoir un voyage en Afrique. Que doit faire le docteur ? Dififerer 
1’ annonce ou dire la verite sans attendre ? 

Dilemme 3 : un kidnappeur d’ enfant est arrete au moment ou il vient recupe- 
rer la ran con qu’il a reclame. Face a son refus d’indiquer ou se trouve l’enfant, 
le pobcier en charge de l’afifaire decide de le menacer d’employer la torture. La 
question est, est-il permis dans ce cas, d’utiliser des pressions psychologiques, 
d’utiliser la privation de sommeil et de nourriture ou des violences physiques ? 

Resultats : L’ important ici n’est pas le choix, mais la fa?on dont les per- 
sonnes justifient leur choix. 

- Pour le dilemme numero 1 , ceux qui ne sont pas puissants, qu’on a amorce a 
etre des « sans-pouvoir » vont justifier leurs decisions en fonction des consequenc- 
es pour les personnes « Tina a besoin de nouveaux amis, sinon elle va se sentir 
seule » ou « Corinne a besoin de quelqu’un pour resoudre ses problemes ». 

- Pour le dilemme numero 1 , ceux qui ont ete amorces a penser en « puissant » 
vont justifier leurs decisions par des principes moraux generaux « une promesse 
est une promesse (voir Corinne) », « il faut etre accueillant envers les nouveaux » 

- Pour le dilemme numero 2 et 3, il en est de meme : les personnes ayant un 
sentiment de pouvoir font appel aux grands principes moraux, c’est-a-dire que 
le medecin doit dire directement la verite au patient et le pobcier ne doit pas uti- 
liser toutes formes de retorsion. Excepte qu’ici, etre inflexible avec les principes 
moraux generaux est problematique : le patient n’aura peut etre plus jamais 
T occasion de vivre un bon moment avant sa mort, peut-etre qu’il fera annuler 
son reve ou ne pourra en profiter autant que si la nouvelle avait ete retardee. 

Quant au kidnappeur, ne pas lui mettre de pression peut peut-etre mettre en dan- 
ger de mort l’enfant. Pour ces dilemmes, les sans-pouvoirs font preuve de plus 
de flexibility et pensent avant tout aux consequences plutot que de s’en remettre 
a des principes generaux. 

Ces experiences expliquent bien des comportements : si le puissant licencie pour le prin- 
cipe general du bien-etre de l’entreprise, c’est-a-dire sa forte croissance maintenue, il ne pense 
pas aux consequences, il s’en remet a quelque chose de superieur, voire divin (l’economie), qui 
va au-dela de ce que Thumain peut percevoir (du moins c’est une croyance repandue). Penser 


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a de grands principes superieurs sert comme excuse, sert le deni de la personne qui a pris la 
decision, sert de faire-valoir, sert a imposer une decision, est economique d’un point de vue 
mental (on ne s’embarrasse pas de reflexions, on ne cherche pas d’autres idees, on ne ressent 
pas d’emotions, on a un « c’est comme ca » fataliste et distant) meme si elle est profondement 
injuste, injustifiable et avec de graves consequences. 

Autrement dit, avec un vocabulaire plus philosophique, les gens amorces a etre « puis- 
sants », agissent selon un imperatif categorique : « il faut / il ne faut pas. ... ». 

Le devoir est fige, les actions ne sont pas adaptees concretement mais repondent a des prin- 
cipes abstraits (il ne faut pas mentir, il faut dire la verite quelles que soient les circonstances et 
les consequences. . .). 

Toutes ces conclusions d’experiences et d’etudes se basent uniquement sur un pouvoir d’ac- 
tion sur les autres, sur les situations. Excepte pour les etudes prenant pour sujet des personnes 
ayant un pouvoir dans leur vie professionnelle, les personnes n’ont pas les « a cotes » du pou- 
voir, les experimentateurs ne pouvant pas reproduire les conditions exactes d’un grand pouvoir, 
c’est-a-dire les bonus de millions d’euros, les salaires exorbitants, la cour soumise et admira- 
tive, le luxe. . . Done dans les faits, l’ivresse du pouvoir est forcement beaucoup plus intense. 

<®TRAVAIL/LE POUVOIR/SON RAPPORT A LA REAL- 
ITE 

Plus on acquiert du pouvoir dans une hierarchie pyramidale, plus on perd le contact avec la 
realite. Evidemment, nous excluons de cette affirmation toutes les professions ou situations ou 
le puissant n’est pas dans une structure pyramidale : un medecin de campagne reste en rapport 
avec la realite de ses patients, de leurs soins a l’inverse du medecin d’hopital qui en est deja 
beaucoup plus eloigne (les infirmiers ou aide-soignants ont une image plus representative, plus 
fournie, plus proche du patient et de la realite qu'il affronte) ; un patron de PME conserve sou- 
vent un rapport avec la realite du travail que ce soit via les clients, l'activite qu'il a mene parfois 
dans les memes fonctions que ses subordonnes. La perte de realite survient quand on atteint 
les sommets d’une grande structure pyramidale, quand des dizaines d’echelons inferieurs nous 
separent de l’activite de l’entreprise, quand l'information au sujet de l’activite - sur laquelle on 
travaille - a deja ete transformee, retransformee et n’est plus qu' abstraction (statistiques). On ne 
recoil qu'une version modifiee, tronquee de la realite et on ne peut plus acceder aux donnees « 
brutes » meme si on le souhaite : en tant que puissant, on emet une sorte d’aura qui pousse tous 
les echelons inferieurs a changer d’attitude en notre presence, a modifier la realite quotidienne, 
a mentir, a cacher les problemes et done foumir une version idealisee de la realite, version qui 
peut n'avoir rien de la vie quotidienne. Get « esprit de cour » peut etre conscient comme in- 


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conscient et il est souvent interesse par les echelons intermediaires. 

Ce phenomene, c'est ce que Francis Sigaut nomme « l’alienation culturelle » 87 , excepte 
qu'ici nous y ajoutons quelques nuances : le puissant a perdu son rapport a la realite (de par 
ses fonctions, sa place dans la hierarchie et egalement a cause de l’esprit de cour), mais il 
continue a beneficier de la reconnaissance par autrui, cet autrui (les niveaux intermediaires, 
les personnes frequences du meme rang) etant egalement coupe de la realite. 

Cette reconnaissance pousse done a croire a sa bonne perception du reel, done a la jus- 
tesse de ses decisions. 

Cette alienation culturelle est involontairement renforcee par ceux qui en subissent les 
consequences : par exemple, quand ils decident de se soumettre a tous les desirs du respon- 
sable meme si cela contredit la bonne marche de la production, la qualite du travail. Les mo- 
tivations de cette soumission, on les a largement vues : la peur, la volonte de pouvoir, le profit 
pour soi-meme. Mais chez les alienes culturels inconscients de leur alienation, cette soumis- 
sion de facade aux bons moments les confortent dans leur bonne decision, leur legitimite a 
decider, leur bonne prise et leur bon maniement du pouvoir, ce qui est parfois totalement faux. 

L'alienation culturelle est un vrai probleme pour le haut comme pour le bas, ainsi qu'un 
probleme pour l'etficacite de l’entreprise. Mais ce probleme est decuple si le puissant est in- 
conscient de ce phenomene ou croit en etre premuni : l'ivresse du pouvoir n’a alors plus de 
limites et les derives sont nombreuses, causant des torts immenses aux membres de l’entre- 
prise, a l’activite elle-meme, a la societe qui accueille l’entreprise. Mais la position de pouvoir 
protege la personne : meme si elle fait couler l’entreprise, cela n'aura pas d’impact sur elle. 

Fort heureusement, certains decideurs sont conscients de leur alienation culturelle et 
tentent d'y remedier : malheureusement, ce sont les solutions de facilite qui prennent souvent 
le dessus, comme faugmentation des mesures de surveillance, une inclination au taylorisme 
et a l’autoritarisme, la quantophrenie ( benchmark , statistiques pour tout et n’importe quoi)... 
Or, toutes ces « solutions » appliquees pour capter une partie de la realite et reussir a la maitri- 
ser, modifient la realite, la tronquent et ont bien d'autres consequences nefastes encore comme 
on fa vu depuis le debut de notre chapitre travail. 

Quelles que soient les mesures prises, les hauts niveaux seront toujours coupes de la rea- 
lite, a moins de se grimer et de travailler comme un subordonne a tous les postes de sa propre 
entreprise, comme dans remission Patron incognito. 


87 Lien qui explique cette forme d'alienation : http://www.google.fr/url?sa=t&rct=i&q=&esrc=s&source=we- 
b&cd=2&ved=OCCoOFiAB&url=http%3A%2F%2Fwww.inrs.fr%2Faccueil%2Fdms%2Finrs%2FCataloguePa- 

pier%2FDMT%2FTI-TC-49%2Ftc49.pdf&ei=CM35U-ifL5bWaJvygvgB&usg=AFOiCNFvdoOas05DnIrqeOcDSU- 

LAh225iw&bvm=bv.73612305.d.d2s&cad=ria 


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@TRAVAI L/LE POUVOIR/QUE FAIRE ? 

■ SE CEiANGER SOI ET SES AMBITIONS 

« Sois le changement que tu veux voir dans ce monde. » Ghandi 

Et cela commence par trouver a sa vie, son comportement, une coherence bien avisee avec 
les idees que Ton peut avoir : chercher le pouvoir parce qu'on en a marre de le subir, c'est 
alimenter le systeme qui nous deplait ; se « venger » d’une vie qu'on considere injustement 
inferiorisee en cherchant le pouvoir, c'est vouloir rejoindre ce qui fait toute l'injustice qu’on a 
subi ; dominer pour ne plus etre domine ou dominer pour exercer une domination plus juste est 
incoherent : on alimente un systeme hierarchique qui nous a deplu, dont on a subi les injustices. 
L'idee est done de sortir de ces voies de garage que sont la soumission et la domination, la do- 
mination n'etant qu'une soumission a une mecanique et la soumission un accord inconscient au 
fait qu'on soit inferieur. L’idee est de refuser ces notions et de penser autrement et de faire autre 
chose, d’avoir des aspirations et des souhaits qui sont hors de ce systeme. Cette troisieme voie, 
on peut se la construire ainsi (selon les points vus precedemment) : 

- En se sentant bien, c'est-a-dire en levant les inhibitions bees aux stereotypes (etre une 
femme matheuse, un agent d’entretien intellectuel...) ou en bloquant des comportements ste- 
reotypes (etre un chef qui se refuse a infantiliser un subordonne, etre un cadre qui se refuse a 
faire du presenteisme...), 

- En etant autonome et en cherchant l'autonomie quelles que soient les circonstances et 
quels que soient les obstacles, 

- En se trouvant d’autres fonctions, 

- En faisant campagne. On pourrait etendre ces campagnes a des engagements pris par soi- 
meme, 

- En cherchant le flow plutot que les honneurs ou la realisation de soi, 

- En hackant les organisations problematiques. 

II s'agit la d’exercer son pouvoir meme lorsque la societe, le statut, dit que Ton est sans-pou- 
voir ; il s'agit de l’exercer au-dela de ce que cantonne le contrat de travail, et ce pouvoir n'a 
strictement rien a voir avec « le nombre d’esclaves qu'on a a sa disposition », mais des actions 
que Ton fait, qu'on se donne la capacite de faire. C'est une question d’elan et de nature de 
l’elan : un manager qui veut plus de pouvoir se soumettra a la direction en imposant a l’equipe 
une certaine facon de travailler vers le profit ; un manager qui ne se soucie pas du pouvoir, qui 
est guide avant toute chose par le flow et ses engagements personnels ne se soumettra pas aveu- 


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glement a la direction : il travaillera avant toute chose a proteger renvironnement humain, 
son harmonie avec l'activite, parce que son travail lui est plus agreable, parce que cela est 
plus coherent avec ses valeurs personnelles. 

Avoir l’ambition de travailler ensemble dans des conditions optimales a un travail le plus 
ethique possible, est, malgre ce qu’en dit la societe, un defi hautement plus ambitieux, plus 
palpitant, plus plaisant, plus sense, que celui d’avoir plus de pouvoir. Et qu'importe son statut, 
ses experiences ou ses diplomes, c’est un pouvoir que tous peuvent exercer. 

■ IDEES D’ORGANISATION, DE MANAGEMENT ET DE FA- 
XONS DE FAIRE ALTERNATIVES 

Rework 


[vous pouvez retrouver cette partie en article : https://hackinesocialbloe.wordpress.com/2Q14/Q6/10/un- 
manaeement-sain-si-si-cest-possible/ ] 

L’hyperationalisation des entreprises est un veritable cancer qui ne sert pas l’entreprise, 
mais qui est symptomatique des pathologies du pouvoir (alienation culturelle, egocentrisme, 
autoritarisme, paranoia, nevrose obsessionnelle, peurs diverses...). A cette maladie, on peut 
opposer la simplicity et le bon sens plutot que des chiffres, des projections et la rigidite des 
modeles de management. Un petit groupe d’humains peut s’organiser naturellement et reus- 
sir un projet : Jason Fried et David Heinemeier Hansson sont les fondateurs d’une petite 
entreprise de 19 personnes, 37 signals, qui a connu une belle reussite en peu de temps. Ils 
ont parallelement parle en toute transparence de leurs pratiques, via des videos sur le net et 
l’ouvrage « Rework ». Voici quelques-uns de ces enseignements : 

« Laissez la planification a long terme aux devins 

En affaires, a moins que vous ne soyez devin, planifier a long terme releve 
du fantasme. Trop de facteurs ne dependent pas de vous : les conditions du 
marche, les concurrents, les clients, f economic, etc. Faire un plan d’affaires 
vous donne l’impression de maitriser ce que vous ne pouvez pas maitriser. 

[...] Or, vous devez pouvoir improviser. Vous devez pouvoir saisir les occa- 
sions. Vous devez pouvoir dire : « Nous prenons une nouvelle direction parce 
que c’est ce qu’il y a de mieux a faire aujourd’hui ». Les plans a long terme 
empechent d’agir au moment opportun. C’est au moment ou on fait quelque 
chose qu’on a le plus d’ information, pas avant de le faire. Les plans a long 
tenne empechent d’agir au moment opportun. [...] Travailler sans plan peut 
sembler effrayant, mais suivre aveuglement un plan deconnecte de la realite 


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Test bien davantage. » 

Le plan ne sert qu'a donner une illusion de controle sur le futur (c'est done une sorte de me- 
canisme de defense contre la peur de celui qui les commande), a commander les subordonnes 
(a prouver son pouvoir) done a leur enlever leur autonomie et a chercher a prouver son pouvoir. 
Le plan est tyrannique et il n’impacte pas que les emplois de bureau, les cadres : en supennar- 
che, des previsions sont faites en fonction des saisons, et les plans tyrannisent les rayons. Si le 
chef de rayon ne vend pas ses viandes de barbecue fete (parce que le beau temps n’a pas ete 
au rendez-vous), il est sur la sellette, il peut en venir a harceler ses subordonnes ou trouver des 
techniques peu ethiques pour remplir neanmoins les objectifs planifies (pousser a la depression 
un subordonne ainsi le ratio cout du personnel/ventes du rayon donne un chiffre satisfaisant). 

Pour l’entreprise, se refuser de planifier, ce n’est que du benefice : adaptability, economic (un 
bullshit job en moins ou du temps libere pour la personne en charge de la planification). Meme 
dans des grandes structures : pour un supennarche, ne pas supposer que fete sera chaud peut 
pennettre d’innover et de preparer en fonction de la meteo, une vente etonnante de parapluie, 
de cires et de bottes aux touristes et, pourquoi pas, de jeux de society et autres occupations de 
temps de pluie, restes invendus. 

Accepter l’absence de plan sur le long tenne, c’est egalement favoriser la creativity de situa- 
tion, mettre fimagination au gout du jour pour s’adapter. C’est faire confiance a notre empathie : 
« le client a un probleme d’ete pourri, qu’est-ce qui, dans mon rayon, pourra lui remonter le mo- 
ral ? ». Bien evidemment, ne pas planifier necessite d’accepter d’avoir des employes autonomes, 
d’accepter qu’ils peuvent avoir de bonnes idees, d’accepter que malgre leur statut subordonne 
ils soient capables de gerer, d’imaginer et de mettre en oeuvre ensemble de bonnes solutions. 

Accepter l’absence de plan sur le long tenne, c’est gagner egalement en satisfaction, quel 
que soit notre statut dans l’entreprise : c’est avoir la possibility du carpe diem et done de vivre 
des moments de flow fortement plaisants. « Personne n’aurait pu prevoir 9a et pourtant untel a 
pense a 9a, tel autre a eu cette idee, on a profite de tel evenement pour faire 9a et on n’aurait 
jamais imagine un tel succes. On a tous appris quelque chose et cela nous a donne confiance 
en nous, cela nous a donne de nouvelles idees, etc. ». L’imprevu, l’inattendu, le surprenant est 
bon quand on n’a pas peur de lui et qu’on a toutes les bases pour en faire une force (e’est-a-dire 
autonomie des employes, grande latitude decisionnelle de chacun, ecoute de tout le monde, 
attrait de l’experimentation et du changement d’habitude, motivation a passer un bon moment 
tous ensemble). 

« Pourquoi grossir ? 

Comment expliquer cette attitude ? Qu’en est-il de la croissance et de l’en- 
treprise ? Pourquoi faut-il toujours viser 1 ’ expansion ? A quoi rime cette atti- 
rance pour ce qui est gros, si ce n’est pour satisfaire l’ego ? (Et vous devrez 


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avoir une meilleure reponse que « les economies d’echelle ».) Qu’y a-t-il de 
mal a trouver la bonne taille et a s’y tenir ? [...] Etre petit n’est pas seulement 
une etape ; c’est aussi une destination formidable en soi. » 

Les directeurs de Fenwick disaient a l’inverse a leurs salaries « En cas de crise le gros 
maigri et le maigre meurt. Done on a la chance d’etre gros » 88 : or, pour prendre une autre 
metaphore « Plus l'arbre est grand, plus il risque de prendre la foudre, plus ses branchages 
sont fragiles au vent, plus il a du mal a nourrir toutes ses feuilles ». La croissance est une 
prise de risque continuelle, qui nuit plus qu’elle n’apporte : elle nuit aux salaries, elle nuit aux 
decideurs soucieux de leur travail et de l’entreprise, elle nuit a l’organisation du travail, a l’ef- 
ficacite de l’entreprise, elle nuit a la societe, elle nuit a la Terre. Cependant, elle ne nuit pas a 
celui qui empoche les benefices : qu’importe si l’entreprise finit par couler, il aura entre temps 
pompe toute la croissance vers son portefeuille. En d’autres termes, la croissance perpetuelle 
ne sert que les parasites de l’entreprise, ceux qui ne sont presents que pour en tirer le jus et qui 
se contrefichent de ce que fait l’entreprise ou des gens qui y travaillent. La volonte de croitre 
perpetuellement n’est pas caracteristique d’une entreprise saine, c’est la volonte de ces para- 
sites, parasites qui veulent soit se sentir plus puissant ou soit etre plus riches. Ces parasites se 
retrouvent a tous les niveaux de l’entreprise du plus bas jusqu’au plus haut. 


« Dehors, les bourreaux de travail ! 

La culture occidentale aime beaucoup la figure du bourreau de travail. On entend 
parler de gens qui travaillent jusqu’ a l’aube, passent des nuits blanches et dorment au 
bureau. Se tuer au travail est tres bien vu. On ne travaille jamais trop. En fait, cette 
attitude est non seulement inutile, mais idiote. [...] 

Les bourreaux de travail finissent par causer plus de problemes 
qu’ils n’en reglent. D’abord, travailler autant n’est tout simple- 
ment pas viable. Quand l’epuisement professionnel frappera - ce 
qui ne manquera pas d’arriver -, les degats seront considerables. 

Mais il y a plus. Les bourreaux de travail font fausse route. Ils tentent de re- 
soudre des problemes en multipliant les heures qu’ils y consacrent. Ils essaient 
de compenser la paresse intellectuelle par la force brute, ce qui donne des 
solutions inelegantes. Ils provoquent meme des crises. Ils ne cherchent pas 
a devenir plus efficaces parce que, en realite, ils aiment faire des heures sup- 
plementaires. Ils aiment se prendre pour des heros. Ils creent des problemes 
(souvent involontairement) pour pouvoir continuer a se defoncer. 

Les bourreaux de travail s’arrangent pour que leurs collegues qui ne restent 
pas le soir se sentent mal a l’aise de travailler « seulement » de maniere raison- 

88 La mise a mort du travail, un documentaire de Jean-Robert Viallet 


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nable. Cette mentalite engendre des sentiments de culpabilite et demoralise les 
employes. Pire, elle favorise le presenteisme - les gens trainent tard au bureau 
par pure obligation, meme s’ils ne sont plus productifs. [...] 

Les bourreaux de travail n’abattent pas plus de boulot que ceux qui tra- 
vaillent nonnalement. Ils se disent perfectionnistes, mais, en realite, ils perdent 
du temps en s’attardant a des details insignifiants plutot que de passer a la tache 
suivante. Ce ne sont pas des heros. Ils ne sauvent pas la situation, ils ne font 
que l’utiliser. Le veritable heros est deja rentre chez lui parce qu’il a trouve une 
maniere plus rapide de faire les choses. » 

On pourrait penser que cette attitude est typique des cadres ou des employes en open- 
space : or les zeles presenteistes sont aussi presents dans des metiers tels qu’ agent d’entretien, 
vendeur, hote, serveur... Cependant les raisons qui poussent au zele sont autres : peur de perdre 
son emploi, peur d'etre encore plus deconsideres qu'ils ne sont, peur de laisser tomber les col- 
legues. Le chapitre sur l'exploitation explicite tout cela. L'effet du zele est egalement different : 
le zele sera encore plus exploite que les autres, il n’obtiendra pas de promotion, il servira de 
« bouche-trou », on lui assignera toutes les taches difficiles. Pire encore, il servira a etablir de 
nouvelles normes qui asserviront toute l’equipe. C'est done un devoir pour le subordonne, pour 
lui cornme pour les autres, de se donner des limites et de faire comprendre aux superieurs ses 
limites. Les collegues se doivent egalement de calmer les zeles, car ils pourraient bien etre for- 
ces a etre exploites de la meme maniere qu'eux. 

« Si vous le dites, faites-le ! 

Il y a un monde entre defendre une position et avoir un enonce de mission 
qui stipule qu’on la defend ; pensez a ces promesses de « service exceptionnel » 
qu’on ecrit juste pour les epingler au mur et qui sonnent terriblement faux. . . [...] 

Prendre position pour quelque chose, ce n’est pas seulement le dire ou l’ecrire, 
c’est le croire et le vivre. » 

Autrement dit, l'honnetete paye et le mouvement ne doit pas etre : « je suis une entreprise 
qui prone le dynamisme done je modele mes employes pour qu’ils le soient », mais : « mes 
employes sont dynamiques et je n’ai meme pas besoin de l’ecrire et de le crier sur tous les to its 
parce que cela se voit ». Les recrutements a visee eugenistes sont aussi a proscrire dans cette 
optique (par exemple ne recruter que les personnes aux comportements dynamiques) parce que 
l’entreprise a besoin d’idees diverses, parce que les circonstances et les contextes changent, 
parce que tous les clients ne demandent pas un meme service, parce qu'un milieu sectaire ne 
peut pas evoluer faute de diversity. 


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« C’est le contenu qui compte 

Certaines personnes sont obnubilees par les outils au point d’oublier a quoi ils 
devraient servir. Comme ces concepteurs graphiques qui multiplient les polices funky 
et les fibres Photoshop, mais n’ont rien a dire. 

Ou ces soi-disant passionnes de photo qui preferent debattre sans fin des 
merites respectifs de l’argentique et du numerique plutot que de se concentrer 
sur ce qui fait une photographic exceptionnelle. 

Bien des golfeurs amateurs pensent qu’il leur faut des clubs tres chers, mais 
c’est l’elan qui compte, pas le club. Donnez de mauvais clubs a TigerWoods, et 
il vous ecrasera quand meme. 

Les gens pensent racheter la paresse par l’equipement. Ils cherchent un rac- 
courci : a defaut de passer des heures a s’entrainer, ils depensent une fortune a 
la boutique du pro. En realite, vous n’avez pas besoin du meilleur materiel pour 
etre bon, et encore moins a vos debuts. 

Utilisez ce que vous possedez deja ou que vous pouvez trouver a bon mar- 
che, et lancez-vous. Oubliez l’equipement ; l’important est de jouer de votre 
mieux avec ce que vous avez. Votre son est dans vos doigts. » 

Autrement dit, l’ostentation est un masque, et dans certains contextes en entreprise, ce gout 
de l’apparat peut etre un tres bon indicateur du « faussement competent ». Les manipulateurs 
adorent se parer d’ostentatoire ; si le decideur est soucieux de l’efficacite de son entreprise, il 
s'interessera a ceux qui ne font pas de vagues, aux invisibles : il est plus probable qu'ils soient 
plus passionnes par leur travail, qu'ils soient dans le flow, done qu'ils n’aient pas le temps ni 
l’envie de se faire une attitude, un jeu d’acteur ostentatoire. 

« Evitez les faux consensus [ou comment en finir avec l'abstraction] 

Le monde des affaires croule sous des monceaux de paperasse qui ne sont 
qu’une perte de temps. Tous ces rapports que personne ne lit, ces diagrammes 
que personne ne regarde, ces specifications qui ne ressemblent jamais au pro- 
duit fini prennent un temps fou a preparer. . . et s’oublient en quelques secondes. 

Les abstractions (comme les rapports et autres paperasses) sont problema- 
tiques parce qu’elles donnent lieu a de faux consensus. Cent personnes qui 
lisent les memes mots peuvent s’imaginer une centaine de choses differentes. 

Voila pourquoi il est si important d’arriver a du concret des le debut : c’est la 
qu’on saisit vraiment de quoi il s’agit. Lorsque 100 personnes lisent la descrip- 
tion d’un individu, chacune s’en fait une image differente, mais des qu’elles 
voient cet individu, toutes savent exactement de quoi il a l’air. » 


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Et on pourrait raj outer que cela cree d’innombrables bullshit jobs couteux, metiers qui ne 
satisfont pas ceux qui les font ; si on fait appel a eux a l'exterieur, cela peut couter des fortunes 
pour finalement ne servir a rien. Au final, cela cree tout un monde d’abstraction inutile, monde 
qui s'ennuie, monde qui ne sert pas la realite et n’apporte rien de neuf, voire meme qui est un 
firein a revolution de l’entreprise. 

Est-ce vraiment cela qu'on veut faire du monde et de la vie ? Tout ceci est ridicule, ne mene 
a rien, mieux vaut s'attarder sur le concret, faction, surtout dans le cadre d’une entreprise. 

« Les interruptions minent la productivite 

Les interruptions fractionnent votre journee de travail en une suite de courts mo- 
ments de travail. Quarante-cinq minutes, et vous repondez a un appel. Quinze minutes, 
et c’est l’heure du repas. Une heure, et vous vous rendez a une reunion. La journee 
s’acheve, et c’est tout juste si vous avez joui de deux heures de travail ininterrompu. 
Or, vous ne pourrez rien accomplir de substantiel si vous etes sans cesse en train de 
commencer, d’arreter, de recommencer, d’arreter, etc. 

II vous faut exactement le contraire. Les longues plages de solitude sont 
les moments les plus productifs. On est toujours etonne de la sonnne de travail 
qu’on abat lorsqu’on peut s’absorber dans une tache (par exemple, quand on 
travaille en avion sans telephone, ni courriel, ni aucune autre source de dis- 
traction). Atteindre ce degre de concentration exige du temps et suppose qu’on 
evite les interruptions. 

Pour cela, il faut vaincre la dependance a la communication. Une plage de 
solitude reussie exige de renoncer aux textos, aux appels telephoniques, aux 
courriels et aux reunions : on fenne tout, on se tait et on travaille. Les resultats 
vous etonneront. » 

Autrement dit, les open space sont un poison pour la productivite : il faut permettre aux 
gens de travailler au calme, sans quoi ils ne pourront que produire une pensee/un travail super- 
ficiel, hache, ou abouti apres 10 fois plus de temps que s'ils avaient pu etre au calme. 

La encore on peut penser qu'il ne s'agit que d’un probleme de cadres ou d’employes de 
bureau : mais il est en de meme pour les autres emplois. Un employe en restauration ou en 
boutique ressent cette meme frustration si a chaque fois qu'il commence une tache on l’envoie 
en faire une autre, on finterrompt pour surveiller son activite ou encore qu’on lui fait des re- 
marques. Pour atteindre au moins un erztaz de flow, les personnes ont besoin de pouvoir reali- 
ser leurs taches d’un bout a l'autre. Il en est de meme dans les emplois multitaches : un cuisinier 
par exemple, a besoin d’une continuity, meme s'il fait 4 choses a la fois ; si on vient le juger 
avant l'heure, le surveiller, interrompre d’une fag on ou d'une autre son organisation on casse le 
flow. Il ne s'agit pas de ne plus parler a personne, mais de respecter les organisations de chacun. 


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« Les reunions sont toxiques 

Les reunions sont les pires interruptions qui soient pour les raisons sui- 
vantes: 

• Elies portent generalement sur des mots et des concepts, et non sur 
du concret. 

• Elies ne vehiculent habituellement qu’une quantite infinitesimale 
d’infonnation par minute. 

• Elies perdent tres vite leur objectif de vue. 

• Elies exigent une preparation approfondie que la plupart des gens ne 
trouvent pas le temps de faire. 

• Leur ordre du jour est souvent si vague que personne ne peut dire 
exactement ce qu’elles visent. 

• Elies incluent souvent au moins un imbecile qui fait immanquable- 
ment perdre du temps aux autres avec des betises. 

• Elies se reproduisent a toute vitesse : une reunion en entraine une 
autre qui en entraine une autre, etc.[...] 

Si vous devez absolument vous reunir, essayez d’optimiser la produc- 
tivity de votre reunion en observant quelques regies simples : 

• Reglez une minuterie ; lorsqu’elle sonne, la reunion se tennine, 
point final. 

• Invitez le moins de gens possible. 

• Preparez un ordre du jour tres clair. 

• Commencez par un probleme precis. 

• Rencontrez-vous a l’endroit ou le probleme se pose plutot que dans 
une salle de reunion. Expliquez-le concretement et proposez des changements 
concrets. 

• Trouvez une solution avant la fin de la reunion et designez la per- 
sonne chargee de l’appliquer. 

Faites-le d’abord vous-meme 

N’embauchez jamais quelqu’un sans d’abord avoir essaye de faire le travail vous- 
meme. Ainsi, vous en comprendrez la nature et vous saurez ce que signifie bien le 
faire. Vous pourrez rediger une description de taches realiste et poser les bonnes ques- 
tions lors des entretiens d’embauche. Vous pourrez determiner en connaissance de 
cause s’il vaut mieux embaucher quelqu’un a temps plein ou a temps partiel, faire 
appel a un sous-traitant ou continuer a faire le travail vous-meme, ce qui est preferable 
si on le peut. 


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Au surplus, vous serez un bien meilleur gestionnaire parce que vous super- 
viserez du personnel dont vous avez deja fait le travail ; vous l’evaluerez de 
maniere plus pertinente et vous pourrez mieux le soutenir. » 


On rajouterait : ne decidez pas de nonnes de travail, de processus rigides pour une tache 
si vous n'avez pas teste le travail dans les memes conditions que l'employe. Autrement dit, il 
est impossible pour un directeur, un haut superieur de decider correctement des facons de faire 
parce qu'il ne pourra jamais tester le travail dans les memes conditions que son employe. On 
peut determiner ce qu'il y a faire dans les grandes lignes, pas de la facon de le faire. Definir 
une facon de faire rigide et tyrannique prive l’employe d'autonomie, l’aliene et prive l'entreprise 
d'efficacite. Tester le poste est une bonne chose, cependant attention a ne pas en faire une expe- 
rience omnisciente : ce test ne definira que le poste dans ses tres grandes lignes, avec quelques 
problematiques, mais pas toutes. II faut accepter que l’employe experimente ait bien plus de 
savoir et de competences sur le poste que soi, parce que cette autonomie est garante d'efficacite. 

« Comme des etrangers a un cocktail [ou comment le turn-over est un poison] 

Embauchez beaucoup d’ employes en peu de temps, et votre entreprise ressemblera 
a un cocktail reunissant des etrangers. Avec tant de nouveaux visages dans les parages, 
tout le monde reste poli et s’efforce d’eviter conflits et drames. Personne ne dit jamais : 
« C’est une mauvaise idee ». On cherche les conversations calrnes plutot que le choc 
des idees. 

Paradoxalement, ce caline attire des ennuis aux entreprises. Dans une en- 
treprise, les gens doivent pouvoir discuter ferine et se dire l’un l’autre qu’ils se 
trompent ou qu’ils deraillent. Sinon, on se met a travailler a un produit qui ne 
choquera personne. . . mais dont personne ne va tomber amoureux. 

Vous devez creer un environnement de travail ou tout le monde se sent assez 
en confiance pour parler franchement quand les choses se corsent. II est impor- 
tant que vous sachiez jusqu’ou vous pouvez aller avec chacun. Savoir ce que les 
gens veulent reellement dire lorsqu’ils parlent est primordial. 

Embauchez votre personnel tres lentement. C’est la seule facon de ne pas 
vous retrouver avec des employes qui se comportent comme des etrangers a un 
cocktail. » 

Le turn-over est considere par beaucoup d’entreprises (supermarche, restauration rapide,etc.) 
comme une nonne, un fait nonnal et meme une forme d’organisation prolifique qui consiste a 
tirer un maximum de forces, d'efforts, a l’employe puis a le remplacer par un employe plus 
« firais ». C'est ce qu’on a appele la « strategic du pollueur ». 


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Or un employe experiments sera plus productif, plus precieux en conseils, en idees, plus 
apprecie dans l’equipe, plus autonome (done moins couteux) etc. Si le turn-over est le fait de 
demissions, l’organisation du travail est a repenser. 


« Tout le monde au boulot ! 

Dans une petite equipe, il faut des gens pour faire le travail, pas pour le deleguer. 
Tout le monde doit etre productif, et personne ne doit se soustraire au vrai travail. Au- 
trement dit, il faut eviter d’embaucher des gens qui deleguent, c’est-a-dire de la race de 
ceux qui adorent dire aux autres ce qu’il faut faire. Dans une petite equipe, ce sont des 
poids morts : ils surchargent les autres de travail plus ou moins inutile et, quand ils n’en 
ont plus a deleguer, ils en inventent. 

Les gens qui deleguent convoquent constamment des reunions. Ils en raf- 
folent parce qu’ils y trouvent un lieu pour se mettre en valeur et se donner de 
T importance. Pendant ce temps, ceux qui sont forces d’y assister perdent leur 
temps et le vrai travail n’avance pas. » 

L'excuse invoquee pour installer des « petits chefs » est que l’equipe est grande, qu'il y a 
besoin d’une personne pour diriger ceux qui, ayant la « tete dans le guidon », ne voient pas 
tout. En ce cas, il faut constituer de plus petites equipes, seul un referent peut etre necessaire 
(quelqu'un d'experimente, qui connait bien l'entreprise et le travail). Un « petit chef » c'est un 
risque pour la productivity : s'il a un comportement profondement humain et est vraiment avec 
ses subordonnes, il peut etre un atout ; sinon il peut etre un firein a l’autonomie, a la compe- 
tence, a l’efficacite et cela sans que cela soit clairement perceptible ; generalement le focus sera 
mis sur les subordonnes, or c'est souvent lui qui les rend « nuls ». Mieux vaut s'en passer, cela 
renforcera l’engagement, l’autonomie des employes, cela rendra leur travail plus interessant, ils 
pourront faire preuve de plus de souplesse, d’adaptabilite, de creativite. Cependant, si on eco- 
nomise le salaire d'un petit chef, il faut que les salaries soient mieux payes ou puissent gagner 
plus en fonction des resultats. 

« Embauchez des gens autonomes 

Une personne autonome propose ses propres objectifs et travaille elle-meme 
a les atteindre. Elle n’a besoin ni de direction musclee ni de surveillance etroite 
et quotidienne. Elle fait ce que ferait un gestionnaire - donner le ton, determiner 
ce qui doit etre fait et pour quand, organiser et assigner des taches, etc. -, mais 
elle le fait elle-meme et pour elle-meme seulement. 

Les gestionnaires d’une seule personne vous liberent de la supervision en 
se supervisant eux-memes. Inutile de leur tenir la main. Si vous les laissez tran- 
quilles, vous serez etonne et ravi de la quantite de travail qu’ils abattent. 


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Comment reperer ces precieuses personnes ? En examinant leurs antece- 
dents. Elies se sont deja autogerees dans d’autres circonstances ; elles ont deja 
dirige un projet ou lance quelque chose. 

Vous avez besoin de ressources capables de batir a partir de rien et deminer 
leurs projets a terme. Embaucher des gens autonomes pennet a toute l’equipe de 
faire plus de travail et moins de gestion. » 

On ne cree pas une culture 

Les cultures instantanees sont des cultures plaquees et artificielles, des big-bangs 
d’enonces de mission, de declarations, de politiques et de voeux pieux. Elles sont gros- 
sieres, laides et factices. Une culture plaquee est a une veritable culture ce qu’un faux 
fini est a une patine. 

On ne cree pas une culture. C’est pourquoi les nouvelles entreprises n’ont 
pas de culture : la culture vient avec le temps ; elle resulte d’un comportement 
coherent et persistant. Si vous encouragez reellement et concretement la mise en 
cornmun, la mise en commun finira par faire partie de votre culture. Si vous re- 
compensez la confiance, la confiance s’integrera a votre culture. Si vous traitez 
bien les clients, le respect des clients deviendra inherent a votre culture. 

Une culture d’entreprise ne se resume pas a une table de ping-pong ou a un 
mur d’ escalade. Une culture n’est pas un repas de Noel ou une partie de golf an- 
nuelle. Une culture n’est ni un enonce de mission, ni une politique, ni un slogan. 

Une culture repose sur des actes et non sur des mots. 

Ne vous inquietez pas trop de la culture de votre entreprise. Ne forcez pas 
les choses, car vous ne pouvez pas installer une culture toute faite. Comme le 
bon vin, la culture s’elabore au fil du temps. 

Faites confiance 

Quand on traite les gens comme des enfants, ils travaillent comme des enfants. 
C’est exactement ce que font de nombreuses entreprises avec leur personnel. Leurs 
employes doivent faire approuver la moindre depense et demander la permission avant 
d’entreprendre quoi que ce soit. C’est tout juste s’il ne leur faut pas un mot pour aller 
aux toilettes. 

Les entreprises ou tout doit toujours etre approuve engendrent une culture 
de decerebres. Elles creent une relation « patron contre travailleurs » qui clame 
bien haut : « Je ne vous fais pas confiance ». 

Que gagnez-vous a interdire formellement a vos employes d’ aller sur You- 
Tube ou sur les reseaux sociaux lorsqu’ils sont au bureau ? Strictement rien. Ce 
temps ne se convertira pas en temps de travail. Les gens trouveront un autre 
moyen de se distraire. 


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De toute fa9on, vous n’obtiendrez jamais des gens qu’ils travaillent vrai- 
ment sept ou huit heures par jour. Oubliez ce mythe. Ils seront a leur poste sept 
ou huit heures par jour, mais ils ne travailleront pas tout ce temps. Tout le monde 
a besoin de petits moments de distraction pour rompre la monotonie d’une jour- 
nee de travail. Quelques minutes de YouTube ou de Facebook ne font de mal a 
personne. 

Pensez a tout le temps et a tout Targent que coute la surveillance de ces 
soi-disant incartades. Combien coute Tinstallation d’un logiciel de surveil- 
lance ? Combien de temps des employes du service informatique perdent-ils 
a surveiller des collegues plutot que de faire avancer un projet qui en vaut la 
peine ? Combien de temps perdez-vous a rediger des reglements que personne 
ne lit ? Calculez les couts du manque de confiance en vos employes et vous 
comprendrez vite ou est votre interet ». 

II est cinq heures, tout le monde dehors ! 

Bien des entreprises imaginent T employe reve cornme une personne qui a entre 
vingt et trente ans ait le moins de vie privee possible - quelqu’un pour qui travailler 
14 heures par jour et donnir sous son bureau ne pose aucun probleme. [sic] Bourrer 
Tentreprise de ce genre de travailleurs achames n’est pas une aussi bonne idee qu’on 
pourrait le croire. Mine de rien, vous obtiendriez du travail de moindre qualite. De plus, 
vous perpetueriez les mythes du genre « c’est la seule facon d’acceder a la cour des 
grands ». 

II ne vous faut pas plus d’heures de travail, mais des heures de travail plus 
productives. Les personnes qui ont une vie privee avec des tas d’occupations 
a la maison et ailleurs sont plus efficaces au travail. Elies s’acquittent de leurs 
taches durant les heures de bureau pour pouvoir se liberer ensuite. Elies trouvent 
des moyens de travailler plus efficacement parce qu’il le faut : a cinq heures, 
elles doivent prendre les enfants a la garderie ou se rendre a la repetition de leur 
chorale. Alors elles mettent leurs heures de travail a profit. 

Coniine on le dit parfois, si vous voulez que quelque chose se fasse, deman- 
dez-le a la personne la plus occupee de votre entourage. 

Vous avez tout interet a etre entoure de gens occupes qui ont une vie privee 
et veulent faire autre chose que travailler. Vous auriez tort de demander a vos 
employes de faire toumer toute leur vie autour du travail, du moins si vous tenez 
a les garder longtemps ». 

Le livre donne bien d'autres conseils de « bon sens » : « la necessity est la mere de l’inven- 
tion ; repondez a votre propre besoin » (autrement dit, n’ouvrez pas une entreprise qui vend des 


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services ou produits qui ne sont pas necessaires) ; « fixez-vous une ligne de conduite ; prenez 
position » ; « benissez vos contraintes ; moins c'est mieux » ; « soyez concret » ; « visez l'effi- 
cacite plutot que 1’excellence » ; « vos estimations sont pourries » ; « ne copiez pas ; evitez les 
pales copies » ; « faites-en moins que vos concurrents » ; « a quoi bon se soucier des concur- 
rents ; concentrez-vous sur vous-meme plutot que sur eux » ; « habituez-vous a dire non » ; 
« laissez vos clients etre infideles » ; « les communiques de presse sont des pourriels » ; « peu 
importent les annees d'experience [pour le recrutement] » ; « peu importent les diplomes [re- 
crutement] » ; « embauchez les meilleures plumes » ; « annoncez vous-meme vos mauvaises 
nouvelles » ; « sachez presenter vos excuses » ; « la culture est le resultat d'un comportement 
coherent » ; « communiquez simplement » ; « ne dites plus <des que possible) [ou ASAP, As 
Soon As Possible] ». 

Des cellules autonomes, I'exemple de Sogilis 

Le fondateur de cette entreprise est un passionne autodidacte : il n'a pas le bac mais a com- 
mence a coder des l'age de 5 ans. Des ses 18 ans il a ete embauche coimne developpeur. 

Son entreprise commence avec 3 personnes, mais la satisfaction des clients apporte une 
croissance assez importante « A ce moment precis, nous aurions pu nous laisser tenter par la 
croissance et embaucher a tour de bras. Mais nous voulions eviter le modele de societe de ser- 
vices qui fait de la quantite au detriment de la qualite. Je suis persuade que le recrutement de 
masse est une mauvaise chose » 89 . Il s'agit de ne pas perdre cette culture de la qualite qui a fait 
leur succes. L’ entreprise met done en place ce qui est nomine un « management cellulaire » : il 
s'agit de fractionner les equipes en cellules de 6 a 7 personnes qui se federent autour d’un sujet 
qui les passionnent et cela sans managers pour les controler ou les diriger. 

Les equipes ont uniquement trois missions : enthousiasmer le client ; gagner suffisamment 
d’ argent pour payer les salaires, le materiel, etc. ; « faire en sorte que tout le monde s'eclate en 
venant travailler le matin » 90 . 

Il ne veut pas de turn-over et il considere a priori que les gens sont honnetes dans leur 
volonte de faire avancer l’entreprise. Tous les employes sont alors acteurs, ce sont eux qui 
prennent les engagements. C'est l’enthousiasme et la passion qui les guident pour repondre au 
projet et ce sont eux qui decident ou non d’ employer les nouvelles recrues souhaitant rejoindre 
l’entreprise (ils ne vont pas chercher des personnes en fonction de leur besoin, ils choisissent de 
faire des projets pour lesquels ils ont deja des competences). « Ce sont d’abord les equipes qui 
rencontrent le candidat. Elies nous confient, a mon associe et a moi-meme, ce qu'elles en ont 
pense. Generalement, lorsque nous recevons la personne selectionnee, c'est pour une simple 
validation, parce que nous savons deja tout de lui, et qu'il est 'cable' pour travailler chez nous. » 

89 http://www.lefigaro.fr/vie-bureau/2014/02/27/09008-20140227ARTFIG00065-le-management-sans-managers-c- 

est-possible.php. 

90 http://blog.sogibs.eom/post/82777936927/retour-sur-la-vitrine-dexcellence-du-numerique-iserois#disaus thread. 


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Tous les salaries sont sur un meme pied d’egalite, chaque cellule a neanmoins un « refe- 
rent » choisi par les membres de la cellule qui est charge d’etre a l’ecoute de l’equipe. « Tous les 
employes jouissent du meme confort, de la meme liberte : aucune contrainte horaire, aucune 
obligation... A partir du moment ou le travail est bien fait ». 

Dans ce systeme de travail, les carrieristes, les individualistes ne sont pas les bienvenus : 
cela met un firein enonne a toutes les problematiques liees au pouvoir dont on a pu parler 
precedemment, ce qui est un benefice enonne tant pour la vie des salaries que l'efficacite de 
l’entreprise. 

L'esprit d’entrepreneur est encourage « Si nos collaborateurs nous parlent d’un projet, nous 
mettons tout en oeuvre pour l’epauler a monter une start-up grace a un systeme de parrainage, 
ou Sogilis aide financierement le projet, et prend des parts dans ces nouvelles start-up. » 

On a la, meme si le fondateur n’emploie pas ces termes, un mode de travail guide et centre 
sur le flow : rien n’entrave le flow des salaries et tout est fait pour que les salaries puissent entre- 
tenir ce flow selon leurs aspirations et leurs motivations. C'est l'activite qui guide, c'est l'activite 
qui motive et l’organisation se plie a elle contrairement aux entreprises autoritaires. 

On pourrait retorquer que ce systeme n’est bon que pour les petites entreprises (ils ont 20 
salaries a l’heure ou nous ecrivons ces lignes) et pour les entreprises liees aux nouvelles tech- 
nologies. Or le prochain exemple va nous contredire : 

Des equipes-projet autodirigees, V exemple de Gor e-Tex 

Gore-tex est un groupe americain de 10 000 salaries dont l’objet est la vente et la concep- 
tion de chaussures et vetements garantissant l'impermeabilite et la respiration. II n'y a aucun 
chef, seulement des petites equipes-projets autodirigees. Les equipes n’ont pas descendant les 
unes sur les autres, et travaillent chacune sur deux ou trois projets choisis en fonction de leurs 
competences et de leurs envies. Les horaires ne sont pas fixes, ils peuvent partir quand ils le de- 
cident, et cela quel que soit leur metier. La seule fonction qui pourrait s'apparenter au « chef » 
est le leader : il est plutot animateur d’equipe, s'assure que le projet avance bien et que tous les 
points de vue sont pris en compte. II ne peut pas s’imposer ou se faire faire « monter », il est 
elu par les membres de l’equipe. Les leaders ont egalement vote pour leur PDG en 2005, Terri 
Kelly, qui etait egalement auparavant leader. 

L'entreprise etant atypique, les nouvelles recrues ont durant un an un tuteur/coach (le 
« starting sponsor »), pour les aider a trouver les projets dans lesquels ils souhaitent s’investir 
; personne ne leur dit quoi faire, il n'y a pas de descriptif de poste, c'est a eux d'y trouver leur 
place. La non plus, les personnalites autoritaires et individualistes ne peuvent pas rester dans 
l’entreprise. 

Les salaries peuvent aussi changer de metier, un comptable peut devenir vendeur si cela 
converge a la fois avec ses envies, ses competences et les besoins de l'entreprise. L'innovation 


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est tres encouragee et tout le monde peut proposer une idee ; une partie du temps de travail est 
consacree a [’experimentation de ces idees (mais pas imposee). 

Les evaluations menant a des augmentations de salaire sont faites par tout le monde sur 
tout le monde ; puis les augmentations sont fonction du classement et changent selon les an- 
nees. Un bon vendeur peut etre paye plus qu'un leader par exemple. Tous les salaries recoivcnt 
un interessement assez genereux, 13 % de sa remuneration annuelle sous forme d'actions. 

Le resultat est qu'un associe sur 4 a plus de 20 ans d’anciennete ; les produits sont connus 
et reconnus pour leur qualite et leur innovation ; l’entreprise fonctionne plus que bien. 

L'usine anti-alienation, V exemple de Favi 

On s'eloigne a present totalement du monde des cadres : Favi est une usine qui fabrique 
depuis cinquante ans des siphons en cuivre, des compteurs d’eau et des fourchettes de boites 
de vitesses pour la moitie des constructeurs europeens ; elle a 400 salaries qui vivent un quo- 
tidien qui n'a strictement rien a voir avec tous les temoignages d’ouvrier, d’operateur d'usine 
qu'on a pu voir jusqu'a present. 

L'usine est decoupee en « mini usines », dont la production sert un client chacune, ce qui 
n'est pas sans rappeler le management cellulaire de Sogilis ou encore les equipes-projets de 
Gore-Tex. L’interet est, ici, de donner son sens au travail, les ouvriers d'usine etant generale- 
ment deconnectes de la question de la destination de leur travail, du client, des consequences 
de leur travail. Ici ils savent pour qui ils travaillent, ou va leur travail, la satisfaction qu'ils 
donnent et ce qu'ils peuvent faire pour satisfaire le client ou repondre a ses besoins. 

Les equipes sont amenees a visiter leur client pour observer la destination de leur travail 
; cela repond totalement aux problematiques dont nous parlions dans la section « reconnais- 
sance », les salaries ne sont plus dans le brouillard, ils savent pourquoi ils travaillent, le 
constatent visuellement. 

Toujours dans cet esprit d’autonomie, de responsabilisation, le directeur a depuis long- 
temps enleve les pointeuses pourtant caracteristiques des usines. Les horloges ont egalement 
ete supprimees, les sonneries rythmant la production se sont eteintes. Aucun abus sur les ho- 
raires n’a ete constate et les rares retards sont traites a la racine. Par exemple, si un ouvrier ar- 
rive en retard a cause d’un souci sur sa mobylette, sa mobylette est reparee. Au contraire, cette 
liberation des heures et des minutes a fait augmenter la productivite : les ouvriers n'hesitent 
plus a rester un quart d’heure de plus pour finir correctement leur cycle de travail. 

Ce sont les ouvriers qui decident du « comment » de leur travail : ils decident du tempo 
de leur production, reglent eux-memes leurs machines, ils n’ont pas d’objectif de pieces a pro- 
duire. Comine ils suivent leur propre rythme, la productivite a monte en fleche : ils n’ont pas 
peur de se surpasser et que cela devienne une nouvelle nonne. Le directeur explique sur son 


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site « il est malaise d’etre l'acteur d'une piece ecrite par d’autres. [...] mefions-nous des auteurs 
qui ecrivent des pieces pour les autres. Presque toujours, cela cache un gout du pouvoir pour 
le pouvoir ou un souci d’interet personnel aux depens de l’interet collectif, voire meme aux 
depens de l’interet du client. » Pour lutter contre la lassitude, ils changent de poste toutes les 
heures et au bout d'un an ou deux, ils peuvent permuter entre les mini-usines. 

Les primes ont ete supprimees, et remplacees par un interessement et une participation 
identique pour tous, des surprises et la remuneration des idees qui peuvent etre proposees par 
tous. 

L'ouvrier est l'element le plus important et le directeur considere que c'est son bonheur 
qui fera sa performance : « la survie de la collectivite depend du bonheur du client ! Seuls des 
operateurs heureux peuvent faire des clients heureux. Si et seulement si, les clients et les ope- 
rateurs sont heureux alors, et seulement alors, les actionnaires sont heureux » 91 . Alors ils orga- 
nised des reunions pour savoir comment atteindre ce bonheur. Trois fois par jour, le directeur 
passe dans toutes les mini-usines pour discuter, regler les problemes. S’il y a un probleme avec 
un ouvrier, le directeur considere que c'est la faute de la structure, done de lui. 

La pyramide hierarchique est inversee et presque plate : les ouvriers, les commerciaux et 
les leaders, puis la direction. Les niveaux intermediaries sont done considerablement restreints 
et le leader est toujours un ancien ouvrier reconnu par ses pairs ; les commerciaux travaillent 
dans leur mini-usine. Le leader n'impose pas de directive sans en expliquer l’origine (alors que 
dans les usines, traditionnellement, les ouvriers ne revived aucune information, meme sur 
la nature de leur travail) et doit les laisser libre du « comment ». Le directeur certifie que s'il 
venait a y avoir une crise, ce seraient d’abord les postes de cadres qu'il diminuerait, les ouvriers 
etant a ses yeux les plus importants. 

L'information est liberee et accessible a tous, les strategies sont exposees aux ouvriers et 
souvent ils prennent des decisions avec leur leader sans que cela vienne du haut. 


Le directeur se dit humaniste et dit qu’il faut « avoir le courage de ne pas toucher a quelque 
chose qui marche ». II fait confiance a ses equipes tout en gardant un contact (les trois prome- 
nades par jour). Comme dans Rework, sa planification est tres limitee afin de s'adapter a l’envi- 
ronnement et qu'il n'y ait pas de « bruit de fond » l'empechant d’ entendre les bonnes occasions. 
« Nous pensons qu’il n'y a pas de futur sans present, que le present peut modeler le futur et qu'il 
convient done d' observer, de s'adapter en permanence au present pour effectivement preparer 
le futur ». L'incertitude est consideree comme une fete, une aventure, et, dans ses propos on y 
voit clairement une denonciation des fonnes de management qui tentent de tout controler « il 
y a une forme de lachete facile a systematiquement se refugier dans la preparation du futur ». 

Il a neanmoins, au fil du temps, mis des valeurs qui servent de cadre : « Notre systeme re- 
pose avant tout sur deux valeurs judeo-chretiennes : la bonte naturelle de l’homme et l’amour du 

91 http://www.favi.com/managf.php 


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client. De la decoule l'absence de hierarchie. Nous demandons aussi a nos salaries de respecter 
quatre commandements : la bonne foi, le bon sens, la bonne volonte et la bonne humeur. » 


La reconquete du temps des salaries : le systeme ROWE dans Best 
Buy 

Best Buy est une entreprise de vente de materiel electronique. II y a quelques annees, 
le changement s'est impose par le bas, a coup d’experimentations sur quelques equipes puis 
a conquis progressivement tout le siege. Le haut n’a appris que bien plus tard la nature des 
changements. Cali Ressler et Jody Thompson ont considere que face aux problematiques du 
travail (infantilisation des salaries, travail qui rend malade physiquement et mentalement, tra- 
vail qui impacte negativement la vie privee, les pertes de temps aussi bien pour l’entreprise 
que pour les employes...) il fallait changer en profondeur les regies du jeu : et cela passait par 
une revolution des considerations liees au temps. Etant donne les prouesses technologiques, 
il leur semblait aberrant que les bureaux puissent fonctionner encore comine dans les annees 
50, alors que les cadres peuvent travailler n'importe ou, de leur telephone ou de leur portable. 
Elies ont done teste une nouvelle fa^on de travailler « ROWE ». 

ROWE veut dire « Results-only Work Environnement », e’est-a-dire environnement de 
travail guide par les resultats, qui pourrait se traduire ainsi : « Chacun est libre de faire ce qu'il 
veut, quand il veut, tant que le travail est fait ». Concretement voici ce que cela represente : 
les salaries ont le droit de travailler chez eux, au bureau, n’importe ou, selon leur convenance. 
Certains d’entre eux partent a la chasse et passent leurs coups de fil professionnels directement 
de la foret ; d’autres passent 3 fois dans la joumee au bureau, s'absentant au gre de leurs obli- 
gations privees (courses, enfants...) ; certains ne viennent que le matin ou que le soir; d’autres 
travaillent considerablement pendant 15 jours puis partent les 15 jours du mois en vacances 
dans d’autres pays. Il n'y a pas d’horaires a respecter, le salarie gere son temps comine il le veut. 
La seule chose qui compte, e'est de remplir ses objectifs. 

Pour cela, le plus difficile a ete de changer les a priori, e'est-a-dire les jugements de valeur 
que les salaries et managers se posaient les uns sur les autres vis-a-vis du temps, des activites 
per?ues, du comportement. Il fallait egalement se delester de la crainte et de l’anticipation des 
a priori (les fameuses ruminations autour des retards ou du fait de partir plus tot) qui sont 
un gaspillage d’energie qui participe amplement a la demotivation, au degout de son emploi. 
Finalement, ces a priori ont ete chasses au fur et a mesure par une saine loi de reciprocite « je 
ne voulais pas que les autres me jugent [quand par exemple elle partait du bureau a 14 heures] 
done je ne portais pas de jugement sur eux » 92 ; par des reunions ou ils partageaient leur idee 
sur le temps ; par un blocage des attaques : si une personne faisait une remarque desobligeante 

92 temoignage dans Pourquoi le travail nous emmerde... et comment faire pour que qa change !, de Cali Ressler - Jody 
Thompson 


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« ton gamin est souvent malade je trouve... T’as pas peur que ca te joue des tours pour ta car- 
riere ? » il suffisait de lui repondre « Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? » ou alors 
« Est-ce que je peux faire quelque chose pour t’aider ? » avec sincerity. 

Globalement, les salaries sont bien plus responsabilises et autonomes avec ROWE, done le 
metier de manager se nuance. II s'agit pour lui d’etre tres clair sur les objectifs a atteindre, de 
communiquer souvent avec l’equipe, de ne pas se focaliser sur la facon dont ils travaillent (le 
« comment », comine chez FAVI), de ne pas prendre en compte le temps, le nombre d’heures, 
d'eviter les intrusions inutiles (pas de controle), d’arreter d’elaborer des regies, de faire confiance 
aux salaries. Dans cette meme optique, les reunions ont ete diminuees et ne sont plus obliga- 
toires. Un manager raconte qu'il a d’abord ete tres anxieux de ne plus avoir aucune idee de ce 
que faisaient les membres de son equipe, mais que petit a petit ce sont les salaries qui sont 
venus le voir individuellement, avec des questions bien plus pertinentes qu'avant. 

La question delicate de ce systeme est celle du Code du travail : en effet, les personnes 
posent comine elles veulent leurs conges, leurs arrets maladie. Elies depassent d’elle-meme 
parfois les 40 heures semaines, mais parfois ne travaillent que tres peu. Les notions de conges 
deviennent relatives et beaucoup travaillent sur leur lieu de vacances. II n'y a plus de « semaine 
de travail » et de week-end : les deux sont entremeles selon les souhaits de chacun. Toute la 
question juridi que serait a repenser. 

ROWE a eu un impact fort : 

— Le turn-over a chute, par exemple pour une equipe sous ROWE on passe de 28 departs 
en 2005 a 6 en 2007 ; au total, le turn-over a baisse de 90 % : ce qui prouve que les employes 
se sentaient bien dans l’entreprise. A Gap Outlet, qui a adopte le fonctionnement ROWE aussi, 
le turn-over a baisse de 50 %. 

— Le moral, la sante des salaries etaient bien meilleurs (ils se soignaient quand necessaire 
et ne propageaient pas de virus au bureau). 

— La productivity a augmente de 41 %. 

— Des economies de 2,2 millions de dollars ont ete realisees. 

— Les mauvais elements ont ete reperes ; en effet, dans un tel systeme, impossible de se 
cacher sous des apparences de « bourreau de travail », les licenciements ont done augmente 
un peu. 


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Cependant, a Best Buy, malgre l’evident succes de la methode ROWE, l’histoire se finit 
mal : la direction a change, et comine c'est souvent le cas dans ces circonstances elle a voulu 
mettre « sa patte », autrement dit montrer qu'elle avait du pouvoir et a fait cesser ROWE : re- 
tour a la semaine des 40 heures, tous au bureau et cela sous la vigilance des managers. « Best 
Buy veut tout le monde sur le pont, a dit le porte-parole pour annoncer la decision de l’entre- 
prise, et ga signifie que nous voulons que les employes viennent le plus possible au bureau afin 
de collaborer et de trouver des moyens de faire redecoller I’entreprise. » Hubert Joly, le nou- 
veau CEO, rajoute : « dans une telle situation de redressement, la direction doit venir d’en haut 
[...]. Vous avez besoin de vous sentir disponible au contraire d’indispensable ». II caracterise le 
systeme de ROWE comine « fondamentalement vicie du point de vue de la direction ; la seule 
fa?on acceptable de diriger est la delegation ». II s'agissait, par ce retour en arriere, d’envoyer 
un message a Wall Street, du caractere a present serieux de Best Buy... 

Fort heureusement, selon les auteures de ROWE, les employes de Best Buy continuent, en 
toute discretion, a suivre le systeme ROWE. 

En resume : 

Nous avons ete frappes - extremement positivement - de constater que malgre les diffe- 
rences de faille, de domaine d’activite, de statut des salaries, les bonnes solutions pour que 
le travail soit plus interessant, moins alienant, plus juste, plus profitable a tous et que toute 
manoeuvre politique, manipulatoire ou de harcelement soit evincee tiennent a quelques memes 
solutions, ajustees en fonction de l’entreprise : 

— Les cellules, la division en petits groupes independants lies a un projet complet : cela 
evince un nombre considerable de postes intennediaires, de bullshit jobs, de « petits chefs » 
inutiles et couteux a l’entreprise. Cela evince les manoeuvres politiques manipulatoires pour « 
monter », cela protege du harcelement. Cela remet le travail a sa place, c’est-a-dire autour de 
l'activite et tout ce qui gravite autour d’elle. Cela favorise le flow et l'implication des membres, 
done cela participe a leur bonheur. Comine les cellules s'autogerent, cela facilite considerable- 
ment la gestion. 

— L'autonomie de tout le monde : cela permet aux personnes de developper tout leur po- 
tentiel (l'infantilisation les bloquant), cela rend leur metier plus interessant et dans le cas du 
ROWE, cela pennet une conciliation parfaite de la vie privee a la vie professionnelle. L'au- 
tonomie genere de la reconnaissance, car la confiance donnee est en elle-meme une forme de 
reconnaissance. 

— La concentration sur le travail, l'activite elle-meme, en cvincant toute abstraction inu- 
tile : cela protege les superieurs de l'alienation culturelle, les remet dans la realite, et redonne 


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ses titres de noblesses a tous les metiers qui touchent a l'activite elle-meme. Cela permet de 
s'adapter aux changements de l’environnement, done cela preserve l’entreprise. 

— La liberation du temps : le temps n’est pas le travail, le travail n’est pas le temps passe. 
La surveillance via le temps (de presence, a faire telle activite) est problematique. Le temps 
passe au travail, sans pour autant que ce soit necessaire a l'activite, est problematique autant 
pour l’entreprise que pour l'employe. L'idee est done de le liberer un maximum, de le laisser a 
disposition des salaries qui jugeront de comment bien l'employer et de ne plus juger en fonc- 
tion de l'horloge ou de la pointeuse. 

Ces initiatives le prouvent : il est possible de changer de systeme au travail, d’evincer les 
questions de pouvoir, de domination, de soumission, de manipulation. II est possible de chan- 
ger a partir du « bas », tranquillement et posement, avec patience, pour conquerir des departe- 
ments de centaines de personnes. Notons au passage que ces solutions, l'autonomie, le focus 
sur l’activite, la division en petits groupes, mais agissant dans une meme direction, peuvent 
etre applicable ailleurs que dans l’entreprise, tout cornme toutes les esquisses de solutions que 
nous vous avons donne jusqu'alors. Liberez votre imagination et laissez-la passer a l’experi- 
mentation, vous n'y trouverez que des aventures palpitantes ! 


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Conclusion 


Nous sommes de petits poissons dans un ocean immense aux mille possibility, aux mille 
chemins differents : on pense pouvoir se diriger la ou Ton veut, faire ce que Ton veut. On 
pense que si on est a un endroit, c'est parce qu’on l'a sciemment decide, parce qu’on croit que 
c’est le bon endroit pour nous. On l’a vu tout au long de cet ouvrage, cet ocean est parcouru de 
mille courants nous poussant a droite, a gauche : nous sommes totalement ballottes dans les 
influences, nos nageoires semblent n’etre que des accessoires pour nous faire croire a un libre 
arbitre, libre arbitre qui ne serait qu’une fiction. On serait determine par la television, nos pa- 
rents, les medias, les commerces, les puissants et leurs ideologies, determines par le jus dont on 
veut nous tirer, determine par nos archaiques automatismes, determines par notre inconscient 
gobant toutes les informations que notre conscience a ignoree. La liberte, cette si belle notion, 
ne serait qu’en fait le meilleur moyen trouve pour nous asservir a une paire de chaussures, a une 
chaine TV, a un patron exploiteur, a des ideologies. Nous ne serions que ce que l’autre dit que 
Ton est, nous ne serions qu’une somine d’influences a la merci des courants. 

Et pourtant nous ecrivons ces dernieres lignes sans haine, sans tristesse, sans colere ni de- 
gout. Nous avons aborde des dizaines de situations enervantes, injustes, graves et pourtant a 
Tissue de cette recherche que nous avons voulu partager, nous voyons clairement une solution 
on ne peut plus simple aux problemes de la manipulation : etre conscient. 

Dans tous nos « done », prendre conscience des evenements qui se deroulent permet de 
contrer la manipulation, de reprendre sa direction en main. Cependant, ce n’est pas un exercice 
facile que de mettre en oeuvre nos mecanismes conscients : c’est neurologiquement plus cou- 
teux que de laisser faire les automatismes, c’est plus difficile moralement et emotionnellement, 
surtout dans des situations delicates (les resistants dans l’experience de Milgram en sont un 
excellent exemple, toutes leurs attitudes montrent a quel point il leur etait couteux de mettre en 
application leur non), cela implique de faire des choix, de prendre des decisions, de les mettre 
en oeuvre et tout cela est encore, tres couteux en tenne d’energie. Mais etre conscient est un tra- 
vail a la portee de tous. C’est un travail qui demande de l’entrainement, de l’autodiscipline, un 
travail qui necessite de se forger des muscles mentaux, un travail quotidien de navigation sur 
nos courants et nos mers personnels. Mais il n’est pas vain. On en ressort plus fort, on reprend 
notre vie en main. On reprend la navigation de notre personne, acceptant ou non les influences 
de facon consciente, comnie autant de vents dans nos voiles. Mais ce n’est pas qu’une question 
de direction, c’est une question de ne pas laisser passer sa vie a cote de soi, sans la voir ni l’en- 
tendre. Etre conscient, c’est etre la, ici et maintenant : en cela, prendre garde a etre conscient 
apporte un bienfait phenomenal, car les bonnes choses sont egalement mieux ressenties, mieux 
appreciees pour ce qu’elles sont, et on s’oublie pour ne faire qu’un avec l'instant present, sans 
pour autant avoir abandonne la navigation de notre navire. 



Nous terminons done positivement. Si enervants, enrageants, injustes, intolerables soient 
les problemes que Ton a abordes, prenons-les comme un defi sportif a relever : chaque petite 
manipulation est une haie a sauter, a contourner, a contre-exploiter, une petite enigme posee a 
notre creativite. Chaque petite construction, idee appliquee que nous lui opposons est une vic- 
toire, si minime soit-elle, qui nous conduit vers un nouveau paradigme. Chaque chose qui nous 
enerve doit etre inspectee avec minutie, sans colere ni haine et etre l'objet de notre imagination : 
ce n’est pas une guerre qu'il faut a ce monde, ce n'est pas une revolution, e’est une reconstruc- 
tion, une reappropriation et cela passe par l’art, l’humour, l’inattendu, l’humanite, l’imagination, 
l’astuce, l’emancipation, l’autonomie... Dire non peut alors devenir une vraie passion qui sert au 
plus grand nombre, bien plus jouissive et source de bonheur qu’une promotion, que la recon- 
naissance d’un statut superieur et la possession de ses attributs symboliques. Et le formatage et 
la manipulation finissent par devenir inoperants. Et Ton en arrive a un nouveau paradigme pour 
sa propre vie, puis celle de ses proches, puis de son travail et plus... Nous esperons que tous 
les « done » qui parsement cet ouvrage se gonflent de vos idees, des experiences joyeuses et 
qui soient profitables au plus grand nombre. Pour notre part, nous continuous d’exercer (entre 
autres) et de partager nos « done », nos connaissances, nos decouvertes ou celles des autres sur 
http://hacking-social.com/. 

Au plaisir ! 




Bibliographic L'homme formate 


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